Accélération du développement d’énergies renouvelables : une avancée à reculons ?

 Extrait de la Gazette n°51- Décembre 2022

« Il n’y a pas de transition énergétique et climatique s’il n’y a pas une décarbonation de l’énergie produite, en particulier notre électricité ».

C’est sur ces quelques mots introductifs que Monsieur le Président Macron a amorcé le désormais célèbre discours de Belfort, prononcé le 10 février 2022 [1]. Tout au long de ce discours, le Président est revenu sur les choix énergétiques de la France et a annoncé les « chantiers » devant être entrepris par notre pays afin que l’on « reprenne en main » notre destin énergétique. Parmi les mesures annoncées, il a été rappelé que le développement des énergies renouvelables et de l’énergie nucléaire doit être érigé comme une nécessité afin de parvenir à la décarbonation de l’électricité. Si cette décarbonation n’est pas un objectif nouveau, il est toujours opportun de rappeler qu’elle constitue l’un des moyens permettant de parvenir à la neutralité carbone.

La France s’est successivement engagée, en ce sens, entre autres au travers de l’Accord de Paris, du « Paquet Climat » de l’Union européenne, et de la loi de transition énergétique pour la croissance verte [2], à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Pour tenir cet objectif, le Président de la République a indiqué, à Belfort, que la France doit être en mesure de produire soixante pour cent d’électricité en plus de celle produite aujourd’hui, la priorité étant axée sur le développement de l’énergie solaire. Il a en effet annoncé vouloir multiplier, d’ici 2050, près de dix fois la puissance installée pour dépasser cent gigawatts.

En complément du développement des énergies renouvelables, le discours rappelait l’importance de poursuivre les efforts déployés dans le domaine de l’énergie nucléaire, la décarbonation ne pouvant reposer uniquement sur le photovoltaïque ou l’éolien. Un tel mix énergétique diversifié serait en effet « le choix le plus pertinent d’un point de vue écologique et le plus opportun d’un point de vue économique et enfin le moins coûteux d’un point de vue financier ». Comme le souligne à juste titre le rapport Futurs énergétiques 2050 publié par RTE [3] en début d’année 2022, les engagements climatiques de l’Union européenne et de la France ne se limitent pas à l’horizon 2050. Dans cette attente, l’ensemble des engagements pris par la France, et notamment ceux inscrits à l’article L. 100-4 du Code de l’énergie, constitue la ligne directrice devant être suivie afin de pouvoir répondre, progressivement, à l’urgence écologique et climatique.

De surcroît, dans ce contexte climatique alarmant, les récents évènements liés au conflit russo-ukrainien ont démontré la nécessité de disposer de ressources énergétiques propres, afin de limiter la dépendance aux énergies provenant de pays tiers, et notamment d’énergies fossiles. Face à une telle situation, la Commission européenne a présenté, le 18 mai 2022, le plan REPowerEU, destiné à réduire la dépendance aux énergies russes et, par là-même, accélérer la transition écologique.

La proposition de plan reposait sur trois axes, le premier tenant au développement d’un système énergétique fondé sur les énergies renouvelables.

La Commission proposait ainsi d’augmenter la part d’énergies renouvelables dans le bouquet énergétique européen d’ici 2030, en l’élevant à quarante-cinq pour cent, au lieu des quarante pour cent récemment fixés dans le cadre du Paquet « Ajustement à l’objectif 55 ». Dans ces quarante-cinq pour cent, le développement de l’énergie photovoltaïque était particulièrement mis en avant, avec un objectif de mise en service de six cents gigawatts d’ici à 2030. Cette proposition faisait écho à celle annoncée par le Président Macron à Belfort, et s’entendait logiquement en raison des délais attachés au développement de parcs solaires, en principe plus rapides -ou, à tout le moins, un peu moins longs- que ceux des parcs éoliens. Grâce à ce nouvel objectif de quarante-cinq pour cent, la capacité totale d’énergies renouvelables aurait pu être portée à 1236 gigawatts d’ici à 2030. En sus de ce premier axe proposé par la Commission, un deuxième visait à renforcer les mesures d’efficacité énergétique, et un troisième à diversifier les sources d’approvisionnement en gaz, par le biais d’importations ne provenant pas de Russie.

Notons que, si le 19 décembre 2022, le Conseil de l’Union européenne (ci-après le « Conseil de l’UE ») est parvenu à un accord sur certaines modifications proposées dans le cadre du plan REPowerEU, il a toutefois écarté la proposition de la Commission européenne de réhausser l’objectif de la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique européen à quarante-cinq pour cent.

En outre, ce même jour, sur proposition de la Commission européenne, le Conseil de l’UE a définitivement adopté un nouveau règlement temporaire d’urgence visant à accélérer le déploiement des sources d’énergie renouvelable [4]. Ce règlement est destiné à s’appliquer pendant dix-huit mois, soit le délai nécessaire à l’adoption et à la transposition de la directive RED II, relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables.

L’objectif de déploiement des sources d’énergie renouvelable prend appui sur cinq types de mesures.

Premièrement, le règlement simplifie la procédure « dérogation espèces protégées », en instaurant une présomption d’intérêt public supérieur au bénéfice de la planification, de la construction et de l’exploitation des installations de production d’énergie renouvelable.

Une faculté est toutefois laissée aux États membres de restreindre cette présomption à certaines parties de leur territoire ainsi qu’à certains types de technologies ou de projets, en fonction des plans nationaux en matière d’énergie et de climat.

Deuxièmement, le règlement simplifie la procédure d’autorisation des installations de production d’énergie solaire en prévoyant que cette procédure ne peut excéder trois mois pour certaines installations, et que l’installation, y compris par des autoconsommateurs, d’un équipement d’une capacité inférieure ou égale à cinquante kilowatts pourra être autorisée tacitement à l’expiration du délai d’un mois suivant le dépôt de la demande d’autorisation, sauf problème de sécurité, de stabilité et de fiabilité du réseau.

Troisièmement, le règlement prévoit la simplification de la procédure de rééquipement des centrales électriques utilisant des sources d’énergie renouvelable, en instaurant un délai maximum d’octroi du permis fixé à trois mois lorsque le rééquipement entraîne un accroissement n’excédant pas quinze pour cent, et à six mois pour les autres rééquipements, en incluant la phase d’évaluation environnementale du projet. Le règlement prévoit par ailleurs de limiter l’évaluation environnementale ou l’examen au cas par cas des projets de rééquipement aux seules « incidences potentielles significatives découlant de la modification ou de l’extension par rapport au projet initial ».

Quatrièmement, le règlement prévoit l’accélération du déploiement des pompes à chaleur (ci-après les « PAC ») en instaurant là encore un délai contraint pour la délivrance des permis, d’un mois pour les PAC de moins de cinquante mégawatts et de trois mois pour les PAC géothermiques. En outre, certains permis relatifs au raccordement au réseau de transport ou de distribution seront octroyés après simple notification à l’entité concernée, sauf exceptions liées à la sécurité ou à des incapacités techniques. L’application de cette mesure est prévue pour les PAC de petites tailles, à savoir, d’une part, les PAC d’une capacité maximale de douze kilowatts et, d’autre part, les PAC d’une capacité maximale de cinquante kilowatts installées par des autoconsommateurs, et à condition que la capacité de l’installation de production d’électricité renouvelable de cet autoconsommateur représente au moins soixante pour cent de la capacité de la PAC.

Cinquièmement, le règlement offre aux États membres la faculté d’exempter d’évaluation environnementale et d’évaluation de la protection des espèces, sous conditions, certains projets situés dans une zone ayant elle-même fait l’objet d’une évaluation environnementale.

Sur le plan national, les discussions portant sur les nouvelles mesures énoncées par le Président Macron à Belfort ont progressivement débuté à partir de l’été 2022. Sans anticiper sur le détail du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (ci-après le « PJL ») [5], qui fera l’objet d’amples développements dans cet article, notons qu’une instruction du Gouvernement visant notamment l’accélération des projets d’énergie renouvelable a été publiée le 28 septembre 2022 [6].

Dans la seconde partie de l’instruction, il était rappelé à titre liminaire que la France est le seul pays de l’Union européenne n’ayant pas atteint l’objectif de développement de la part des énergies renouvelables pour 2020, fixé à vingt-trois pour cent. Dans ce cadre, et au regard du contexte climatique ainsi que du conflit frappant l’Est de l’Europe, l’instruction demandait la mise en place de « toutes les actions requises afin de faciliter et d’accélérer le traitement des dossiers d’instruction des projets d’énergie renouvelable en cours et à venir et de ne faire en sorte qu’aucune instruction n’excède 24 mois, sauf situation très exceptionnelle ». Le Gouvernement rappelait à cet égard les délais de déploiement des projets d’énergie renouvelable en France, qui sont presque deux fois plus longs que ceux de ses partenaires européens. À titre d’illustration, et comme rappelé dans le discours de Belfort, notons qu’il faut en moyenne environ cinq ans pour qu’un projet photovoltaïque voie le jour. La durée s’allonge encore pour les parcs éoliens, avec une moyenne de sept ans pour les parcs éoliens terrestres, et de dix ans pour les parcs éoliens offshore. L’instruction sommait en outre les préfets de délivrer sans délai les autorisations accordées en application d’une décision de justice. Il est intéressant de relever que le Gouvernement ajoutait, par une formulation étonnante même si l’on comprend l’idée, qu’un pourvoi en cassation ne serait plus automatiquement formé contre les autorisations régulièrement délivrées. Enfin, le texte insistait sur la position d’« État informateur, sensibilisateur et facilitateur », en rappelant aux préfets l’importance de leur rôle d’accompagnateur des collectivités et des populations dans le déploiement des énergies renouvelables.

Bien que poursuivant une démarche louable en ces temps de crise, l’instruction adressée aux préfets serait restée sans effets, au regret de la filière éolienne notamment représentée par France Énergie Éolienne [7].

Dans ce contexte, et dans la continuité du « Jeudi de l’IDPA » du 24 novembre 2022 qui s’est tenu au cabinet Boivin et Associés, que nous remercions à nouveau chaleureusement ainsi que l’ensemble des intervenants et des participants, le présent article se propose d’étudier les dernières avancées nationales en matière d’énergie renouvelable.

Sans prétendre à une analyse exhaustive, seront envisagées certaines mesures du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (I.), et le décret « contentieux » du 29 octobre 2022 (II.).

I. Le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables

Le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables a été présenté en Conseil des ministres le 26 septembre 2022 par la Ministre de la transition énergétique. À la suite de sa transmission au Sénat ce même jour, le PJL a été examiné, à partir du 26 octobre 2022, par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Un premier projet de texte, adopté par le Sénat, a été déposé à l’Assemblée nationale le 8 novembre 2022. À la date de rédaction du présent article, les multiples séances de débats à l’Assemblée nationale sur le PJL en première lecture ont été clôturées. Ces débats ont été marqués par des divergences notables entre les députés ; notons à cet égard que le PJL déposé à l’Assemblée le 8 novembre a fait l’objet de 1307 amendements, sans compter les 3131 amendements supplémentaires sur la version n° 526-A0 du PJL, adoptée par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale (ci-après la « commission »). Il est prévu un vote solennel sur le texte le 10 janvier 2023.

En dépit des nombreux désaccords entre le Sénat et l’Assemblée nationale, ce projet entend rattraper le retard français pris dans le déploiement d’énergies renouvelables.

En raison du nombre significatif de dispositions, seuls certains aspects du PJL seront ici abordés, à savoir certains de ceux relevant du volet urbanisme, pris au sens large (1.1.) et d’autres relevant du volet environnemental (1.2.). Un dernier focus spécifique concernera les contrats d’achat d’électricité (1.3.).

La version étudiée résulte du texte n° 526-A0 de la commission, tel que discuté jusqu’au 16 décembre 2022.

1.1. Sur le volet urbanisme

Sous cette dénomination relativement large, seront regroupés et présentés trois apports du projet de loi s’agissant, tout d’abord, de la planification territoriale (1.1.1.), des évolutions des documents d’urbanisme ensuite (1.1.2.) et, enfin, de lamobilisation de foncier (1.1.3.).

1.1.1. De la planification territoriale

Le projet de loi discuté au Sénat comportait un titre Ier A, et plus particulièrement un article 1er A relatif aux « zones propices » à l’implantation d’installations de production d’énergies renouvelables et de production d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone, ainsi que leurs ouvrages connexes. Ces zones, définies par les maires, devaient répondre à certains critères, entre autres présenter un potentiel pour le développement des énergies précitées, permettre de maximiser la production au regard notamment des objectifs de la politique énergétique ou encore ne pas présenter d’enjeux sensibles pour le patrimoine commun de la Nation. Le PJL précisait également que ces zones auraient vocation à figurer dans le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie et le plan climat-air-énergie territorial, respectivement consacrés aux articles L. 4251-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), L. 222-1 et L. 229-26 du Code de l’environnement.

Cette disposition avait cependant soulevé un certain nombre d'interrogations. Parmi celles-ci, la question de l’implantation de projets d’énergie renouvelable en dehors de ces zones propices. D’aucuns craignaient que l’instauration de ces zones rende plus complexe l’implantation de projets dans les zones non qualifiées de zones propices -cette interrogation a par ailleurs été soulevée dans le cadre du « Jeudi de l’IDPA » du 24 novembre 2022-.

Néanmoins, il a été avancé que cette disposition était le fruit d’un compromis, faisant suite au refus de reconnaître un droit de veto aux maires concernant l’installation de projets d’énergie renouvelable sur leur territoire.

Par ailleurs, il peut être relevé que cette disposition interrogeait quant à l’aboutissement de sa rédaction. En effet, le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie prévu à l’article L. 222-1 du Code de l’environnement, dans lequel devaient être intégrées, par le biais d’une carte indicative, les zones propices, comporte un volet intitulé schéma régional éolien (article R. 222-1 du Code de l’environnement).

Ainsi que le précise l’article R. 222-2 du même Code, ce schéma identifie des parties du territoire « favorables au développement de l’énergie éolienne » (nous soulignons). Or, il ne ressortait pas du PJL dans sa version adoptée par le Sénat que les conséquences de la superposition de ces zones favorables et des zones propices aient été envisagées par les sénateurs.

Cependant, cet article 1er A a été supprimé du PJL par la commission dans un amendement n° CE1205. Le texte propose désormais, à l’article 3 du PJL, d’insérer un article L. 141-5-3 dans le Code de l’énergie relatif aux « zones d’accélération pour l’implantation d’installations terrestres de production d’énergies renouvelables et leurs ouvrages connexes » (nous soulignons). À l’instar de la version précédente, la disposition prévoit que ces zones devront répondre à plusieurs critères, parmi lesquels on retrouve, par exemple, le potentiel d’accélération de la production d’énergie au regard des objectifs de la politique énergétique, de la loi de programmation quinquennale de l’énergie et de la programmation pluriannuelle de l’énergie. À cet égard, deux amendements sont venus ajouter au futur article L. 141-5-3 précité que « les zones d’accélération pour l’implantation d’installations de production d’énergies renouvelables doivent s’efforcer, à compter du 31 décembre 2027, de tendre vers les objectifs prévus par la programmation pluriannuelle de l’énergie ».

Outre ce remaniement du feu article 1er A, il convient de noter qu’une autre disposition prise en matière de planification territoriale avait été ajoutée à l’article 1er BA du PJL. Cet article prévoyait la création d’un plan territorial de paysage comprenant un document d’orientation et d’objectifs et un programme d’actions. Ces plans territoriaux devaient avoir pour objet la définition des « objectifs

de moyen et long termes des territoires en matière de qualité paysagère, d’insertion paysagère des activités humaines et de valorisation des paysages locaux » et devaient être élaborés par les établissements publics de coopération intercommunale ou les syndicats mixtes. Si la démarche était compréhensible au regard de l’objectif, on pouvait néanmoins s’interroger sur l’utilité et la pertinence de la création d’un plan supplémentaire. Dans la continuité de cette interrogation, un amendement n° 2132 est venu supprimer la création de ces plans, estimant qu’il convient davantage de « s’appuyer sur les documents de planification et d’urbanisme existants déjà connus des collectivités ».

Soulignons qu’une autre disposition de planification territoriale, non retirée du texte par les députés, est inscrite à l’article 1er E nouveau du PJL. Il s’agit d’introduire un nouvel article L. 110-1-3 dans le Code de l’environnement, qui disposerait que la méthode de planification territoriale des énergies renouvelables contribue à l’atteinte des objectifs de lutte contre le dérèglement climatique et de neutralité carbone de l’article L. 100-4 du Code de l’énergie. Ce nouvel article préciserait que la planification concilie notamment les principes de souveraineté énergétique et de protection de la biodiversité.

En plus des dispositions proposées en matière de planification, le PJL entend accélérer le développement des projets d’énergie renouvelable en simplifiant certaines procédures relevant du Code de l’urbanisme.

1.1.2. De l’évolution des documents d’urbanisme

L’implantation de projets d’énergie renouvelable suppose que ceux-ci soient compatibles avec les règles d’urbanisme en vigueur sur le territoire d’implantation. Afin de simplifier la mise en œuvre de ces projets, le PJL propose d’ajuster certaines procédures d’évolution des documents d’urbanisme, à savoir la modification simplifiée et la mise en compatibilité.

En premier lieu, l’article 3 du PJL prévoit de compléter les articles L. 153-31 et L. 153-36 du Code de l’urbanisme afin que les orientations du projet d’aménagement et de développement durable (PADD) du plan local d’urbanisme puissent être modifiées via la procédure de modification simplifiée, et non de révision, lorsque ce changement concourt à la production ou au stockage

d’énergie renouvelable. Il pourrait ainsi être recouru à la procédure de modification simplifiée pour les projets ayant pour objet de permettre l’implantation d’installations de production d’électricité renouvelable ou de stockage d’énergie, d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone, y compris leurs ouvrages de raccordement aux réseaux de transport et de distribution d’énergie, ou l’implantation d’ouvrages du réseau public de transport ou de distribution d’énergie.

De la même manière, devait relever de cette procédure simplifiée la modification des règles applicables aux zones agricoles en application de l’article L. 151-9 du Code de l’urbanisme, jusqu’à ce que cette possibilité soit supprimée par un amendement n° 1231, motivé par la volonté d’assurer une « protection particulière contre l’artificialisation ». À cet égard, notons cependant qu’en pratique, les zones agricoles et forestières sont les zones privilégiées d’implantation de projets d’énergies renouvelables. Les rédacteurs des plans locaux d’urbanisme ont donc fréquemment recours à la possibilité que leur offre l’article L. 151-11 du Code de l’urbanisme pour autoriser, dans ces zones, les projets à destination d’« équipements d’intérêt collectif », à laquelle sont généralement assimilés les projets solaires et éoliens [8].

En outre, la procédure de modification simplifiée serait utilisée afin de délimiter les secteurs relevant de l’article L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme créé par la loi 3Ds, dont l’analyse a fait l’objet d’un article dédié dans notre Gazette n° 50. Si cet article ne concernait à l’origine que les éoliennes, le PJL l’étend désormais aux installations de production d’énergie renouvelable, y compris aux ouvrages de raccordement. La référence aux ouvrages de transport et de distribution d’énergie, prévus initialement dans le texte n° 526-A0, a été supprimée.

Le recours à une modification simplifiée du document d’urbanisme présente l’avantage de la célérité, à tout le moins par rapport à une procédure de révision, en ce qu’elle ne nécessite pas d’enquête publique mais simplement une mise à disposition du public, et conserve la consultation des personnes publiques associées. Sur ce point, dans son avis des 15 et 22 septembre 2022 [9], le Conseil d’État a constaté que la mise en œuvre de la procédure de modification simplifiée, dans les conditions précitées, assure le respect de la Charte de l’environnement.

En second lieu, le PJL étend la possibilité de recourir à la mise en compatibilité du document d’urbanisme aux projets de production ou de stockage d’énergie renouvelable, de production d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone, y compris leurs ouvrages de raccordement, ou d’un ouvrage de transport ou de distribution d’énergie. Cette procédure, communément appelée « déclaration de projet », est prévue à l’article L. 300-6 du Code de l’urbanisme, dont la rédaction ne mentionnait jusqu’alors la possibilité d’y recourir que pour déclarer d’intérêt général « une action ou [une] opération d’aménagement [...] ou [...] la réalisation d’un programme de construction ». Dans cette continuité, le PJL modifie l’article L. 300-2 du Code de l’urbanisme en intégrant la possibilité d’une procédure de concertation unique en amont de l’enquête publique, portant à la fois sur le projet et la mise en compatibilité du document d’urbanisme. Le Conseil d’État n’a formulé aucune observation s’agissant de cette procédure commune dans son avis des 15 et 22 septembre.

Pour compléter l’arsenal de mesures proprement urbanistiques, le PJL comporte un certain nombre de propositions relatives au foncier destiné à accueillir les projets renouvelables.

1.1.3. De la mobilisation de foncier

Toujours dans une perspective d’allègement des contraintes et de facilitation de l’implantation de projets d’énergie renouvelable, le texte arrêté au 16 décembre propose plusieurs nouvelles dispositions à cet effet. Sans être exhaustifs, nous retiendrons trois ajouts.

Il est ainsi relevé que l’article 8 du PJL prévoit de modifier l’article L. 2122-1-3-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP), afin d’éviter une double mise en concurrence du domaine public de l’État au titre de l’occupation de ce domaine et de l’appel d’offres pour la production d’énergie renouvelable. Pour rappel, le CGPPP impose une mise en concurrence préalable à la délivrance du titre d’occupation en vue d’une exploitation économique prévue à l’article L. 2122-1-1. La loi ASAP [10] avait modifié l’article L. 2122-1-3-1 précité afin de dispenser de procédure de mise en concurrence du domaine public de l’État l’octroi du titre d’occupation destiné à l’installation et l’exploitation d’une installation de production d’énergie renouvelable bénéficiant d’un soutien public, entre autres au sens des articles L. 311-10 ou L. 311-11-1 du Code de l’énergie. Le PJL étend désormais cette possibilité aux

gestionnaires tenant « d’une loi, d’un règlement ou d’un titre la compétence pour délivrer le titre d’occupation », et non plus seulement à l’autorité compétente comme cela était prévu jusqu’alors.

Par ailleurs, il convient de noter que le Conseil d’État a confirmé, par une décision du 2 décembre 2022 présentée dans la rubrique « Brèves juridiques » de la présente Gazette, l’absence d’obligation de mise en concurrence du domaine privé, ce qui devrait pouvoir faciliter l’implantation de projets d’énergie renouvelable sur ce domaine.

En outre, le PJL prévoit, en son article 9, la possibilité de déroger à l’article L. 121-8 du Code de l'urbanisme posant le principe de l’urbanisation en continuité et l’interdiction de construire dans la bande des cent mètres du rivage. Il est ainsi proposé d’introduire un nouvel article L. 121-12-1 autorisant sous conditions, sur des friches listées par décret, les ouvrages nécessaires à la production d’énergie solaire photovoltaïque ou thermique. Cette disposition faciliterait l’implantation de ces ouvrages dans ces zones, étant rappelé par ailleurs que le Conseil d’État considère que les panneaux photovoltaïques constituent une urbanisation au sens de l’article L. 121-8 précité [11], ce qui suppose, pour l’heure, une implantation en continuité et en dehors de la bande des cent mètres. La possibilité d’implanter des ouvrages solaires et thermiques au sol en discontinuité de l’urbanisation existante a également été étendue aux communes de montagne, dotées d’une carte communale, par l’article 10 du PJL.

Enfin, l’introduction de dispositions propres à l’agrivoltaïsme doit être saluée, car plébiscitée par les acteurs de la filière. L’article 11 decies du PJL propose d’insérer, dans le Code de l’énergie, toute une section dédiée aux installations agrivoltaïques, que le PJL définit comme des installations « de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil et dont les modules sont situés sur une parcelle agricole où ils contribuent durablement à l’installation, au maintien ou au développement d’une production agricole ». L’article 11 decies se veut plutôt détaillé, en déterminant quelles installations peuvent, ou non, être considérées comme telles. Et d’ajouter un article L. 111-27A dans le Code de l’urbanisme, précisant que ces installations sont considérées comme nécessaires à l’exploitation agricole, ce qui devrait faciliter leur implantation sur ces terrains. À noter toutefois que le cadre juridique proposé par le Sénat a été en grande partie revu par les députés, qui ont supprimé l’éligibilité des parcelles d’implantation aux aides de la politique agricole commune de l’Union européenne, le bénéfice de l’obligation d’achat et de la procédure de mise en concurrence spécifique aux installations agrivoltaïques, ou encore l’introduction d’objectifs dédiés pour l’agrivoltaïsme dans la programmation pluriannuelle de l’énergie.

À côté de ces dispositions, le PJL a également entendu aménager certaines règles relevant du droit de l’environnement.

1.2. Sur le volet environnemental

Si le PJL contient pléthore de dispositions en matière environnementale, nous nous intéresserons, pour les besoins de cet article, à la dérogation dite « espèces protégées » (1.2.1.) ainsi qu’au régime de l’autorisation environnementale (1.2.2.).

1.2.1. De la dérogation « espèces protégées »

Il est très fréquent que les porteurs de projets d’énergie renouvelable, plus particulièrement d’énergie éolienne, demandent une autorisation de déroger à l’obligation de protection des espèces protégées dans le cadre de l’autorisation environnementale. En principe, l’article L. 411-1 du Code de l’environnement interdit, entre autres, la destruction de certaines espèces animales et végétales protégées ainsi que de leur habitat. Toutefois, l’article L. 411-2, 4° du même Code permet de déroger à ce principe, à condition de remplir les trois critères cumulatifs suivants :

  •   il ne doit pas exister d’autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise ;

  •   la dérogation ne doit pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ;

  •   la dérogation doit être justifiée au regard des motifs listés dans cet article, parmi lesquels se trouvent les raisons impératives d’intérêt public majeur.

    La notion de raison impérative d’intérêt public majeur souffrant d’une absence de définition légale, la jurisprudence est venue en dessiner les contours, à la faveur d’une analyse in concreto et d’une

appréciation relativement sévère. À titre d’illustration, il a pu être jugé que ne répondait pas à cette qualification une centrale hydroélectrique de douze millions de kilowattheures, en raison de sa « contribution utile bien que modeste » audéveloppement de l’énergie renouvelable et notamment de l’hydroélectricité [12]. Il est intéressant de relever que le Rapporteur public avait, dans ses conclusions sur cette affaire, résumé le débat entre les juges du fond s’agissant de l’appréciation de la notion d’intérêt public majeur, en rappelant que « [l]e point de divergence [...] est la référence à prendre en compte pour apprécier s’il y a raison impérative » [13]. Dans une autre décision récente, la reconnaissance de l’intérêt public majeur d’un parc de dix éoliennes d’une puissance de trente mégawatts avait été rejetée en raison de sa contribution modeste à la politique énergétique nationale de développement des énergies renouvelables et de la présence de nombreux parcs éoliens dans la zone considérée [14].

Cette appréciation française restrictive fait écho à la sévérité de l’appréciation portée par la Cour de justice de l’Union européenne qui a estimé, dans un arrêt du 4 mars 2021, que la protection des espèces protégées résultant de la directive Habitats s’appliquait même si l’espèce considérée avait atteint un niveau de conservation favorable [15].

Face à un tel contexte jurisprudentiel, les sénateurs avaient proposé, à l’article 4 du PJL, d’insérer un article L. 211-2-1 dans le Code de l’énergie visant à ce que les projets d’installations de production d’énergie renouvelable, de gaz bas-carbone, y compris leurs ouvrages de raccordement au réseau de transport et de distribution d’énergie soient réputés répondre à une raison d’intérêt public majeur. Cette présomption devait être encadrée par un décret en Conseil d’État précisant les conditions auxquelles devait répondre le projet. Si la disposition ne définissait pas la notion de raison impérative d’intérêt public majeur, il peut être avancé qu’elle aurait pu avoir le mérite de faciliter l’octroi des dérogations « espèces protégées », étant précisé qu’elle n’avait pas pour objet ni pour effet de dispenser le porteur de projet de prouver le respect des deux autres conditions prévues par l’article L. 411-2 précité.

Cependant, cet article 4 du PJL a, par la suite, été supprimé en commission par un amendement n° CE1243. Les députés à l’origine de cet amendement soutenaient que cet article aurait porté atteinte à la Charte de l’environnement ainsi qu’au principe de non-régression, et que « l’arbitrage

entre la recherche d’un supplément d’énergie éolienne et l’impératif de protection de la biodiversité [...] ne saurait être décidé ex ante et de manière générale ». Notons qu’un amendement n° 2738 avait été déposé et visait à réintégrer la présomption de raison d’intérêt public majeur dans le texte, en cohérence avec le règlement d’urgence temporaire de la Commission européenne présenté en introduction de cet article. Si cet amendement est tombé le 14 décembre, un amendement n° 2079 a été adopté le même jour et rétablit la présomption de raison impérative d’intérêt public majeur aubénéfice des projets d’installations de production d’énergie renouvelable ou de stockage d’énergie, ou d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone. À la différence de l’article 4 originel du PJL, ces projets n’ont plus à satisfaire à des conditions prévues par décret en Conseil d’État. Il est intéressant de remarquer qu’en séance, Madame Meynier-Millefert, à l’origine de l’amendement n° 2079 avec Madame Brulebois, a déclaré : « Pour ma part, je veux dire que mon amendement n° 2079, défendu par Mme Brulebois, visait avant tout à donner l’occasion au Gouvernement de faire connaître sa position. Nous ne souhaitions pas qu’il soit adopté : pour nous, c’est l’amendement n° 2738 rectifié du Gouvernement qui aurait dû l’être, après avoir été éventuellement sous-amendé »..

Cette réintégration dans le PJL sera probablement accueillie de manière favorable par les porteurs de projets. Cependant, on ne peut que regretter qu’un tel sujet, dont les enjeux pour la biodiversité sont loin d’être négligeables, ne soit pas traité avec plus de rigueur.

Si les élus se sont saisis de la question de la notion d’intérêt public majeur au travers de ce projet de loi, les juges du Palais-Royal ont également eu à se prononcer très récemment sur le sujet des dérogations « espèces protégées » par un avis du 9 décembre [16] qu’il est pertinent de présenter ici. Cet avis fait suite à une demande de la cour administrative d’appel de Douai du 27 avril 2022 [17], par laquelle cette juridiction soumettait au Conseil d’État deux interrogations. En quelques mots, la première concernait le seuil à partir duquel l’atteinte à la conservation d’une espèce ou de son habitat obligeait le demandeur d’autorisation environnementale à déposer une demande de dérogation « espèces protégées ». La seconde portait sur l’appréciation de ce seuil, et sur la prise en compte, par l’Administration, des mesures d’évitement, de réduction et de compensation (ERC) proposées par le pétitionnaire.

Dans son examen des questions en séance publique du 18 novembre 2022 [18], le Rapporteur public proposait trois solutions articulées autour du critère de finalité du projet. Ainsi, il suggérait tout d’abord de retenir que la dérogation serait requise au premier spécimen lorsque l’atteinte constituait la finalité du projet. Ensuite, la dérogation aurait été également requise au premier spécimen pour les projets planifiant la destruction d’habitats ou de spécimens déterminés d’animaux ou végétaux, alors même qu’il ne s’agirait pas d’un effet recherché mais simplement collatéral. Enfin, le Rapporteur public proposait une dispense de dérogation, dans la mesure où le risque serait ramené à un niveau négligeable de sorte qu’il puisse être regardé comme accidentel, dans le cas où la destruction ou la perturbation résulterait d’un événement à la fois non voulu et soumis à un aléa. Pour le Rapporteur public, cette situation inclurait les parcs éoliens.

Dans l’avis du 9 décembre, se détachant des propositions de son Rapporteur public, le Conseil d’État propose une réponse en deux temps, en distinguant la demande et la délivrance de la dérogation. Il retient premièrement que le système de protection « impose d’examiner si l’obtention d’une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l’espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l’applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l’état de conservation des espèces protégées présentes » [19] (nous soulignons). Et d’ajouter que le pétitionnaire doit obtenir une dérogation si le risque que comporte le projet pour les espèces est suffisamment caractérisé. À cet égard, les juges du Palais-Royal précisent que les mesures ERC sont prises en compte pour déterminer si l’atteinte est suffisamment caractérisée, et qu’il n’est pas nécessaire de solliciter une dérogation si les mesures présentent des garanties d’effectivité permettant de diminuer le risque au point qu’il apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé. Ainsi, en n’exigeant pas un risque « négligeable », le Conseil d’État se montre, dans l’ensemble, moins sévère que le Rapporteur public, même s’il subsiste une interrogation sur la notion d’atteinte suffisamment caractérisée. Deuxièmement, le Conseil d’État se prononce sur la délivrance de la dérogation, au point 6 de l’avis, en considérant que l’Administration doit prendre en compte les mesures ERC ainsi que l’état de conservation des espèces lors de l’examen des conditions de délivrance de la dérogation.

L’avis présenté apporte donc quelques éclairages pour les porteurs de projet, en s’en remettant néanmoins à la sagesse des juges du fond sur l’appréciation de l’atteinte suffisamment caractérisée.

1.2.2. Du régime de l’autorisation environnementale

Ce sont plusieurs aspects du régime de l’autorisation environnementale qui ont fait l’objet de modifications par les versions successives du PJL.

Tout d’abord, concernant la participation du public, l’article 2 du PJL proposait initialement d’exempter d’enquête publique les projets relevant d’une déclaration préalable ou d’un permis de démolir, lorsqu’ils étaient soumis à une évaluation environnementale après examen au cas par cas.

Pour rappel, l’évaluation environnementale est définie à l’article L. 122-4 du Code de l’environnement comme « un processus constitué de l’élaboration d’un rapport sur les incidences environnementales, la réalisation de consultations, la prise en compte de ce rapport et de ces consultations lors de la prise de décision par l’autorité qui adopte ou approuve le plan ou programme, ainsi que la publication d’informations sur la décision ». La modification initiée par le PJL entendait ainsi aligner le régime des projets soumis à déclaration préalable ou permis de démolir avec celui des projets relevant d’un permis de construire ou d’aménager. Cette proposition a toutefois été supprimée du texte par un amendement n° 1489, les députés soulignant l’importance des enquêtes publiques.

Notons par ailleurs que le régime de l’évaluation environnementale a fait l’objet d’évolutions diverses durant l’année 2022, notamment par un décret du 25 mars 2022 analysé dans notre Gazette n° 49 parue en juin.

Ensuite, le PJL prévoyait d’instaurer une durée maximale d’instruction des demandes d’autorisations environnementales déposées dans un délai de quarante-huit mois à compter de la date de publication de la loi. Le délai d’instruction maximal était fixé à trois mois à compter de la date d’accusé réception du dossier, durée qui aurait pu être portée à quatre mois sur décision motivée de l’autorité compétente. Cette disposition, bien que guidée par la volonté d’accélérer les délais d’instruction en préfecture, a été supprimée, ce qui apparaît regrettable au regard de la finalité de la mesure.

Toutefois, on peut se réjouir de ce que la proposition permettant le rejet d’une demande d’autorisation environnementale au cours de la phase d’examen, et non plus à l’issue de celle-ci comme cela était le cas jusqu’à présent, a été conservée par les députés. Il peut être souligné qu’une telle proposition apparaît logique, dans la mesure où une demande vouée à l’échec engorge les services instructeurs, qui se doivent d’attendre la fin de la phase d’examen pour la rejeter.

Une autre nouveauté du PJL est la nomination d’un référent préfectoral à l’instruction des projets d’énergie renouvelable. L’article 1er bis du PJL prévoit ainsi que le référent préfectoral serait chargé de « faciliter les démarches administratives des porteurs de projets en attirant leur attention sur les recommandations préconisées par les pouvoirs publics, de coordonner les travaux des services chargés de l’instruction des autorisations et de faire un bilan annuel de l’instruction des projets sur son territoire ». Ce référent, dont les missions seront précisées par voie réglementaire, serait également chargé de fournir un appui aux collectivités territoriales dans leurs démarches de planification de la transition énergétique.

Enfin, le PJL comportait quelques dispositions de simplification du contentieux environnemental, ce dernier tendant à se multiplier s’agissant notamment des autorisations environnementales relatives à la création d’éoliennes. La version adoptée par le Sénat proposait de modifier l’article L. 181-18 du Code de l’environnement, afin de rendre obligatoire la régularisation d’une autorisation environnementale faisant l’objet d’un recours en annulation. Il était également proposé que le refus, par le juge, de faire droit à une demande d’annulation partielle ou de sursis à statuer devait être motivé. En outre, cette version du texte ajoutait un article L. 181-18-1 dans le Code de l’environnement, prévoyant la possibilité, pour le titulaire de l’autorisation, de présenter un mémoire distinct demandant l’allocation de dommages et intérêts en cas de préjudice résultant d’un comportement abusif du requérant. Une disposition précisant que le Conseil d’État juge l’affaire au fond lorsqu’il prononce l’annulation d’une décision d’un juge administratif statuant en dernier ressort avait été ajoutée.

Malgré la recherche d’un équilibre entre le droit au recours et le développement de projets d’énergie renouvelable, l’ensemble de ces dispositions a été supprimé du texte en commission par un amendement n° CE1247.

Pour les députés à l’origine de cette suppression, les dispositions précitées dépassaient le champ des énergies renouvelables en s’étendant à toutes les autorisations environnementales. Ils rappelaient également que le décret du 29 octobre 2022, étudié en seconde partie de cet article, a modifié le régime contentieux de ces autorisations pour les énergies renouvelables. Or, et comme rappelé lors de notre « Jeudi de l’IDPA » à la suite d’une question en ce sens et dans le présent article, ce décret ne concerne pas le contentieux éolien, alors qu’en pratique nombre d’autorisations environnementales attaquées devant le juge administratif concernent des projets éoliens. On aurait pu espérer, à tout le moins, l’ajout d’une précision dans le PJL plutôt qu’une suppression intégrale des dispositions précédemment exposées.

Retenons donc qu’un bon nombre de propositions environnementales en faveur de l’accélération des projets d’énergie renouvelable a été retiré du texte dans le cadre des débats à l’Assemblée nationale, freinant ainsi ladite volonté d’accélération.

1.3. Sur les contrats d’achat d’électricité

Dans la continuité de notre échange avec Maître Patrick Labayle-Pabet retranscrit dans la Gazette n° 50 sur le sujet, il est intéressant de relever que le PJL comporte plusieurs dispositions relatives aux contrats d’achat d’électricité, communément appelés power purchase agreement (PPA).

Pour rappel, les PPA sont des contrats de vente directe d’énergie conclus entre un producteur et un consommateur. Si de tels contrats étaient déjà conclus, en pratique, par les collectivités, certaines règles de la commande publique pouvaient constituer une contrainte, voire un frein à la mise en œuvre de ces contrats.

La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) et France urbaine, entre autres, plébiscitaient ainsi un encadrement particulier de ces contrats au bénéfice des collectivités contractantes. Le PJL prévoit en ce sens un certain nombre de dispositions. Sans être exhaustifs, nous nous limiterons à certains aspects concernant particulièrement les collectivités.

L’article 17 du PJL prévoit ainsi l’introduction des nouveaux articles L. 331-5 et L. 441-6 dans le Code de l’énergie, permettant aux pouvoirs adjudicateurs et aux entités adjudicatrices de recourir à des PPA pour répondre à leur besoin en électricité et en gaz renouvelables, dont le biogaz, et en gaz bas-carbone, dans les conditions prévues par le Code de la commande publique (CCP). Les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices pourront donc être parties à un PPA, dans le respect des règles de la commande publique, et plus particulièrement celles relatives à la durée figurant à l’article L. 2112-5 du CCP. Pour mémoire, cet article dispose que la durée du marché est définie en tenant compte de la nature des prestations et de la nécessité d’une remise en concurrence périodique, dans les conditions prévues par décret en Conseil d’État, sous réserve des durées maximales prévues par ce Code pour certains marchés. Le PJL ajoute à cet égard, sans que la précision ait vocation à être inscrite à l’article L. 2112-5 précité, que la durée tient également compte de la nature de la prestation et la durée d’amortissement des installations nécessaires à leur exécution, y compris lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’acquiert pas ces installations. Le renvoi à un décret pris en Conseil d’État afin de préciser les modalités d’application de l’article L. 441-6 afférent au gaz a été supprimé par un amendement n° 1594, afin d’assurer une cohérence avec les nouvelles dispositions prises en la matière s’agissant des PPA d’électricité renouvelable. Ce nouvel article L. 331-5 du Code de l’énergie prévoit par ailleurs que les acheteurs pourront également répondre à leur besoin en électricité dans le cadre d’une opération d’autoconsommation individuelle ou collective ; l’article L. 441-6 limitant cette possibilité aux opérations d’autoconsommation collective étendue.

Il est intéressant de mentionner qu’un amendement n° 415 avait été proposé et visait à déroger à l’article L. 2112-2 du CCP, en prévoyant la possibilité que les conditions d’exécution des prestations portent sur l’implantation géographique du titulaire ou de ses sous-traitants. Dans sa rédaction actuelle, cet article du CCP dispose que les clauses du marché précisent les conditions d’exécution des prestations, qui doivent être liées à son objet, et que ces conditions peuvent prendre en compte des considérations relatives à l’économie, à l’innovation, à l’environnement, au domaine social, à l’emploi ou à la lutte contre les discriminations. À cet égard, Maître Patrick Labayle-Pabet nous avait indiqué, dans le numéro précédent, que « les collectivités souhaitent acheter localement l’énergie produite localement, ce qui soulève des questions au regard des grands principes de la commande publique », et que la réglementation devait donc s’interroger sur le cadre juridique de ces PPA conclus par des collectivités. Lors de l’examen en séance de cet amendement, la députée à l’origine de celui-ci a soutenu que les PPA devaient « privilégier les producteurs locaux, non des producteurs se trouvant en dehors du territoire national ». Cependant, l’amendement n° 415 a été rejeté, les députés considérant que la proposition constituerait « une entorse très directe au droit européen », ainsi qu’une « source majeure de contentieux et d’incertitude aussi bien pour les PME que pour les collectivités locales ».

Les PPA s’inscrivant dans une démarche d’approvisionnement local, le rejet de cet amendement peut être regretté ; une réécriture des propositions dans le sens du respect des principes du CCP aurait pu être envisagée.

Malgré le rejet de certaines propositions, les précisions qui précèdent sont bienvenues en ce qu’elles permettent de clarifier les possibilités offertes aux pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices s’agissant de l’achat et de la consommation d’énergie.

** *

Les discussions du PJL en séance publique sont désormais achevées. La procédure accélérée ayant été engagée sur ce texte, la version ici commentée en certains de ses aspects constitue la version définitive du projet qui sera soumise au vote du Parlement le 10 janvier 2023.

Au regard des propositions ici commentées ainsi que des nombreuses autres figurant dans le projet, il est permis de s’interroger sur l’effectivité du texte, à supposer que celui-ci soit adopté. En effet, si ce PJL comporte des dispositions intéressantes de nature à permettre, espérons-le, une certaine accélération dans le développement des projets d’énergie renouvelable, nombre de propositions en ce sens ont été retirées du texte -nous pensons particulièrement aux dispositions contentieuses-.

Dans ce cadre, il ne reste plus qu’à espérer que le vent tourne en faveur de ce texte d’ici le début de l’année 2023.

II. Le décret « contentieux » du 29 octobre 2022

Le contentieux est une source majeure de ralentissement des projets de construction d’installations de production d’énergie renouvelable, quatre-vingts pour cent de ces projets faisant aujourd’hui l’objet de recours. Cette source de ralentissement est d’autant plus importante que l’objet des recours englobe dorénavant tous les actes ou décisions afférents aux projets, et non plus seulement l’autorisation environnementale ou le permis de construire. Il s’est en particulier étendu aux actes se rapportant au terrain d’assiette du projet, tels que la délibération autorisant la cession ou la mise à bail du foncier, voire le bail lui-même.

C’est afin d’agir sur cette cause de ralentissement que le Gouvernement a instauré, à travers le décret n° 2022-1379 du 29 octobre 2022 [20], de nouvelles règles pour accélérer le contentieux de certaines décisions afférentes aux installations de production d’énergie renouvelable et aux ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité. Il est d’ores et déjà précisé que ce décret ne concerne pas le contentieux éolien.

Les mesures mises en place, réunies au sein d’un nouvel article R. 311-6 du CJA, sont instituées à titre expérimental, pour une durée de quatre ans, et ne trouvent à s’appliquer qu’aux décisions prises entre le 1er novembre 2022 et le 31 décembre 2026.

Le champ d’application du décret est défini par un système de « double cliquet » qui permet de déterminer quelles décisions sont concernées en prenant en compte, d’une part, la nature de ces décisions (par exemple, les décisions accordant ou refusant une autorisation environnementale, une dérogation « espèces protégées », une déclaration préalable ou un permis de construire) et, d’autre part, le type d’ouvrage auquel se rapportent ces décisions, à savoir leur objet (par exemple, les ouvrages photovoltaïques d’une puissance égale ou supérieure à cinq mégawatts ou les installations hydroélectriques d’une puissance égale ou supérieure à trois mégawatts).

Par dérogation aux dispositions spéciales qui peuvent leur être applicables, le délai de recours ouvert contre ces décisions est fixé à deux mois à compter du point de départ propre à chaque réglementation, et n’est pas prorogé par l’exercice d’un recours administratif. Le délai de recours est

ainsi réduit concernant le recours des tiers contre les décisions d’octroi d’une autorisation environnementale, qui est usuellement de quatre mois aux termes de l’article R. 181-50 du Code de l’environnement.

En outre, le décret instaure des délais de jugement contraints, à peine de dessaisissement de la juridiction chargée du recours. Il est ainsi prévu que le tribunal administratif devra statuer dans le délai de dix mois à compter de l’enregistrement de la requête. Si le juge ne s’est pas prononcé à l’issue de ce délai, ou en cas d’appel, le litige est porté devant la cour administrative d’appel, qui statue également dans un délai de dix mois. Si, à l’issue de ce nouveau délai, elle ne s’est pas prononcée, ou en cas de pourvoi en cassation, le litige est porté devant le Conseil d’État. En résumé, l’idée poursuivie est que l’affaire arrive en vingt mois maximum au Conseil d’État, qui ne se voit, quant à lui, assigner aucun délai.

Le décret précise par ailleurs qu’en cas de régularisation opérée sur le fondement de l’article L. 181-18 du Code de l’environnement ou de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, le tribunal administratif ou la cour administrative d’appel est tenu-e de statuer dans un délai de six mois à compter de l’enregistrement du mémoire transmettant la mesure de régularisation. À défaut, le litige est porté, selon le cas, devant la cour administrative d’appel ou le Conseil d’État.

On pourra remarquer que le Gouvernement a donc choisi de délaisser un certain nombre d’outils qui étaient à sa disposition pour accélérer le contentieux : la suppression de l’appel, l’instauration d’un délai de cristallisation des moyens ou d’un délai pour introduire un référé-suspension, l’instauration de sanctions spécifiques aux recours abusifs, ou encore la redéfinition restrictive de l’intérêt à agir des tiers. À noter que le décret ne crée pas non plus de compétence juridictionnelle spéciale, à la différence de ce qui a été prévu pour les contentieux relatifs à l’éolien terrestre et en mer [21].

Si l’objectif poursuivi par le décret, à savoir l’accélération du contentieux, est louable, l’encadrement du délai de jugement pourrait présenter certains inconvénients pour les porteurs de projets, ainsi que l’ont relevé certains spécialistes [22].

En premier lieu, il faut noter que le dessaisissement en cours d’instruction aura pour effet de rendre infructueux le travail réalisé pendant les dix ou vingt mois écoulés, l’instruction devant être reprise à zéro par la nouvelle juridiction saisie du litige.

En second lieu, si l’autorisation contestée est finalement annulée devant le Conseil d’État, après dessaisissement des juridictions précédemment saisies, le bénéficiaire n’aura concrètement disposé que d’un seul degré de juridiction, ce qui ne saurait être satisfaisant et pourrait même se révéler contraire à un certain nombre de principes fondamentaux.

En troisième et dernier lieu, on peut regretter que le décret ne prévoie pas d’interruption du délai de dix mois en cas de tentative de médiation, à contre-courant de la mouvance tendant à la promotion des modes alternatifs de règlement des différends.

Il faudra donc attendre les résultats de cette expérimentation pour apprécier l’efficacité de ces mesures.

***

En conclusion, les mesures introduites dans le droit national en faveur du développement des énergies renouvelables ne répondent pas entièrement à l’objectif qui leur était assigné.

L’objectif initial était en effet d’agir sur les deux principales causes de ralentissement des projets écologiquement vertueux, à savoir la lenteur des procédures administratives, d’abord, et la lenteur contentieuse, ensuite.

Concernant l’accélération de la phase administrative, le projet de loi, initialement prometteur, s’est délesté de ses mesures les plus novatrices au cours des débats parlementaires, au point d’en perdre sa finalité originelle.

La plupart des avancées du texte s’attachent en effet à favoriser la planification des projets d’énergie renouvelable par les collectivités publiques, là où l’on espérait que les mesures s’attachent à réduire le temps nécessaire à l’obtention des autorisations requises par les porteurs de projets.

La réponse adaptée vient sur ce point du règlement européen temporaire d’urgence du 22 décembre dernier, qui réussit à instaurer les mesures phares que le législateur français n’a pas su adopter et en particulier le délai maximum pour l’octroi des autorisations administratives.

La critique des mesures nationales est en revanche plus nuancée s’agissant des règles contentieuses mises en place par le décret du 29 octobre 2022. Sur ce point, le décret présente l’intérêt de proposer des mesures adaptées à la problématique initiale, bien que l’on puisse regretter qu’il exclue le contentieux éolien.

Chloé Mifsud

Paul Mazet

Loi 3Ds et éolien : encadrement d’une pratique préexistante en faveur des maires

 Extrait de la Gazette n°50- septembre 2022

Communément appelée « loi 3Ds », la loi n° 2022- 217 en date du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, a été publiée au Journal Officiel le 22 février 2022 [1]. L’article 35 de cette loi insère un nouvel article L. 151-42-1 dans le Code de l’urbanisme, ayant pour vocation de réaffirmer le rôle des élus locaux dans les projets d’implantation d’éoliennes sur le territoire de leur commune [2].

Cette nouvelle disposition est rédigée comme suit :

« Le règlement peut délimiter les secteurs dans lesquels l’implantation d’installations de production d’électricité à partir de l’Energie mécanique du vent est soumise à conditions, dès lors qu’elles sont incompatibles avec le voisinage habité ou avec l’usage des terrains situés à proximité ou qu’elles portent atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, à la qualité architecturale, urbaine et paysagère, à la mise en valeur du patrimoine et à l’insertion des installations dans le milieu environnant » [2].

Il s’agit, pour les auteurs d’un plan local d’urbanisme (PLU), de créer un nouveau règlement graphique limitant l’installation d’éoliennes au sein de certaines zones. Sous peine de voir l’autorisation environnementale nécessaire leur être refusée, les promoteurs qui souhaitent implanter des éoliennes sur le territoire d’une commune devront respecter les prescriptions nouvelles du règlement écrit établi par cette dernière.

Cette nouvelle disposition est susceptible d’appeler des questionnements quant à son efficacité. En effet, le nouvel article L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme, légalisation d’une pratique existante (I.), pose de nombreuses questions quant à son application (II.).

I. L’article L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme ou la légalisation d’une pratique existante

Avant l’apparition de la loi 3Ds, les maires disposaient déjà de la possibilité de limiter l’implantation d’éoliennes au sein de leur commune (A). Face aux nombreux recours exercés contre ces règlementations, une légalisation de cette pratique est toutefois apparue opportune (B).

A. La préexistence d’une pratique indirecte mais réelle

Le nouvel article L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme permet aux auteurs de plans locaux d’urbanisme de délimiter les zones permettant l’implantation d’éoliennes et, en cas d’autorisation, de les soumettre à certaines conditions. Cette évolution ne consiste en réalité qu’en l’encadrement d’une pratique indirecte mais déjà existante, exercée de longue date par les élus locaux. Les maires disposaient en effet déjà de la possibilité d’interdire de façon totale ou partielle l’installation d’éoliennes sur leur commune, par l’usage de différents outils classiques du droit de l’urbanisme.

 « La définition des secteurs d’implantations des éoliennes au sein des zonages règlementaires du PLU. Le PLU devant, dans tous les cas, justifier des éventuelles interdictions qui pourraient grever certaines zones et montrer la proportionnalité́ des éventuelles règles encadrant les implantations acceptées. Une interdiction générale et absolue couvrant l’intégralité du territoire étant par nature difficile à justifier, elle est à proscrire. », pouvait-on lire, dans le « Guide à des destination des élus » sur « l’éolien et l’urbanisme », édité́ en 2019 par le ministère de la Transition écologique et solidaire [3]. Ce Guide rappelait tout d’abord que l’implantation d’éoliennes pouvait faire l’objet d’orientations d’aménagement et de programmation ou d’emplacements réserves. Ce document évoquait en outre la possibilité́ de limiter l’installation d’éoliennes par le biais du règlement du plan local d’urbanisme, notamment dans les zones agricoles (A) et naturelles (N). Notons toutefois qu’en zone A ou N, sont généralement admis sous conditions les « équipements collectifs », qualification à laquelle répondent les parcs éoliens [4].

Il était également déjà possible d’interdire l’implantation d’éoliennes dans les zones urbanisées (U) et à urbaniser (AU), du fait de la sécurité publique ou de l’insertion dans l’architecture environnante.

Les maires pouvaient, de surcroît, insérer des impératifs de préservation des paysages dans les définitions de zonages sensibles. L’article L. 151-19 du Code de l’urbanisme, rédigé comme suit, permet en effet de définir des lieux à préserver :

« Le règlement peut identifier et localiser les éléments de paysage et identifier, localiser et délimiter les quartiers, îlots, immeubles bâtis ou non bâtis, espaces publics, monuments, sites et secteurs à protéger, à conserver, à mettre en valeur ou à requalifier pour des motifs d'ordre culturel, historique ou architectural et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer leur préservation leur conservation ou leur restauration. Lorsqu'il s'agit d'espaces boisés, il est fait application du régime d'exception prévu à l'article L. 421-4 pour les coupes et abattages d'arbres » [5].

Par ailleurs, depuis la loi « Climat et résilience », publiée au Journal Officiel le 24 août 2021, les maires de la commune d’implantation et des communes limitrophes sont avisés d’un projet éolien « au moins un mois » avant le dépôt de la demande d’autorisation [6]. Le conseil municipal de la commune d’implantation dispose ensuite de la possibilité de partager ses observations aux porteurs de projets, lesquels lui doivent une réponse sous un délai d’un mois [6]. Notons qu’en l’absence de réaction, le second alinéa de l’article L. 181-28-2 du Code de l’environnement prévoit que le maire est réputé avoir renoncé à adresser ses observations aux porteurs du projet [7]. Dans ce cas, le maire semble avoir indirectement acquiescé au projet en l’état, ce qui pourrait représenter un risque pour la commune. L'article précité prévoit enfin en son troisième alinéa qu’en cas d’observations du maire, « le porteur de projet adresse sous un mois une réponse aux observations formulées, en indiquant les évolutions du projet qui sont proposées pour en tenir compte » [7].

Bien que non opposables aux projets éoliens, les plans climat-air-énergie territorial (PCAET), les schémas de cohérence territoriale (Scot), ou encore les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), sont autant d’autres outils régissant déjà l’implantation des projets éoliens [8].

Enfin, en application de la circulaire adressée aux préfets de région le 27 mai 2021, des cartographies de zones potentiellement favorables à la construction de nouvelles infrastructures éoliennes sont attendues pour la fin de l’année 2022 [9].

B. Une volonté de réaffirmer le rôle des maires dans les projets éoliens sur leur territoire

L’adoption de la loi 3Ds s’est inscrite dans la continuité du Grand Débat national, lancé en décembre 2018 par le Président de la République, dont l’objectif était de discuter de la mise en place de solutions nouvelles, permettant de réaliser une action publique mieux adaptée aux spécificités de chaque territoire, de gagner en flexibilité et en efficacité [10]. La loi 3Ds concrétise ainsi l’engagement du Président Emmanuel Macron, pris à l’issue de ce débat public national, d’apporter des réponses concrètes aux besoins pratiques et opérationnels des collectivités territoriales.

Le texte de loi, qui comprend un total de 270 articles portant sur divers sujets, s'articule autour de quatre grandes priorités. La différenciation territoriale tout d’abord, afin de donner aux collectivités la flexibilité dont elles ont besoin pour adapter leurs actions aux caractéristiques de leur territoire. La décentralisation ensuite, afin d’accorder aux élus la responsabilité de « relever, dans la proximité, les grands défis du pays ».

La déconcentration en troisième lieu, afin d’assurer une bonne coordination de l’action gouvernementale sur le terrain. La simplification, enfin, afin de « faciliter l’action publique locale » [11].

L’introduction, par la loi 3Ds, du nouvel article L. 151-42-1 au sein du Code de l’urbanisme, lequel s’inscrit dans le bloc « Réussir la transition écologique dans les territoires », poursuit à ce titre un double objectif : favoriser le développement des énergies renouvelables et de l’économie circulaire ; et conforter le rôle des collectivités territoriales dans la transition écologique [9].

Avant l’apparition de la loi 3Ds, de nombreux recours étaient intentés devant le juge administratif en réponse à la mise en œuvre, par les élus locaux, de règles restreignant la possibilité d’implantations éoliennes sur leurs territoires.

Le nouvel article L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme se veut ainsi compléter l’arsenal d’outils classiques dont disposent les maires pour garder le contrôle sur ces implantations.

Reste à déterminer l’efficacité de ce nouvel outil en faveur des maires.

II. L’article L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme : un nouvel outil d’encadrement ?

L’article L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme, disposition à l’application et au devenir encore incertains (B.), a toutefois le mérite de poser deux critères objectifs de règlementation des parcs éoliens (A.).

A. L’élaboration de deux critères objectifs : l’incompatibilité et l’atteinte

Le nouvel article L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme prévoit qu’une zone règlementée peut être fixée au regard de cinq différentes incompatibilités ou atteintes avec un projet d’implantation éolien, à savoir : « le voisinage habité », « l’usage des terrains situés à proximité », « les espaces naturels et les paysages », « la qualité architecturale, urbaine et paysagère » et, enfin, « la mise en valeur du patrimoine et l’insertion des installations dans le milieu environnant » [2].

Le premier critère, celui de l’incompatibilité, semble offrir, en pratique, de larges possibilités de réglementation aux élus locaux. En effet, pour limiter l’implantation d’éoliennes sur le territoire d’une commune, l’incompatibilité avec le « voisinage habité » ou avec « l’usage des terrains situés à proximité » devra-t-elle être excessive, ou simplement gênante ? De quelle nature pourraient être ces incompatibilités ?

Notons par ailleurs que l’article L. 515-44 du Code de l’environnement protège déjà̀ les zones habitées, en prévoyant que les éoliennes « dont la hauteur des mâts dépasse 50 mètres » sont soumises au respect d’une distance d’éloignement minimum de 500 mètres entre les installations et les constructions à usage d’habitation, les immeubles habités et les zones destinées à l’habitation [12].

La compatibilité avec « l’usage des terrains situés à proximité » pose également question en raison de sa formulation large. Quel sera en effet le mode d’emploi de l’appréciation de cet « usage » ? Sera-t-il défini au regard du zonage du plan local d’urbanisme, ou d’une autre façon ?

Une visibilité importante sur un parc éolien depuis un monument historique ou un site naturel pourrait-elle justifier d’une incompatibilité suffisante, comme le juge l’a déjà recherché en matière éolienne [13] ?

Nous pouvons supposer qu’il appartiendra aux collectivités d’apporter la preuve de l’existence de cette incompatibilité́, au cas par cas, devant le juge administratif.

Le critère de l’atteinte « à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, à la qualité architecturale, urbaine et paysagère, à la mise en valeur du patrimoine et à l’insertion des installations dans le milieu environnant », semble plus classique que celui de l’incoémpatibilité [2]. En effet, l’atteinte est un critère communément utilisé en droit de l’environnement, tout comme en droit de l’urbanisme. Il apparait notamment en droit de l’environnement au sein des contentieux portant sur la prévention des atteintes par les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) aux dangers et inconvénients, comme la protection des paysages et « la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique » [14].

En matière d’urbanisme et, plus précisément, de plan local d’urbanisme, l’atteinte est appréciée au regard du caractère ou de l’intérêt des lieux avoisinants, des sites, des paysages naturels ou urbains ainsi qu’au regard de la conservation des perspectives monumentales [15].

La méthodologie du juge administratif quant à l’appréciation du critère de l’atteinte est, tout comme pour celui de l’incompatibilité, encore assez méconnu.

Rappelons cependant que pour déterminer si un projet constitue un risque d’atteinte aux éléments précités, il appartient à l’autorité administrative d’apprécier la qualité du site sur lequel la construction est envisagée, puis d’évaluer l’impact que celle-ci pourrait avoir sur ce dernier, tant du point de vue de sa nature que de ses effets. Cette norme d’appréciation fait l’objet d’une jurisprudence constante, depuis la décision Association Engoulevent, rendue par le Conseil d’État le 13 juillet 2012 [16].

L’objectif sera donc, pour les maires, de justifier leurs choix de réglementation d’implantation d’éoliennes de la façon la plus précise possible, de manière à anticiper les litiges qui en découleront.

B. Une disposition à l’application et au devenir encore incertains

L’article L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme ne sera probablement pas simple à manier pour les élus locaux, à tout le moins dans un premier temps. En effet, le cadre juridique des conditions d’implantation des éoliennes contenus dans le nouvel article du Code de l’urbanisme n’a pas encore été précisé. Nous sommes également dans l’attente de précisions quant aux critères pour l’identification et la définition des secteurs réglementés.

La loi 3Ds autorise par ailleurs les élus locaux à recourir à une procédure de modification simplifiée du règlement de leur plan local d’urbanisme prévue aux articles L. 153-45 à L. 153-48 du Code de l’urbanisme, afin d’identifier des secteurs d’implantation sous conditions [17]. La modification doit intervenir avant le 22 août 2027 [18]. Cette possibilité a pour effet de favoriser une réaction rapide face à l’urgence de certaines situations.

Notons néanmoins une contradiction : tandis que l’article 35 de la loi prévoit une enquête publique préalable à la modification simplifiée du règlement du plan local d’urbanisme, les articles précités du Code de l’urbanisme ne prévoient qu’une « mise é disposition du public » [17]. La réalisation de cette enquête publique aura vocation é s’exercer selon des modalités qui seront prévues par un décret en Conseil d’État, et dont nous ne connaissons pas encore les contours.

En outre, ne pourrions-nous pas craindre que cette nouvelle procédure de modification simplifiée des documents d’urbanisme puisse engendrer une forme de pression à l’encontre de certains élus locaux ?

Si l’application et le devenir de l’article L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme semblent encore incertains, il reste que cette disposition nouvelle a le mérite de compléter le peu d’outils mis à la disposition des maires en la matière, leur redonnant ainsi la parole pour lutter contre une implantation excessive de l’éolien sur le territoire de leur commune.

Ainsi, cette réforme si ardemment négociée est à tout le moins parvenue à apporter une base légale et des critères de réglementation objectifs au développement de l’éolien sur le territoire national.

Le temps nous permettra par la suite de prendre le recul nécessaire à l’établissement d’un bilan sur l’impact de cette réforme.

Références :

[1] Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique local, JORF n° 0044 du 22 février 2022.

[2] Code de l’urbanisme, art. L. 151-42-1.

[3] « Guide à des destinations des élus » sur « l’éolien et l’urbanisme », novembre 2019, ministère de la Transition écologique et solidaire, [consulté le 13 septembre 2022], accessible ici.

[4] CE, 18 juillet 2012, Société EDP Renewables France, req. n° 343306.

[5] Code de l’urbanisme, art. L. 151-19.

[6] Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (1), JORF n° 0196 du 24 août 2021.

[7] Code de l’environnement, art. L. 181-28-2.

[8] Le plan climat-air-énergie territorial (PCAET),

Outils de l’aménagement, Cerema, accessible ici.

Le SCoT : un projet stratégique partagé pour l’aménagement d’un territoire, site internet du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires - Ministère de la transition énergétique, accessible ici.

SRADDET : un schéma stratégique, prescriptif et intégrateur pour les régions, site internet du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires - Ministère de la transition énergétique, accessible ici.

[9] Instruction du Gouvernement du 26 mai 2021 relative à la planification territoriale et l’instruction des projets éoliens, NOR : TRER2113107J, texte non paru au Journal officiel, accessible ici.

[10] Le grand débat national, gouvernement.fr, accessible ici et ici.

[11] Dossier de présentation de la loi 3Ds, ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, février 2022, [consulté le 14 septembre 2022], accessible ici.

[12] Code de l’environnement, art. L. 515-44.

[13] CAA de Nantes, 28 février 2020, n° 19NT0588.

[14] Code de l’environnement, art. L. 511-1.

[15] Code de l’urbanisme, art. R. 111-27.

[16] CE, 13 juillet 2012, Association Engoulevent, req. n° 345970.

[17] Code de l’urbanisme, art. L. 153-45 à L. 153-48.

[18] Loi n° 2022-217 du 21 février 2022, préc., art. 35. V. : Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, prc. art. 194.

 

Maguelonne TORTI

Montant maximal des accords-cadres : plafonnez, vous pourrez (peut-être) dépasser

 Extrait de la Gazette n°50- septembre 2022

La saga du plafonnement obligatoire des accords-cadres serait-elle parvenue à son épilogue le 14 juillet 2022 ? Rien n’est moins sûr. Par un arrêt rendu ce jour, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a, d’une part, confirmé sa jurisprudence concernant l’obligation d’indiquer un montant maximal en valeur ou en quantité dans les accords-cadres et, d’autre part, précisé qu’un dépassement de ce plafond était possible dès lors qu’il ne constituait pas une modification substantielle de l’accord-cadre [1].

Dans les affaires jointes à l’origine de l’arrêt du 14 juillet 2022, la Cour était saisie de deux demandes préjudicielles par le tribunal administratif fédéral autrichien, lequel devait se prononcer sur un litige relatif à la conclusion, par la République d’Autriche et la « société fédérale d’achat », de vingt-et-un accords-cadres d’une valeur de trois millions d’euros concernant l’acquisition de tests antigéniques.

Estimant que la procédure de passation n’était pas transparente, la société « EPIC » a saisi ce tribunal d’un recours tendant à contester la conclusion des accords-cadres. Elle a assorti sa saisine d’une demande en référé visant à interdire, à titre provisoire, la poursuite de la procédure de passation des marchés. La société « EPIC » a ensuite contesté les achats effectués auprès de deux sociétés au titre d’accords-cadres dépassant la valeur d’achat maximale de trois millions d’euros prévue par ces accords, en considérant qu’ils résultaient d’une procédure de gré à gré illégale.

En l’espèce, le tribunal autrichien a estimé que le litige au principal soulevait plusieurs séries d’interrogations et a considèré, dans le cadre de l’une d’elles, qu’ « [i]l conviendrait également de préciser la qualification juridique des marchés publics passés au titre d’un accord-cadre dont la valeur maximale était déjà dépassée [...] » [2].

Par suite, le tribunal a sursis à statuer et saisi la CJUE de multiples questions préjudicielles sur le fondement de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) [3]. Cette juridiction a notamment interrogé la Cour sur la question de savoir « si l’article 33, paragraphe 3, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens qu’un pouvoir adjudicateur peut encore se fonder, pour attribuer un nouveau marché, sur un accord-cadre dont la quantité et/ou la valeur maximale des travaux, fournitures ou services concernés qu’il fixe a ou ont déjà été atteinte(s) » [4].

Par l’arrêt du 14 juillet 2022, la Cour a dit pour droit que cet article « doit être interprété en ce sens qu’un pouvoir adjudicateur ne peut plus se fonder, pour attribuer un nouveau marché, sur un accord-cadre dont la quantité et/ou la valeur maximale des travaux, fournitures ou services concernés qu’il fixe a ou ont déjà été atteinte(s), à moins que l’attribution de ce marché n’entraîne pas une modification substantielle de cet accord-cadre, ainsi que le prévoit l’article 72, paragraphe 1, sous e), de cette directive » [5] (nous soulignons).

La Cour réaffirme ainsi sa jurisprudence Simonsen & Weel du 17 juin 2021 [6], en précisant explicitement l’existence d’une exception à la règle du plafonnement des accords-cadres. L’arrêt du 14 juillet 2022 est donc l’occasion de revenir sur la consécration progressive de l’obligation de plafonner les accords-cadres (I.), une obligation que les juges de Luxembourg ont, en apparence, tempérée (II.).

I. Une obligation progressivement consacrée

Si l’arrêt Simonsen & Weel constitue la jurisprudence de référence en ce qui concerne l’obligation d’indiquer un montant maximal en valeur ou en quantité dans les accords-cadres, la CJUE avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur cette question en 2018 (A.). Bien que pleinement consacrée en droit européen, cette nouvelle obligation a fait l’objet d’une réception différenciée en droit français (B.).

A. L’émergence européenne de l’obligation de plafonner les accords-cadres

L’arrêt Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato - Antitrust

Dans cette affaire [7], le Conseil d’État italien avait notamment à se prononcer sur l’extension d’un accord-cadre à d’autres pouvoirs adjudicateurs sans nouvelle procédure de passation, ainsi que sur l’indication expresse, dans l’accord, des quantités sur lesquelles celui-ci porterait. Le tribunal administratif régional de Lombardie, saisi en premier lieu de l’affaire, avait considéré dans ce cadre que la locution « le cas échéant » figurant à l’article 33 de la directive 2014/24/UE [8], aux termes duquel l’accord-cadre a pour objet « [...] d’établir les conditions régissant les marchés à passer au cours d’une période donnée, notamment en ce qui concerne les prix et, le cas échéant, les quantités envisagées » (nous soulignons) n’impliquait pas nécessairement de préciser les quantités sur lesquelles porterait l’accord-cadre. À l’inverse, le Conseil d’État italien saisi par la suite estimait que cette locution devait être interprétée de manière restrictive, à défaut de quoi elle contreviendrait aux principes fondamentaux du droit de l’UE en matière de passation des marchés publics [9].

Saisie par le Conseil d’État italien sur le fondement de l’article 267 du TFUE, la CJUE a donc été interrogée, entre autres, sur la question de savoir si l’article précité devait être interprété en ce sens qu’il autorise la conclusion d’accords-cadres dont le volume n’est pas déterminé, et sur la question de la détermination du volume par référence aux besoins ordinaires des pouvoirs adjudicateurs.

Si la Cour a admis que la locution « le cas échéant » pouvait laisser penser que l’indication d’un maximum n’était que facultative, elle a cependant considéré que cette interprétation ne pouvait être retenue pour plusieurs raisons [10]. En ce sens, il ressort de l’arrêt qu’une distinction doit être opérée entre l’indication de la valeur et de la fréquence des marchés subséquents, qui constitue une obligation de moyens pour le pouvoir adjudicateur, et l’indication du volume global dans l’accord-cadre, qui est impérative. De plus, selon la Cour, les principes fondamentaux précités applicables lors de la conclusion de l’accord-cadre seraient affectés si le volume global n’était pas mentionné dès ledit accord. En l’absence d’une telle mention, la Cour a affirmé l’existence d’un risque de fractionnement artificiel du marché par le pouvoir adjudicateur, dans le but de demeurer en deçà des seuils de la directive 2004/18/CE applicable au litige [11]. Enfin, pour la Cour, l’interdiction de recourir aux accords-cadres de manière abusive ou de manière à empêcher, restreindre ou fausser la concurrence, se trouve concrétisée par l’obligation d’indiquer un montant maximal [12].

Forte de ce raisonnement, la CJUE a donc affirmé qu’il est exclu que les pouvoirs adjudicateurs non- signataires de l’accord-cadre ne déterminent pas le volume des prestations ou qu’ils le déterminent par référence à leurs besoins. Rendu dans un litige particulier, cet arrêt du 19 décembre 2018 constitue la première pierre de l’édifice en ce qui concerne l’obligation de mentionner un maximum dans les accords-cadres. Une nouvelle pierre à cet édifice a été ajoutée par les juges de Luxembourg quelques années plus tard, entendant ainsi la solution retenue en 2018.

L’arrêt Simonsen & Weel A/S

Dans cette espèce, deux régions danoises avaient lancé une procédure en vue de la conclusion d’un accord-cadre portant sur l’achat d’équipements permettant l’alimentation par sonde. L’avis de marché ne contenait aucune information sur la valeur maximale des accords-cadres, ni sur la quantité estimée ou maximale des produits dont l’achat était prévu par ces accords.

Considérant que les régions avaient méconnu les principes d’égalité de traitement et de transparence en ne mentionnant ni la quantité, ni la valeur estimée des produits à fournir, la société Simonsen & Weel a formé un recours contre la décision d’attribution du marché. Se fondant sur l’arrêt du 19 décembre 2018 exposé ci-dessus, elle considérait en outre que les régions étaient tenues d’indiquer la quantité ou la valeur maximale des produits à acquérir.

Dans ce contexte, la juridiction danoise saisie du litige a posé plusieurs questions préjudicielles à la CJUE, portant sur l’interprétation des principes d’égalité et de transparence eu égard à l’indication, dans l’avis de marché ou le cahier des charges, des informations sur la quantité et/ou la valeur estimée ou maximale des produits à fournir, et sur le point de savoir si un tel accord-cadre aurait épuisé ses effets lorsque le plafond aurait été atteint.

La Cour a d’abord constaté que la rédaction de certaines dispositions de la directive 2014/24/UE pouvait laisser entendre que le pouvoir adjudicateur dispose d’une marge d’appréciation quant à l’opportunité d’indiquer une valeur maximale [13]. Cette interprétation n’étant pas concluante, la Cour a procédé à une interprétation de l’économie générale de la directive pour en déduire une obligation d’indiquer la valeur maximale dans un accord-cadre. Pour la CJUE, la mise en œuvre des principes fondamentaux du droit de l’Union européenne par la formulation claire, précise et unique des modalités de la procédure permet aux soumissionnaires de comprendre la portée de leur engagement. De même, selon elle, l’indication du maximum revêt « une importance considérable » à l’égard du soumissionnaire, et permet également au pouvoir adjudicateur d’être en mesure de vérifier que les offres correspondent aux critères du marché [14]. À cet égard, certains affirmaient à juste titre qu’il serait malaisé de reprocher un défaut de capacités à un candidat alors même que le volume estimé des prestations n’aurait pas été indiqué dans l’avis de marché [15].

Dans ce contexte, la Cour a dit pour droit qu’un pouvoir adjudicateur ne peut s’engager que dans la limite d’une quantité et/ou d’une valeur maximale désignée dans l’accord-cadre, lequel aura épuisé ses effets une fois ce plafond atteint. Cependant, elle a notamment ajouté une précision rappelant que seules sont admises les modifications qui n'entrainent pas une modification substantielle de l’accord-cadre [16].

Réagissant à cet arrêt, la Direction des Affaires Juridiques de Bercy (DAJ) avait précisé que, dans une démarche d’anticipation, le maximum pouvait être fixé à un montant plus enlevé que le montant estimé prévisible [17]. Sur ce point, il a pu être très justement souligné que la DAJ ne s’était pas prononcée sur l’entendue du contrôle du juge concernant l’appréciation du caractère raisonnable du plafond [18]. En effet, les pouvoirs adjudicateurs auraient pu vouloir fixer des plafonds très enlevés afin que leur accord-cadre ne prenne pas fin prématurément en cas d’atteinte de ceux-ci. Ce point particulier sera évoqué en II.B du présent commentaire.

L’arrêt Simonsen & Weel a par la suite été très rapidement reçu en droit national, tant par les juridictions que par le pouvoir règlementaire, mais ce d’une manière dissemblable.

B. La réception différenciée de l’obligation de plafonner les accords-cadres en droit français

L’état du droit français et la prompte réaction des tribunaux administratifs

Au 17 juin 2021, le Code de la commande publique (CCP) permettait la conclusion d’accords-cadres avec (i) soit un minimum et un maximum en valeur et/ou en quantité, (ii) soit avec seulement un minimum ou un maximum, (iii) soit sans l’un ni l’autre [19]. Dans cette dernière hypothèse, un accord-cadre sans maximum étant réputé excéder les seuils européens, il devait faire l’objet d’une procédure de passation formalisée [20]. Les règles en vigueur octroyaient donc une certaine souplesse à l’acheteur, et lui permettaient de commander de « manière quasi-illimitée les prestations objet de l’accord-cadre », ou encore de faire face à des « besoins exceptionnels et imprévisibles » [21]. L’accord-cadre répondait ainsi pleinement à sa vocation d’outil de planification.

Néanmoins, suite à l’avènement de l’arrêt Simonsen & Weel, il en résultait une contradiction de notre droit national avec le nouvel état du droit européen. Très rapidement, certains tribunaux administratifs se sont mis à annuler, sur le fondement de l’arrêt susvisé, des procédures de passation au motif que les accords-cadres ne mentionnaient pas de maximum [22]. À cet égard, par une ordonnance du 23 août 2021 [23], le tribunal administratif de Bordeaux avait annulé une procédure de passation d’un lot d’un accord-cadre alors même que ce dernier prévoyait, dans sa globalité, une valeur maximale estimée. En outre, l’avis d’appel à concurrence avait été publié au Bulletin officiel des annonces de marchés publics (BOAMP) et au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE) les 8 et 11 mai 2021, soit antérieurement à l’arrêt Simonsen & Weel. Pour prononcer cette annulation, le tribunal administratif de Bordeaux avait notamment retenu que la CJUE n’avait pas limité dans le temps la portée donnée à son interprétation, « ce qui exclut pour le juge des référés de différer son application fusse pour des motifs de sécurité́ juridique » [24].

Dans ce contexte, la modification du CCP annoncée par la DAJ quelques semaines auparavant [25] était plus qu’attendue, afin de mettre les textes en cohérence avec la jurisprudence nationale et européenne.

La modification des dispositions du CCP

Le décret 2021-1111 du 23 août 2021 [26] est ainsi venu modifier les dispositions du CCP, et notamment celles relatives aux accords-cadres. Il a par exemple réécrit l’article R. 2162-4 précité, qui dispose désormais que les accords-cadres peuvent être conclus soit (i) avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité, (ii) soit avec seulement un maximum en valeur ou en quantité. La possibilité de conclure un accord-cadre sans minimum reste donc inchangée. Pareillement, l’article R. 2121-8 du CCP a été revu, le décret supprimant la disposition relative aux conséquences de l’absence de maximum sur la procédure de passation formalisée à laquelle l’accord-cadre était réputé être soumis. Il est par ailleurs à noter que certains ont alerté sur le champ d’application matériel du décret dès lors qu’il ne visait explicitement que les accords-cadres [27]. Par prudence, il serait recommandé, ainsi que le préconisait la DAJ à la suite de l’arrêt Simonsen & Weel, d’appliquer l’obligation d’indiquer un maximum également aux marchés subséquents et aux bons de commande, d’autant qu’à la date de ce commentaire, les juridictions du fond ne s’étaient pas encore prononcées sur ce point particulier.

En ce qui concerne les modifications apportées aux dispositions relatives aux accords-cadres, l’entrée en vigueur du décret était fixée au 1er janvier 2022 [28]. Partant, l’obligation de renseigner un montant maximal dans les accords-cadres ne devait s’appliquer qu’à compter de cette date. Or, l’entrée en vigueur de cette nouvelle obligation, telle que prévue par le droit français, s’inscrivait en contradiction avec l’application qui devait résulter de l’arrêt de la Cour. En effet, depuis la jurisprudence

Denkavit [29], les arrêts rendus par la Cour sur renvoi préjudiciel sont d’application directe. De surcroît, dans son arrêt du 17 juin 2021, la CJUE n’avait elle-même pas prévu d’application différée de son interprétation. À cet égard, plusieurs tribunaux administratifs ont considéré que l’arrêt Simonsen & Weel s’appliquait nonobstant l’application différée au 1er janvier 2022 prévue par le décret du 23 août 2021 [30].

Face à cette incohérence du droit national avec le droit européen, le Conseil d’État s’est prononcé en début d’année 2022 sur l’application dans le temps de la règle dégagée par la CJUE.

La question de l’application temporelle tranchée par le Conseil d’État

Saisi d’un recours contre l’ordonnance précitée rendue le 23 août 2021 par le juge des référés de Bordeaux, le Conseil d’État est venu trancher, le 28 janvier 2022, la question de l’application temporelle de l’obligation de mentionner un maximum dans les accords-cadres [31].

Dans sa décision, le Conseil d’État s’est tout d’abord explicitement référé à l’arrêt Simonsen & Weel en rappelant que la CJUE n’avait pas prévu d’application différée dans le temps de son interprétation [32]. Ensuite, la haute juridiction est venue distinguer deux temps dans l’application de la règle. Celle-ci est d’application immédiate pour les marchés d’une valeur supérieure au seuil de procédure formalisée, en raison de l’effet rétroactif de l’arrêt de la CJUE. S’agissant des marchés d’une valeur inferieure à ce même seuil, cette règle ne sera applicable qu’à compter du 1er janvier 2022, « afin de ne pas porter une atteinte excessive aux intérêts privés et publics en cause » [33]. A la date du présent commentaire, tous les accords-cadres doivent donc être dotés d’un maximum en valeur ou en quantité.

Dans ses conclusions sur cette affaire, le Rapporteur public constatait que le pouvoir règlementaire avait retenu une conception souple de l’application dans le temps de l’obligation de renseigner un montant maximal dans les accords-cadres [34]. Néanmoins, il considérait qu’il était impossible d’encarter son application pour les accords-cadres dont la procédure de passation avait été engagée avant le 17 juin 2021, en raison de l’obligation faite au juge national d’appliquer le droit de l’Union européenne. À cet égard, la DAJ constatait également que le décret ne pouvait, « même temporairement », faire échec à l’effet rétroactif de l’interprétation retenue par la Cour [35]. Par ailleurs, s’il mentionnait l’éventualité d’interroger la CJUE sur l’application temporelle de son interprétation, le Rapporteur public avait estimé qu’une telle demande méconnaitrait le principe de célérité du référé précontractuel dont était saisi le Conseil d’État.

La nouvelle obligation, reconnue tant en droit européen qu’en droit français, était désormais inscrite dans le marbre en tant que telle... À tout le moins jusqu’au 14 juillet 2022.

II. Une obligation en apparence tempérée

La CJUE est venue tempérer, de manière toutefois relative, la portée de sa jurisprudence Simonsen & Weel le 14 juillet 2022, en érigeant une exception permettant de dépasser le plafond prévu par l’accord- cadre (A.). Quoi qu’il en soit, la mise en œuvre de cette obligation et de son exception appelle à la vigilance des acheteurs au regard des éventuels risques contentieux (B.).

A. La modification non-substantielle comme possibilité de dépassement du plafond

L’arrêt du 14 juillet 2022 présente deux intérêts. D’une part, il confirme la jurisprudence de la CJUE, de laquelle « il ressort clairement [...] que, en concluant un accord-cadre, un pouvoir adjudicateur ne peut s’engager que dans la limite d’une quantité et/ou d’une valeur maximale des travaux, fournitures ou services concernés, de sorte que, une fois cette limite atteinte, cet accord-cadre aura épuisé ses effets [...] » [36]. D’autre part, il vient contrebalancer la portée de cette jurisprudence en affirmant que si, en principe, un marché ne peut plus être attribué sur le fondement d’un accord-cadre dont le maximum est atteint, il en va autrement lorsque que cette attribution ne modifie pas substantiellement ledit accord [37]. Sur ce point, la CJUE reprend les observations du Gouvernement autrichien et de la Commission se référant à la jurisprudence Simonsen & Weel, alors qu’il n’en ressortait pas clairement qu’une modification non-substantielle, au sens du e) de l’article 72 § 1 de la directive 2014/24/UE, permettait de dépasser le maximum prévu par l’accord-cadre. Dans son arrêt du 14 juillet 2022, la CJUE s’est explicitement référé à l’article précité, qui dispose qu’un accord-cadre peut être modifié lorsque la modification, qu’elle qu’en soit la valeur, n’est pas substantielle au sens du paragraphe 4. Or, la directive n’offre pas de définition de la notion de modification non-substantielle, ce qui implique de raisonner à partir de la notion de modification substantielle.

La définition de la notion de modification substantielle résulte d’un arrêt Pressetext rendu par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) le 19 juin 2008 [38]. Il en ressort, en substance, qu’une modification substantielle introduit des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure de passation initiale, auraient permis l’admission d’autres soumissionnaires ou auraient permis de retenir une autre offre. Une telle modification peut également être caractérisée lorsqu’elle entend le marché à des services initialement non prévus, ou change l’équilibre du contrat en faveur de l’adjudicataire [39]. En d’autres termes, une modification substantielle est celle qui présente « des caractéristiques substantiellement différentes de celles du marché initial et sont, en conséquence, de nature à démontrer la voloné des parties de renégocier les termes de ce marché » [40]. Cette notion de modification substantielle a par la suite été reprise à l’article 72 § 4 de la directive 2014/24/UE et figure à l’article R. 2194-7 du CCP. Aux termes de cet article 72 § 4, une modification est considérée comme substantielle lorsqu’au moins l’une des conditions prévues par cet article est remplie. Ces conditions sont celles issues de la jurisprudence Pressetext, auxquelles a eété ajoutée une condition relative au remplacement du titulaire du contrat. L’ensemble de ces conditions est également repris par l’article R. 2194-7 précité, qui s’abstient pareillement de définir la notion de modification non-substantielle à l’instar de l’article L. 2194-1, 5° du même Code.

Comme le rappelait la DAJ, l’appréciation de la validité des modifications non-substantielles envisagées fondées sur l’article L. 2194-1, 5° précité « doit s’effectuer au cas par cas, en fonction des circonstances de fait propres à chaque espèce » [41]. Sans donner de plus amples précisions sur cette notion, elle conseille aux acheteurs publics de « procéder à une évaluation quantitative de l’évolution induite ainsi qu’à une analyse de la portée des modifications [introduites] dans le contrat initial ». Illustrant ensuite les hypothèses dans lesquelles un avenant pourrait être constitutif d’une modification substantielle, la DAJ se réfère notamment à une décision du Conseil d’État de 1995 [42], de laquelle il ressort qu’un avenant ayant pour objet l’exécution de nouveaux travaux, dissociables des travaux prévus par le marché initial, aurait dû faire l’objet d’une nouvelle procédure de passation. À cet égard, la DAJ ajoute que l’objet du contrat doit être « considérablement » changé du fait de la modification substantielle afin de constituer un nouveau contrat devant faire l’objet d’une procédure de passation. Il est par ailleurs à noter que, s’agissant spécifiquement des accords-cadres, l’article R. 2162- 7 du CCP ainsi que l’article 33 §2, alinéa 3 de la directive 2014/24/UE disposent très clairement que les marchés subséquents fondés sur l’accord-cadre ne peuvent entraîner des modifications substantielles des termes de ce dernier.

Au regard des conditions prévues par les textes, il n'apparait malheureusement pas insensé que l’attribution d’un marché en dépassement du maximum prévu par l’accord-cadre remplisse au moins deux des conditions permettant de caractériser une modification substantielle. En effet, il y a - a priori - peu de doutes sur le fait que l’attribution d’un tel marché introduirait une condition qui aurait permis l’admission d’autres candidats, au regard par exemple des capacités des autres soumissionnaires que celui ou ceux retenu/s, ou aurait permis à l’acheteur de retenir une meilleure offre. De même, en ce que l’attribution confère au titulaire un marché supplémentaire, il n’est pas déraisonnable de penser que cela modifie l’équilibre économique du contrat en sa faveur. Dès lors qu’une seule des conditions prévues à l’article R. 2197-1 du CCP est susceptible de faire regarder la modification comme substantielle, la possibilité de dépasser le montant maximal sans organiser une nouvelle procédure de passation apparait finalement restreinte. La jurisprudence à venir sur cette exception, dont on ne doute pas qu’elle ne saurait tarder, permettra aux acheteurs d’orienter leurs pratiques.

Néanmoins, à supposer que l’attribution du marché en dépassement de l’accord-cadre ne revête pas un caractère substantiel, il importe de rappeler l’importance que représente la mention d’un maximum pour le titulaire du contrat. En ce sens, la DAJ rappelait, à l’époque où cette mention n’était pas encore obligatoire, que le maximum « détermine la limite supérieure des obligations susceptibles d'être mises à la charge du ou des titulaires [...] » et considérait que « [p]our cette raison, il constitue un des piliers de la relation contractuelle entre l’acheteur et le ou les titulaires, qui ont apprécié l'étendue de l’accord-cadre sur cette base » (nous soulignons) [43]. Dans cette perspective, le dépassement du montant maximal prévu par l’accord-cadre ne sera envisageable qu’avec le consentement du ou des titulaires, par le biais d’un avenant.

En tout état de cause, il est rappelé qu’aux termes de l’article L. 2194-1 du CCP, une modification effectuée sur le fondement de cet article ne peut changer la nature globale du contrat, sous peine d’obliger l’acheteur à organiser une nouvelle procédure de passation. Dans ce cadre, à supposer que l’attribution d’un marché sur le fondement d’un accord-cadre dont le plafond a été atteint en constitue une modification substantielle [44], l’acheteur pourrait en théorie, au regard des articles 73 a) de la directive 2014/24/UE et L. 2195-6 du CCP, résilier le contrat et engager une nouvelle procédure de publicité et de mise en concurrence. A défaut d’y procéder, il convient de souligner que l’avenant actant la modification ainsi que le marché supplémentaire attribué ne sont pas à l’abri d’un risque de recours contentieux, à l’instar de l’accord- cadre qui fixerait un plafond déraisonnable.

B. L’ambivalence du risque de recours contentieux

Sur le dépassement du plafond

Hors le cas où un tel dépassement aurait été prévu dans une clause de réexamen - selon les conditions requises pour sa validité -, l’acheteur s’expose à un double risque contentieux dans l’hypothèse d’un relèvement du plafond de l’accord-cadre par avenant et de l’attribution d’un nouveau marché fondé sur ledit accord ainsi modifié. D’une part, il pourrait être avancé que l’avenant constitue une modification substantielle de l’accord-cadre et, d’autre part, que le marché subséquent attribué l’a été sans qu’aucune nouvelle procédure de passation n’ait été engagée.

À supposer que l’avenant ait déjà été conclu et que le marché subséquent ait été passé, il paraît difficile d’envisager la possibilité d’un référé précontractuel dès lors le juge doit, aux termes de l’article L. 551-1 alinéa 3 du Code de justice administrative (CJA), être saisi avant la conclusion du contrat. Or, on aurait du mal à concevoir comment les tiers, le cas échéant, auraient pu avoir connaissance de l’existence de cet avenant ou de ce marché avant sa signature, d’autant plus qu’aucune procédure de passation n’aurait été mise en œuvre.

Néanmoins, un tiers qui souhaiterait recourir à une procédure d’urgence pourrait introduire un référé contractuel dans les conditions prévues par les articles L. 551-13 et suivants du CJA. Encore faut-il que l’avenant et/ou le marché constituent des contrats soumis à des obligations de publicité et de mise en concurrence au sens des articles L. 551-1 et L. 551-5 du même Code. S’agissant de l’avenant, le Conseil d’État a récemment rappelé que le juge du référé contractuel n’était compétent pour connaitre d’un avenant que lorsque celui-ci constitue un nouveau contrat soumis à des obligations de passation au titre des articles du CJA susvisés [45]. Sans revenir sur l’ensemble des conditions de recevabilité d’un référé contractuel, on rappellera qu’aux termes de l’article R. 551-7 du CJA, en l’absence de publication d’avis ou de notification de la conclusion du contrat, le requérant dispose d’un délai de six mois à compter du lendemain du jour de la conclusion du contrat pour saisir le juge du référé contractuel. Encore une fois, la difficulté étant de connaître la date de conclusion de l’avenant et/ou celle de la passation du marché subséquent.

L’exercice d’un tel référé n’exclut pas la possibilité d’introduire un recours en contestation de la validité de l’avenant et/ou du marché. Même si la jurisprudence de principe Tarn et Garonne [46] ne mentionne pas explicitement la possibilité d’introduire un tel recours contre un avenant, Monsieur Gilles Pellissier avait considéré, dans ses conclusions sur la décision Transmanche, que « [l]es modifications conventionnelles, les avenants, en règle générale de plus grande portée, peuvent être contestés par la voie du recours en contestation de la validité du contrat » [47]. Sous réserve de démontrer être lésé dans ses intérêts de façon certaine et directe par la passation ou les clauses de l’avenant ou du marcé, un tiers pourrait introduire ce recours dans les deux mois à compter l’accomplissement des mesures de publicité appropriées. Entre autres, ces mesures peuvent être accomplies par la publication d’un avis d’attribution au JOUE mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation. À ce propos, la cour administrative d’appel de Marseille a récemment considéré que même si ledit avis ne comporte pas les modalités de consultation du contrat, un délai raisonnable d’une année courait à l’égard du concurrent évincé à compter de la publication de l’avis d’attribution du contrat [48]. Or, la question du point de départ du délai de recours est plus problématique en l’absence de publication d’un tel avis. En effet, à supposer que l’avenant constitue un nouveau contrat, il résulte de l’article R. 2183-1 du CCP que seuls les marchés répondant à un besoin d’un montant égal ou supérieur aux seuils européens doivent faire l’objet d’un avis d’attribution publié. Cette même problématique se poserait pour le marché subséquent supplémentaire. À ce sujet, plusieurs auteurs soulignent les difficultés engendrées par l’absence d’avis d’attribution concernant le déclenchement du délai de recours [49]. Par suite, la question du point de départ de ce délai pourrait être source de difficultés pour le tiers lésé souhaitant introduire un recours Tarn et Garonne à l’encontre d’un avenant relevant le plafond de l’accord-cadre ou du marché attribué en dépassement du plafond initial.

Sur l’appréciation du maximum

Comme évoqué, à la suite de l’arrêt Simonsen & Weel et du décret 2021-1111, certains se sont questionnes quant à la tentation, pour les acheteurs, de fixer des maximum très élevés. À cet égard, il est à noter que le contrôle du juge sur le montant maximal de l’accord-cadre se limiterait à l’erreur manifeste d’appréciation [50]. Si la question du caractère raisonnable du montant maximal des accords-cadres ne fait pas encore l’objet d’un contentieux de masse devant les tribunaux, le juge des référés du tribunal administratif d’Orléans a été saisi de cette question durant l’été 2022 [51], une première depuis Simonsen & Weel à notre connaissance.

En l’espèce, la communauté d’agglomération Chartres Métropole avait lancé, le 21 février 2022, une consultation en vue de l’attribution d’un marché public de travaux des installations d’éclairage public et des réseaux secs sous la forme d’un accord-cadre à bons de commande pour un montant de 40 millions d’euros hors taxe. Cette consultation a fait l’objet d’une publication au JOUE et au BOAMP.

La société Lesens Centre Val de Loire, ayant soumissionné dans le cadre d’un groupement, a été informée du rejet de son offre et a, par la suite, introduit un référé précontractuel en demandant au juge administratif d’annuler la procédure de passation en vue de l’attribution de l’accord-cadre. Elle considérait, entre autres, que le montant fixé par cet accord était incohérent et irréaliste en ce qu’il était quatre fois supérieur à celui du montant des commandes passées lors de l’exécution d’un précédent accord-cadre portant sur le même besoin.

Dans son ordonnance du 2 août 2022, le juge du tribunal administratif d’Orléans a considéré que la requérante n’avait pas établi en quoi la fixation d’un tel montant « témoignerait d'un manquement de l'acheteur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, alors qu'il est constant que ce montant maximum a été fixé dans les pièces du marché et qu'il n'est pas contesté qu'il a été fixé ainsi pour prendre en compte les aléas économiques auxquels est soumise l'exécution des marchés publics dans le contexte changeant actuel » (nous soulignons). Partant, la procédure de passation n’a pas été annulée. Même si ce jugement est favorable à l’acheteur en l’espèce, il convient de rester prudent dans la fixation du montant maximal.

Notons par ailleurs qu’en matière de montant prévisionnel du marché, le juge administratif impose que l’acheteur procède à une estimation sincère et raisonnable compte tenu des éléments disponibles [52]. De telles exigences devraient être transposées à l’indication du montant maximal en valeur ou en quantité dans les accords-cadres. Tout l’enjeu pour un requérant formant un référé précontractuel serait donc de parvenir à démontrer que ce montant constitue un manquement de l’acheteur à ses obligations, et que ce manquement est susceptible de l’avoir lésé...

Suite au prochain épisode jurisprudentiel.

 

Références :


[1] CJUE, 14 juillet 2022, EPIC Financial

Consulting Ges.m.b.H, aff. C-274/21 et C-275/21. [2] Ibid., §52.

[3] « La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel:

a) sur l'interprétation des traités,

b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.

Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.

Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour. Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais ».

[4] CJUE, aff. C-274/21, préc., §65. [5] Ibid., §111.

[6] CJUE, 17 juin 2021, Simonsen & Weel A/S, aff. C-23/20.

[7] CJUE, 19 décembre 2018, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato - Antitrust, aff. C-216/17.

[8] Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/ CE.

[9] Aff. C-216/17, préc., §30 et §31.

[10] Ibid., §57 à 69.

[11] Directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services.

[12] Aff. C-216/17, préc., §69. V. : Article 32, §2., al. 5, Directive 2004/18/CE préc.

[13] Aff. C-23/20, préc., §49.

[14] Ibid., §63.

[15] Gaspar T., « La modification du régime juridique des accords-cadres : fin des commandes illimitées et des précisions à fournir aux candidats sur les quantités et/ou les valeurs estimées », La lettre juridique n° 876, 9 septembre 2021.

[16] Aff. C-23/20, préc., §69 et §70.

[17] Direction des Affaires Juridiques, « Conséquences sur les accords-cadres de l’arrêt de la CJUE Simonsen & Weel », 7 juillet 2021, [consulté le 4 août 2022], accessible ici.

[18] Landot E., « Accords cadres (dont les marchés à bon de commande) : le Conseil d’État confirme la censure des contrats dépourvus de plafond, même ceux passés avant le décret du 23 août 2021 ... », 1er février 2022, [consulté le 5 août 2022], accessible ici.

[19] CCP, ancien art. R. 2162-4

[20] CCP, ancien art. R. 2121-8

[21] Gaspar T., « La modification du régime juridique des accords-cadres : fin des commandes illimitées et des précisions à fournir aux candidats sur les quantités et/ou les valeurs estimées », préc.

[22] Sur ce point, nous relevons qu’il ressort de Simonsen & Weel que la sanction de privation d’effet du marché « devrait toutefois être cantonnée aux hypothèses les plus graves de violations du droit de l’Union des marchés publics, à savoir celles dans lesquelles un marché est passé de gré à gré sans avoir fait l’objet d’aucune publication préalable d’un avis de marché au [JOUE] ». En l’espèce, la CJUE avait considéré que cette sanction serait disproportionnée, alors même que les régions n’avaient indiqué ni le montant estimé ni le montant maximal des prestations.

[23] TA Bordeaux, Ord. 23 août 2021, Société Coved, n° 2103959.

[24] Ibid., cons. 9.

[25] Direction des Affaires « Conséquences sur les accords-cadres de l’arrêt de la CJUE Simonsen & Weel », préc.

[26] Décret 2021-1111 du 23 août 2021 modifiant les dispositions du code de la commande publique relatives aux accords-cadres et aux marchés publics de défense ou de sécurité, JORF n° 0197 du 25 août 2021.

[27] Landot E., « Accords-cadres (dont les marchés à bon de commande) : le Conseil d’État confirme la censure des contrats dépourvus de plafond, même ceux passés avant le décret du 23 août 2021 ... », préc.

[28] Décret 2021-1111, préc., art. 31. al. 3.

[29] CJCE, 27 avril 1980, Denkavit, aff. C-61/79.

[30] TA Lille, Ord. 27 août 2021, SELARL Centaure Avocats, n° 2106335, et TA Martinique, Ord. 17 décembre 2021, Société Datex Antilles, n° 2100714. V. plus récemment : TA Martinique, Ord. 11 août 2022, Société Martiniquaise Bureautique, n° 2200443.

[31] CE, 28 janvier 2022, Communauté de communes Convergence Garonne, req. n° 456418.

[32] Ibid., cons. 5. [33] Ibid., cons. 6.

[34] M. Pichon de Vendeuil, conclusions sur CE, 28 janvier 2022, préc.

[35] Direction des affaires Juridiques, « Le Conseil d’État fait une application immédiate de la solution dégagée par la CJUE dans son arrêt du 17 juin 2021 n° C-23/20 "Simonsen & Weel" concernant l’indication d’un montant maximal pour les accords cadre relevant du champ de la directive sur la passation des marchés publics », Lettre de la DAJ n° 334, 24 février 2022, [consulté le 5 août 2022], accessible ici.

[36] Aff. C-274/21, préc., §66.

[37] Ibid., §67.

[38] CJCE, 19 juin 2008, Pressetext, aff. C-454/06. [39] Ibid., §36 et §37.

[40] Ibid., §34.

[41] Fiche technique de la Direction des Affaires Juridiques, « Les modalités de modification des contrats en cours d’exécution », mise à jour le 1er avril 2019, [consulté le 6 août 2022], accessible ici.

[42] CE, 30 janvier 1995, Sté Viafrance, n° 151009, vu dans Fiche technique de la Direction des Affaires Juridiques, « Les modalités de modification des contrats en cours d’exécution », préc., page 9.

[43] Fiche technique de la Direction des Affaires Juridiques, « Les accords-cadres », mise à jour le 1er avril 2019, page 5, [consulté le 6 août 2022], accessible ici.

[44] Sur ce point, afin d’apprécier l’augmentation du plafond de l’accord-cadre, nous pourrions nous référer, par analogie, à l’article R. 2194-8 du CCP qui dispose que le montant de la modification de faible montant prévue à l’article L. 2194-1, 6° du CCP « est inférieur aux seuils européens qui figurent dans l'avis [de marché] et à 10 % du montant du marché initial pour les marchés de services et de fournitures ou à 15 % du montant du marché initial pour les marchés de travaux[...] ». La DAJ rappelle néanmoins à cet égard qu’au-delà̀ des seuils précités, « la modification ne sera pas nécessairement qualifiée de substantielle et par conséquent jugée irrégulière » (V. : Fiche technique de la Direction des Affaires Juridiques, « Les modalités de modification des contrats en cours d’exécution », préc., page 9).

[45] CE, 16 mai 2022, Société hospitalière d’assurances mutuelles, req. n° 459408.

[46] CE, Ass., 4 avril 2014, Département de Tarn et Garonne, req. n° 358994.

[47] G. Pellissier, conclusions sur CE, 30 juin 2017, Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche, req. n° 398445, page 15.

[48] CAA de Marseille, 25 avril 2022, SAS Seateam Aviation, n° 19MA05387.

[49] V., en ce sens : Guerbignot C., « Régime de la contestation de la validité d’un avenant : tout dépend de sa date de signature », Dictionnaire permanent commande publique, Dalloz, 13 janvier 2021 ; et Tirolien C., « Commande publique : les avenants, disparition définitive ou survivance du passé ? », Village de la justice, 6 décembre 2018, [consulté le 6 août 2022], accessible ici.

[50] V. aussi : Parme Avocats, « Confirmation de la fin des accords-cadres sans maximum (CE, 28 janvier 2022, Communauté de communes Convergence Garonne, n° 456418) », [consulté le 5 août 2022], accessible ici.

[51] TA Orléans, Ord. 2 août 2022, n° 2202386.

[52] CE, 14 mars 1997, Préfet des Pyrénées- Orientales, req. n° 170319. Jurisprudence constante.

Chloé MIFSUD

Devoir de vigilance et commande publique : une union trop précipitée ?

 Extrait de la Gazette n°49- juin 2022

A l’occasion de la publication au Journal Officiel le 3 mai dernier du décret n° 2022-767 du 2 mai 2022 portant diverses modifications du Code de la com- mande publique, le présent article propose ci-après une analyse détaillée du nouveau cas d’exclusion à l’appréciation de l’acheteur créé par la loi Climat et Résilience [1].

L’article 35 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (ci- après la « loi Climat et Résilience ») a créé, au sein des exclusions à l’appréciation de l’acheteur prévues par les articles L. 2141-7 à L. 2141-11 du Code de la commande publique, un nouvel article L. 2141-7-1, aux termes duquel « l’acheteur peut exclure de la procédure de passation de marché les personnes soumises à l’article L. 225-102-4 du code de com- merce qui ne satisfont pas à l’obligation d’établir un plan de vigilance comportant les mesures pré- vues au même article L. 225-102-4, pour l’année qui précède l’année de publication de l’avis d’appel à concurrence ou d’engagement de la consultation. [...] ».

Cette nouvelle exclusion établit ainsi un lien entre le droit de la commande publique et le devoir de vigilance, issu de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 [2], qui impose à certaines sociétés françaises dépassant un certain seuil d’effectif salarié d’établir un plan de vigilance destiné à leur permettre d’identifier et de prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes, et l’environnement, susceptibles de naître de leurs activités. Ce lien est d’ores et déjà effectif, le décret n° 2022-767 du 2 mai 2022 ayant prévu une application immédiate de cette nouvelle exclusion dès le 4 mai 2022 [3]. En revanche, pour les autres modifications du Code de la commande publique engendrées par la loi Climat et Résilience, telles que la fin du critère unique du prix [4], ledit décret fixe une date d’entrée en vigueur différée, devant intervenir au plus tard le 21 août 2026 [5].

Or, à beaucoup d’égards, cette union de la commande publique et du devoir de vigilance semble trop précipitée. Il ne fait aucun doute, en effet, que pour les pouvoirs adjudicateurs confrontés à sa mise en œuvre, cette nouvelle interdiction de soumissionner est source de nombreux questionnements. D’une part, il existe une incertitude quant à l’obligation pour les pouvoirs adjudicateurs [6] de vérifier ce nouveau motif d’exclusion, la position de la direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy étant sur ce point pour le moins confuse (I). D’autre part, une même incertitude existe quant aux modalités concrètes de vérification de celui-ci (II).

I. Le caractère contraignant incertain de la nouvelle exclusion à l’appréciation de l’acheteur relative au devoir de vigilance

Avant même de s’inquiéter des modalités concrètes de vérification de la nouvelle exclusion relative au devoir de vigilance, un pouvoir adjudicateur se de- mandera s’il est tenu de procéder à la vérification de celle-ci. A cet égard, si la DAJ de Bercy [7], suivie par certains auteurs [8], s’emploie à présenter ce nouveau motif d’exclusion comme étant facultatif (B), cette présentation paraît cependant discutable.

Il est en effet soutenu ici, à la lumière des textes européens et nationaux relatifs aux interdictions de sou- missionner, que les « exclusions à l’appréciation de l’acheteur » prévues par le Code de la commande publique, auxquelles appartient l’exclusion considérée, ne peuvent se comprendre comme des exclusions facultatives ou optionnelles (A).

A) Les exclusions à l’appréciation de l’acheteur : des exclusions non facultatives

Pour bien comprendre pourquoi les exclusions à l’appréciation de l’acheteur ne peuvent s’analyser comme des exclusions facultatives, il est intéressant d’examiner en premier lieu le droit de l’Union européenne et, plus particulièrement, la directive 2014/24 du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics [9], puis d’étudier sa transposition en droit français.

Traitement des motifs d’exclusion dans la directive 2014/24

Contrairement au Code de la commande publique, la directive 2014/24 ne fait aucunement référence à des « exclusions à l’appréciation de l’acheteur ». Son article 57 opère en revanche une distinction binaire entre des motifs d’exclusion dits obligatoires (fraude, corruption, infractions terroristes, etc.) et des motifs d’exclusion dits facultatifs (faute professionnelle grave, conflit d’intérêt, etc.). A cet égard, il peut d’ailleurs être noté qu’aucune de ces deux catégories d’exclusions ne prévoit une interdiction de soumis- sionner fondée sur un manquement à un quelconque devoir de vigilance, et pour cause, celui-ci n’a pas encore de définition européenne [10]. Cette constatation soulève ainsi la question de l’exhaustivité des motifs d’exclusion listés par la directive 2014/24 et, partant, de la possibilité pour un Etat membre d’ajouter un nouveau motif à ceux énumérés par ladite directive.

Sans pousser plus loin la réflexion sur ce point, car il ne s’agit pas là du cœur du présent article, il sera simplement rappelé que la CJUE a pu juger, à propos toutefois des motifs d’exclusion fondés sur des critères relatifs à la qualité professionnelle prévus par l’ancienne directive 93/37 portant sur les marchés de travaux publics [11], que ceux-ci étaient listés de façon limitative par cette directive et qu’ils ne pouvaient donc être complétés par les Etats membres [12]. Or, il n’est pas exclu que la Cour puisse juger de la même manière en ce qui concerne la directive 2014/24, notamment eu égard à la rédaction de son article 57 qui, en première lecture, n’offre pas un telle latitude aux Etats membres.

S’agissant plus précisément des motifs d’exclusion dits facultatifs, l’article 57, paragraphe 4, de la direc- tive 2014/24 autorise néanmoins expressément les Etats membres à rendre ceux-ci obligatoires. Autre- ment dit, si les pouvoirs adjudicateurs sont libres de vérifier ou non les motifs d’exclusion prévus par le paragraphe précité (ainsi qu’il ressort par ailleurs des expressions utilisées au considérant 101 de la directive 2014/24 pour présenter lesdits motifs, à savoir « les pouvoirs adjudicateurs devraient en outre exclure des opérateurs économiques [...] » ou encore « les pouvoirs adjudicateurs devraient également avoir la faculté de considérer [...] »), un Etat membre peut tout à fait décider d’imposer dans son droit national qu’un opérateur se trouvant dans l’un de ces cas d’exclusion soit obligatoirement exclu d’une procédure de passation. Cette interprétation est confortée par la jurisprudence de la CJUE, laquelle souligne que les pouvoirs adjudicateurs ont la faculté, voire l’obligation, d’exclure un opérateur économique se trouvant dans l’une des situations d’exclusion énumérée à l’article 57, paragraphe 4, de la dIrective 2014/24 précitée [13].

Compte tenu de ces observations, il convient de s’interroger sur les intentions du législateur français lorsqu’il a créé, au sein du Code de la commande publique, une section intitulée « exclusions à l’appréciation de l’acheteur ».

Traitement des motifs d’exclusion dans le Code de la commande publique

Deux éléments conduisent à penser que les exclusions à l’appréciation de l’acheteur, prévues aux articles L. 2141-7 à L. 2141-11 du Code de la commande publique, ne sauraient être interprétées comme des exclusions dont la vérification est optionnelle pour les pouvoirs adjudicateurs.

D’une part, le changement de qualification de ces exclusions lors de l’entrée en vigueur du Code de la commande publique le 1er avril 2019. En effet, si celles-ci avaient été nommées initialement « interdictions de soumissionner facultatives » dans l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics [14], elles sont désormais quali- fiées d’« exclusions à l’appréciation de l’acheteur » dans le Code de la commande publique. Ce nouveau vocable semble par conséquent souligner une volonté du législateur d’imposer aux pouvoirs adjudicateurs la vérification de ces exclusions [15].

D’autre part, la position adoptée par la DAJ de Bercy dans sa fiche technique sur l’examen des candida- tures. En effet, la DAJ considère que le qualificatif à l’appréciation de l’acheteur « ne signifie pas que l’acheteur a ou non le choix de prévoir ces motifs d’exclusion » [16]. Par suite, il semble acquis pour la DAJ de Bercy que les exclusions à l’appréciation de l’acheteur ne sont pas facultatives, en dépit de l’expression « l’acheteur peut exclure » consacrée aux articles L. 2141-7 et suivants du Code de la commande publique.

A la lecture de la fiche technique de la DAJ, le qualificatif « à l’appréciation de l’acheteur » induirait en revanche le caractère « non automatique » des exclusions concernées [17]. Il s’agirait là de leur principale différence avec les exclusions de plein droit prévues aux articles L. 2141-1 à L. 2141-5 du Code de la commande publique. Plus précisément, dans le cadre des exclusions de plein droit, les pouvoirs adjudicateurs sont contraints de tirer les conséquences de l’existence d’une cause d’exclusion constatée par un tiers à la procédure de passation n’agissant pas lui-même en tant qu’acheteur, par exemple une juridiction. En revanche, s’agissant des exclusions à l’appréciation de l’acheteur, les pouvoirs adjudicateurs apprécient eux-mêmes la présence d’un motif d’exclusion en se positionnant au cas par cas au regard des faits dont ils ont connaissance [18].

Cet aspect est également mis en avant par la jurisprudence européenne relative à l’article 57, paragraphe 4, de la directive 2014/24. A cet égard, la portée de l’arrêt Meca Srl du 19 juin 2019 peut par exemple être évoquée [19]. La CJUE y était interrogée sur le point de savoir si une réglementation nationale, en vertu de laquelle l’introduction d’un recours juridictionnel contre la décision de résilier un marché public prise par un pouvoir adjudicateur en raison de défaillances importantes survenues lors de son exécution empêche le pouvoir adjudicateur qui lance un nouvel appel d’offres d’apprécier la fiabilité de l’opérateur concerné, était compatible avec l’article précité. Or, la Cour a jugé qu’« il résulte ainsi du libellé de ladite disposition [article 57, paragraphe 4] que c’est aux pouvoirs adjudicateurs, et non pas à une juridiction nationale, qu’a été confié le soin d’apprécier si un opérateur économique doit être exclu d’une procédure de passation d’un marché » [20] et, partant, a rappelé la liberté d’appréciation conférée aux pouvoirs adjudicateurs dans le cadre de ces exclusions.

En définitive, il apparaît que les exclusions à l’appréciation de l’acheteur ne sont pas des exclusions optionnelles mais des exclusions non-automatiques, au sens où les pouvoirs adjudicateurs évaluent eux-mêmes les évidences qui leur sont soumises. Dès lors, qu’en est-il s’agissant du nouveau motif d’exclusion relatif au devoir de vigilance ?

B) L’exclusion à l’appréciation de l’acheteur relative au devoir de vigilance : un cas particulier ?

De prime abord, rien ne suggère qu’un pouvoir adjudicateur puisse traiter cette nouvelle exclusion à l’appréciation de l’acheteur différemment des autres. Néanmoins, la notice du décret précité du 2 mai 2022 indique qu’il s’agit d’une interdiction de soumissionner facultative, ce qui amène à s’interroger sur la nature de celle-ci.

Une exclusion à l’appréciation de l’acheteur comme les autres

Il résulte de ce qui précède que la nouvelle exclusion introduite par la loi Climat et Résilience à l’article L. 2141-7-1 du Code de la commande publique - soit parmi les exclusions à l’appréciation de l’acheteur n’est a priori pas une exclusion facultative. En d’autres termes, un pouvoir adjudicateur ne devrait disposer d’aucune liberté quant à sa mise en œuvre dans le cadre de ses procédures de passation de marché. Telle est également, semble-t-il, l’intention du législateur. En effet, celui-ci, après avoir indiqué que pouvaient être exclues de la procédure de passation de marché les sociétés concernées ayant manqué à leur obligation d’établir un plan de vigilance, mentionne : « une telle prise en compte ne peut être de nature à restreindre la concurrence ou à rendre techniquement ou économiquement difficile l’exécution de la prestation ». Il paraît ainsi consacrer deux exceptions à la mise en œuvre de l’exclusion considérée, lesquelles font manifestement obstacle au caractère facultatif de celle-ci. Il serait en effet surprenant de prévoir des exceptions à une simple faculté. Pour s’en convaincre, il est intéressant de noter que ces deux exceptions paraissent être inspirées de celles prévues à l’article L. 2113-11 du Code de la commande publique relatif à l’allotissement. Or, l’ allotissement du besoin est incontestablement une obligation qui s’impose aux pouvoirs adjudicateurs [21]. Ceux-ci peuvent toutefois y déroger lorsque la dévolution en lot séparé est de nature à restreindre la concurrence ou risque de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l’exécution des prestations.

Pourtant, la DAJ de Bercy, de façon étonnante, s’obstine à présenter cette nouvelle exclusion à l’appréciation de l’acheteur relative au devoir de vigilance comme une interdiction de soumissionner facultative.

La position ambigüe de la DAJ de Bercy

D’une part, la notice explicative du décret n° 2022- 767 du 2 mai 2022 indique que celui-ci « prévoit également l’entrée en vigueur le lendemain de la publication du décret des dispositions du 5° II et du 6° du III de l’article 35 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 créant une interdiction de soumissionner facultative pour les entreprises n’ayant pas satisfait à leur obligation d’établir un plan de vigilance en application de l’article L. 225-102-4 du code de commerce ». D’autre part, la DAJ de Bercy, dans le cadre de l’évaluation dudit décret par le Conseil national d’évaluation des normes, aurait déclaré que « dès lors que cette mesure n’est qu’une faculté offerte aux acheteurs, il n’est pas utile d’attendre le 21 août 2026, date limite d’entrée en vigueur prévue par la loi, pour permettre à ceux qui le souhaitent de mettre en œuvre dès maintenant cette interdiction de soumissionner afin de renforcer la dimension sociale de la commande publique » [22]. Ce faisant, la posi- tion de la DAJ de Bercy paraît s’inscrire en contradiction avec celle publiée dans sa fiche technique sur l’examen des candidatures, comme indiqué ci-dessus. De même, l’emploi du vocable « interdiction de soumissionner facultative » surprend, dès lors que celui- ci a été abandonné lors de l’entrée en vigueur du Code de la commande publique. Ce manque de clarté est source de confusions pour les pouvoirs adjudicateurs : cette position de la DAJ de Bercy vaut-t-elle pour toutes les exclusions à l’appréciation de l’acheteur ou uniquement pour le nouveau motif d’exclusion lié au devoir de vigilance ?

Par ailleurs, il n’est pas certain qu’un juge adopte l’interprétation proposée par la DAJ de Bercy. Dès lors, un pouvoir adjudicateur pourrait-il faire valoir la notice explicative du décret précité du 2 mai 2022 pour justifier son choix de ne pas procéder à la vérification de l’exclusion relative au devoir de vigilance ? A cet égard, rien n’est moins sûr. En effet, la notice explicative jointe au décret en cause est en réalité une formalité découlant de la circulaire du 7 juillet 2011 relative à la qualité du droit. Il ressort de cette circulaire que l’objectif d’une telle notice est de donner au lecteur du Journal Officiel une information fiable et accessible sur la nature et la portée d’un texte nouveau [23]. Pour autant, le Conseil d’Etat n’a jamais accordé de valeur particulière à celle-ci. Ce dernier a par exemple jugé que l’absence de notice explicative n’avait aucun impact sur la légalité d’un décret [24]. De même, la juridiction suprême a déjà rejeté un moyen tiré de l’inexactitude d’une mention dans une telle notice invoqué au soutien d’une requête en annulation d’un décret, au motif que celle-ci a (simplement) « pour objet de faciliter la compréhension du texte à l’occasion de sa publication au Journal Officiel » [25]. Par suite, un pouvoir adjudicateur ne devrait pas pouvoir se fonder sur la notice explicative du décret en cause pour motiver sa décision de ne pas procéder à la vérification de l’exclusion considérée.

En conclusion, les positions divergentes de la DAJ de Bercy sont un véritable casse-tête pour les pouvoirs adjudicateurs, et ce, d’autant plus que le processus de vérification de cette exclusion n’est pas aisé, au regard des nombreuses questions qu’engendrent les modalités d’application concrètes de celle-ci (II).

II. Les modalités d’application lacunaires de l’exclusion à l’appréciation de l’acheteur relative au devoir de vigilance

L’absence de précisions réglementaires quant aux modalités d’application de l’exclusion en cause est source de difficultés pour les pouvoirs adjudicateurs, qui devront s’interroger successivement sur le champ d’application personnel du devoir de vigilance (A), sur la caractérisation d’un manquement à ce devoir (B) et sur les preuves exigibles pour procéder à lavérification de cette exclusion (C).

A) La maîtrise difficile du champ d’application per- sonnel du devoir de vigilance

Le champ d’application personnel du devoir de vigilance est défini à l’article L. 225-102-4 du Code de commerce qui dispose : « Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger, établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance. ». Il est clair à la lecture de cette disposition que l’identification des sociétés soumises au devoir de vigilance est loin d’être évidente et suppose une connaissance fine des groupes de sociétés. A cet égard, l’évaluation réalisée par le Conseil Général de l’Economie (CGE) sur la mise en œuvre du devoir de vigilance en janvier 2020 observe « qu’aucun service de l’Etat ne dispose actuellement de l’intégralité des informations nécessaires pour déterminer si [le devoir de vigilance] s’applique à telle ou telle société » [26]. Si certaines organisations non-gouvernementales essaient de répertorier les sociétés concernées par le devoir de vigilance [27], il n’existe à ce jour aucune liste officielle de celles-ci. D’ailleurs, le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur l’évaluation de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance relève qu’« il résulte des seuils fixés par la loi et, dans une moindre mesure, des incertitudes pesant sur les formes juridiques de sociétés concernées par le devoir de vigilance que le nombre d’entreprises françaises effectivement assujetties à la loi du 27 mars 2017 n’est pas précisément connu. » [28].

Il est patent que les pouvoirs adjudicateurs ne disposent pas des ressources nécessaires pour effectuer eux-mêmes un tel travail. Quand bien même ces pouvoirs souhaiteraient entreprendre ce travail d’identification, ils seraient confrontés à de grandes difficultés pratiques pour obtenir les informations relatives aux seuils d’effectif salarié fixés par l’article L. 225-102- 4 du Code de commerce susvisé. En effet, le décret précité du 2 mai 2022 ne contient aucune disposition à cet égard. Par ailleurs, si certains auteurs suggèrent qu’il est possible de s’appuyer sur la liste des renseignements et documents pouvant être demandés aux candidats aux marchés publics établie par l’arrêté du 22 mars 2019 [29] pour obtenir ces informations, ils soulignent également que cela n’est pas suffisant [30]. Par exemple, si l’article 3 de cet arrêté, qui est exhaustif, permet aux pouvoirs adjudicateurs de demander une déclaration des effectifs moyens annuels du candidat, une telle possibilité n’existe pas s’agissant du nombre de salariés employés dans ses filiales directes et indirectes, ce qui paraît pourtant essentiel pour déterminer si un opérateur économique est sou- mis au devoir de vigilance [31]. Il s’agit d’une lacune du décret, qui témoigne là encore de cette union trop précipitée du devoir de vigilance et de la commande publique.

Une même problématique existe quant à la caractéri- sation d’un manquement à l’obligation d’établir un plan de vigilance.

B) La caractérisation incertaine d’un manquement au devoir de vigilance

En premier lieu, il existe une incertitude sur l’étendue de la vérification à laquelle doivent procéder les pouvoirs adjudicateurs dans le cadre de cette nouvelle exclusion en raison notamment de la rédaction de l’article L. 2141-7-1 du Code de la commande publique. En effet, celui-ci énonce : « l’acheteur peut exclure [...] les personnes [...] qui ne satisfont pas à l’obligation d’établir un plan de vigilance comportant les mesures prévues au même article L. 225-102- 4 [du Code de commerce] ». L’emploi du verbe « établir » suggère que l’existence d’un plan de vigilance est suffisante pour écarter l’exclusion. Néanmoins, la mention « un plan de vigilance comportant les mesures prévues au même article L. 225-102- 4 [du Code de commerce] » (c’est-à-dire une cartographie des risques, des procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale, des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves, un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques ainsi qu’un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre [32]) semble induire un contrôle par les pouvoirs adjudicateurs du contenu du plan lui-même afin de déterminer si un opérateur économique a manqué à son devoir de vigilance, ce qui aurait somme toute une certaine logique, ce nouveau motif d’exclusion faisant partie de la catégorie des exclusions à l’appréciation de l’acheteur. D’autant plus qu’il ressort du rapport d’information établi par l’Assemblée nationale qu’une grande hétérogénéité des premiers plans publiés en 2018 a été observée et que leur contenu était généralement trop imprécis et lacunaire [33].

Dès lors, il semble que s’assurer simplement de l’existence d’un plan de vigilance sans en regarder le contenu n’aurait que peu de sens si l’objectif poursuivi par cette nouvelle exclusion est d’inciter les sociétés soumises au devoir de vigilance à élaborer des plans étayés. Pour autant, les pouvoirs adjudicateurs n’auront sans doute pas l’expertise et les ressources nécessaires pour mener une telle analyse.

En second lieu, se pose également la question de savoir dans quelle mesure les pouvoirs adjudicateurs peuvent se prévaloir des exceptions que semble pré- voir l’article L. 2141-7-1 du Code de la commande publique, à savoir la restriction de la concurrence et l’exécution techniquement ou économiquement difficile de la prestation. Ces exceptions sont en effet une particularité de ce nouveau cas d’exclusion, dès lors qu’aucun des autres motifs d’exclusion visés aux ar- ticles L. 2141-1 à L. 2141-11 du Code de la commande publique ne prévoit celles-ci. A cet égard, s’il apparaît délicat pour les pouvoirs adjudicateurs d’invoquer une exécution techniquement ou économiquement difficile de la prestation pour ne pas écarter d’une consultation un opérateur économique qui aurait manqué à son devoir de vigilance, il semble en revanche que la limitation de la concurrence pourrait parfois être soulevée par ceux-ci. D’autant plus que le devoir de vigilance ne concerne à priori que les sociétés françaises. En effet, si l’article L. 225-102-4 du Code de commerce peut être interprété comme englobant toutes les sociétés, indépendamment du lieu d’implantation de leur siège social, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 23 mars 2017 relative à la loi sur le devoir de vigilance, a en revanche précisé que n’étaient concernés par ce devoir de vigilance que « les sociétés ayant leur siège social en France » [34]. Ainsi, ce nouveau motif d’exclusion paraît engendrer une rupture d’égalité entre les sociétés françaises auxquelles incombent le devoir de vigilance et les autres sociétés établies à l’étranger, qui n’y sont pas soumises. Une telle situation interroge au regard du principe d’égalité de traitement des candidats à l’attribution d’un contrat de la commande publique [35]. Par ailleurs, elle sera vraisemblablement, dans certains cas, de nature à restreindre la concurrence. Aussi, cette exception sera possiblement invoquée par les pouvoirs adjudicateurs pour ne pas exclure un opérateur économique qui aurait manqué à son obligation d’établir un plan de vigilance.

Afin de mettre en œuvre ce nouveau cas d’exclusion, les pouvoirs adjudicateurs devront enfin résoudre l’énigme des moyens de preuve exigibles, car une fois encore le décret considéré du 2 mai 2022 ne contient aucune disposition sur ce point.

C. L’absence de définition des moyens de preuve exi- gibles

Comme pour tous les autres motifs d’exclusion prévus par le Code de la commande publique, il sera tout d’abord demandé aux opérateurs économiques, en phase de candidature, de déclarer sur l’honneur qu’ils n’entrent pas dans le nouveau cas d’exclusion considéré en l’espèce [36], la vérification de celui-ci n’intervenant qu’au moment de l’attribution du marché et uniquement auprès de l’attributaire pressenti [37]. Au stade de la vérification de l’exclusion, les pouvoirs adjudicateurs devront nécessairement se faire remettre à minima un justificatif de l’existence d’un plan de vigilance, voire le plan de vigilance lui- même s’il est considéré qu’ils doivent apprécier la consistance de ce plan. Or, les articles R. 2143-6 à R. 2143-10 du Code de la commande publique relatifs aux documents justificatifs et autres moyens de preuve de l’absence de motifs d’exclusion et le dé- cret précité du 2 mai 2022 demeurent silencieux à ce sujet. Il est vrai néanmoins que les articles susvisés du Code de la commande publique traitent uniquement des moyens de preuve exigibles pour vérifier les exclusions de plein droit, la vérification des exclusions à l’appréciation de l’acheteur, au sein des- quelles a été inséré le nouveau motif d’exclusion lié au devoir de vigilance, ne supposant pas en principe la production d’un document particulier [38]. Il s’agit là, semble-t-il, d’une raison potentielle pour expli- quer ce manque de précisions dans le décret précité du 2 mai 2022.

Dès lors, comment les pouvoirs adjudicateurs peuvent-il s’assurer qu’aucun manquement à l’obligation d’établir un plan de vigilance n’a été commis ? Une première solution consisterait à ce qu’ils se procurent le plan de vigilance par leurs propres moyens, celui- ci devant être rendu public en vertu de l’article L. 225-102-4 du Code de commerce. Cette solution, peu satisfaisante, implique que les acheteurs aient connaissance des opérateurs économiques soumis au devoir de vigilance, alors même qu’aucune liste officielle n’existe à ce jour, comme indiqué ci-dessus [39]. Une seconde solution serait de considérer que la déclaration sur l’honneur établie lors de la phase de candidature est suffisante [40]. A cet égard, il est regrettable que le décret du 2 mai 2022 ne s’inspire pas de l’article R. 2143-6 du Code de la commande publique. Ce dernier, relatif aux moyens de preuve exigibles dans le cadre de la vérification des exclusions de plein droit [41], prévoit en effet que « l’acheteur accepte, comme preuve suffisante [...], une déclaration sur l’honneur ». Un tel choix n’ayant pas été retenu, il n’est pas exclu que les pouvoirs adjudicateurs exigent des moyens de preuve disparates.

Par l’insertion de cette nouvelle exclusion à l’appréciation de l’acheteur dans le Code de la commande publique, le législateur a sans doute souhaité, de façon louable, inciter les sociétés soumises au devoir de vigilance à établir leur plan de vigilance. Néanmoins, en imposant une entrée en vigueur immédiate de ce motif d’exclusion en raison de son caractère facultatif, ce qui semble contestable pour les raisons susmentionnées, le décret n°2022-767 du 2 mai 2022 a sans doute un peu précipité l’union du devoir de vigilance et de la commande publique. En effet, les pouvoirs adjudicateurs chargés de sa mise en œuvre sont confrontés, comme démontré ci-dessus, à de multiples difficultés pratiques induites, notamment, par l’incomplétude du décret précité du 2 mai 2022. En l’état, il n’est pas certain que ce nouvel article L. 2141-7-1 du Code de la commande publique soit suivi de beaucoup d’effets.

Références

[1] : Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

[2] : Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au de- voir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.

[3] : L’article 13 du décret n° 2022-767 du 2 mai 2022 portant diverses modifications du code de la commande publique.

[4] : L’article 35 (II) (6) de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 précitée.

[5] : L’article 11 du décret n° 2022-767 du 2 mai 2022 précité.

[6] : Les entités adjudicatrices sont également concer- nées par cette nouvelle exclusion liée au devoir de vigilance. Toutefois, seule la Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE ayant été étudiée dans le cadre du présent article, il sera fait référence uniquement aux pouvoirs adjudicateurs.

[7] : V. à ce propos : R. Cayrey, « Décret commande publique : avis défavorable du Conseil national d’évaluation des normes », Le Moniteur, 3 février 2022 : « Le projet de décret prévoit, en revanche, l’entrée en vigueur immédiate d’une mesure. Il s’agit de celle de l’interdiction de soumissionner facultative pour les entreprises n’ayant pas satisfait à leur obligation d’établir un plan de vigilance prévue à l’article L. 225-102-4 du Code de commerce. Selon la fiche d’impact, “dès lors que cette mesure n’est qu’une faculté offerte aux acheteurs, il n’est pas utile d’attendre le 21 août 2026, date limite d’entrée en vigueur prévue par la loi, pour permettre à ceux qui le souhaitent de mettre en œuvre dès maintenant cette interdiction de soumissionner afin de renforcer la dimension sociale de la commande publique.” ».

[8] : V. par ex., : A. Messin-Roizard, J. Orier, Y. Bachene, « Nouveau motif d’exclusion de soumissionnaires introduit par la loi Climat et Résilience », Revue Contrats publics, n° 226, décembre 2021.

[9] : Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/ CE.

[10] : Un devoir de vigilance européen est toutefois en cours d’élaboration. La Commission européenne a en effet publié, le 23 février 2022, une proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité.

[11] : L’article 24 de la Directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux.

[12] : CJCE, 16 décembre 2008, Michaniki AE c. Eth- niko Symvoulio Radiotileorasis et Ypourgos Epikrateias, C-213/07, pt. 43.

[13] : CJUE, 30 janvier 2020, Tim SpA c. Consip SpA et Ministero dell’Economia e delle Finanze, C- 395/18, v. not., pt. 31.

[14] : L’article 48 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.

[15] : Pour une même interprétation, v. par ex. : P. Guellier et A. Ekinci, « Exclusion de la procédure de passation et modalités de vérification des motifs d’exclusions », Contrats publics, n° 201, septembre 2019.

[16] : Fiche technique de la Direction des Affaires Juridiques, « Examen des candidatures », mise à jour le 9 décembre 2016, p. 30.

[17] : Fiche technique de la Direction des Affaires Juridiques, « Les exclusions des procédures de passation “ de plein droit ” en droit de la commande publique », mise à jour le 28 juillet 2020, p. 2 et 3.

[18] : Ibid.

[19] : CJUE, 19 juin 2019, Meca Srl c. Comune di Napoli, C-41/18.

[20] : Ibid., pt. 28. V. aussi sur ce point : CJUE, 3 oc- tobre 2019, Delta Antrepriza de Constructii si Mon- taj 93 SA c. Compania Nationala de Administrare a Infrastructurii Rutiere SA, C-267/18, pt. 25.

[21] : CCP, art. L. 2113-10.

[22] : R. Cayrey, « Décret commande publique : avis défavorable du Conseil national d’évaluation des normes », Le Moniteur, 3 février 2022, < https:// www.lemoniteur.fr/article/decret-commande- publique-avis-defavorable-du-conseil-national-d- evaluation-des-normes.2188647> (consulté le 12/06/2022).

[23] : L’annexe II « Disciplines à suivre dans l’élaboration de projets de réglementation » de la circulaire du 7 juillet 2011 relative à la qualité du droit.

[24] : CE, 6ème et 1ère ch. réunies, 20 juin 2016, req. n° 400364, pt. 4.

[25] : CE, 3ème ch., 31 juillet 2019, req. n°416005, pt. 9. V. aussi sur ce point : CE, 1ère et 4ème ch. réunies, req. n° 428524, pt. 8.

[26] : A. Duthilleul et M. de Jouvenel, « Evaluation de la mise en œuvre de la loi n°2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre », Rapport à Monsieur le ministre de l’économie et des finances, janvier 2020, p. 18.

[27] : A cet égard, peut être mentionnée l’action des associations Sherpa et du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) – Terre solidaire, qui ont mis en place le radar du devoir de vigilance afin de mieux cerner le périmètre des entreprises concernées par la loi.

[28] : Assemblée Nationale, « Rapport d’information sur l’évaluation de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre », n° 5124, 24 février 2022, p. 53.

[29] : Arrêté du 22 mars 2019 fixant la liste des renseignements et des documents pouvant être demandés aux candidats aux marchés publics.

[30] : A. Messin-Roizard, J. Orier, Y. Bachene, « Nouveau motif d’exclusion de soumissionnaires introduit par la loi Climat et Résilience », op.cit.

[31] : Ibid.

[32] : Code de commerce, art. L. 225-102-4.

[33] : Assemblée Nationale, « Rapport d’information sur l’évaluation de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre », n° 5124, 24 février 2022, p. 14.

[34] : Cons. const. déc. n°2017-750 DC, 23 mars 2017, Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, pt. 3.

[35] : CCP, art. L. 3.

[36] : CCP, art. R. 2143-3.

[37] : Le cas échéant, cette vérification peut également intervenir auprès des soumissionnaires inscrits sur une liste restreinte en vue de négociations.

[38] : A. Latrèche, « Respect de l’obligation de vigi- lance des entreprises : quels documents l’acheteur peut-il exiger ? » Association des acheteurs publics, < https://www.aapasso.fr/articles-commentaires/respect- de-lobligation-vigilance-des-entreprises-quels- document-lacheteur-peut-il-exiger/ > (consulté le 12/06/2022).

[39] : A cet égard, v. la partie du présent article relative à la maîtrise difficile du champ d’application personnel du devoir de vigilance.

[40] : V. sur ce point : A. Latrèche, « Respect de l’obligation de vigilance des entreprises : quels documents l’acheteur peut-il exiger ? », op.cit.

[41] : Plus précisément, cet article traite des moyens de preuve exigibles pour vérifier les motifs d’exclusion de plein droit définis à l’article L. 2141-1 et aux 1° et 3° de l’article L. 2141-4 du CCP.

Marie GUILLOIS

Décret « clause-filet » du 25 mars 2022 : une réforme nécessaire mais décevante de l'évaluation environnementale

 Extrait de la Gazette n°49- Juin 2022

L’introduction d’une « clause filet » pour l’évaluation environnementale des projets était nécessaire au regard de la position adoptée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) puis par la Commission européenne (A). Elle est devenue une obligation pour le Gouvernement à la suite de l’injonction prononcée par le Conseil d’Etat en ce sens (B).

A) La nécessité de se conformer à l’interprétation de la directive donnée par les institutions européennes

Pour rappel, l’article 2§1 de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement impose que les projets susceptibles d’avoir une incidence notable sur l’environnement fassent l’objet d’une évaluation environnementale [2].

La France avait fait le choix de transposer cette directive en définissant, pour certaines activités listées dans le tableau annexé à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement, deux seuils reposant sur la dimension des projets. Au-dessus du premier seuil, les projets doivent obligatoirement et systématiquement faire l’objet d’une évaluation environnementale. Au-dessus du second seuil, une autorité doit déterminer, sur la base d’un examen au cas par cas, si le projet est susceptible de présenter des incidences notables sur l’environnement, auquel cas il doit faire l’objet d’une évaluation environnementale. Cela signifie qu’en dessous de ce second seuil, un projet n’était pas soumis à évaluation environnementale. Le système français souffrait dès lors d’une certaine incohérence, dans la mesure où des projets de faible dimension peuvent toutefois avoir des conséquences importantes pour l’environnement et la santé [3].

Par ailleurs, dès l’origine, la transposition effectuée en droit interne pouvait interroger au regard de la finalité de la directive 2011/92/UE, telle qu’interprétée par la CJUE. Dès un arrêt du 24 mars 2011 [4], la CJUE avait en effet souligné qu’« un projet de dimension même réduite peut avoir des incidences notables sur l’environnement » et doit dès lors être soumis à évaluation environnementale. Pour la CJUE, un Etat membre fixant « des seuils et/ou des critères en ne tenant compte que des dimensions des projets » outrepasse la marge d’appréciation dont il dispose pour la transposition de la directive relative à l’évaluation environnementale des projets.

Dans un rapport de mars 2015 [5], Jacques Vernier, président d’un groupe de travail sur la modernisation de l’évaluation environnementale, avait par conséquent proposé l’introduction en droit français d’une « clause filet, permettant de déclencher une étude d’impact, même en-dessous des seuils, lorsque le milieu naturel est sensible ». Il avait présenté cette mesure comme « indispensable au regard des exigences du droit européen ». Toutefois, cette proposition était restée lettre morte, alors que la réforme de l’évaluation environnementale par l’ordonnance du 3 août 2016 [6] aurait été l’occasion de l’introduire [7].


En 2019, la Commission européenne avait adressé à la France, en brandissant la menace d’un avis motivé, une lettre de mise en demeure pour non-conformité de la législation française avec la directive 2011/92/ UE, qui « semble exclure certains types de projets des procédures d'évaluation des incidences sur l'environnement et fixer des seuils d'exemption inadaptés pour les projets » [8]. Une mise en demeure complémentaire avait ensuite été adressée le 28 février 2021 pour demander à la France « de mettre sa législation nationale en conformité avec la directive concernant l’évaluation des incidences sur l’environnement », et en particulier avec « l’obligation faite à l’autorité compétente de prendre en considération les critères établis à l’annexe III de la directive pour déterminer si un projet relatif à une installation soumise à enregistrement doit faire l’objet d’une évaluation des incidences sur l’environnement » [9].
Si l’introduction d’une « clause filet » semblait nécessaire pour éviter que soit initiée une procédure en manquement contre la France, c’est finalement le juge administratif français qui a obligé le Gouvernement à s’atteler à la rédaction du texte.

B) La nécessité de se conformer à l’injonction formulée par le Conseil d’Etat

Par un arrêt France Nature Environnement du 15 avril 2021 [10], le Conseil d’Etat a enjoint au Premier ministre de prendre, dans un délai de neuf mois, « des dispositions réglementaires permettant qu'un projet, lorsqu'il apparaît qu'il est susceptible d'avoir une incidence notable sur l'environnement ou la santé humaine pour d'autres caractéristiques que sa dimension, notamment sa localisation, puisse être soumis à une évaluation environnementale ».

Dans cette décision plus que prévisible [11], le Conseil d’Etat a ainsi souligné qu’il « résulte des termes de la directive, tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne, que l'instauration, par les dispositions nationales, d'un seuil en-deçà duquel une catégorie de projets est exemptée d'évaluation environnementale n'est compatible avec les objectifs de cette directive que si les projets en cause, compte tenu, d'une part, de leurs caractéristiques, en particulier leur nature et leurs dimensions, d'autre part, de leur localisation, notamment la sensibilité environnementale des zones géographiques qu'ils sont susceptibles d'affecter, et, enfin, de leurs impacts potentiels ne sont pas susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine ».


C’est pour exécuter cette décision que le Gouvernement a publié, avec du retard, le décret n° 2022-422 du 25 mars 2022 relatif à l’évaluation environnementale des projets.

II. La « clause filet » du nouvel article R. 122-2-1 du Code de l’environnement : le choix de conserver un système de seuils en fonction de la taille des projets

L’introduction de la « clause filet » a pour conséquence la création d’une troisième catégorie de projets eux aussi susceptibles d’être soumis à évaluation environnementale (A). Le décret prévoit que la « clause filet » peut être utilisée à l’initiative de l’autorité compétente ou du maître d’ouvrage (B), et vient utilement préciser l’articulation de cette nouvelle procédure avec les procédures existantes (C).

A) La création d’une troisième catégorie de projets susceptibles d’être soumis à évaluation environnementale

Comme souligné par Monsieur Stéphane Hoynck dans ses conclusions sous la décision France Nature Environnement, il existait plusieurs manières d’intégrer une « clause filet » en droit français.

Il indiquait ainsi dans ses conclusions qu’en Allemagne « tous les projets de l’annexe I de la directive doivent faire l’objet d’une évaluation préliminaire de la nécessité d’une évaluation environnementale au moins en raison de leur localisation », tandis qu’en Italie, pays ayant « retenu un système de critères et de seuils » le droit « a prévu la possibilité que l’autorité compétente impose la réalisation d’une étude d’impact environnementale à un projet qui de prime abord, ne satisfait pas les critères mais qui peuvent potentiellement avoir des effets négatifs significatifs sur l’environnement ».

C’est finalement un système proche du droit italien qui est introduit en droit français, la logique des seuils étant maintenue [12]. Le décret du 25 mars 2022 met en effet en place un dispositif qui soumet à évaluation environnementale des projets qui sont, de par leur dimension, certes situés en deçà des seuils de la nomenclature annexée à l'article R. 122-2 du Code de l'environnement, mais qui sont néanmoins susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement et la santé humaine au regard des critères énumérés à l'annexe de l'article R. 122-3-1 du même code.

Le décret introduit un article R. 122-2-1 au sein du Code de l’environnement, dont le paragraphe I prévoit que « l'autorité compétente soumet à l'examen au cas par cas prévu au IV de l'article L. 122-1 tout projet, y compris de modification oud'extension, situé en deçà des seuils fixés à l'annexe de l'article R. 122-2 et dont elle est la première saisie, que ce soit dans le cadre d'une procédure d'autorisation ou d'une déclaration, lorsque ce projet lui apparaît susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine au regard des critères énumérés à l'annexe de l'article R. 122-3-1 ».

Dès lors, il convient désormais de distinguer trois catégories pour savoir si un projet est ou non soumis à évaluation environnementale [13]. En application du premier seuil de l’annexe à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement, une première catégorie de projets est soumise à évaluation environnementale de manière systématique, tandis qu’en application du second seuil, une seconde catégorie de projets est soumise à évaluation environnementale à la suite d’un examen au cas par cas. La troisième catégorie, introduite par le décret, comprend les projets en deçà des seuils, qui sont soumis à évaluation environnementale par application de la « clause- filet » de l’article R. 122-2-1 du Code de l’environnement.

B) Un mécanisme dont la mise en œuvre relève de l’initiative de l’autorité compétente ou du maître d’ouvrage

La soumission d’un projet situé en deçà des seuils de la nomenclature annexée à l'article R. 122-2 du Code de l’environnement à un examen au cas par cas peut être initiée par l’autorité compétente pour autoriser le projet, mais aussi par le maître d’ouvrage.

Le I de l’article R. 122-2-1 du Code de l’environnement prévoit que l'autorité compétente pour délivrer la première autorisation ou recevoir la première déclaration d'un projet est compétente pour le soumettre à l'examen au cas par cas s'il lui semble susceptible d'avoir des incidences sur l'environnement ou la santé humaine. Pour ce faire, l’autorité compétente doit informer par décision motivée et au plus tard quinze jours à compter du dépôt du dossier de demande d'autorisation ou de déclaration, le maître d'ouvrage de sa décision de soumettre le projet à examen au cas par cas. Le II de l’article R. 122-2-1 indique que le maître d’ouvrage doit ensuite lui-même saisir l'autorité en charge de cet examen au cas par cas dans les conditions prévues aux articles R. 122-3 et R. 122-3-1 du Code de l'environnement.

De manière alternative, le III de l’article R. 122-2-1 du Code de l’environnement prévoit que le maître d'ouvrage peut également, de sa propre initiative, saisir directement l'autorité chargée de l'examen au cas par cas, même si son projet est en dessous des seuils de la nomenclature. Dans ce cas, l’autorité compétente pour délivrer l'autorisation ou recevoir la déclaration d'un projet n’est donc pas consultée.

En revanche, il est intéressant de souligner que la mise en œuvre de la « clause filet » ne peut pas résulter de l’initiative de tiers. Une telle possibilité aurait pu bénéficier notamment aux associations de protection de l’environnement.

C) Une articulation bienvenue avec les procédures d’autorisation existantes dans d’autres législations

En plus d’introduire le nouvel article R. 122-2-1 au sein du Code de l’environnement, le décret du 25 mars 2022 contient également des dispositions visant à garantir la bonne articulation de cette nouvelle procédure « clause filet » avec les procédures existantes [14].

Le décret modifie des dispositions relatives au régime de l’autorisation environnementale [15], aux déclarations IOTA [16] et ICPE [17], à l’autorisation spéciale de travaux sur les monuments naturels et sites classés [18], à l’autorisation de défrichement [19], aux autorisations d’occupation ou d’utilisation du domaine public maritime naturel [20] et auxconcessions pour l’exploitation de cultures marines [21].

Ces dispositions s’attachent notamment à organiser le contenu du dossier et les modalités de suspension ou d’interruption des délais d’instruction en cas d’activation de la « clause-filet », et comportent des ajustements relatifs à l’enquête publique ou la participation du public par voie électronique [22]. L’insertion de la « clause filet » a également nécessité la modification de certaines dispositions du Code de l’urbanisme [23], car la nouvelle procédure a des conséquences sur le régime d’instruction des permis de construire, d’aménager et de démolir [24].

Ce souci du détail n’a cependant pas empêché le texte de souffrir de nombreuses lacunes, porteuses d’insécurité juridique pour les porteurs de projets.

III. La « clause filet » : une contrainte juridique supplémentaire qui manque de clarté

En application de la « clause filet », tout type de projet est désormais susceptible d’être soumis à évaluation environnementale (A). Si cette évolution est la bienvenue, la procédure mise en place comprend des zones grises créant un nouveau risque contentieux (C), et complexifie un peu plus l’état du droit (B).

A) La possibilité, pour tout type de projet, d’être soumis à évaluation environnementale

La première conséquence évidente de l’introduction de la procédure « clause filet » par le décret du 25 mars 2022 est que tous les projets sont désormais susceptibles d’être soumis à évaluation environnementale, quand bien même ils ne sont pas dans les seuils de la nomenclature annexée à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement.

Cette évolution doit être considérée comme une avancée, mais elle constitue inévitablement une nouvelle contrainte juridique susceptible d’augmenter les coûts de certains projets [25]. Les porteurs de projet devraient donc anticiper et être à même de démontrer en quoi leurs projets ne sont pas susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine s’ils veulent éviter un examen au cas par cas. A l’inverse, s’ils s’inscrivent dans une démarche de prudence, il est possible que les porteurs de projets situés en deçà des seuils saisissent de manière assez systématique l’autorité compétente afin de déterminer si une étude d’impact doit être réalisée [26], une telle saisine permettant d’écarter le risque contentieux une fois l’autorisation obtenue. Dans son avis de février 2022 sur le projet de décret [27], l’Autoritéenvironnementale encourageait « d’ores et déjà vivement les maîtres d’ouvrage, qui identifient un risque d’incidences notables pour l’environnement, à engager une évaluation environnementale et des échanges avec le public de façon volontaire, dans l’intérêt de l’environnement mais aussi pour accroitre la sécurité juridique du projet ». En tout état de cause, cette nouvelle contrainte juridique doit être prise en compte en amont afin de sécuriser le projet et les délais de réalisation envisagés.

B) Un niveau d’instruction supplémentaire source de complexité

Le nouvel article R. 122-2-1 du Code de l’environnement prévoit que ce sont les autorités compétentes pour instruire les demandes d’autorisation ou de déclaration qui doivent apprécier, dans un délai de quinze jours à compter du dépôt du dossier, l’incidence environnementale du projet, afin de décider s’il doit être soumis à examen au cas par cas.

A première vue, le choix d’un délai de quinze jours peut sembler bienvenu, car il n’induit pas un allongement excessif des délais de procédure pour les porteurs de projets. Pour autant, en raison de la brièveté de ce délai, il n’est pas possible d’écarter le risque de voir l’autorité compétente considérer « facilement », dans un souci de prudence, que le projet lui apparaît susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine, et qu’il doit en conséquence être soumis à examen au cas par cas. A ce titre, l’Autorité environnementale avait ainsi relevé dans son avis de février 2022 [28] que la question de « l’objectivité de l’autorité chargée de la mise en œuvre de la «clause filet » pouvait se poser, car « cette autorité est confrontée à l’injonction d’accélérer les procédures et de réduire les délais ». Ce manque possible d’objectivité était d’autant plus problématique pour l’Autorité en raison du « manque de transparence du dispositif », la procédure de mise en œuvre de la « clause filet » n’ayant aucun caractère public.

Par ailleurs, l’autorité compétente pour instruire les demandes d’autorisation d’un projet étant parfois distincte de l’autorité chargée de l’examen au cas par cas [29], la « clause filet » revient à introduire un niveau d’instruction supplémentaire. Dans son avis sur le projet de décret, l’Autorité environnementale s’en désolait en soulignant que le dispositif « introduit donc un niveau d’instruction et une autorité supplémentaires pour des projets qui ne seront qu’exceptionnellement soumis à évaluation environnementale », cette évolution n’étant pas la bienvenue car « la complexité actuelle de la procédure faisant intervenir au titre de l’autorité environnementale des acteurs multiples est déjà source d’insécurité juridique pour les porteurs de projets » [30]. Selon elle, il aurait été envisageable de confier la mise en œuvre de la « clause filet » à l’autorité environnementale, comme envisagé par le rapport Vernier [31].

C) Un nouveau risque contentieux pour les porteurs de projets

Comme évoqué précédemment, le mécanisme de la « clause filet » doit être pris en compte en amont par les porteurs de projets, afin que la réalisation, le cas échéant, d’une étude d’impact, ne bouleverse pas de manière trop importante le calendrier opérationnel du projet. Mais la « clause filet » introduit également un risque contentieux supplémentaire pour les porteurs de projet et, partant, des risques de rallongement des procédures de permitting.

En effet, comme souligné par l’Autorité environnementale dans son avis de février 2022, il est probable, en cas de décision de dispense d’évaluation environnementale après mise en œuvre de la « clause filet », que le juge administratif ne puisse être saisi que d’un recours dirigé contre la décision finale autorisant le projet [32]. C’est en tout cas la solution qui prévaut en matière de projets soumis à examen au cas par cas, le Conseil d’Etat ayant, par un avis du 6 avril 2016 (Conseil d’Etat, avis, 6 avril 2016, n° 395916) énoncé que « l'acte par lequel l'autorité de l'Etat compétente en matière d'environnement décide de dispenser d'évaluation environnementale un plan, schéma, programme ou autre document de planification mentionné à l'article L. 122-4 du code de l'environnement [...] a le caractère d'une mesure préparatoire [...] insusceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir » [33]. Il n’est donc pas risqué de penser que, de la même manière, l’illégalité de la décision de dispense prise au titre de la « clause filet » ne pourra être contestée qu’à l’occasion du recours dirigé contre la décision finale d’autorisation.

Cette subtilité contentieuse est susceptible de créer « un décalage dans le temps, qui pourra être important, entre le moment où est prise la décision de ne pas soumettre un projet à évaluation environnementale, et le moment où la décision d’autorisation est susceptible d’être attaquée en justice » [34]. Le décret du 25 mars 2022 a donc un effet paradoxal car s’il avait pour objet de sécuriser les projets qui étaient jusqu’ici exonérés d’évaluation environnementale au mépris du droit européen, il crée en fin de compte un nouveau risque contentieux lié à la mise en œuvre de la « clause filet » [35].

Par ailleurs, la procédure prévue au nouvel article R. 122-2-1 du Code de l’environnement est « applicable aux premières demandes d’autorisations ou déclarations de projet déposées à compter de sa date d’entrée en vigueur » [36], soit le 27 mars 2022. Si le décret apporte des précisions sur le type de projets visés, en faisant référence à « tout projet, y compris de modification ou d’extension [...] » [37], il contient, selon nous, des zones d’ombre concernant son applicabilité dans le temps.

En effet, si un dossier de déclaration ou de première demande d’une des autorisations requises pour le projet a été déposé avant le 27 mars 2022, l’article R. 122-2-1 nouveau ne devrait en principe pas être applicable, y compris à d’éventuelles autorisations subséquentes, si l’on s’en tient à une lecture stricte du texte. En revanche, la question peut se poser d’un projet dont le dossier de demande ou la déclaration aurait été déposé avant le 27 mars 2022, mais qui ferait l’objet d’une modification substantielle en cours d’instruction/en phase permitting, postérieurement à l’entrée en vigueur du décret. Dans ce cas, il semble difficile d’écarter le risque que l’administration requière le dépôt d’une nouvelle demande/déclaration qui pourrait être assimilée à une première demande, impliquant sa soumission à l’article R. 122-2-1 du Code de l’environnement [38]. Dans le même ordre d’idée, il serait possible d’imaginer qu’en cas de remise en cause de l’autorisation – en cas d’annulation juridictionnelle par exemple – le porteur de projet soit amené à renouveler une demande qui pourrait de facto être soumise au cadre prévu par l’article R. 122-2-1 du Code de l’environnement.

Une dernière lacune du décret du 25 mars 2022, qui accroît un peu plus le risque contentieux, tient à l’absence de précision quant à la conséquence, à l’issue du délai de quinze jours, de l’absence de décision expresse de l’autorité compétente pour décider que le projet doit être soumis à examen au cas par cas en application de la « clause filet ». Sur ce point, l’Autorité environnementale a souligné dans son avis sur le projet de décret que « selon l’interprétation constante de la directive Projet, un silence ne peut valoir exonération car le silence ne permet pas de vérifier que l’examen a bien été réellement mené » [39].

Au-delà d’un risquecontentieux, cette lacune crée aussi un risque de bouleversement du calendrier de réalisation du projet, dans le cas où l’autorité compétente décide tardivement de soumettre le projet à examen au cas par cas.

Ainsi, à la lumière de l’ensemble de ces éléments, si le décret « clause filet » du 25 mars 2022 permet une mise en conformité du droit français avec le droit de l’Union européenne, il complexifie encore un peu plus la procédure et crée un risque contentieux supplémentaire pour les porteurs de projets. Le texte s’est longtemps fait attendre mais on ne peut que remarquer, à l’instar de l’avis de l’Autorité environnementale, qu’il s’agit d’une opportunité manquée « d’aborder de façon globale et cohérente l’articulation entre les avis d’autorité environnementale, les décisions au cas par cas et cette clause filet, dans l’objectif de revenir à une approche à la fois plus simple et robuste juridiquement ».

Références

[1] : JORF n° 0072 du 26 mars 2022.

[2] : Article 2§1 de la directive 2011/92/UE : « Les États membres prennent les dispositions nécessaires pour que, avant l’octroi de l’autorisation, les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une procédure de demande d’autorisation et à une évaluation en ce qui concerne leurs incidences ».

[3] : Anne-Laure Youhnovski Sagon, « Naissance de la clause-filet : une réforme inachevée de l’évaluation environnementale », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales, n° 13, 4 avril 2022.

[4] : CJUE, 24 mars 2011, aff. C-435/09, Commission c/ Royaume de Belgique, §55, ECLI:EU:C:2011:176.

[5] : Jacques Vernier, « Moderniser l’évaluation environnementale », mars 2016, p.3

[6] : Ordonnance n° 2016-1058 du 3 août 2016 relative à la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes

[7] : Laetitia Santoni, « Evaluation environnementale – La clause filet prise dans les filets du Conseil d’Etat », Lexis Nexis, Construction – Urbanisme, n° 6, Juin 2021.

[8] : Commission européenne, Fiche d’information, « Procédures d’infractions du mois de mars : principales décisions », 7 mars 2019.

[9] : Commission européenne, Communiqué, « Procédures d’infractions du mois de février : principales décisions », 18 février 2021.

[10] : CE, 15 avril 2021, France Nature Environnement, req. n° 425424 : « 8. En vertu des seuils fixés au d) de la rubrique 44 du tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement, dans leur rédaction issue du décret attaqué, la construction d'équipements sportifs ou de loisirs ne figurant dans aucune autre rubrique du tableau et susceptibles d'accueillir un nombre de personnes égal ou inférieur à 1 000 est exemptée systématiquement de toute évaluation environnementale, quelles que puissent être, par ailleurs, leurs autres caractéristiques et notamment leur localisation. Ainsi, en ce qu'il exempte de toute évaluation environnementale ces projets à raison seulement de leur dimension, alors que, eu égard notamment à leur localisation, ces projets peuvent avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine, le décret attaqué méconnaît les objectifs de la directive du 13 décembre 2011 ».

[11] : Laetitia Santoni, « Evaluation environnementale – La clause filet prise dans les filets du Conseil d’Etat », op.cit.

[12] : Anne-Laure Youhnovski Sagon,« Naissance de la clause-filet : une réforme inachevée de l’évaluation environnementale », op.cit.

[13] : Anne-Laure Tulpain, « Evaluation environnementale des projets : le décret instaurant la clause-filet est publié ! », Editions Législatives, Environnement et nuisances, 28 mars 2022.

[14] : Delphine Déprez, « Evaluation environnementale : la « clause filet » est adoptée ! », La lettre Lamy de l’Environnement, n° 668, 8 avril 2022.

[15] : L’article 1 du décret modifie les articles D. 181- 15-1 et R. 181-16 du Code de l’environnement.

 [16] : L’article 2 du décret crée un nouvel article R. 214-35-1 au sein du Code de l’environnement

[17] : L’article 4 du décret modifie les articles R. 512- 47 et R. 512-48 du Code de l’environnement.

[18] : L’article 3 du décret crée les articles R. 341-9-1 et R. 341-11-1 au sein du Code de l’environnement.

[19] : L’article 5 du décret modifie les articles R. 341- 1, R. 341-4 et R. 341-6 du Code forestier.

[20] : L’article 6 du décret modifie les articles R. 2124 -2, R. 2124-41 et R. 2124-56-1 du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques.

[21] : L’article 7 du décret modifie l’article R. 923-23 du Code rural et de la pêche maritime.

[22] : « Evaluation environnementale des projets : focus sur le décret ‘clause-filet’ », Editions Législatives, Dictionnaire permanent Construction et urbanisme, 8 avril 2022.

[23] : L’article 8 du décret modifie les articles R. 423- 20, R. 423-32, R. 423-25 et R. 431-36 du Code de l’urbanisme, et crée un nouvel article R. 451-6-1.

[24] : « Evaluation environnementale des projets : focus sur le décret ‘clause-filet’ », op.cit.

[25] : Olivier Buisine, « Évaluation environnementale : le décret de « clause filet » est publié ! », La Semaine Juridique Notariale et Immobilière n° 17, 29 Avril 2022, act. 498.

[26] : Ibid.

[27] : Autorité Environnementale, Avis délibéré de l’Autorité environnementale sur le projet de décret relatif à l’évaluation environnementale des projets, 10 février 2022.

[28] : Ibid.

[29] : L’article R. 122-3 du Code de l’environnement énumère les autorités chargées de l’examen au cas par cas prévu au premier alinéa du IV de l'article L. 122-1 du Code de l’environnement.

[30] : Autorité Environnementale, Avis délibéré de l’Autorité environnementale sur le projet de décret relatif à l’évaluation environnementale des projets, op.cit.

[31] : Ibid. : « Le rapport Vernier avait envisagé de confier la mise en œuvre de cette clause filet à l’autorité environnementale (sans formulaire, décision à rendre dans un délai de quinze jours), sous réserve de définir des filtres simples pour éviter que la « clause filet » soit trop souvent sollicitée et requière trop de moyens ».

[32] : Ibid.

[33] : CE, avis, 6 avril 2016, n° 395916 : « Si la décision imposant la réalisation d'une évaluation environnementale est, en vertu du IV de l'article R. 122-18 du code de l'environnement précité, un acte faisant grief susceptible d'être déféré au juge de l'excès de pouvoir après exercice d'un recours administratif préalable, tel n'est pas le cas de l'acte par lequel l'autorité de l'Etat compétente en matière d'environnement décide de dispenser d'évaluation environnementale un plan, schéma, programme ou autre document de planification mentionné à l'article L. 122-4 du code de l'environnement. Un tel acte a le caractère d'une mesure préparatoire à l'élaboration de ce plan, schéma, programme ou document, insusceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir, eu égard tant à son objet qu'aux règles particulières prévues au IV de l'article R. 122-18 du code de l'environnement pour contester la décision imposant la réalisation d'une évaluation environnementale. La décision de dispense d'évaluation environnementale pourra, en revanche, être contestée à l'occasion de l'exercice d'un recours contre la décision approuvant le plan, schéma, programme ou document ».

[34] : Autorité Environnementale, Avis délibéré de l’Autorité environnementale sur le projet de décret relatif à l’évaluation environnementale des projets, op.cit.

[35] : « Evaluation environnementale des projets : focus sur le décret ‘clause-filet’ », op.cit.

[36] : Article 9 du décret n° 2022-422 du 25 mars 2022.

[37] : Article 1 du décret n° 2022-422 du 25 mars 2022.

[38] : A titre de comparaison, l’article L. 752-15 du Code de commerce relatif aux autorisations commerciales des magasins à grande surface dispose qu’ « une nouvelle demande est nécessaire lorsque le projet, en cours d'instruction (...) subit des modifications substantielles ». L’article L. 212-10-2 du Code du cinéma et de l’image animée pose le même principe en ce qui concerne les demandes d’autorisation d’aménagement cinématographique.

[39] : Autorité Environnementale, Avis délibéré de l’Autorité environnementale sur le projet de décret relatif à l’évaluation environnementale des projets, op.cit.

L’incitation comme moteur de la transition écologique : l’exemple des politiques européennes en faveur du financement des activités durables

 Extrait de la Gazette n°48- Mars 2022

Les récents développements et nombreux commentaires sollicités par la classification de l’énergie nucléaire et du gaz naturel comme « énergies de transition » au sein de la Taxonomie européenne démontrent avec acuité l’importance cruciale que revêtent aujourd’hui les questions de financement de la transition écologique.


Comme l’illustre la Taxonomie, l’organisation et la règlementation de ces financements se joue en premier lieu au niveau européen. L’Union européenne affiche, de longue date [1], la protection de l’environnement comme l’un de ses objectifs essentiels [2]


Depuis quelques années, ce rôle se renforce et s’intensifie face à la démarche analogue que connaissent les réflexions en faveur de la transition écologique.

Les nombreux rapports scientifiques – encore très récemment le deuxième volet du sixième rapport du GIEC [3]  – informent depuis de nombreuses années et de manière toujours plus grave sur l’évolution dégradée du climat et de la biodiversité. Ces mises en lumière sont une forme d’injonction pour l’adoption des transformations nécessaires à la pérennité de notre planète.


Faisant écho - de manière parfois perçue comme tardive - à ces prescriptions scientifiques, les pouvoirs européens cherchent par leur action à orienter l’ensemble des acteurs économiques dans la prise de mesures jugées comme répondant aux attentes pour la transition vers une économie plus verte. Cette volonté se traduit en particulier par l’implémentation du Green Deal [4], présentée comme la feuille de route de l’Union pour rendre l’économie européenne plus durable. Pour répondre aux objectifs figurant dans ce Pacte vert pour l’Europe, de nombreuses politiques européennes ont été adoptées ou modifiées.


Dans ce contexte, le financement des activités participant de la transition vers une économie durable [5] constitue l’un des aspects centraux de la démarche conduite au niveau européen. 


En effet, pour atteindre ce dessein, l’orientation des investissements, sous toutes les formes que ceux-ci peuvent revêtir, fonde le cadre privilégié d’un schéma incitatif porté en partie par l’Union européenne.


S’appuyant sur des concepts juridiques novateurs ou plus anciennement ancrés, les réflexions menées au sein des institutions européennes cherchent aujourd’hui à établir le cadre qui sera le plus efficacement incitatif.


Dans ce contexte, l’étude des politiques récemment adoptées à l’échelle européenne pour le soutien aux activités dites durables révèle la prévalence des questions écologiques pour les investissements aujourd’hui entrepris. L’Union européenne a ainsi choisi d’agir de manière étendue en établissant une classification claire des activités durables ayant vocation à s’appliquer à l’ensemble des investissements réalisés (I). Elle a également adopté des mécanismes spécifiques aux investissements publics afin de permettre à ceux-ci de participer au financement de la transition écologique (II).

I - La Taxonomie : une classification des activités durables comme fondation des investissements en faveur de la transition écologique 

La taxonomie se définit comme la science des classifications [6]. Elle consiste à décrire et circonscrire en catégorie différents éléments d’un domaine donné.


Face à un cadre parfois peu lisible eu égard à la multiplication des politiques adoptées en faveur de la protection de l’environnement, l’Union européenne s’est saisie de la science de la classification.


La Taxonomie verte européenne constitue donc l’aboutissement d’une réflexion autour des dispositifs appropriés pour inciter à l’investissement (A). Bien que constituant un mécanisme théorique, elle est portée par des critères techniques qui permettent son implémentation unifiée (B).


A) La concrétisation d’un cadre clair pour le financement de la croissance durable 


Au cours de son histoire, l’Union européenne a développé de nombreuses politiques en faveur de la protection de l’environnement [7]. Les règlementations introduites permettent de répondre aux exigences en matière de protection des ressources et de la biodiversité dans ces secteurs.


Le Green Deal constitue en cela une forme d’aboutissement mais également de renouveau de l’ensemble des mécanismes d’ores et déjà en œuvre. Il traduit la volonté réelle de l’Union européenne d’être un acteur de première ligne de la transition écologique [8]


Face à la multiplication des politiques adoptées, les acteurs souhaitant investir dans des activités considérées, aux termes de ces politiques, comme durables, se retrouvaient parfois face à un enchevêtrement difficilement lisible, rendant lesdits investissements sibyllins.


Ces difficultés rencontrées formaient alors un obstacle supplémentaire à la transition vers une économie plus durable : bien qu’incités à soutenir financière des activités permettant une telle évolution, les investisseurs se voyaient freinés en raison de la difficulté à établir les activités participant réellement à ce changement.


En effet, pour atteindre les objectifs esquissés, l’ensemble des activités économiques conduites dans le monde ne sauraient être regardées comme des leviers. Seules certaines participent effectivement à cette évolution et sont qualifiables de durables (ou environmentally sustainable [9]). 


L’Union européenne s’est donc saisie de cette problématique et, afin de conduire les investisseurs vers les activités économiques participant effectivement de cette transition, a choisi d’adopter une classification permettant d’identifier – le plus aisément possible – ces activités durables.


Cette classification a été réalisée par le Règlement 2020/852 [10] adopté le 18 juin 2020 établissant un cadre visant à favoriser les investissements durables. L’adoption de ce règlement fait suite au rapport du groupe d’experts de haut niveau chargé, en décembre 2016, par la Commission d’élaborer une stratégie globale et complète de l’Union sur la finance durable. Ce dernier a en effet appelé « à la création d’un système techniquement solide de classification à l’échelle de l’Union pour établir clairement quelles activités sont considérées comme « vertes » ou « durables » » [11].


A la suite de ce rapport, la Commission a, dans sa communication du 8 mars 2018 [12], reconnu « la nécessité de se fonder sur une compréhension commune et globale de la durabilité environnementale des activités et des investissements en vue de réorienter les flux de capitaux vers des activités plus durables ».


Cette compréhension commune et globale est donc affirmée dans le Règlement 2020/852. L’Union a, par ce texte, souhaité offrir « aux entreprises, investisseurs et aux décideurs politiques » une définition claire des activités économiques « environmentally sustainable » dans lesquelles ils pourront investir. 


Cette présentation commune des activités « environmentally sustainable » permet, en outre de lutter contre le greenwashing. Le greenwashing, ou écoblanchiment, constitue « la pratique qui consiste à commercialiser un produit financier comme étant respectueux de l’environnement afin d’obtenir un avantage concurrentiel indu alors qu’en réalité, les normes environnementales de base n’ont pas été respectées » [13]. En affichant au niveau européen les critères permettant de classifier une activité comme durable, ce type de pratique ne saurait alors continuer à prospérer.


C’est donc une réflexion théorique de classification qu’a décidé de mettre en œuvre l’Union à travers la réalisation de la Taxonomie. Elle permet de mettre à disposition des produits financiers poursuivant des objectifs de durabilité environnementale. Toutefois, bien que ce soit une réflexion théorique qui ait irrigué la construction de la Taxonomie, sa réalisation pratique s’ancre dans des éléments particulièrement tangibles et fait pour cela appelle à des critères techniques.


B) Une classification théorique portée par des critères techniques 


Le point de départ de la classification peut être trouvé dans l’article 3 du règlement Taxonomie. Il énonce 4 critères aux termes desquels les activités peuvent être qualifiées de envrionmentally sustainable. Ces dernières doivent contribuer substantiellement à un ou plusieurs des objectifs environnementaux listés par le texte, ne pas causer de préjudice important (« do no significant harm ») à ces objectifs environnementaux, être exercées dans le respect des garanties minimales et être conformes aux critères d’examen établis par la Commission.


Le texte prévoit toutefois que si l’ensemble de ces critères ne sont pas remplis par une activité, elle pourra néanmoins être qualifiée d’activité de transition [14] ou d’activité habilitante (« enabling activity » [15]). En outre, les garanties minimales évoquées au troisième critère sont listées dans l’article 18 du Règlement 2020/852. Il s’agit des Principes Directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales [16] et des Principes Directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux Droits de l’Homme [17].


L’article 9 du règlement Taxonomie forme l’un des pivots de ce texte : il liste les 6 objectifs environnementaux objet des critères. Chacun de ces objectifs est par défini au sein du Règlement. Dès lors, constitue un objectif environnemental auquel doit répondre une activité pour être qualifiée de envrionmentally sustainable : l’atténuation du changement climatique (article 10) ; l’adaptation au changement climatiques (article 11) ; l’utilisation durable et la protection des ressources en eau et des ressources marines   (article 12) ; la transition vers une économie circulaire (article 13) ; la prévention et la réduction de la pollution (article 14) ; la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes (article 15).


Pour chacun de ces objectifs, des actes délégués ont été ou seront adoptés au niveau européen afin de définir les critères techniques qui, pour chaque type d’activités visées par ces actes, permettront de contrôler si elles sont effectivement environmentally sustainable. L’établissement de ces critères techniques constituent la clé de voute permettant de transformer la théorie de la Taxonomie en un outil pratique utilisable par les investisseurs.


Actuellement, deux actes délégués ont d’ores et déjà été adoptés : le premier, daté 4 juin 2021 [18], a fixé les critères techniques pour les deux premiers objectifs c’est-à-dire l’atténuation du changement climatique et l’adaptation au changement climatique. Ces critères techniques se traduisent en des seuils quantitatifs ou qualitatifs adaptés à chaque activité.


Les annexes I et II du texte vise respectivement les 72 et 86 activités, référencées selon la nomenclature NACE [19] de l’Union, qui pourront faire l’objet dudit contrôle pour potentiellement être désignées comme durables.


Entré en vigueur au 1er janvier 2022, ces critères techniques ont vocation à être dupliqués pour les 4 autres objectifs environnementaux dans les mois à venir. En outre, la liste des activités faisant l’objet du contrôle au titre de ces critères est évolutive. En ce sens, un acte délégué complémentaire approuvé par la Commission 2 février 2022 a intégré l’énergie nucléaire et le gaz naturel dans le champ des activités pouvant être éligibles à la Taxonomie [20].


Le second acte délégué d’ores et déjà adopté est le Règlement délégué daté du 6 juillet 2021 [21] relatif aux informations devant être divulguées par les entreprises dans le cadre de la mise en œuvre de la Taxonomie. L’article 8 du Règlement 2020/852 prévoit en effet que certaines entreprises sont tenues de publier « les informations sur la manière et la mesure dans laquelle leurs activités sont associées à des activités économiques durables sur le plan environnemental. ».


Il définit les contenus, méthodes et la présentation des informations qui devront être divulguées par les entreprises financières et non-financières concernant la proportion des activités économiques « environnementally sustainable » dans leur entreprise ou investissements.


Cet acte participe de la définition du cadre de divulgation des informations des entreprises dans le cadre de leur responsabilité sociétale. La transition vers une économie plus respectueuse de l’écologie est en effet abondamment entrainée par une transparence accrue de la part des acteurs économiques [22].


En permettant la détermination claire, fondée sur des critères techniques et précis, des activités durables ainsi qu’en inscrivant les investisseurs et entreprises dans un cadre de transparence accrue quant aux activités qu’ils financent, la Taxonomie européenne forme aujourd’hui la fondation certaine d’un cadre incitatif efficace.


Sur ce socle solide s’appuie d’autres mécanismes tournés plus précisément vers les investissements publics : les recommandations relatives aux aides d’Etat en faveur du climat.

II – Les aides d’État en faveur du climat : le versant public du dispositif européen de financement de la transition écologique

La régulation par des règles établies au niveau européen de l’octroi par les États membres d’aides à certaines entités nationales exerçant une activité économique est un paradigme aujourd’hui ancré dans la sphère politique et juridique. 


Le principe européen de prohibition des aides d’État [23] connait toutefois des exceptions. Outre les régimes d’exemptions [24], l’Union a établi des lignes directrices permettant aux États d’évaluer les cas dans lesquels les avantages économiques octroyés à partir de fonds publics peuvent être considérés comme des aides compatibles.


En effet, malgré leur caractère potentiellement dangereux pour le fonctionnement normal du marché, les aides d’État constituent l’un des procédés propitiatoires pour les gouvernements souhaitant, en particulier, soutenir un secteur pour faciliter son développement.

Le répertoire de ces secteurs n’est pas immuable : celui-ci varie selon les contingences et les priorités temporelles des pouvoirs publics.


La problématique de la lutte contre le réchauffement climatique étant devenue centrale, il est dès lors naturel que l’Union ait choisi d’adapter ses règles prohibitives en matière d’aides d’État pour permettre un appui aux secteurs participant de la transition écologique.


L’adaptation des règles en matière d’aide d’État pour le climat, la protection de l’environnement et l’énergie n’est pas nouvelle mais cette construction a récemment été renouvelée (A). Les Etats Membres ont su se saisir des opportunités offertes par le régime européen et l’analyse de certaines mesures mises en œuvre par l’État français l’illustre singulièrement (B).


  1. Un mécanisme européen récemment renouvelé


Si les questions de financements peuvent paraitre en premier lieu viser les investisseurs privés, la part faite aux investissements issus de fonds publics apparait également aujourd’hui comme un pilier dans l’évolution de nos sociétés.


Le secteur public y retrouve l’une de ses vocations premières : son aspect incitatif. Doté d’un certain recul vis-à-vis des mécanismes du marché, les figures étatiques se doivent de montrer la voie. Leur comportement a, depuis toujours et sur des sujets toujours plus variés, permis d’inspirer les acteurs privés dans leurs actions.


Aujourd’hui, cette incitation revêt une dimension particulière au regard du sujet sur lequel elle souhaite agir : la transition écologique. Pour atteindre ce but, le soutien financier apporté par le secteur public, sous toutes les formes que celui-ci peut adopter, constitue le cadre privilégié de ce schéma incitatif.


Ces aides doivent créer des incitants adéquats mais doivent être proportionnées à leurs objectifs afin de circonscrire les potentielles atteintes au fonctionnement régulier du marché. Il s’agit alors de trouver un équilibre entre les effets négatifs sur la concurrence et les effets positifs en termes d’intérêts communs.


La règlementation des aides d’État en faveur de l’environnement s’est développée dans le cadre des programmes d’action pour l’environnement adoptés par les institutions européennes.

Dès 2001, la Commission européenne a ainsi édicté des lignes directrices pour encadrer les aides d’État pour la protection de l’environnement [25]. Ces règles ont connu diverses évolutions, au gré des échéances des plans d’actions pour l’environnement dans le cadre desquels elles étaient adoptées.


Arrivées à échéance en 2020, les lignes directrices concernant les aides d’État pour la protection de l’environnement et l’énergie édictées en 2014 [26] ont été remplacées par un nouveau texte formellement adopté le 27 janvier 2022.


Ces lignes directrices concernant les aides d’État au climat, à la protection de l’environnement et à l’énergie pour 2022 [27], applicables pour la période 2022-2027, ont pour vocation d’adapter les anciennes règles aux nouveaux objectifs énoncés dans le Green Deal européen. 


Ces nouvelles lignes directrices possèdent tout d’abord un champ d’application élargi. Elles comprennent des sections visant à soutenir, par exemple, les infrastructures de mobilité propre, l’efficacité des ressources ou encore la biodiversité [28]. Elles s’intéressent également à de nouvelles technologies comme l’hydrogène renouvelable, le stockage de l’électricité, le processus de décarbonation… Il convient de souligner que le champ d’application de ces aides n’est pas indéfiniment extensible : le nucléaire [29] ne fait pas parti des secteurs visés par le texte.


Afin de favoriser la décarbonation de l’industrie de l’énergie, les taxes en faveur des entités à forte consommation d’énergie sont réduites.


En outre, les critères devant être appliqués par les États membres dans le cadre de leur appréciation de la compatibilité des mesures avec le marché ont eux aussi été révisés. Les États membres pourront déclarer certains investissements via des fonds publics compatibles avec le marché dès lors que deux conditions – une positive et une négative - seront réunies. Positivement, l’aide octroyée doit faciliter le développement d’une activité économique. Négativement, l'aide ne doit pas altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.


Des dispositions relatives à l'adéquation, la proportionnalité, l'aspect cumulatif et la transparence de l'aide sont prévues pour l'évaluation menée par l'autorité compétente. En outre, diverses simplifications dans le cadre de la notification des aides d’État ont été introduits permettant d’assurer à ces lignes directrices leur objectif premier : celui d’orienter efficacement les investissements publics vers les projets permettant une accélération de la transition écologique.


Pour veiller à ce que les distorsions de concurrence et les échanges soient limités, la Commission exige que les régimes d'aide notifiables fassent l'objet d'une évaluation ex post réalisée par un expert. Les États membres doivent également soumettre des rapports annuels à la Commission.


Ces lignes directrices, que les États membres doivent appliquer au plus tard le 31 décembre 2023, vont permettre de renouveler la cohérence des dispositifs d’investissements publics avec l’ensemble des politiques européennes en matière de climat, de protection de l’environnement et d’énergie.


Elles ont vocation à davantage encourager les acteurs nationaux dans la mise en œuvre de mesures dont ils se sont d’ores et déjà pleinement saisis.


B) Un vade-mecum européen adopté par les États membres


En matière d’application des règles européennes, l’exemple français de l’octroi des aides économiques aux entreprises stratégiques pendant la pandémie de Covid19 illustre la place prégnante des considérations environnementales dans le soutien financier public contemporain.


Il est particulièrement intéressant de se focaliser sur la manière dont les prises de participation de l’État dans les entreprises publiques ont été réalisées en application de l’article 66 [30] de la loi de finance rectificative pour 2020 [31]. Cette prise de participation avait pour vocation de renforcer les ressources des entreprises présentant un caractère stratégique dont la situation pourrait s’avérer critique en raison des conséquences économiques de la crise sanitaire liées au Covid 19.


Le rapport sur l’utilisation des ressources attribuées au compte d’affectation spéciale, publié par l’Agence des participations de l’État (APE) [32], illustre à la fois la mise en place de la conditionnalité environnementale des aides publiques mais également la transparence renforcée sur la prise en compte de ces critères. 


Dans son rapport, l’APE rappelle qu’elle a, depuis 2018, engagé une réflexion autour des enjeux de enjeux de responsabilité sociale, sociétale et environnementale (RSE) et sur la réduction des émissions de CO2 des entreprises de son portefeuille.


De telle manière que les prises de participation réalisées par l’Etat dans le cadre de la pandémie de Covid19 ont été soumises à l’implémentation par les entreprises de politiques environnementales précises. L’octroi de l’aide était subordonné à la souscription par les acteurs économiques d’engagements en matière de réduction des gaz à effet de serre [33].


Dans son rapport, l’APE étudie avec rigueur et précision la mise en œuvre de ces engagements par deux entreprises publiques abondées par l’Etat lors de la crise Covid : EDF [34] et la SNCF [35].

Étudiant point par point les mesures adoptées par ces entreprises pour la réduction des gaz à effet de serre de leurs activités, l’APE conclut à la correcte mise en œuvre des engagements et homologue l’aide octroyée.


Ici aussi le mécanisme de transparence joue un rôle crucial dans la mise en œuvre des critères environnementaux de conditionnalité d’octroi des aides. Ceux-ci sont scrupuleusement étudiés et vérifiés par les décideurs politiques et rendus accessibles au public. Ce type de publication, qui se multiplie, constitue la traduction des règles de disclosures définies par les textes européens.


Le cadre des prises de participation de l’État n’est pas l’unique type de financement public aujourd’hui irrigué par les questions environnementales. Ces questions, au regard de l’importance qu’elles revêtent aujourd’hui, pénètrent l’ensemble des politiques publiques [36]. 


L’impulsion européenne donnée en faveur du financement de la transition écologique est aujourd’hui à un tournant : les mécanismes toujours plus nombreux se renouvellent pour s’adapter aux enjeux qui se révèlent chaque jour dans ce domaine. Les efforts de clarté et d’adaptabilité des politiques européennes récentes démontrent l’importance aujourd’hui accordée à l’ensemble des possibilités offertes pour le financement de cette transformation. Les leviers mis en place ont vocation à se développer pour permettre un développement toujours plus fort et plus rapide des activités qui permettront à nos économies de faire face aux défis qui les attendent pour participer à un monde plus durable.

Emma PLARD

Références

[1] : La compétence de l’Union européenne en matière d’environnement a débuté avec le traité de Maastricht. L’environnement devient alors une politique européenne et fait partie prenante de la procédure de codécision. Depuis le traité de Lisbonne, l’environnement est l’un des objectifs de la politique de l’Union.


[2] : Article 3 TUE ; article 4 TFUE : « l’environnement est une compétence partagée entre l’Union et les États membres » ; article 11 TFUE : « la protection de l’environnement est l’un des objectifs des politiques de l’Union européenne ».


[3] : Deuxième volet du sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié le 28 février 2022


[4] : Green Deal européen – Pacte vert pour l’Europe – 11 décembre 2020


[5] : L'économie durable prend en compte les aspects sociaux et environnementaux de manière à répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins. L’économie durable : rend plus efficace l'utilisation des ressources naturelles (matières ou énergies importées) et humaines (bien-être des travailleurs) et réduit sa dépendance aux fluctuations de prix des matières ou énergies importées https://economie.fgov.be/fr/themes/entreprises/economie-durable


[6] : Taxinomie ou taxonomie : science des lois de la classification (définition Larousse).


[7] : A titre d’exemple : l’air (Clean air Program), les produits chimiques (notamment le règlement REACH), les déchets (Waste Framework Directive), la nature et la biodiversité (directives Habitats et Oiseaux), l’eau (Water Framework Directive)…


[8] : La transition écologique se définit comme l’évolution vers un nouveau modèle économique et sociale visant à mettre en place un modèle de développement résilient et durable (définition Oxfam).


[9] :   Terme dont la traduction française « durable » ne reflète pas exactement la notion utilisée.


[10] : Règlement 2020/852 du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088


[11] : (5) du règlement 2020/852


[12] :  Communication du 8 mars 2018


[13] :  (11) du règlement 2020/852


[14] : Les activités de transition sont les activités pour lesquelles des technologies bas carbone ne sont, à ce jour, pas disponibles et dont les émissions sont compatibles.


[15] : Article 16 – Règlement 2020/852 : « Une activité économique est considérée comme contribuant de manière substantielle à la réalisation d’un ou de plusieurs des objectifs environnementaux énoncés à l’article 9 si elle permet directement à d’autres activités d’apporter une contribution substantielle à l’un ou plusieurs de ces objectifs, pour autant que cette activité économique: a) n’entraîne pas un verrouillage dans des actifs qui compromettent des objectifs environnementaux à long terme, compte tenu de la durée de vie économique de ces actifs; et b) ait un impact environnemental positif significatif sur la base de considérations relatives au cycle de vie


[16] : OECD Guidelines for Multinational Enterprises 


[17] : Principes Directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux Droits de l’Homme


[18] : Règlement délégué (UE) 2021/2139 de la Commission du 4 juin 2021 complétant le règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil par les critères d’examen technique permettant de déterminer à quelles conditions une activité économique peut être considérée comme contribuant substantiellement à l’atténuation du changement climatique ou à l’adaptation à celui-ci et si cette activité économique ne cause de préjudice important à aucun des autres objectifs environnementaux


[19] : Nomenclature statistique des Activités économiques


[20] : Draft COMMISSION DELEGATED REGULATION (EU) amending Delegated Regulation (EU) 2021/2139 as regards economic activities in certain energy sectors and Delegated Regulation (EU) 2021/2178 as regards specific public disclosures for those economic activities


[21] : Règlement délégué (UE) 2021/2178 de la Commission du 6 juillet 2021 complétant le règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil par des precisions concernant le contenu et la présentation des informations que doivent publier les entreprises soumises à l’article 19 bis ou à l’article 29 bis de la directive 2013/34/UE sur leurs activités économiques durables sur le plan environnemental, ainsi que la méthode à suivre pour se conformer à cette obligation d’information


[22] :   Notons également au niveau européen la directive Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) qui va bientôt être remplacée par la directive Non Financial Reporting Directive (NFRD), qui posent des obligations en matière de divulgation d’informations non financières et relatives à la diversité par certaines grandes entreprises. Evoquons également les obligations de transparence en matière de minéraux de conflit. Encore, au niveau français les obligations relatives à la publication par les grandes entreprises de leur plan de vigilance sont des éléments prégnants du cadre de transparence accrue qui se dessine et qui est aujourd’hui imposé aux grandes entreprises considérées comme les principaux responsables en matière d’émissions de gaz à effet de serre et donc les plus à même d’agir activement/efficacement en faveur de la transition écologique.


[23] : Article 107 TFUE


[24] : Article 108 § 4 TFUE


[25] : LIGNES DIRECTRICES CONCERNANT LES AIDES D’ÉTAT À LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT - 3 février 2001


[26] : COMMUNICATION FROM THE COMMISSION - Guidelines on State aid for environmental protection and energy 2014-2020


[27] : Lignes directrices concernant les aides d’État au climat, à la protection de l’environnement et à l’énergie pour 2022 (2022/C 80/01)


[28] : Similairement au règlement Taxonomie, l’annexe I des lignes directrices établie tous les secteurs éligibles en faisant référence au code NACE.


[29] : L’exclusion de l’énergie nucléaire s’explique notamment car ce domaine concerne généralement un nombre limité de très grands projets particulièrement sensibles du point de vue de la sécurité et nécessite de prendre en compte l’aspect EURATOM qui requiert une évaluation au cas par cas.


[30] :   Article 66 - loi n°2020-935 : « I. - 1. Pour les entreprises de plus de 500 millions d'euros de chiffre d'affaires lors du dernier exercice clos qui sont soumises à l'obligation de déclaration de performance extrafinancière prévue à l'article L. 225-102-1 du code de commerce, la prise de participations par l'intermédiaire de l'Agence des participations de l'Etat effectuée à compter de la publication de la présente loi au titre des crédits ouverts par la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 est subordonnée à la souscription par lesdites entreprises d'engagements en matière de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Ces engagements font l'objet d'un suivi, dans les conditions prévues au II du présent article. 2. Les engagements mentionnés au 1 du présent I doivent être établis en cohérence avec les budgets carbone sectoriels et par catégorie de gaz à effet de serre prévus à l'article L. 222-1 B du code de l'environnement. II. - Les entreprises mentionnées au I du présent article publient un rapport annuel sur le respect de leurs engagements climatiques. Ce rapport présente ces engagements et, le cas échéant, leur actualisation, le bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre au cours de l'exercice clos ainsi que leur stratégie de réduction de ces émissions. En cas de non-atteinte des objectifs prévus par la trajectoire, les entreprises présentent les mesures correctrices qu'elles entendent mettre en œuvre. Ce rapport est intégré au sein de la déclaration de performance extrafinancière mentionnée au I, dans un délai d'un an à compter de la date d'octroi du bénéfice public mentionné au 1 du même I. III. - L'autorité administrative sanctionne les manquements aux obligations de publication prévues au II par une amende de 375 000 €. IV. - Un arrêté des ministres chargés de l'économie, des finances et de l'écologie précise les modalités d'application du présent article »


[31] : Loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020


[32] : https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/281395.pdf


[33] : Arrêté du 2 novembre 2021 pris en application de l'article 66 de la loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020 – article 1 « […] chaque entreprise concernée mentionnée au I de l'article 66 précité prend, par écrit, l'engagement de réduire ses émissions de gaz à effet de serre en cohérence avec les budgets carbone sectoriels, et par catégories de gaz à effet de serre, prévus à l'article L. 222-1 B du code de l'environnement ».


[34] : « EDF a réalisé une émission inaugurale d’obligations vertes à option de conversion et/ou d’échange en actions (OCEANEs Vertes) d’un montant total d’environ 2,4 milliards d’euros, soit la plus importante obligation convertible verte jamais émise au niveau mondial. A cette occasion, l’État a décidé de souscrire à l’opération à hauteur de 40%, pour un montant nominal de 960 millions d’euros (soit une souscription effective à hauteur de 1 028 M€) » (rapport de l’APE cité ci-dessus – p.9)


[35] : « Afin de soutenir les investissements de la filiale SNCF Réseau en faveur de la regénération du réseau ferré national, du renforcement de la sécurité et du développement durable de ses activités, l’État a souscrit intégralement à l’augmentation du capital réalisée par la société nationale SNCF le 15 décembre 2020 pour un montant de 4 050 M, correspondant à l’augmentation de la valeur nominale de chacune des dix millions d’actions composant le capital de la Société de 100€ à 500€, et ce en application de l’arrêté du 4 décembre 2020 l’y autorisant. » (rapport de l’APE – p.10)


[36] : En particulier les règles en matière de commande publique sont nombreuses (Guide de l’achat public durable – Achats de produits, matériel et prestations de nettoyage (date de publication : juillet 2009 – DAJ de Bercy).

Emma PLARD

Risque de transmission des offres à une société concurrente : le Conseil d’État verrouille l’accès au juge du référé secret des affaires

 Extrait de la Gazette n°48- Mars 2022

Par une décision en date du 10 février 2022 [1], le Conseil d’État a jugé que l’obligation de confidentialité imposée aux maîtres d’ouvrage et à leurs assistants devait être prise en compte dans l’appréciation du risque d’une atteinte imminente au secret des affaires. 


Dans le présent dossier, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre / Abymes a conclu un contrat d’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) avec la société ACAOP pour la passation des marchés d’assurance du groupement hospitalier territorial de la Guadeloupe. Le 10 mai 2021, avec l’assistance de la société ACAOP, le CHU a lancé une consultation ayant pour objet des services d’assurance pour le centre hospitalier Sainte-Marie de Marie-Galante. 



La Société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM), candidate à la procédure de passation, alléguait que l’AMO avait des liens avec l’une des sociétés candidates concurrentes. 


Si l’absence de publication de l’ordonnance attaquée nous empêche de connaitre l’intensité des liens existant, il est possible de comprendre le contexte en se référant à d’autres ordonnances rendues par des tribunaux administratifs différents [2] qui concernaient les mêmes parties intervenant dans une procédure de passation de marché ayant pour objet des services d’assurance pour un centre hospitalier : la société SHAM intervenant en qualité de candidat soumissionnaire mettant en cause la partialité de la société ACAOP intervenant en qualité d’assistant à maîtrise d’ouvrage et ayant des liens étroits avec l’une des sociétés concurrentes, aux cas d’espèce le groupe BEA [3]:  « 4. D’une part, il résulte de l’instruction qu’il existe sur le marché des assurances des établissements hospitaliers, très faiblement concurrentiel, une situation conflictuelle particulière entre la SHAM et le cabinet de courtage BEAH, au sein duquel M. E… a joué un rôle actif. En effet, il n’est pas contesté qu’après avoir dirigé la société Protectas, qui intervenait alors en qualité d’assistant à maîtrise d’ouvrage, M. E… a créé en 2009 un cabinet de courtage dénommé BEAH dans le but de rendre plus concurrentiel le marché d’assurances des établissements hospitaliers, jusqu’alors dominé par Axa et la SHAM, ainsi que cela ressort d’un courrier du directeur général de la société Protectas en date du 21 août 2009 versé aux débats. Il résulte de l’instruction que les liens entre la société BEAH, qu’il dirigeait, et la société Protectas ont été la cause de plusieurs litiges dans le cadre de recours relatifs à l’attribution de marchés publics relatifs à des prestations d’assurance dénoncés par la SHAM. La société requérante soutient que depuis lors, M. E… s’est livré à une politique de contestation systématique des marchés attribués à la SHAM à la fois devant les juridictions administratives et pénales, jusqu’en 2018. Elle produit à l’appui de ses allégations plusieurs articles signés en février 2014, mai 2018 et janvier 2019 dans lesquels M. E… a fait preuve d’une animosité particulière révélant un profond différend à l’égard de la SHAM. 


5. D’autre part, si M. E… a cédé les parts qu’il détenait au sein de la société BEAH en 2019, il n’est pas davantage contesté qu’il entretient toujours des liens amicaux avec M. C…, qui était le directeur général de BEAH lorsqu’il en était le président, et qui dirige actuellement la société Emileo, détentrice à hauteur de 80 % des parts de BEAH ». 


Cette situation conflictuelle entre ces deux sociétés est établie dans ce secteur : « Depuis, les deux acteurs [le groupe BEA et la société SHAM] se livrent une guerre sans merci, se contestant à tour de rôle l’attribution de marchés publics dans le secteur hospitalier » [4]


C’est dans ce contexte que le 7 juin 2021, la SHAM, candidate à l’attribution de deux lots, a saisi le juge du référé secret des affaires sur le fondement de l’article R. 557-3 du code de justice administrative entré en vigueur depuis le 1er janvier 2020. 


Elle soutenait qu’il existait un risque imminent d’atteinte au secret des affaires dès lors que l’AMO pouvait transférer son offre à la société concurrente. Elle demandait alors au juge de faire usage de ses pouvoirs en interdisant à l’assistant d’avoir accès à l’ensemble des documents déposés par les candidats et en l’excluant de la consultation. 


Par une ordonnance en date du 9 juin 2021, le juge du référé du tribunal administratif de la Guadeloupe a enjoint au centre hospitalier d’interdire par tout moyen l’accès à l’ensemble des documents produits par les soumissionnaires au dirigeant de la société ACAOP ainsi qu’à ses préposés et, dans l’attente, a suspendu l’analyse des offres. 


Le CHU de Pointe-à-Pitre / Abymes s’est pourvu en cassation contre cette ordonnance.


Le Conseil d’État devait alors statuer sur la possibilité pour le juge du référé secret des affaires d’interdire l’accès aux offres à un assistant à maîtrise d’ouvrage suspecté de partialité pour assurer l’effectivité du secret des affaires. 


Par cette décision, le Conseil d’État a fermé la porte du juge du référé secret des affaires même s’il existe un risque de transmission des offres par un assistant à maîtrise d’ouvrage suspecté de partialité (I), la société requérante pouvant saisir si besoin le juge du référé précontractuel (II). 


I - Un encadrement strict de l’intervention du juge du référé secret des affaires


Par cette décision, le Conseil d’État a jugé que le tribunal administratif de la Guadeloupe avait commis une erreur de droit en interdisant à l’assistant à maîtrise d’ouvrage, dont la partialité était mise en cause, d’avoir accès à l’offre de la société soumissionnaire (A) dès lors que ce dernier était soumis à une obligation de confidentialité (B). 


A) La tentative d’interdire à un AMO suspecté de partialité d’avoir accès aux offres


Pour éviter tout risque de transmission de l’offre de la société requérante à une société concurrente, le juge du référé secret des affaires du tribunal administratif de la Guadeloupe a enjoint au centre hospitalier d’interdire par tout moyen l’accès à l’ensemble des documents déposés par les soumissionnaires au dirigeant de la société ACAOP ainsi qu’à ses préposés.  


En application de l’article L. 77-13-1 du code de justice administrative [5], le récent référé secret des affaires [6] est consacré à l’article R. 557-3 du même code : « Lorsqu'il est saisi aux fins de prévenir une atteinte imminente ou faire cesser une atteinte illicite à un secret des affaires, le juge des référés peut prescrire toute mesure provisoire et conservatoire proportionnée, y compris sous astreinte. Il peut notamment ordonner l'ensemble des mesures mentionnées à l'article R. 152-1 du code de commerce ».






Une information est protégée au titre du secret des affaires lorsque plusieurs conditions cumulatives sont remplies en application de l’article L. 151-1 du code de commerce : « Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ; 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; 3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ». 



Pour faire l’objet d’une protection effective, les mesures ordonnées par le juge du référé sont nombreuses et variées [7] : « Interdire la réalisation ou la poursuite des actes d'utilisation ou de divulgation d'un secret des affaires ; 2° Interdire les actes de production, d'offre, de mise sur le marché ou d'utilisation des produits soupçonnés de résulter d'une atteinte significative à un secret des affaires, ou d'importation, d'exportation ou de stockage de tels produits à ces fins ; 3° Ordonner la saisie ou la remise entre les mains d'un tiers de tels produits, y compris de produits importés, de façon à empêcher leur entrée ou leur circulation sur le marché ».


Il est établi que certaines informations délivrées par les candidats soumissionnant aux appels d’offres sont couvertes par le secret des affaires. En effet, « les soumissionnaires transmettent au pouvoir adjudicateur leur savoir-faire via leur offre technique et financière, et donc des données devant être regardées comme couvertes par le secret des affaires » [8]. Le Conseil d’État avait déjà jugé que l’acheteur avait à bon droit refusé de délivrer le bordereau des prix unitaires de l’entreprise titulaire du marché (la SHAM) au candidat évincé (la société BEAH) pour assurer le secret de la stratégie commerciale [9] : « 3. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que les marchés publics et les documents qui s'y rapportent, y compris les documents relatifs au contenu des offres, sont des documents administratifs au sens des dispositions de l'article 1er de la loi du 17 juillet 1978 ; que, saisis d'un recours relatif à la communication de tels documents, il revient aux juges du fond d'examiner si, par eux-mêmes, les renseignements contenus dans les documents dont il est demandé la communication peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret industriel et commercial et faire ainsi obstacle à cette communication en application des dispositions du II de l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978 ; qu'au regard des règles de la commande publique, doivent ainsi être regardés comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l'ensemble des pièces du marché ; que dans cette mesure, si notamment l'acte d'engagement, le prix global de l'offre et les prestations proposées par l'entreprise attributaire sont en principe communicables, le bordereau unitaire de prix de l'entreprise attributaire, en ce qu'il reflète la stratégie commerciale de l'entreprise opérant dans un secteur d'activité et qu'il est susceptible, ainsi, de porter atteinte au secret commercial, n'est quant à lui, en principe, pas communicable ; »


C’est dans ce contexte que les juges du référé secret des affaires des tribunaux administratifs, comme celui de la Guadeloupe, ont décidé d’écarter de la procédure des assistants à maîtrise d’ouvrage dont la partialité était mise en cause. 


Ainsi, le tribunal administratif de Nancy a jugé que [10] : « 6. Dans ces conditions, eu égard, d’une part, à l’intensité et au caractère récent des liens qui unissent la société BEAH avec M. E [le dirigeant de la société assistant le maître d’ouvrage] … et à l’animosité particulière avec laquelle M. E… s’exprime à l’égard de la SHAM, et, d’autre part, au fait que ces sociétés sont fréquemment en concurrence pour l’attribution de marchés publics d’assurance de centres hospitaliers, la société requérante établit que la collaboration de M. E… comme assistant à la maîtrise d’ouvrage pour l’analyse des offres des candidats constitue avec un degré de vraisemblance suffisant l’existence d’une atteinte imminente au secret des affaires. Elle est par suite fondée à demander au juge des référés des mesures visant à prévenir une telle atteinte ».


Usant de ses pouvoirs, le juge avait suspendu l’analyse des candidatures et des offres de la SHAM sur l’ensemble des lots auxquels elle avait candidaté jusqu’à la notification de l’ordonnance à intervenir dans le cadre du référé précontractuel et a enjoint à l’acheteur public, jusqu’à la même échéance, d’interdire l’accès, par tout moyen, à l’ensemble des documents déposés par la SHAM au dirigeant de la société ACAOP ainsi qu’à ses préposés.  


Le tribunal administratif de Montreuil a motivé en des termes identiques sa décision tout en précisant : « la société requérante établit que la collaboration de M. X comme assistant à la maîtrise d’ouvrage (AMO) pour l’analyse des offres des candidats révèle, avec un degré de vraisemblance suffisant, et nonobstant l’obligation déontologique de confidentialité incombant à ce dernier, l’existence d’une atteinte imminente au secret des affaires. Elle est, par suite, fondée à demander au juge des référés des mesures visant à prévenir une telle atteinte ». Le juge a alors enjoint à l’acheteur public d’interdire par tout moyen l’accès (transmission et/ou prise de connaissance et/ou échange d’informations) à l’ensemble des documents déposés par les soumissionnaires au dirigeant et à toutes personnes travaillant au sein de la société ACAOP, et, dans l’attente, de suspendre l’analyse de l’ensemble des candidatures [11]. 


De fait, ces injonctions empêchaient l’exécution du contrat d’assistance à maîtrise d’ouvrage. 


Ce nouveau référé permettait de protéger le secret des affaires des offres en écartant l’assistant à maîtrise d’ouvrage de la procédure dès lors qu’il existait un risque qu’il transmette l’offre à une société concurrente.  


Par cette saisine, c’était l’ensemble de la procédure de passation du marché qui était également protégée dès lors que le risque d’un manquement à l’obligation d’impartialité de l’assistant à maîtrise d’ouvrage était neutralisé en amont de la procédure. En effet, une fois l’AMO écarté de la procédure, aucun manquement à la procédure de publicité et de mise en concurrence n’est établi. C’est ce qui ressort de l’ordonnance rendue par le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Nancy [12]


Toutefois, le Conseil d’État en a jugé autrement. 


B) Le refus de postuler d’un manquement à l’obligation de confidentialité  


Le Conseil d’État a jugé que l’obligation de confidentialité des maîtres d’ouvrage et de leurs assistants devait être prise en compte dans l’appréciation du risque d’une atteinte imminente au secret des affaires : « A ce titre, il n’a pas été contesté devant le juge du fond que la société ACAOP intervient pour le compte de la personne publique et que son dirigeant et ses personnels sont tenus, dans le cadre de l’exécution de ce marché, à une obligation professionnelle de confidentialité. Par suite, en jugeant qu’il n’y avait pas lieu de prendre en compte cette obligation de confidentialité dans l’appréciation du risque d’une atteinte imminente au secret des affaires susceptible d’être imputable au centre hospitalier, contre lequel la SHAM a engagé son action, à raison de l’intervention de la société ACAOP dans la procédure de passation du marché d’assurance auquel la requérante a candidaté, le juge des référés a commis une erreur de droit ».

Aux termes de l’article L. 2132-1 du code de la commande publique, l’acheteur public est soumis à une obligation de confidentialité pour protéger notamment le secret des affaires : « L’acheteur ne peut communiquer les informations confidentielles dont il a eu connaissance lors de la procédure de passation, telles que celles dont la divulgation violerait le secret des affaires, ou celles dont la communication pourrait nuire à une concurrence loyale entre les opérateurs économiques, telle que la communication en cours de consultation du montant total ou du prix détaillé des offres ».


Selon les juges du Palais Royal, il est impossible de saisir le juge du référé secret des affaires pour lui demander d’écarter de la procédure un AMO même s’il entretient vraisemblablement des liens avec une société concurrente dès lors que ce dernier est soumis à une obligation de confidentialité. Jugeant l’affaire au fond, le Conseil d’État a annulé l’ordonnance rendue par le juge du référé du tribunal administratif de la Guadeloupe : « Si la SHAM fait valoir qu’elle s’est expressément opposée à ce que son offre soit communiquée à M. J…, dirigeant de la société ACAOP, et à l’ensemble des préposés de cette société, dont elle a sollicité l’exclusion de l’analyse des offres, en raison de relations étroites alléguées de M. J… avec une société concurrente, cette seule circonstance ne suffit pas, par elle-même, à caractériser un risque d’atteinte imminente au secret des affaires dès lors que la société ACAOP ainsi que son dirigeant et ses personnels sont tenus à une obligation contractuelle de confidentialité dans le cadre de leur mission d’assistance au maître de l’ouvrage ».


Plusieurs conséquences sont à tirer de cette décision. 


En premier lieu, il est seulement établi à l’heure actuelle que l’allégation de « relations étroites » entre l’assistant à maîtrise d’ouvrage et une société concurrente ne suffit pas pour saisir le juge du référé secret des affaires. La jurisprudence ultérieure nous apprendra si une relation manifestement établie entre un assistant à maîtrise d’ouvrage et une société concurrente permet de saisir le juge du référé ou s’il faut nécessairement démontrer un manquement à l’obligation de confidentialité pour pouvoir le saisir.  


En deuxième lieu, pour saisir le juge du référé, la décision invite à démontrer une violation de l’obligation de confidentialité. Or, dans une procédure d’appel d’offres, il sera difficile pour une société candidate de rapporter la preuve d’une telle infraction. De plus, par cette jurisprudence, le juge ne serait plus saisi de manière préventive, mais une fois la faute commise. Il n’existerait alors plus réellement de « risque » dès lors que la procédure est déjà viciée, le juge intervenant alors pour faire cesser une atteinte illicite à un secret des affaires. 


Enfin, cette décision peut s’expliquer par le contexte juridique et pratique entourant l’exercice des assistants à maîtrise d’ouvrage. D’abord, ces assistants ont pour rôle d’orienter les choix du maître d’ouvrage, seul titulaire du pouvoir de décision. De plus, malgré les obligations d’impartialité et de confidentialité, il n’est pas rare dans ce milieu qu’existent des ressentis entre ces deux parties et que les candidats dénoncent le manque de neutralité des assistants. Par suite, si le Conseil d’État avait approuvé le raisonnement soutenu par les juges du fond, c’est un grand nombre de contrats d’assistance à maîtrise d’ouvrage qui risquaient d’être remis en cause du fait des proximités existantes dans les secteurs où ils exercent. 


Toutefois, si la saisine du juge du référé secret des affaires est strictement encadrée, le candidat soumissionnaire pourra saisir le juge du référé précontractuel. 



II - Le renvoi vers le juge du référé précontractuel      


En fermant la porte du juge du référé secret des affaires, le candidat ne pourra que saisir le juge du référé précontractuel (A) renvoyant au maître d’ouvrage l’obligation d’être vigilant dans son choix d’assistant (B). 


A) Les manquements invocables par le candidat soumissionnaire


Par cette présente décision, le Conseil d’État renvoie les sociétés soumissionnaires vers le juge du référé précontractuel : « A cet égard, il appartiendra à la requérante, si elle s’y croit fondée, de faire valoir notamment devant le juge du référé précontractuel tout manquement qu’elle aura relevé aux règles de publicité et de concurrence, tenant, le cas échéant, en une violation par le pouvoir adjudicateur du secret commercial ou de l’impartialité à laquelle celui-ci est tenu ». 


Il est de jurisprudence constante qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit de délai, notamment un délai raisonnable, pour saisir le juge du référé précontractuel d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence [13]. En effet, comme l’indiquait le Conseil d’État « la possibilité ainsi offerte aux personnes intéressées de former un référé précontractuel à tout moment de la procédure, en permettant que ces manquements soient, le cas échéant, corrigés avant la conclusion du contrat, tend à prévenir l’introduction de recours remettant en cause le contrat lui-même après sa signature et alors qu’il est en cours d’exécution ; ».


La violation de l’obligation de confidentialité pourra être soutenue devant ce juge, ce qui renvoie à la difficulté pour une société soumissionnaire de prouver une telle faute dans une procédure d’appel d’offres. 


De plus, le candidat pourra soutenir un manquement à l’obligation d’impartialité de l’assistant à maîtrise d’ouvrage. 


Il est établi « qu'au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, dont la méconnaissance est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence » [14]


Ce manquement à l’obligation d’impartialité doit être lu au regard de la définition du conflit d’intérêts prévue à l’article L. 2141-10 du code de la commande publique : « Constitue une situation de conflit d’intérêts toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché public ou est susceptible d’en influencer l’issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché public ». 


Le candidat pourra soutenir une méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence dès lors que l’AMO entretient des relations étroites avec une société concurrente et/ou dénoncer son comportement agressif envers la société requérante. Cette attitude peut légitimement faire naitre un doute sur son impartialité.


Par ailleurs, les faits de l’espèce rappellent ceux de la décision du 14 octobre 2015
[15] : « que, d'autre part, M. A...a exercé des responsabilités importantes au sein de la SA Applicam, en qualité de directeur qualité puis de directeur des opérations et des projets, et qu'ayant occupé ces fonctions du mois de décembre 2001 au mois d'avril 2013, il n'avait donc quitté l'entreprise que moins de deux ans avant le lancement de la procédure litigieuse ; que s'il ne résulte pas de l'instruction que l'intéressé détiendrait encore des intérêts au sein de l'entreprise, le caractère encore très récent de leur collaboration, à un haut niveau de responsabilité, pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance de tels intérêts et par voie de conséquence sur l'impartialité de la procédure suivie par la région Nord-Pas-de-Calais ; qu'il était au demeurant loisible à la région, qui avait connaissance de la qualité d'ancien salarié de la SA Applicam de M.A..., de mettre en œuvre, une fois connue la candidature de cette société, toute mesure en vue de lever ce doute légitime, par exemple en l'écartant de la procédure d'analyse des offres ; que, dans ces conditions, la région Nord-Pas-de-Calais a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence ; que, par suite, il y a lieu, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande, d'annuler la procédure contestée ; ».  


Plus généralement, s’il est établi que l’assistant à maîtrise d’ouvrage a violé le secret des affaires, le candidat pourra également engager sa responsabilité civile en application de l’article L. 152-1 du code de commerce [16] et pénale sur le fondement de l’article 226-13 du code pénal [17]. En outre, la communication de l’offre peut également constituer un délit d'octroi d'avantage injustifié en application de l’article 432-14 du code pénal [18]. Enfin, la responsabilité contractuelle de l’AMO pourra être également engagée par le maître d’ouvrage. 


Par cette décision, il revient alors au maître d’ouvrage d’être vigilant quant au choix de son assistant. 


B) La nécessité d’une vigilance du maître d’ouvrage quant au choix de son assistant  


À défaut pour le juge du référé secret des affaires d’intervenir en amont de la procédure, le maître d’ouvrage devra être vigilant quant au choix de son assistant, sous peine de voir la procédure de passation, qui méconnait les prescriptions de l’article L. 3 du code de la commande publique [19], sanctionnée par le juge du référé précontractuel.


Cette mise en garde était déjà annoncée par le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Nancy [20]


De fait, l’acheteur devra s’assurer de l’impartialité de son assistant en ne se bornant pas à considérer que la procédure n’est pas viciée dès lors que l’AMO est soumis à une obligation de confidentialité. 

 

Il convient de noter dès à présent qu’une procédure d’anonymisation des offres ne suffit pas à assurer une égalité de traitement entre les candidats lorsque le marché est peu concurrentiel, comme c’est le cas en matière d’assurance pour les centres hospitaliers [21] : « à elle seule, cette démarche d’anonymisation des offres ne saurait suffire à éviter une éventuelle violation du secret des affaires, dès lors que, sur un marché faiblement concurrentiel, comportant un nombre limité d’acteurs, l’auteur d’une offre est aisément identifiable au regard des caractéristiques de celle-ci ». 


L’une des solutions consiste alors pour l’acheteur à inscrire des clauses dans les documents de consultation l’autorisant à délivrer les informations soumises au secret des affaires tout en précisant l’ampleur et la fonction des tiers recevant lesdites informations [22]. Néanmoins, comme il a déjà été dit, il n’est pas rare que des ressentis existent entre les candidats et les AMO ce qui pourrait neutraliser l’effectivité d’une telle clause. 

Aurélie AMSALLEM

Références : 


[1] CE, 10 février 2022, n° 456503, Publié 


[2] TA Nancy, Ord., 26 octobre 2020, n° 2002619 ; TA Nancy, Ord., 4 novembre 2020, n°2002618 ; TA Montreuil, Ord., 1er juin 2021, n° 2106741


[3] La dénomination sociale de la société concurrente n’est pas indiquée dans la présente décision mais il est établi que la société SHAM et le groupe BEA sont souvent en concurrence pour ce type de marchés.   


[4] https://www.argusdelassurance.com/les-assureurs/rc-medicale-la-guerre-des-hopitaux-publics.140725 


[5] CJA, art. L. 77-13-1 : « Lorsque les actions tendant à prévenir, faire cesser ou réparer une atteinte portée au secret des affaires relèvent de la juridiction administrative, le juge peut mettre en œuvre les mesures prévues au chapitre II du titre V du livre Ier du code de commerce, sous réserve des adaptations réglementaires nécessaires » ; CJA, art. R. 77-13-2 : « Lorsqu'il est saisi aux fins de prévenir une atteinte imminente ou faire cesser une atteinte illicite à un secret des affaires, le juge des référés se prononce ainsi qu'il est dit à l'article R. 557-3 ».  


[6] L'article 4 du décret n° 2019-1502 du 30 décembre 2019, portant application du titre III de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et autres mesures relatives à la procédure contentieuse administrative est entré en vigueur le 1er janvier 2020.


[7] C. Com., art. R. 152-1 : « II. Aux lieu et place des mesures provisoires et conservatoires mentionnées aux 1° à 3° du I, la juridiction peut autoriser la poursuite de l'utilisation illicite alléguée d'un secret des affaires en la subordonnant à la constitution par le défendeur d'une garantie destinée à assurer l'indemnisation du détenteur du secret.


La juridiction ne peut pas autoriser la divulgation d'un secret des affaires en la subordonnant à la constitution de la garantie mentionnée au premier alinéa.


III. La juridiction peut subordonner l'exécution des mesures provisoires et conservatoires qu'elle ordonne à la constitution par le demandeur d'une garantie destinée, dans le cas où l'action aux fins de protection du secret des affaires est ultérieurement jugée non fondée ou s'il est mis fin à ces mesures, à assurer l'indemnisation du préjudice éventuellement subi par le défendeur ou par un tiers touché par ces mesures.


IV. La garantie mentionnée aux II et III est constituée dans les conditions prévues aux articles 514-5517 et 518 à 522 du code de procédure civile.


V. Les mesures prises en application du présent article deviennent caduques si le demandeur ne saisit pas le juge du fond dans un délai courant à compter de la date de l'ordonnance de vingt jours ouvrables ou de trente et un jours civils si ce dernier délai est plus long ». 


[8] TA Montreuil, Ord., 1er juin 2021, n° 2106741, cons. 8 ; CE, 10 février 2022, n° 456503, cons. 7, Publié : « La SHAM était tenue de communiquer, dans le cadre de la consultation en cause, des informations relatives au prix de son offre, lesquelles doivent être regardées, à ce stade de la procédure de passation, comme couvertes par le secret des affaires au sens des dispositions citées aux points 2 à 4 ».


[9] CE, 30 mars 2016, n° 375529, cons. 3, Publié


[10] TA Nancy, Ord., 26 octobre 2020, n° 2002619, cons. 6


[11] TA Montreuil, Ord., 1er juin 2021, n° 2106741, cons. 13


[12] TA Nancy, Ord., 4 novembre 2020, n° 2002618, cons. 6


[13] CE, 12 juillet 2017, Sté Études Créations et Informatique, n° 410832, Inédit


[14] CE, 14 octobre 2015, n° 390968, Rec. T., cons. 5


[15] Ibid 


[16] C. Com., art. L. 152-1 : « Toute atteinte au secret des affaires telle que prévue aux articles L. 151-4 à L. 151-6 engage la responsabilité civile de son auteur ». 


[17] C. Pén., art. 226-13 : « La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ».


[18] C. Pén., art. 432-14 « Est puni de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 200 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction, le fait par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d'économie mixte d'intérêt national chargées d'une mission de service public et des sociétés d'économie mixte locales ou par toute personne agissant pour le compte de l'une de celles susmentionnées de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession ».


[19] CCP, art. L. 3 : « les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d'égalité de traitement des candidats à l'attribution d'un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d'accès et de transparence des procédures, dans les conditions définies dans le présent code ».


[20] TA Nancy, Ord., 4 novembre 2020, n° 2002618, cons. 8 : « d’aucun manquement constitué, mais simplement d’un risque que le CHRU, désormais alerté, reprenne la procédure de passation au stade de l’analyse des offres en y associant M. E…. Dès lors, la SHAM ne peut être regardée comme se prévalant d’un manquement susceptible de l’avoir lésée ou risquant de la léser. Ses conclusions à fin d’annulation doivent, en conséquence, être rejetées ».


[21] TA Montreuil, Ord., 1er juin 2021, n° 2106741, cons. 8

 

[22] K. PICAVEZ, D. GIAMPAOLI, « L’acheteur public et le défi du référé en matière de secret des affaires », JCP A, n° 25, 22 juin 2020, 2176 ; K. PICAVEZ, D. GIAMPAOLI, « L’acheteur public et le référé en matière de secret des affaires : un régime qui se précise », JCP A, n° 13, 29 mars 2021, 2095.

Aurélie AMSALLEM

Les exclusions automatiques de la commande publique à l’épreuve du contrôle de constitutionnalité

 Extrait de la Gazette n°47 - Décembre 2021

Les exclusions de candidater aux contrats de la commande publique sont multiples et leurs causes sont diverses. Figurent, parmi ces dernières, les interdictions de soumissionner pour les personnes – physiques comme morales – ayant été condamnées définitivement pour certaines infractions pénales ou recel de celles-ci [1]. Pour les marchés publics, elles peuvent être infligées en tant que peines complémentaires par le juge pénal ayant prononcé la peine principale [2]. À défaut ou pour les concessions, elles s’appliquent de plein droit, sous l’effet de la loi [3], à titre de peines accessoires. C’est cette seconde catégorie d’exclusions qui est aujourd’hui remise en cause.

Fragiles juridiquement, les interdictions automatiques de soumissionner n’en finissent pas de défrayer la chronique du contentieux de la validité des lois.

Sur le volet du droit de l’Union européenne, après avoir posé une question préjudicielle à la Cour de justice [4], le Conseil d’État a déclaré inconventionnel le régime français des exclusions automatiques de candidater en ce qu’il ne prenait pas en compte les mesures correctrices adoptées par les entreprises condamnées pour démontrer le rétablissement de leur fiabilité. Faute de prévoir un mécanisme de « self-cleaning », le droit interne est jugé incompatible avec le droit dérivé de la commande publique [5]

C’est, désormais, sur le volet constitutionnel que les interdictions de plein droit de soumissionner sont contestées. Après une première question prioritaire de constitutionnalité (« QPC ») en droit de la commande publique en 2020 [6], c’est au tour des articles L. 2141-1 et L. 3123-1 du code de la commande publique (« CCP ») d’être passés au crible du contrôle de constitutionnalité des lois. La chambre criminelle de la Cour de cassation, par un arrêt du 17 novembre 2021, a renvoyé au Conseil constitutionnel une QPC portant sur la conformité des exclusions automatiques des procédures de passation aux principes de nécessité et d’individualisation des peines ainsi qu’au droit à un recours juridictionnel effectif [7].

À l’aune de ces principes, les arguments juridiques au soutien de l’inconstitutionnalité sont nombreux (II) mais ne seront examinés que si le Conseil constitutionnel accepte d’opérer un contrôle entier sur des dispositions issues de la transposition de directives communautaires (I).

 

I. La délicate question du contrôle des lois de transposition

L’étape préalable du contrôle de constitutionnalité se situera sur le terrain épineux de l’examen des lois de transposition du droit dérivé de l’Union européenne. Pour cause, les dispositions législatives déférées au Conseil constitutionnel ont été intégrées, en droit interne, pour transposer l’article 57 de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et l’article 38 de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 sur l’attribution des concessions.

Formulé par les décisions Économie Numérique [8] et Droit d’auteur [9], le raisonnement du Conseil constitutionnel sur le contrôle de constitutionnalité des lois de transposition des directives communautaires est aujourd’hui bien établi, en contrôle a priori [10] comme a posteriori [11]. Le juge constitutionnel ne s’estime pas compétent pour contrôler la conformité à la Constitution de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive. En pareille hypothèse, la directive, dont la transposition est une exigence constitutionnelle [12], fait écran puisque la loi « épouse exactement » [13] le contenu de celle-ci. En contestant la loi, c’est en réalité la conformité de la directive à la Constitution qui est remise en cause, ce qui n’est pas de la compétence du Conseil constitutionnel. Par suite, « il n'appartient qu'au juge de l'Union européenne, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par cette directive des droits fondamentaux garantis par l'article 6 du traité sur l'Union européenne » [14]. Seul un contrôle minimum est opéré par les Sages au regard de la catégorie insaisissable et mouvante des règles et principes inhérents à l’identité constitutionnelle de la France, c’est-à-dire les règles et principes « ne trouvant pas de protection équivalente dans le droit de l’Union européenne » [15]. A contrario, si la loi ne transpose pas fidèlement la directive communautaire, un contrôle entier s’applique au regard de l’ensemble des droits et libertés que la Constitution garantit [16]. Le débat se cristallise donc sur l’existence, au profit du législateur, d’une marge de manœuvre dans la transposition. 

Le Conseil d’État [17] et la Cour de cassation [18], dans leur rôle de filtre, ont intégré cette jurisprudence du Conseil pour apprécier le caractère sérieux des QPC soulevées devant eux. Pour ce faire, les juridictions suprêmes procèdent à une analyse comparative concrète et séquencée des dispositions de la directive et des dispositions législatives de transposition [19]. À titre d’illustration, dans une configuration textuelle identique aux articles contestés du CCP, le Conseil d’État a distingué les dispositions relatives au principe de la sanction et celles concernant les conditions de sa mise œuvre. Pour la Haute juridiction administrative, les premières sont le fruit d’une transposition fidèle de dispositions précises et inconditionnelles d’une directive à la différence des secondes qui sont laissées à l’appréciation de l’État membre [20]. Selon cette méthode privilégiant l’analyse concrète du contenu à celle de l’objet abstrait d’une loi, il est possible d’isoler un échantillon d’un texte de transposition pour le confronter aux droits et libertés constitutionnellement garantis.

C’est précisément cette grille de lecture qui justifie d’examiner, au fond et sur la base d’un contrôle entier, la QPC soulevée à l’encontre des interdictions de plein droit de candidater aux contrats de la commande publique. En effet, il est certain que les directives de 2014 font écran s’agissant des motifs d’exclusion automatique à la suite d’une condamnation pénale définitive. En revanche, tel n’est pas le cas des conditions de mise en œuvre des exclusions de plein droit. En effet, les directives marchés publics et concessions laissent le soin aux États membres d’en arrêter « les conditions d’application » [21]. De telles dispositions ne sont pas précises et, à tout le moins, pas inconditionnelles. À ce sujet, notamment, si les directives prévoient que les exclusions de plein droit ne peuvent « dépasser cinq ans à compter de la date de la condamnation par jugement définitif », elles n’imposent aucunement que cette durée soit mécaniquement portée à son maximum en toutes hypothèses [22]. Au contraire, elles laissent le soin aux États membres de « détermine[r] la durée maximale de la période d’exclusion » [23]. En outre, le droit dérivé de la commande publique n’écarte nullement la possibilité pour les États membres de prévoir que seul un juge pourra prononcer une exclusion de soumissionner en conséquence d’une condamnation pénale définitive pour certaines infractions. Aussi, la France, en instituant des interdictions automatiques de candidater pour une durée fixe et sans intervention d’un juge, a agi dans la marge de manœuvre que lui ont octroyé les directives.

Dès lors, il nous paraît que le Conseil constitutionnel devrait se considérer compétent pour examiner la QPC selon un contrôle entier. Le renvoi de la QPC par la Cour de cassation est, d’ailleurs, un indice fort en ce sens puisque, à l’inverse, elle l’aurait jugée non sérieuse faute de principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France invocable en l’espèce [24].

 

II. Les arguments au soutien d’une déclaration d’inconstitutionnalité

À la lumière de la question renvoyée au Conseil constitutionnel se dessinent une inconstitutionnalité conditionnée à l’égard des garanties pénales (A) et une constitutionnalité contestable sous le prisme du droit à un recours juridictionnel effectif (B).

 

A) Une inconstitutionnalité conditionnée au regard des garanties pénales

Les exclusions automatiques de soumissionner paraissent intrinsèquement incompatibles avec les principes d’individualisation et de nécessité des peines (2). Encore faut-il cependant, pour que ces principes trouvent effectivement à s’appliquer, que ces interdictions de plein droit soient qualifiées de sanctions punitives, ce qui n’est pas évident au regard de la jurisprudence du Conseil (1).

 

1) La qualification incertaine de sanction punitive

L’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (« DDHC ») dispose que « la Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Il en résulte que les principes de nécessité et d’individualisation ne s’appliquent qu’en présence d’une peine ou d’une sanction ayant le caractère d’une punition [25]. Or, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est pour le moins confuse en la matière puisqu’elle n’a jamais esquissé la moindre définition de la peine [26]. À cela s’ajoute le fait que les exclusions de soumissionner s’inscrivent dans la jurisprudence décousue des interdictions, déchéances et incapacités [27].

Par pure « opportunité » [28] afin de « re-légitimer » [29] le mécanisme des peines accessoires automatiques qui était voué à disparaître à la faveur de l’instauration de la QPC, le Conseil constitutionnel a créé ex nihilo une dichotomie entre les sanctions punitives fondées sur une logique de répression et les mesures de moralisation – et, donc, de sûreté – basées sur un objectif de prévention. Les premières peuvent prétendre au bénéfice de l’article 8 de la DDHC quand les secondes en sont exclues.

Symbole de l’imprévisibilité de la jurisprudence constitutionnelle, cette distinction conduit à ce que certaines interdictions de plein droit soient considérées, plus au gré du hasard que sur la base d’une analyse implacable, tantôt comme des peines, tantôt comme des mesures de moralisation. Ainsi, le Conseil juge, d’un côté, que l’interdiction automatique d’exploiter un débit de boissons à la suite d’une condamnation à certaines infractions est une mesure de sûreté [30] mais il constate, de l’autre, que l’interdiction de gérer attachée de plein droit à une faillite personnelle constitue une sanction punitive [31]. Il nie la qualification de peine à l’inéligibilité des juges consulaires du tribunal de commerce condamnés pour des agissements contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs [32] alors qu’il reconnaît, par ailleurs, qu’une incapacité d'exercer une fonction publique élective est une sanction ayant le caractère d'une punition [33]. Il rejette la qualification de peine pour l’inéligibilité définitive des notaires aux chambres, organismes et conseils attachée de plein droit au prononcé d'une peine d'interdiction ou de destitution [34] quand il l’accueille pour l’interdiction de plein droit d’exercer une fonction publique en conséquence d’une condamnation à une peine d’inéligibilité [35].

Appliquée aux exclusions automatiques de soumissionner, cette distinction a conduit, à deux reprises en 2011 [36] et 2017 [37], la Cour de cassation à rejeter les QPC soulevées à leur encontre pour défaut de caractère sérieux. Dans les deux cas, elle déniait la qualification de sanction ayant le caractère de punition à ces peines accessoires en estimant qu’elles visent à préserver la moralité et l’intégrité des soumissionnaires ainsi que l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. Dès lors, elles ne pouvaient donc pas méconnaître des garanties – celles de l’article 8 de la DDHC – qui ne leur étaient pas applicables. La transmission par la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 17 novembre dernier, d’une QPC similaire quasiment en tout point à celle de 2017 s’apparente à un changement de perception. Reste au Conseil constitutionnel à suivre ce mouvement nouveau initié par la Haute juridiction judiciaire [38]. D’ailleurs, les arguments en faveur de la qualification de sanctions punitives des peines accessoires automatiques, en général, et des interdictions de plein droit de soumissionner, en particulier, ne manquent pas.

Tout d’abord, la distinction entre les sanctions punitives et les mesures de moralisation, fondée sur la notion de prévention, ignore la logique même de la peine. Celle-ci, en plus de sa portée répressive, tend à dissuader la commission d’infractions et prévenir la récidive. La prévention irrigue tant les mesures de sûreté que les peines. À ce sujet, le Conseil constitutionnel serait bien inspiré de s’imprégner de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme sur la définition de la peine. Elle n’érige aucune distinction exclusive entre prévention et répression pour sa qualification puisque, précisément, « l’objectif de prévention peut aussi se concilier avec celui de répression et peut être considéré comme l’un des éléments constitutifs de la notion même de peine » [39].

Ensuite, à supposer que les déchéances, incapacités et interdictions participent effectivement à moraliser l’exercice de certaines professions, ce n’est qu’une conséquence induite par leur objet premier qui est de sanctionner. Elles visent prioritairement à punir précisément parce qu’elles n’ont aucune autonomie propre. Elles ne se déclenchent qu’après une condamnation définitive à une peine principale à laquelle elles sont greffées. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la Cour de Strasbourg, dans le contrôle qu’elle opère sur la qualification de la peine, examine en priorité « si la mesure en question est imposée à la suite d’une condamnation pour une "infraction" » [40]. L’accessoire suivant le principal, l’exclusion de candidater adopte inévitablement la visée répressive de la peine principale. Sinon comment expliquer que les interdictions de soumissionner, quand elles sont prononcées par un juge pénal à titre de peines complémentaires, sont considérées comme des sanctions punitives, satisfaisant notamment au principe d’individualisation des peines [41] ? Il serait plus sage de s’en remettre à l’adage ubi eadem ratio, ibi idem jus [42] et d’en finir avec le régime dual des exclusions de candidater.

Enfin, le Conseil constitutionnel lui-même se perd dans la distinction entre prévention et répression qui est pourtant l’élément discriminant entre les peines et les mesures de moralité. Il a notamment qualifié de peine une mesure dont il constate, en même temps, qu’elle renforce « l'exigence de probité et d'exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants » [43]. Pire encore, il arrive au Conseil de capituler face à cette distinction en refusant de l’appliquer, signe de l’insaisissabilité de cette jurisprudence y compris pour son créateur. C’est ainsi qu’il n’a pas qualifié de punition ou de mesure de sûreté l’inéligibilité de plein droit à l’élection des conseils régionaux pour violation des règles de financement des campagnes électorales tout en précisant que cette interdiction « ne méconnaît pas les principes de proportionnalité et d'individualisation des peines » [44]. Pour échapper à cette distinction, il va même, parfois, jusqu’à sacrifier l’autonomie de la notion constitutionnelle de peine pour s’en remettre à l’interprétation des Hautes juridictions en se liant à leur jurisprudence pour sa qualification [45].

Aussi, cette distinction étant dénuée de toute logique et ne reposant sur aucun argument théorique irréfutable, il est insatisfaisant et même inquiétant qu’elle conditionne le bénéfice de garanties aussi fondamentales que celles découlant de l’article 8 de la DDHC. Une clarification s’impose et un revirement, absorbant dans la notion de sanction punitive l’ensemble des peines automatiques accessoires, serait bienvenu. Sous cette condition, le Conseil constitutionnel considérera l’exclusion automatique de soumissionner comme une sanction ayant le caractère de punition et examinera sa conformité à la Constitution à travers les principes de nécessité et d’individualisation des peines. 

 

2) Une méconnaissance flagrante des principes de nécessité et d’individualisation des peines

Le principe de nécessité des peines suppose que la loi n’institue que des sanctions qui sont proportionnées – in abstracto – aux faits qu’elle tend à réprimer (a). Le principe d’individualisation des peines, quant à lui, implique que le juge ait la possibilité d’adapter – in concreto – la sanction à chaque espèce (b). Les interdictions automatiques de soumissionner nous paraissent méconnaître ces deux garanties pénales constitutionnelles découlant de l’article 8 de la DDHC.   

 

a) Le principe de nécessité des peines

Bien qu’il le pourrait [46], le Conseil constitutionnel ne contrôle pas en tant que telle la nécessité des peines. Il considère qu’il n’a pas « un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement » [47] et qu’ainsi « la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur » [48]. En revanche, le juge constitutionnel veille à la proportionnalité des peines selon un contrôle restreint. Tout d’abord, il recherche si la peine instituée par le législateur est en adéquation avec l’objectif qu’il poursuit [49]. Ensuite, il s’assure de « l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue » [50], au regard de la gravité des faits que le législateur a entendu réprimer. Pour cela, sont pris en compte tant la peine que son régime juridique d’exécution [51]

Ce « principe de proportionnalité » [52] s’applique aux sanctions punitives automatiques.

D’une part, le Conseil sanctionne les peines automatiques en ce que leur « automaticité pourrait conduire, dans certaines hypothèses, à infliger une sanction non proportionnée aux faits reprochés » [53]. Cette logique semble être méconnue par les exclusions de plein droit de soumissionner. En particulier, leur durée intangible de cinq ans peut rendre cette sanction manifestement disproportionnée dans certains cas par rapport aux faits ayant conduit à la condamnation définitive pour la peine principale.

D’autre part, le Conseil a, dans un premier temps, censuré l’exigence d’individualisation des peines sur le fondement du principe de nécessité. C’est ainsi qu’il a jugé contraire à l’article 8 de la DDHC une sanction automatique d'interdiction du territoire pour une durée fixe d'un an à la suite d’un arrêté de reconduite à la frontière [54] ou une incapacité d'exercer une fonction publique élective d’au moins cinq ans en conséquence d’une faillite personnelle [55], celles-ci s’appliquant sans l’intervention d’un juge modulant leur prononcé au regard des circonstances. Cet ancien volet du principe de nécessité est désormais clos, substitué par le principe d’individualisation des peines qui est devenu, depuis la reconnaissance de sa valeur constitutionnelle [56], le vecteur privilégié de contrôle des prohibitions automatiques.

 

b) Le principe d’individualisation des peines 

S’imposant y compris dans le silence de la loi [57], le principe d’individualisation des peines implique que la sanction punitive ne puisse être prononcée qu’expressément par un juge [58] en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce [59]. Inhérent à la séparation des pouvoirs, il veille à la nécessaire préservation du « pouvoir souverain d’appréciation des juges » [60]. Ce principe ne fait toutefois pas obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions [61]. En outre, il n’impose pas que la peine soit exclusivement déterminée en fonction de la personnalité de l’auteur de l’infraction [62]. Mais, en tout état de cause, le principe d’individualisation des peines s’oppose systématiquement à leur automaticité [63].

C’est pourquoi, quand il accepte de contrôler leur constitutionnalité au regard de l’article 8 de la DDHC en les qualifiant de sanctions punitives, le Conseil censure systématiquement les interdictions de plein droit d’exercer une profession. Il a ainsi pu juger qu’une incapacité automatique d’exercer une fonction publique élective d’une durée de cinq ans méconnaît le principe constitutionnel d’individualisation des peines puisque cette sanction professionnelle est « attachée de plein droit à diverses condamnations pénales sans que le juge qui décide de ces mesures ait à la prononcer expressément [et] qu'il ne [puisse] davantage en faire varier la durée » [64]. À l’inverse, dès lors qu’elle est « prononcée expressément par le juge, à qui il revient d'en moduler la durée [et qui] peut, en considération des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur, décider de ne pas [la] prononcer » [65], la peine d'inéligibilité est conforme au principe d’individualisation.

Or, l’interdiction de soumissionner aux contrats de la commande publique s’applique de plein droit à la suite d’une condamnation pénale définitive pour certaines infractions. Elle n’est prononcée par aucun juge. Sa durée, alors qu’elle est un élément déterminant de l’individualisation des peines [66], n’est pas modulable en fonction des circonstances propres à chaque espèce. Il n’est notamment pas pris en compte, pour son prononcé ou son régime, la nature ou la durée de la condamnation pour la peine principale, les antécédents judiciaires du condamné ou encore la gravité des faits commis par lui. C’est une sanction figée et aveugle, l’exact opposé d’une peine individualisée. Sa constitutionnalité est donc sérieusement contestable, d’autant que la prise « en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci » [67] sont des éléments essentiels du contrôle du respect du principe d’individualisation [68].

Ce n’est d’ailleurs pas la possibilité d’un relèvement [69] qui permettrait aux interdictions de soumissionner d’échapper à la censure. Le Conseil constitutionnel considère « que, même si l'intéressé peut être, en tout ou partie, y compris immédiatement, relevé de [l’]incapacité dans les conditions définies au second alinéa de l'article 132-21 du code pénal, cette possibilité ne saurait, à elle seule, assurer le respect des exigences qui découlent du principe d'individualisation des peines » [70]. Cette position a été confirmée par une décision du 3 février 2012 qui précise que la possibilité d’une exclusion de la mention d’une condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire [71], emportant relèvement de la peine accessoire automatique, « ne saurait, à elle seule, assurer le respect des exigences qui découlent du principe d'individualisation des peines » [72]. Nous voyons mal comment le juge constitutionnel pourrait se départir de cette solution puisque le relèvement ne permet qu’a posteriori de revenir sur la peine. Mais, en tout état de cause, « la peine en elle-même [trouve] à s’appliquer sans que le juge l’ait prononcée » en méconnaissance de la « prohibition des peines automatiques » [73].

 

B) Une constitutionnalité contestable au regard du droit à un recours juridictionnel effectif

Se pose, également, la question de la conformité des exclusions automatiques de soumissionner au droit à un recours juridictionnel effectif [74].

Disposant d’une valeur constitutionnelle [75], le droit à un recours juridictionnel effectif découle de l’article 16 de la DDHC selon lequel « toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Invocable en QPC [76], il est le socle commun de la garantie effective de l’ensemble des droits et libertés [77]. Il veille à ce que ne soient pas portées « d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction » [78]. Faisant application de ce droit en matière pénale [79], civile [80] et administrative [81], le Conseil constitutionnel sanctionne systématiquement les hypothèses où la loi ne permet aucun accès au juge [82]. Parfois, il interprète l’absence de voie de recours comme privant de garanties légales la protection constitutionnelle de certains droits et libertés comme la liberté d’entreprendre [83] ou le droit au respect de la vie privée [84]. À l’inverse, le juge constitutionnel, dans une approche globale, refuse de censurer une loi si un recours juridictionnel – direct ou indirect – est envisageable [85].  

S’agissant des exclusions automatiques de soumissionner, elles ne paraissent pas être exclues de tout recours juridictionnel. En effet, la procédure de relèvement leur est ouverte et nous paraît devoir être prise en compte dans le contrôle exercé par le Conseil au titre de l’article 16 de la DDHC (à la différence de celui opéré au regard de l’article 8 de la DDHC). En effet, la conformité au droit au recours ne suppose pas qu’une interdiction soit prononcée par un juge mais seulement qu’elle puisse, en toutes hypothèses, être contestée devant celui-ci. L’existence d’une voie juridictionnelle de contestation permet donc de s’assurer de cette exigence.

Le relèvement confère à la juridiction qui a prononcé la condamnation pénale définitive la possibilité d’effacer l’interdiction, la déchéance ou l’incapacité – au titre desquelles figure l’exclusion de plein droit des contrats de la commande publique – résultant automatiquement de ladite condamnation. L'exclusion de la mention d'une condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire [86] et la réhabilitation [87] emportent également relèvement des peines accessoires.

Face à une interdiction automatique de candidater, le justiciable n’est donc pas dépourvu de tout recours. En revanche, il n’est pas évident que ce recours soit effectif. À ce sujet, la jurisprudence du Conseil constitutionnel précise qu’en l’absence de tout délai pour que le juge se prononce sur le recours exercé devant lui, la loi viole le droit à un recours juridictionnel effectif [88]. Le juge constitutionnel assimile cette situation à une absence de recours. Par exemple, méconnaît le droit à un recours effectif une loi qui ne prévoit aucun délai imparti au juge d’instruction, ou toute autre juridiction, pour se prononcer sur une demande de restitution d’un bien placé sous main de justice [89]. Réitérant cette approche, le Conseil constitutionnel a explicitement énoncé que l'absence de délai déterminé dévolu au juge d'instruction pour répondre à une demande de permis de visite d'un membre de la famille de la personne placée en détention provisoire doit être considérée comme « n’ouvr[ant] aucune voie de recours », ce qui méconnaît les exigences de l’article 16 de la DDHC [90].

Or, aucun texte ne fixe un délai impératif dans lequel le juge pénal doit obligatoirement se prononcer sur la demande de relèvement de l’exclusion automatique de soumissionner [91]. L’ineffectivité de ce recours est, d’ailleurs, mise en exergue par les praticiens qui appellent de leurs vœux la création d’un « référé-relèvement » [92] pour que l’opérateur économique pénalement condamné puisse être relevé, dans un délai utile, de sa peine accessoire et, ainsi, candidater à un contrat de la commande publique. Plus encore, l’inefficacité du relèvement s’agissant des exclusions automatiques de soumissionner est constatée par le Conseil d’État lui-même « eu égard à [ses] conditions d'octroi, notamment de délai, et à [ses] effets » [93].

Le Conseil constitutionnel aurait ainsi matière à censurer les articles L. 2141-1 et L. 3123-1 du CCP pour violation du droit à un recours juridictionnel effectif.

 

En conclusion, si les arguments au soutien de l’incompatibilité à la Constitution des exclusions automatiques de soumissionner sont sérieux, l’incertitude règne toutefois sur le sens de la décision que rendront les Sages tant les obstacles sont nombreux jusqu’à la déclaration d’inconstitutionnalité – contrôle d’une loi de transposition, qualification de sanction punitive et effectivité du recours en relèvement. Qu’importe l’issue, cette saisine du Conseil a néanmoins le mérite d’alimenter le mouvement émergent du contentieux QPC des contrats publics. Qui sait, cette affaire marquera-t-elle peut-être un tournant en concrétisant la première censure d’une loi, dans le contentieux a posteriori, en droit de la commande publique. Une telle hypothèse appelle, alors, deux remarques.

D’une part, le CCP ne sera pas entièrement vidé de toutes les exclusions automatiques de soumissionner. Survivront notamment, à la faveur de textes différents de ceux déférés devant le Conseil [94], celles concernant les contrats de défense ou de sécurité pour la commission d’infractions spécifiques [95], à charge pour le législateur de revoir sa copie ou le justiciable de soulever contre elles une nouvelle QPC.

D’autre part, le législateur français se trouvera dans la délicate situation de devoir réécrire le CCP en ménageant tant les exigences constitutionnelles que les impératifs du droit dérivé de la commande publique. Cette tâche, si elle n’est pas impossible, sera néanmoins délicate, ces deux corps de règles supra-législatives étant pour partie animés par des objectifs distincts – la préservation des garanties juridiques pour le premier et l’efficience économique du marché pour le second.

  Gaël Trouiller

 Élève-avocat

 

Références :

 [1] Trafic de stupéfiants, escroquerie, abus de confiance, blanchiment, actes de terrorisme, concussion, corruption, trafic d’influence, prise illégale d’intérêts, favoritisme, soustraction et détournement de biens, entrave à l’exercice de la justice, faux, participation à une association de malfaiteurs, fraude fiscale, infractions de résistance à l’impôt et traite d’êtres humains (art. L. 2141-1 et L. 3123-1 du CCP).

 

[2] Les articles 131-34 et 131-39, 5°, du code pénal ne visant que « les marchés publics », le principe d’interprétation stricte de la loi pénale nous paraît ainsi exclure les concessions ; v. en ce sens : D. Apelbaum, M. Durand-Poincloux, J. Peissel, « Condamnation pénale d'un opérateur économique : comment éviter l'exclusion automatique des marchés publics ? », Droit pénal, n° 6, juin 2021, étude 13 ; v. toutefois pour une interprétation téléologique contraire : X. Pin, « Exclusion des marchés publics », J.-Cl. Pénal Code, fasc. 20, 18 juin 2021.

 

[3] CCP, art. L. 2141-1 (pour les marchés publics) et L. 3123-1 (pour les concessions).

 

[4] CE, 14 juin 2019, Société Vert Marine, req. 419146 ; CJUE, 11 juin 2020, Vert Marine SAS c. Premier ministre, aff. C‑472/19.

 

[5] CE, 12 octobre 2020, Société Vert Marine, req. n° 419146.

 

[6] Cons. const., déc. n° 2020-857 QPC, 2 octobre 2020, Société Bâtiment mayennais.

 

[7] Cass. crim., 17 novembre 2021, pourvoi n° 21-83.121.

 

[8] Cons. const., déc. n° 2004-496 DC, 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l'économie numérique.

 

[9] Cons. const., déc. n° 2006-540 DC, 27 juillet 2006, Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.

 

[10] V. par ex. : Cons. const., déc. n° 2018-768 DC, 26 juillet 2018, Loi relative à la protection du secret des affaires, § 3.

 

[11] V. par ex. : Cons. const., 17 décembre 2010, déc. n° 2010-79 QPC, Kamel Daoudi, § 3.

 

[12] Art. 88-1 de la Constitution.

 

[13] Concl. M. Guyomar sur CE, ass., 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine, req. n° 287110.

 

[14] CE, 8 juillet 2015, M. B...., req. n° 390154, cons. 4.

 

[15] Cons. const., déc. n° 2021-940 QPC, 15 octobre 2021, Société Air France, § 13 ; v. également pour une logique jumelle dans le contrôle de la conformité à la Constitution des règlements devant le juge administratif : CE, 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine, req. n° 287110, cons. 11.

 

[16] V. par ex. : Cons. const., déc. 2014-373 QPC, 4 avril 2014, Société Séphora, § 5 à 7 ; v. également : Cons. const. déc. n° 2020-857 QPC, 2 octobre 2020, Société Bâtiment mayennais, § 14 à 17.

 

[17] V. par ex. : CE, 26 janvier 2018, M. A… B. c. OFPRA, req. n° 397611, § 6 à 8 ; CE, 10 décembre 2021, SNC MCC Axes, req. n° 457050, § 11.

 

[18] V. par ex. : Cass. soc., 15 juin 2011, pourvoi n° 10-27.130.

 

[19] Concl. S. Roussel sur CE, 9 juillet 2021, Société Air France, req. n° 450480.

 

[20] CE, 13 mars 2019, Mme. A… C…, req. n° 424565, § 7 à 9.

 

[21] Art. 57, paragr. 7, de la directive 2014/24/UE et art. 38, paragr. 10, de la directive 2014/23/UE.

 

[22] Ibid.

 

[23] Ibid.

 

[24] Le Conseil constitutionnel est toutefois libre, même si la Cour de cassation ne l’a pas retenu, de considérer que la directive fait écran (v. en ce sens : CE, 9 juillet 2021, req. 450480 et Cons. const., déc. n° 2021-940 QPC, 15 octobre 2021).

 

[25] V. par ex. : Cons. const., déc. n° 2010-84 QPC, 13 janvier 2011, SNC Eiffage Construction Val de Seine, § 3.

 

[26] E. Dreyer, « Le Conseil constitutionnel et la « matière » pénale : la QPC et les attentes déçues… », JCP G, n° 37, 12 septembre 2021, p. 976 ; B. de Lamy, « Mesures ayant le caractère d’une punition, mesure préventive et… peine perdue », RSC, 2013, p. 433.

 

[27] J.-H. Robert, « Interdictions, déchéances et incapacités - Un ostracisme non punitif », Droit pénal, n° 6, juin 2011, comm. 82 : « Le régime des interdictions, déchéances et incapacités encourues "de plein droit" évolue donc vers une grande diversification et il faudra, à l'avenir, apprendre leurs variations comme on apprend par cœur la liste de verbes irréguliers quand on étudie une langue étrangère ».

 

[28] A. Maron, J.-H. Robert, « Droit pénal - Droit pénal et procédure pénale – Chronique », JCP G, n° 43-44, 24 octobre 2011, doctr. 1176.

 

[29] E. Dreyer, « Question prioritaire de constitutionnalité - Le Conseil constitutionnel et la « matière » pénale La QPC et les attentes déçues... », JCP G, n° 37, 12 septembre 2011, p. 976.

 

[30] Cons. const., déc. n° 2011-132 QPC, 20 mai 2011, M. Ion C, § 7.

 

[31] Cons. const., déc. n° 2016-570 QPC, 29 septembre 2016, M. Pierre M, § 5.

 

[32] Cons. const., déc. n° 2011-114 QPC, 1er avril 2011, M. Didier P, § 5.

 

[33] Cons. const., déc. n° 2010-6/7 QPC, 11 juin 2010, M. Stéphane A. et autres, § 5 ; v. également en ce sens : Cons. const., déc. n° 99-140 DC, 15 mars 1999, Loi relative à la Nouvelle-Calédonie, § 42.

 

[34] Cons. const., déc. n° 2011-211 QPC, 27 janvier 2012, M. Éric M, § 4.

 

[35] Cons. const., déc. n° 2017-752 DC, 8 septembre 2017, Loi pour la confiance dans la vie politique, § 4 à 10.

 

[36] Cass. crim., 6 avril 2011, pourvoi n° 11-90.009.

 

[37] Cass. crim., 20 décembre 2017, pourvoi n° 17-90.018.

 

[38] À noter que le Conseil constitutionnel peut, même si la Cour de cassation a jugé la QPC sérieuse, écarter celle-ci au motif que l’article 8 de la DDHC n’est pas applicable faute pour la disposition déférée d’instituer une sanction ayant le caractère d’une punition (v. not. : Cass. 3e civ., 24 mars 2011, pourvoi n° 10-24.180 et Cons. const. déc. n° 2011-132 QPC, 20 mai 2011, § 6).

 

[39] CEDH, 17 décembre 2009, M. c. Allemagne, n° 19359/04, § 130.

 

[40] CEDH, 9 février 1995, Welch c. Royaume-Uni, n° 17440/90, § 28 ; v. pour une application concernant une interdiction perpétuelle d’exercer une profession qualifiée de peine : CEDH, 12 janvier 2016, Gouarré Patte c. Andorre, 33427/10, § 30).

 

[41] C. pén., art. 132-1, al. 2.

 

[42] « Là où la raison d’être de la loi est la même, là, la disposition de la loi est la même » (H. Roland et L. Boyer, Adages du droit français, Litec, 1999).

 

[43] Cons. const., déc. n° 2017-752 DC, 8 septembre 2017, Loi pour la confiance dans la vie politique, § 8 ; v. également : Cons. const., déc. n° 2010-40 QPC, 29 septembre 2010, M. Thierry B, § 4.

 

[44] Cons. const., déc. n° 2011-117 QPC, 8 avril 2011, M. Jean-Paul H, § 11.

 

[45] Cons. const., déc. n° 2011-218 QPC, 3 février 2012, M. Cédric S., § 6 : « Considérant qu'il ressort d'une jurisprudence constante du Conseil d'État, que, pour un militaire, la perte du grade constitue une peine ; que le principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration de 1789 implique que cette peine ne puisse être appliquée que si le juge l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce ».

 

[46] Sur le fondement de l’article 8 de la DDHC mais, également, sur celui de l’article 5 qui dispose que « la Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société ».

 

[47] Cons. const., déc. n° 80-127 DC, 20 janvier 1981, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, § 12.

 

[48] Cons. const., déc. n° 2021-942 QPC, 21 octobre 2021, Société Décor habitat 77, § 5.

 

[49] V. par ex. : Cons. const., déc. n° 2011-625 DC, 10 mars 2011, Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, § 43 ; Cons. const., déc. n° 2013-679 DC, 4 décembre 2013, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, § 10.

 

[50] V. par ex. : Cons. const., déc. n° 2021-908 QPC, 26 mai 2021, Société KF3 Plus, § 3.

 

[51] V. not. : Cons. const., déc. n° 2015-501 QPC, 27 novembre 2015, M. Anis T, § 8.

 

[52] Cette notion est également utilisée dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel (v. par ex. : Cons. const., déc. n° 2015-501 QPC, 27 novembre 2015, M. Anis T., § 11 ; Cons. const., déc n° 2019-827 QPC, 28 février 2020, M. Gérard F., § 17).

 

[53] V. Cons. const., déc. n° 2000-433 DC, 27 juillet 2000, Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, § 52 (à propos de la censure d’une loi instituant une sanction automatique d’insertion d’un communiqué dans les programmes pour les éditeurs audiovisuels ayant manqué à leurs obligations) ; v. également pour une peine complémentaire d’interdiction d’entrer dans une enceinte de transports publics de longue distance : Cons. const., déc. n° 2013-318 QPC, 7 juin 2013, M. Mohamed T, § 19.

 

[54] Cons. const., déc. n° 93-325 DC, 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, § 49.

 

[55] Cons. const., n° 99-410 DC, 15 mars 1999, Loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, § 42.

 

[56] Cons. const., déc. n° 2005-520 DC, 22 juillet 2005, Loi précisant le déroulement de l'audience d'homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, § 3.

 

[57] V. par ex. : Cons. const., déc. n° 2007-553 DC, 3 mars 2007, Loi relative à la prévention de la délinquance, § 28.

 

[58] V. par ex. : Cons. const., déc. n° 2010-40 QPC, 29 septembre 2010, Thierry B, § 3.

 

[59] V. par ex. : Cons. const., déc. n° 2010-72/75/82 QPC, 10 décembre 2010, Alain D. et autres, § 3 ; Cons. const., déc. n° 2010-41 QPC, 29 septembre 2010, Société Cdiscount, § 3.

 

[60] P. Gaïa et autres, Droit des libertés fondamentales, Dalloz, coll. Précis, 8e édition, p. 585.

 

[61] V. par ex. : Cons. const., déc. n° 2018-742 QPC, 26 octobre 2018, M. Husamettin M, § 5.

 

[62] V. par ex. : Cons. const., déc n° 2007-554 DC, 9 août 2007, Loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, § 13.

 

[63] V. not. : Commentaire sous : Cons. const., déc. n° 2007-554 DC, 9 août 2007, p. 3.

 

[64] Cons. const., déc. n° 2010-6/7 QPC, 11 juin 2010, M. Stéphane A. et autres, § 5 ; v. concernant la perte de grade de plein droit pour un militaire condamné à un crime ou à certains délits : Cons. const., déc. n° 2011-218 QPC, 3 février 2012, M. Cédric S.

 

[65] Cons. const., déc. n° 2017-752 DC, 8 septembre 2017, Loi pour la confiance dans la vie politique, § 9.

 

[66] Cons. const., déc. n° 2010-40 QPC, 29 septembre 2010, M. Thierry B., § 5.

 

[67] Cons. const., déc. n° 2007-554 DC, 9 août 2007, Loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, § 14.

 

[68] V. pour le faisceau d’indices employé par le Conseil constitutionnel pour le contrôle qu’il exerce au regard du principe d’individualisation des peines : Commentaire sous : Cons. const., déc. n° 2016-619 QPC, 16 mars 2017, Société Segula Matra Automotive, p. 12 et 13.

 

[69] Prévu à l’article 132-21, al. 2, du code pénal, lequel renvoie, pour son régime, aux articles 702-1 et 703 du code de procédure pénale.

 

[70] Cons. const., déc. n° 2010-6/7 QPC, 11 juin 2010, M. Stéphane A. et autres, § 5 ; v. également en ce sens : Cons. const., déc. n° 99-410 DC, 15 mars 1999, Loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, § 41.

 

[71] CPP, art. 775-1, al. 2.

 

[72] Cons. const., déc. n° 2011-218 QPC, 3 février 2012, M. Cédric S, § 7.

 

[73] Commentaire sous : Cons. const., déc. n° 2010-6/7 QPC, 11 juin 2010, M. Stéphane A. et autres, p. 5.

 

[74] À noter que la Cour de cassation vise, dans sa décision de renvoi, le droit d’« accès au juge » (v. également en ce sens : Cass, crim., 30 janvier 2019, pourvoi n° 18-85.581 ; Cass, crim., 8 juin 2021, pourvoi n° 21-90.012). Cette dénomination n’est toutefois pas employée par le Conseil constitutionnel qui lui préfère celle de « droit à un recours juridictionnel effectif » ou « droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction ».

 

[75] Cons. const., déc. n° 96-373 DC, 9 avril 1996, Loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française, § 83.

 

[76] V. not. : Cons. const., déc. n° 2010-15/23 QPC, 23 juillet 2010, Région Languedoc-Roussillon et autres.

 

[77] V. not. : Cons. const., déc. n° 93-325 DC, 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, § 3.

 

[78] V. par ex. : Cons. const., déc. n° 2016-561/562 QPC, 9 septembre 2016, M. Mukhtar A, § 8 ; Cons. const., déc. n° 2020-857 QPC, 2 octobre 2020, Société Bâtiment mayennais, § 18.

 

[79] V. par ex. : Cons. const., déc. 2010-38 QPC, 29 septembre 2010, M. Jean-Yves G.

 

[80] V. par ex. : Cons. const., déc. n° 2006-545 DC, 28 décembre 2006, Loi pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social, § 36.

 

[81] V. par ex. : Cons. const., déc. n° 96-373 DC, 9 avril 1996, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, § 85 ; Cons. const., déc. n° 2011-138 QPC, 17 juin 2011, Association Vivraviry, § 7.

 

[82] Tel fut, par exemple, le cas lorsque le Conseil a constaté l’inconstitutionnalité des dispositions du code de procédure pénale relatives aux demandes de mise en liberté pour les personnes placées en détention provisoire en ce qu’elles ne prévoyaient « aucun recours devant le juge judiciaire ne permet[tant] au justiciable d'obtenir qu'il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire » (Cons. const., déc. n° 2020-858/859 QPC, 2 octobre 2020, M. Geoffrey F. et autre, § 16) ; v. également : Cons. const., déc. n° 2014-387 QPC, 4 avril 2014, Jacques J., § 7 ; Cons. const., déc. n° 2015-499 QPC, 20 novembre 2015, Hassan B., § 4.

 

[83] Cons. const., déc. n° 2014-375 QPC, 21 mars 2014, M. Bertrand L. et autres, § 14.

 

[84] Cons. const., déc. n° 2013-357 QPC, 29 novembre 2013, Société Wesgate Charters Ltd, § 8.

 

[85] Par exemple, le Conseil a jugé qu’une loi fermant la possibilité d’invoquer l’exception d’illégalité d’un acte administratif ne méconnaît pas le droit à un recours juridictionnel effectif dès lors que la personne intéressée dispose, par ailleurs, de la possibilité d’exercer un recours en annulation par voie d’action ou de former un recours devant le juge administratif contre le refus que lui a opposé l’administration (Cons. const., déc. n° 2012-283 QPC, 23 novembre 2012, M. Antoine de M, § 12) ; v. également : Cons. const., déc. n° 2015-722 DC, 26 novembre 2015, Loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales, § 17 et 18.

 

[86] CPP, art. 775-1, al. 2.

 

[87] C. pén., art. 133-16, al. 1er.

 

[88] V. à ce propos : Commentaire sous : Cons. const., déc. n° 2020-857 QPC, 2 octobre 2020, Société Bâtiment mayennais, p. 17 : « le Conseil censure des dispositions conduisant à priver le requérant de tout recours contre une décision emportant des conséquences particulières ou ne lui offrant qu’un recours dénué de toute efficacité ».

 

[89] Cons. const., déc. n° 2015-494 QPC, 16 octobre 2015, Consorts R., § 7.

 

[90] Cons. const., déc. n° 2016-543 QPC, 24 mai 2016, Section française de l'observatoire international des prisons, § 16.

 

[91] V. not. : D. Apelbaum, M. Durand-Poincloux, J. Peissel, « Condamnation pénale d'un opérateur économique : comment éviter l'exclusion automatique des marchés publics ? », Droit pénal, n° 6, juin 2021, étude 13.

 

[92] Ibid.

 

[93] CE, 12 octobre 2020, req. n° 419146, § 6. 

 

[94] CCP, art. L. 2341-3, 1°, (pour les marchés publics de défense ou de sécurité) et art. L. 3123-13, 1°, (pour les concessions de défense ou de sécurité).

 

[95] Atteinte au secret professionnel ; trafic d’armes ; atteinte au secret de la défense nationale ; fabrication et commerce illégal de matériels de guerre, armes ou munitions ; importations, exportations ou transferts de matériels de guerre, armes ou munitions ; porter ou transporter des armes ou munitions.

Gaël TROUILLER