Obligation d'extinction des publicités lumineuses : et la lumière fut ?

 Extrait de la Gazette n° 52 - Mars 2023

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« Dans les prochains mois, 100% des panneaux lumineux s’éteindront chaque soir dès que les gares, les aéroports ou les stations de métro fermeront leurs portes. Cette mesure de bon sens, qui s’inscrit dans le cadre du plan de sobriété, est un pas supplémentaire pour atteindre les objectifs ambitieux que nous nous sommes fixés afin de réduire notre consommation d’énergie ».

C’est à l’occasion de la très récente présentation de la charte pour mieux réguler la publicité lumineuse dans les gares, stations et aéroports [1] que Monsieur Clément Beaune, ministre délégué chargé des Transports, a prononcé ces quelques mots. À l’heure de la sobriété énergétique, la question de la maîtrise du déploiement de la publicité lumineuse au regard des impératifs de l’urgence énergétique et écologique est incontestablement entrée dans le débat national. Qu’entend-on par publicité lumineuse ?

À titre liminaire, rappelons qu’aux termes de l’article L. 581-1 du Code de l’environnement, « [c]hacun a le droit d’exprimer et de diffuser informations et idées, quelle qu’en soit la nature, par le moyen de la publicité, d’enseignes et de préenseignes, conformément aux lois en vigueur et sous réserve des dispositions [du Code de l’environnement] ». Ensuite, en premier lieu, au sens de l’article L. 581-3 du Code de l’environnement, constitue une publicité « [...] à l’exclusion des enseignes et des préenseignes, toute inscription, forme ou image, destinée à informer le public ou à attirer son attention, les dispositifs dont le principal objet est de recevoir lesdites inscriptions, formes ou images étant assimilées à des publicités ». N’entrent ainsi pas dans la catégorie des publicités les enseignes définies par le même article comme une « inscription, forme ou image apposée sur un immeuble et relative à une activité qui s’y exerce » ou les préenseignes, qui s’entendent comme « toute inscription, forme ou image indiquant la proximité d’un immeuble où s’exerce une activité déterminée ». En second lieu, la publicité est dite lumineuse lorsqu’elle supporte une affiche éclairée par projection ou transparence, par l’extérieur ou par l’intérieur. Une publicité peut être éclairée par l’extérieur au moyen de spots, d’ampoules ou de rampes d’éclairage, et par l’intérieur grâce à des tubes néons. Il s’agit ici, par exemple, de caissons lumineux ou encore de panneaux vitrines. Des écrans diffusant des images fixes, animées et des vidéos sont entendus comme de la publicité numérique, laquelle est comprise dans la publicité lumineuse [2]. Selon une étude de l’Agence de la transition écologique (« ADEME ») en date de juillet 2020, les panneaux publicitaires lumineux ont connu une croissance de près de 40 % en deux ans, leur nombre s’élevant à 55 000 en 2019 contre 40 000 en 2017 [3]. Afin d’illustrer les « impacts environnementaux » générés par de tels panneaux, l’ADEME relevait que la consommation d’énergie d’un écran publicitaire de 2m² s’élève à 2 049 kWh/an, « ce qui est proche de la consommation moyenne d’un ménage français pour l’éclairage et l’électroménager (sans le chauffage) (2 350 kWh/an) ».

Dans le contexte actuel de crise énergétique, les pouvoirs publics en appellent ainsi à la contribution de tous aux économies d’énergie et s’intéressent plus particulièrement, dans cette dernière perspective, aux réglementations et autres actions volontaires pouvant être mises en œuvre afin de réduire la consommation d’énergie des publicités lumineuses. En ce sens, la réglementation afférente a progressivement fait l’objet d’une harmonisation sur le territoire français (I.), contribuant à sa meilleure lisibilité. Néanmoins, sa mise en œuvre demeure encore différenciée (II.).

I. L’harmonisation de la réglementation applicable à l’extinction des publicités lumineuses

Le régime relatif à l’extinction des publicités lumineuses, à l’origine appliqué de manière disparate sur le territoire français (1.1.) a finalement été harmonisé (1.2.).

1.1. Une réglementation originellement disparate Revenons un bref instant sur l’origine de la réglementation, au niveau national, de la publicité lumineuse. La genèse de cette réglementation a été motivée par des considérations environnementales et énergétiques. Le rapport sur le Grenelle de l’Environnement, lequel s’est tenu du 6 juillet au 25 octobre 2007, soulignait ainsi l’importance de la maîtrise des consommations énergétiques qui, selon les termes du rapporteur, « est la voie la plus sûre, la plus efficace, et à bien des égards la moins coûteuse, pour atteindre [les] objectifs de lutte contre le changement climatique » [4]. Outre les efforts à déployer dans le secteur du bâtiment, le rapporteur conseillait à la fois d’aligner les normes actuelles applicables aux appareils utilisés sur des normes exigeantes, mais également des actions simples, telles que l’obligation de prévoir l’inactivation des fonctions de veille des appareils et le retrait des ampoules à filament. Ces différentes propositions d’actions ont été traduites sur le plan législatif par l’adoption de la loi dite « Grenelle I » [5] qui, selon son article 1er, avait notamment pour objet de fixer les objectifs de lutte contre le changement climatique. Plus spécifiquement, en ce qui concerne les émissions lumineuses, l’article 41 de cette loi disposait que de telles émissions de lumières artificielles entraînant un gaspillage énergétique « feront l’objet de mesures de prévention, de suppression ou de limitation ». Cependant, la loi Grenelle I ne définissant que des grandes orientations retenues à la suite du Grenelle de l’Environnement, la mise en œuvre plus précise des objectifs qu’elle contenait s’est opérée à l’occasion de l’adoption de textes législatifs et réglementaires ultérieurs. C’est ainsi que la loi dite « Grenelle II » est venue modifier l’article L. 581-9 du Code de l’environnement, en prévoyant que la publicité lumineuse doit satisfaire à des prescriptions, prévues par décret en Conseil d’État, en matière d’économies d’énergie [6]. Lesdites prescriptions ont été fixées par un décret du 30 janvier 2012 [7]. Sans prétendre à une analyse exhaustive des modifications introduites par ce décret, nous nous limiterons à certaines d’entre elles, pertinentes pour le présent article. Retenons que l’article 8. I. de ce décret a modifié l’article R. 581-35 du Code de l’environnement afin d’encadrer l’obligation d’extinction des publicités lumineuses selon la taille des unités urbaines concernées. Dans les unités urbaines de moins de 800 000 habitants, les publicités lumineuses devaient être éteintes entre 1 heure et 6 heures, à l’exception de celles installées sur l’emprise des aéroports, de celles éclairées par projection ou transparence supportées par le mobilier urbain, et des publicités numériques supportées par ce mobilier, à condition que leurs images soient fixes. Dans les unités urbaines de plus de 800 000 habitants, le deuxième alinéa de l’article R. 581-35 précité renvoyait aux prescriptions du règlement local de publicité. À cet égard, l’article R. 581-75 du même Code précisait que le règlement local de publicité définit les obligations et les modalités d’extinction des publicités lumineuses selon les zones qu’il identifie. Une dérogation à l’obligation d’éteindre les publicités lumineuses était prévue lors d’évènements exceptionnels définis par arrêté municipal ou préfectoral. Il résultait donc de ces dispositions une réglementation bicéphale de l’extinction : d’une part, celle organisée par l’article R. 581-35 et, d’autre part, celle organisée par le règlement local de publicité, pour les sept unités urbaines de plus de 800 000 habitants, à savoir les agglomérations de Paris, Lyon, Marseille-Aix, Lille, Toulouse, Bordeaux et Nice, représentant 850 communes [8].

Le régime applicable n’était pas harmonisé. Et il l’était d’autant moins que toutes les communes relevant des unités urbaines de plus de 800 000 habitants précitées ne disposaient pas d’un règlement local de publicité. À cet égard, certains s’étaient interrogés sur l’application de la règle d’extinction nocturne aux communes membres d’unités urbaines de plus de 800 000 habitants qui ne seraient pas dotées d’un tel règlement [9]. En effet, en l’absence d’un tel règlement, aucune obligation d’extinction ne s’appliquerait ; par conséquent, « [o]n ne [pouvait] donc pas parler de principe de l’extinction nocturne...» [9].

Par ailleurs, il convient de noter que l’article L. 581-14-3 du Code de l’environnement précisait que les réglementations spéciales en vigueur à la date de publication de la loi Grenelle II restaient valables jusqu’à leur révision ou leur modification, et pour une durée maximale de dix ans à compter de cette date. La loi dite « Engagement et Proximité » du 27 décembre 2019 [10] modifiant cet article avait prévu une durée de douze ans dans certains cas. Enfin, et conformément à l’article L. 581-43 de ce Code dans sa version résultant de la loi « Engagement et Proximité », à l’issue des durées susvisées, les publicités et autres enseignes et préenseignes mises en place en application de réglementations antérieurement applicables pouvaient être maintenues pendant un délai additionnel de deux ans. La mise en conformité des règlements locaux de publicité, voire l’évolution générale de la réglementation de la publicité lumineuse sur le territoire français étaient, si ce n’est attendues, à tout le moins espérées.

1.2. Une récente harmonisation bienvenue

L’année 2022 devait donc marquer la fin de la période de mise en conformité. Elle a, par ailleurs, malheureusement été le théâtre du déclenchement d’une crise énergétique d’une particulière intensité, mettant ainsi l’accent sur la nécessité de maîtriser d’autant plus les consommations d’énergie. C’est dans ce contexte qu’est tout d’abord intervenue la publication d’un décret, le 5 octobre 2022, portant modification de certaines dispositions du Code de l’environnement relatives, entre autres, aux règles d’extinction des publicités lumineuses, s’inscrivant dans une démarche de réduction des consommations d’énergie [11].

L’adoption de ce décret fait notamment suite aux propositions formulées dans le rapport de la Convention citoyenne pour le climat publié le 21 juin 2020 [12]. Parmi les objectifs formulés en matière de publicité, il s’agissait de réguler cette dernière pour réduire les incitations à la surconsommation. Si les propositions s’inscrivaient plutôt dans une démarche de réduction de consommation de produits polluants, par l’intermédiaire de la publicité, l’on comprend qu’une telle régulation de la publicité est elle-même indirectement motivée par des considérations énergétiques, en ce sens que « la surexposition publicitaire n’est pas compatible avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030. [...] » (p. 27, nous soulignons).

Le Conseil national de l’évaluation des normes relevait en ce sens, dans son avis favorable sur le projet de décret daté du 25 novembre 2021 [13], que le ministre soulignait que les dispositions dudit projet « seront de nature à générer des économies, d’une part, en réduisant la consommation d’énergie, et d’autre part, en supprimant l’obligation pour les agglomérations de plus de 800 000 habitants d’élaborer un règlement local de publicité pour prévoir des règles d’extinction nocturne des publicités lumineuses » (nous soulignons). Le décret du 5 octobre a ainsi introduit plusieurs modifications en ce sens. Tout d’abord, par son article 1er, le décret réécrit l’article R. 581-35 du Code de l’environnement en supprimant la distinction entre les unités urbaines de moins et de plus de 800 000 habitants. Ce faisant, la réglementation relative à l’extinction des publicités lumineuses entre 1 heure et 6 heures s’en est trouvée harmonisée, après plus d’une dizaine d’années de disparités sur le territoire. À cet égard, il a été relevé en doctrine que cette extension de l’obligation ne touchait que 2,5 % des 35 000 communes françaises en 2022, mais concernait en fait près de 18 millions d’habitants, soit plus du quart de la population française [14].

Ensuite, par son article 3, le décret a inséré un article R. 581-87-1 dans le Code de l’environnement, créant une infraction spécifique, et punissant de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe « le fait d’apposer, de faire apposer ou de maintenir après mise en demeure, une publicité ou une enseigne lumineuse sans observer les prescriptions de l’article R. 581-35 et des troisième à cinquième alinéas de l’article R. 581-59 ». Pour mémoire, selon les dispositions de l’article L. 131-13 du Code pénal, le montant de cette amende s’élève à 1500 euros au plus, voire peut être porté à 3000 euros en cas de récidive. Enfin, aux termes de l’article 4 du décret, l’entrée en vigueur de l’obligation d’extinction est différée au 1er juin 2023 pour les publicités lumineuses supportées par le mobilier urbain. Pour toutes les autres publicités lumineuses, l’obligation devait entrer en vigueur le 7 octobre 2022, soit le lendemain de la publication du décret au Journal officiel. Relevons également que, dans la foulée, le 6 octobre 2022, a été adopté le plan de sobriété énergétique du Gouvernement, dans lequel la ministre de la transition énergétique rappelait que « la sobriété énergétique, ce sont des efforts collectifs, proportionnés, raisonnables pour faire la chasse au gaspillage d’énergie » [15].

Parmi les différentes actions pouvant être menées par les entreprises en matière de lutte contre le gaspillage et d’encouragement des économies d’énergie, est proposée celle de réduire l’éclairage extérieur, notamment publicitaire, pour l’éteindre au plus tard à 1 heure. Dans le secteur des activités tertiaires et marchandes et dans les établissements recevant du public plus spécifiquement, les différents acteurs s’engagent à éteindre les lumières et les enseignes lumineuses des cafés et restaurants à la fin du service, de même que les enseignes des hôtels entre minuit et 6 heures. Des mesures de bon sens, donc. Enfin, un dernier décret du 17 octobre 2022 est venu compléter le « triptyque » de la réglementation nouvellement adoptée [16]. Pris sur le fondement de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 [17], le décret porte obligation d’extinction des publicités lumineuses en cas de situation de forte tension du système électrique, c’est-à-dire lorsque RTE -le gestionnaire du réseau public de transport d’électricité- émet un signal Ecowatt rouge. Pour rappel, Ecowatt, présenté comme la « météo de l’électricité » [18] a pour objet d’aider à mieux consommer l’électricité en adaptant sa propre consommation selon les alertes de différentes couleurs émises par RTE, permettant d’assurer le bon approvisionnement de tous.

Ainsi, les publicités visées à l’article L. 143-6-2 du Code de l’énergie, c’est à dire « toute publicité lumineuse, toute publicité supportant des affiches éclairées par projection ou transparence ou toute publicité numérique en agglomération et hors agglomération, sur les voies ouvertes à la circulation publique ainsi que dans les aéroports, les gares ferroviaires et routières et les stations et arrêts de transports en commun de personnes, [et] les publicités situées à l’intérieur d’un local lorsque leur emplacement les rend visibles depuis la voie publique » devaient, lors de l’émission d’une alerte rouge, être éteintes, ou à défaut mises en veille (nous soulignons) [19]. Sans anticiper sur les considérations ultérieurement développées dans le présent article, il importe de noter que l’article 2 de ce décret prévoyait une entrée en vigueur différée de l’obligation d’extinction. En effet, s’il était d’application immédiate à compter du lendemain de sa publication pour les publicités numériques et les publicités dont le fonctionnement ou l’éclairage est pilotable à distance, il ne devait s’appliquer à l’ensemble des publicités mentionnées à l’article L. 143-6-2 du Code de l’énergie qu’à compter du 1er juin 2023. Bien qu’unifié dans sa mise en œuvre sur l’ensemble du territoire français, le régime applicable maintient encore des distinctions dans son application, lesquelles ont suscité des réactions contentieuses de la part des opérateurs du secteur.

II. La différenciation dans la mise en œuvre de l’obligation d’extinction des publicités lumineuses

Les entreprises opérant dans le secteur de la publicité lumineuse ont pu voir dans la réglementation relative à l’obligation d’extinction une méconnaissance du principe d’égalité, non partagée par le Conseil d’État (2.1.), ainsi qu’une méconnaissance, avérée, du principe de sécurité juridique (2.2.).

2.1. De l’absence de violation du principe d’égalité

L’exemption d’extinction reconnue au bénéfice des publicités lumineuses situées dans l’emprise des aéroports et sur le mobilier urbain, instaurée par l’article R. 581-35 du Code de l’environnement, a, dès 2012, soulevé quelques interrogations relatives au principe d’égalité. Le Professeur Philippe Zavoli s’interrogeait en ce sens sur « la légalité d’une telle différence de traitement selon que la publicité est ou non installée sur du mobilier urbain ». Cela dit, et comme relevé par ce professeur, il résulte de l’article L. 581-9 de ce Code que le pouvoir réglementaire « a bien été habilité à prendre les règles spécifiques au bénéfice de la publicité sur mobilier urbain ». Pour autant, le décret du 30 janvier 2012 instaurant ces nouvelles règles d’extinction des publicités lumineuses a fait l’objet de demandes d’annulation, sur lesquelles le Conseil d’État s’est prononcé le 4 décembre 2013 [20]. Si la décision n’a pas retenu l’attention s’agissant des développements qui suivent, elle n’en demeure pas moins ici pertinente. Les associations France Nature Environnement et Agir pour les paysages, et la société CBS Outdoor, demandaient respectivement l’annulation du décret susvisé et l’annulation de l’article 8. I. modifiant l’article R. 581-35 du Code de l’environnement, en ce que ces dispositions excluent de l’obligation d’extinction entre 1 heure et 6 heures les publicités lumineuses et les publicités numériques lorsqu’elles sont supportées par le mobilier urbain. Selon la société requérante, ces dispositions méconnaissaient le principe d’égalité en instituant une discrimination illégale entre le mobilier urbain, exempté de l’obligation d’extinction, et les autres supports. Pour rejeter le moyen, le Conseil d’État retient que l’éclairage du mobilier urbain au cours de la nuit « permet à ces dispositifs d’assurer leur fonction d’information des usagers des transports publics et des usagers des voies publiques et contribue à la sécurité publique dans les agglomérations ». Il ajoute que l’éclairage de ces dispositifs et celui des informations et, le cas échéant, de la publicité éclairée qu’ils supportent ne peuvent être dissociés. Il en résulte donc que l’exonération reconnue au bénéfice du mobilier urbain ne méconnaît pas le principe d’égalité.

En outre, la requérante arguait de ce que l’exonération de l’obligation d’extinction porte atteinte à la concurrence sur le marché de la publicité extérieure en conférant un avantage injustifié à ses concurrents dont l’activité repose principalement sur ce mode d’affichage. À cet égard, les juges rappellent la jurisprudence constante selon laquelle l’autorité investie du pouvoir réglementaire n’est pas exonérée de l’obligation de prendre en compte la liberté du commerce et de l’industrie lorsqu’elle adopte une mesure susceptible d’affecter les activités de production, de distribution ou de services, quand bien même la mesure a pour objectif, comme en l’espèce, la protection du cadre de vie et de l’environnement [21]. Or, le Conseil d’État a retenu en l’espèce que la société n’apportait pas d’éléments circonstanciés susceptibles d’établir que cette exonération, par elle-même et alors que l’implantation et l’utilisation de ce type de support ne sont pas réservées en propre à une catégorie d’entreprises, serait de nature à donner un avantage déterminant à ses concurrents et à porter atteinte au libre exercice de la concurrence. Dans ces conditions, les conclusions des requérantes relatives à la méconnaissance des principes précités ont été rejetées.

Dix années plus tard, c’est du décret du 5 octobre 2022, exemptant de l’obligation d’extinction les publicités lumineuses situées sur l’emprise des aéroports, dont les juges du Palais-Royal ont eu à connaître, par le biais du Syndicat national de la publicité extérieure (« SNPE ») [22]. Plus précisément, comme le relevait le Rapporteur public dans ses conclusions sur cette affaire [23], les demandes d’annulation du SNPE étaient particulièrement dirigées contre l’article 1er du décret. Selon le syndicat requérant, cette disposition méconnaît le principe d’égalité en exemptant d’extinction les publicités lumineuses situées sur l’emprise des aéroports, alors qu’aucune exception similaire n’est prévue pour le marché d’intérêt national de Rungis. En ce sens, le requérant soulignait qu’à l’instar de certains aéroports, ce marché est ouvert toute la nuit, et l’essentiel de son activité est assuré pendant cette période. Le SNPE, considérant que, dans la mesure où le marché de Rungis se trouvait dans une situation semblable à celle des aéroports, il devait se voir appliquer la même exemption. Cependant pour le Rapporteur public, la situation paraissait « objectivement assez différente pour que la question de l’égalité de traitement ne se pose pas ». En ce sens, il relevait que les aéroports présentent des particularités s’agissant de leur activité et de leur fréquentation, que ces particularités ne se limitent pas à une ouverture nocturne éventuelle et qu’elles ne se « retrouvent pas toutes au marché de Rungis ». Et d’illustrer : le trafic ouvert à tous les passagers, et pas seulement aux professionnels, dans les conditions qui le soumettent à la concurrence internationale.

Dans leur décision du 24 février, les juges suivent le Rapporteur public et rejettent le moyen en ces termes : « eu égard aux différences de situation, de nature d’activité et de fréquentation entre les aéroports et le marché de Rungis, et alors même que toutes deux en ont commun d’avoir une activité nocturne, le pouvoir réglementaire n’a pas, en tout état de cause méconnu le principe d’égalité ». Notons également que le SNPE arguait d’une méconnaissance du principe d’égalité résultant de la discrimination qu’aurait instaurée l’article 4 du décret entre les publicités supportées par le mobilier urbain et les autres, pour lesquelles l’entrée en vigueur de l’obligation n’était pas différée au 1er juin 2023.

D’un revers de la main, le Conseil d’État écarte le moyen en retenant que, jusqu’alors, le mobilier urbain était exempté de façon générale de cette obligation. Au regard de l’ampleur du changement de réglementation, la situation était ainsi différente et justifiait une entrée en vigueur différée pour ce type de mobilier. Si le moyen tiré de l’atteinte au principe d’égalité n’a su prospérer, tel n’est pas le cas de celui tiré de l’atteinte au principe de sécurité juridique reconnue par la décision de 2022, dans laquelle, par ailleurs, le Conseil d’État a consacré l’intérêt général attaché aux efforts d’économies d’énergie.

2.2. De l’atteinte au principe de sécurité juridique

Il convient de noter que le SNPE avait, en parallèle de son recours en annulation, introduit un référé-suspension sur le fondement de l’article L. 521-1 du CJA dirigé contre le décret du 5 octobre [24]. Le syndicat soutenait que la condition d’urgence était satisfaite dès lors que les dispositions sont entrées en vigueur le lendemain de leur publication au Journal officiel, que les opérateurs sont dans l’incapacité technique de respecter les nouvelles règles à brève échéance, et qu’ils s’exposent à de graves difficultés financières compte tenu des sanctions pénales. De plus, selon le syndicat, il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision et celle-ci est entachée d’une erreur de droit en ce qu’elle méconnaît le principe de sécurité juridique, dès lors qu’elle ne met en place aucune période transitoire permettant aux opérateurs d’adapter leurs dispositifs.

Dans leur ordonnance du 26 octobre 2022, les juges ont conclu au défaut d’urgence à suspendre l’exécution du décret. Ils ont en effet relevé qu’il « n’apparaît cependant pas qu’une intervention à bref délai destinée au réglage d’une partie significative des horloges programmées pour permettre l’éclairage nocturne des dispositifs publicitaires qui sont répartis entre de nombreuses entreprises, s’avérerait matériellement impossible ». De plus, le syndicat se bornait à alléguer que les poursuites pénales massives et systématiques menaçaient la pérennité économique des opérateurs dont il défend les intérêts sans justifier, par aucune pièce, de leur risque réel et actuel. La requête du SNPE a donc été rejetée sans que le Conseil d’État se soit prononcé sur la légalité des dispositions contestées ; ce qu’il a été amené à faire dans le cadre du recours au fond introduit par le SNPE présenté en 2.1.

Outre la méconnaissance du principe d’égalité soulevée par le requérant, celui-ci arguait d’une atteinte au principe de sécurité juridique en ce que les dispositions du décret sont immédiatement applicables et ne ménagent pas de régime transitoire pour permettre aux professionnels d’intervenir sur les dispositifs d’éclairage des publicités lumineuses dont le fonctionnement n’est pas pilotable à distance. Dans sa décision du 24 février, la Haute juridiction a tout d’abord énoncé les termes des articles L. 221-5 et L. 221-6 du Code des relations entre le public et l’administration (« CRPA ») relatifs aux mesures transitoires. Ensuite, à l’instar du Rapporteur public dans ses conclusions, le Conseil d’État a rappelé qu’il n’existe aucun droit au maintien de la réglementation existante [25], mais qu’il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires que peuvent impliquer une réglementation nouvelle, lorsque son application immédiate entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause. Ce faisant, le Conseil d’État reprend ses jurisprudences KPMG et Madame Lacroix, de principe en la matière [26]. Les juges relèvent que, dès lors qu’une absence de mise en conformité peut conduire au prononcé de contraventions, il incombait au pouvoir réglementaire de permettre aux opérateurs de disposer d’un délai pour procéder à cette mise en conformité, pour des motifs de sécurité juridique.

Dans ces conditions, l’entrée en vigueur de l’obligation d’extinction le 7 octobre 2022 porte une atteinte excessive aux intérêts des entreprises du secteur. À cet égard, relevons qu’il est curieux que le décret « Ecowatt » précité, publié le 17 octobre, soit quelques jours seulement après le décret du 5 octobre, ait songé à différer l’obligation d’extinction pour les dispositifs non pilotables à distance, alors que celui du 5 octobre n’en disait mot. Néanmoins, il importe de noter que, dans cette décision du 24 février, le Conseil d’État affirme que « la généralisation de l’obligation d’extinction nocturne répond à l’intérêt général qui s’attache à la protection de l’environnement et du cadre de vie ainsi qu’aux efforts d’économie d’énergie et de lutte contre le gaspillage énergétique » (nous soulignons). À notre connaissance, c’est la première fois que la Haute juridiction consacre, de la sorte, l’intérêt général attaché aux efforts d’économies d’énergie et à la lutte contre le gaspillage énergétique. En effet, si les juges ont très récemment reconnu l’intérêt général attaché à la réduction de la consommation énergétique des bâtiments résidentiels, une telle reconnaissance n’était que sectorielle [27].

Dans la présente affaire, le Rapporteur public relevait que le ministre se prévalait, entre autres, du contexte particulier de crise énergétique et des tensions sur le réseau électrique, à l’époque redoutées dans la perspective de l’hiver. Cet intérêt public, selon lui, pesait « lourd » dans la balance des intérêts publics pouvant justifier une entrée en vigueur immédiate des dispositions au regard de l’atteinte portée aux autres intérêts. De plus, s’il observe que le décret n’instaure pas ex nihilo une obligation d’extinction, et que les professionnels du secteur ont été informés de l’évolution de la réglementation, cette dernière circonstance ne saurait justifier de considérer que les opérateurs se devaient de se mettre en conformité avec la nouvelle réglementation avant même son adoption. Sur ce point, l’argument du SNPE selon lequel tous les dispositifs de publicité lumineuse ne sont pas pilotables à distance et nécessitent donc une intervention sur place a emporté la conviction du Rapporteur public, ce dernier appelant ainsi les juges au réalisme dans la solution à apporter au litige. Ainsi, après une mise en balance des intérêts, l’intérêt général attaché aux économies d’énergie n’empêchait pas une entrée en vigueur -un peu- différée de l’obligation d’extinction pour ces dispositifs. Eu égard à ce qui précède, les juges du Palais-Royal annulent l’article 4 du décret en tant qu’il n’a pas différé d’un mois l’entrée en vigueur de l’obligation d’extinction des publicités lumineuses autres que celles supportées par le mobilier urbain et dont le fonctionnement ou l’éclairage n’est pas pilotable à distance. Par conséquent, l’obligation d’extinction s’applique depuis le 7 novembre 2022 pour les dispositifs non pilotables à distance. En pratique, la portée de cette solution demeure pour autant limitée aux opérateurs éventuellement sanctionnés entre le 7 octobre 2022 et la date d’entrée en vigueur telle que reportée un mois plus tard par le Conseil d’État. Néanmoins, elle est l’occasion de rappeler l’attention qui doit être accordée, le cas échéant, à la définition de mesures transitoires à l’occasion d’une nouvelle réglementation, dans un contexte par ailleurs inédit.

* * *

Au-delà de l’harmonisation de la réglementation des publicités lumineuses sur le territoire français, son évolution au travers des décennies s’inscrit dans une volonté de mieux prendre en compte les différents enjeux écologiques et énergétiques, actuels et futurs. La reconnaissance de l’intérêt général attaché aux efforts d’économies d’énergie et à la lutte contre le gaspillage énergétique, qui ont motivé l’adoption d’une telle réglementation, témoigne encore de l’importance et de la nécessité de mener des actions de réduction de consommation de l’énergie dans différents secteurs, et d’autant plus dans un contexte de crise énergétique. Il est intéressant de relever qu’une proposition de loi relative à l’interdiction de toute forme de publicité numérique et lumineuse dans l’espace public avait été déposée le 21 février 2023 devant l’Assemblée nationale [28]. Elle comportait un unique article visant, comme sa dénomination l’indiquait, à interdire toute publicité lumineuse sur les voies ouvertes à la circulation publique, dans les aéroports, les gares, les stations et arrêts de transports en commun de personnes, ainsi qu’à l’intérieur d’un local lorsque les publicités sont visibles depuis la voie publique. Cet article a été rejeté dans son intégralité par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire le 29 mars 2023, considérant globalement l’inadéquation entre une interdiction totale des publicités lumineuses et la mise en œuvre de la sobriété énergétique. La proposition de loi a été retirée le 5 avril par la députée l’ayant déposée. Dans cette démarche de sobriété, remarquons, pour conclure, que la ministre de la Transition énergétique et le ministre délégué chargé des Transports ont annoncé la signature d’une charte pour mieux réguler la publicité lumineuse dans les gares, stations et aéroports avec les opérateurs de transport, prenant presque le contrepied de la feue proposition de loi [29]. Cette charte, adoptée dans le cadre du plan de sobriété énergétique mentionné en 1.2. du présent article, engage sept opérateurs de transport à « aller plus loin que la réglementation relative à la publicité extérieure », par exemple, en équipant ou en faisant progressivement équiper les dispositifs de publicités lumineuses situés dans les aéroports, les gares et stations afin qu’ils puissent être éteints ou, à défaut, mis en veille pendant les horaires de fermeture au public. Également, ils s’engagent à mettre en œuvre, lors de la fermeture de ces lieux, l’extinction ou la mise en veille des publicités lumineuses équipées du dispositif le permettant. Enfin, les signataires de la charte s’engagent à établir une « stratégie sobriété » fondée sur des trajectoires de réduction des consommations électriques et d’émission carbone du parc des publicités lumineuses en tenant compte des caractéristiques, usages et besoins des univers de transports selon leurs périmètres.

En ce sens, chaque opérateur a pris des engagements spécifiques, annexés à la charte, et devra publier sur site internet, au plus tard le 1er janvier 2024, sa « stratégie sobriété » et les avancées observées. La ministre avait déclaré lors de la présentation de cette charte que « les mesures d’extinction des panneaux sont concrètes et les objectifs de décarbonation sont ambitieux », et qu’il était fait « le pari de l’incitation et de la confiance plutôt que celui de la coercition ». Si la démarche peut sembler saluable, il est néanmoins permis de s’interroger sur la portée, somme toute relative, de ces engagements, qui ne paraissent pas à la hauteur de l’ampleur des enjeux énergétiques actuels.

Références :

[1] Charte d’engagement des gestionnaires de gares, stations et aéroports et des régies publicitaires en matière de sobriété énergétique - Mieux réguler la publicité lumineuse, accessible ici.

[2] Publicités, enseignes et bâtiments professionnels : quel éclairage nocturne ? Direction de l’information légale et administrative (Premier ministre), Ministère chargé de l’environnement, 19 octobre 2022.

[3] ADEME, Modélisation et évaluation environnementale de panneaux publicitaires numériques, Juillet 2020, accessible ici.

[4] Grenelle de l’Environnement : rapport général, 27 octobre 2007, Thierry Tuot, accessible ici, p. 11.

[5] Loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement, JORF n° 0179 du 5 août 2009.

[6] Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, JORF n° 0160 du 13 juillet 2010.

[7] Décret n° 2012-118 du 30 janvier 2012 relatif à la publicité extérieure, aux enseignes, et aux préenseignes, JORF n° 0026 du 31 janvier 2012.

[8] Jean-Philippe Strebler, Généralisation de l’extinction nocturne des publicités lumineuses… avec quelques exceptions, AJDA 2022, p. 2123.

[9] Philippe Zavoli, Les ambivalences du nouveau régime national de la publicité, AJDA 2012, p. 1174.

[10] Loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, JORF n° 0301 du 28 décembre 2019.

[11] Décret n° 2022-1294 du 5 octobre 2022 portant modification de certaines dispositions du code de l'environnement relatives aux règles d'extinction des publicités lumineuses et aux enseignes lumineuses, JORF n° 0232 du 6 octobre 2022.

[12] Rapport de la Convention citoyenne pour le climat, 21 juin 2020, accessible ici.

[13] Conseil national de l’évaluation des normes, séance du 25 novembre 2021, Délibération n° 21-11-25-02681, Projet de décret portant modification de certaines dispositions du code de l’environnement relatives à la surface des publicités et des enseignes et aux règles d’extinction des publicités lumineuses et enseignes lumineuses, accessible ici.

[14] Jean-Philippe Strebler, Généralisation de l’extinction nocturne des publicités lumineuses… avec quelques exceptions, préc.

[15] Plan de sobriété énergétique du Gouvernement, 6 octobre 2022, accessible ici.

[16] Décret n° 2022-1331 du 17 octobre 2022 portant obligation d’extinction des publicités lumineuses en cas de situation de forte tension du système électrique, JORF n° 0242 du 18 octobre 2022.

[17] Loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, JORF n° 0189 du 17 août 2022.

[18] V. : https://www.monecowatt.fr/

[19] Art. 1er, décret n° 2022-1331, préc.

[20] CE, 4 décembre 2013, req. n° 357839.

[21] V. : CE, 23 mai 2012, Régie autonome des transports parisiens, req. n° 348909 ; CE, 29 octobre 2012, Commune de Tours, req. n° 341173 ; plus récemment CE, 28 décembre 2020, Fédération française des combustibles , carburants et chauffages, req. n° 428753.

[22] CE, 24 février 2023, req. n° 468221.

[23] M. Philippe Ranquet, conclusions sur CE, 24 février 2023, préc.

[24] CE, ord. 26 octobre 2022, req. n° 468222.

[25] V. : CE, 25 juin 1954, Syndicat national de la meunerie à seigle, Rec. Lebon, p. 39 et sv. ; CE, 27 janvier 1961, Vannier, Rec., p. 60.

[26] CE, Ass., 24 mars 2006, Société KPMG, req. n° 288460 ; CE, Ass., 13 décembre 2006, Madame Lacroix, req. n° 287845.

[27] CE, 5 janvier 2023, req. n° 468506.

[28] Proposition de loi visant à interdire toute forme de publicité numérique et lumineuse dans l’espace public, déposée le 21 février 2023 devant l’Assemblée nationale, retirée le 5 avril 2023. Dossier législatif accessible ici.

[29] Charte d’engagement des gestionnaires de gares, stations et aéroports et des régies publicitaires en matière de sobriété énergétique, préc.

Chloé Mifsud

Juliette Kuentz