Le tiers financement dans les marchés publics : un outil clé face à l’urgence climatique

 Extrait de la Gazette n°52 - Mars 2023

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Entre 400 et 500 milliards d’euros [1]. C’est le coût d’investissement des travaux de rénovation énergétique nécessaire pour faire face aux dépenses à engager afin d’atteindre les objectifs d’économies d’énergie et de neutralité carbone à l’horizon 2050 [2]. En effet, les bâtiments publics de l’État et des collectivités territoriales, qui représentent près de 400 millions de mètres carrés, soit 38 % du parc tertiaire national [3], sont responsables de 44 % de la consommation d’énergie finale et d’un quart des émissions de dioxyde de carbone de la France [4]. Or, les règles de la commande publique, en interdisant le paiement différé dans le cadre des marchés publics, n’aident pas à la réalisation des objectifs précités [5]. Face à cette priorité nationale de rénovation des bâtiments publics, la loi du 30 mars 2023 visant à ouvrir le tiers financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique [6] permet de déroger, à titre expérimental, et pour une durée de cinq ans, à l’interdiction de paiement différé dans les marchés publics. Il est à noter que l’idée de l’ouverture de ce mécanisme aux contrats publics n’est pas nouvelle. En effet, une première tentative avait déjà été faite lors du vote de la loi de finances pour 2022 [7]. Aux termes de son article 97, les personnes publiques pouvaient déroger, pour une durée de cinq ans, à certaines règles prévues par le Code de la commande publique (« CCP ») pour les contrats de performance énergétique conclus sous la forme d’un marché global de performance ou pour la rénovation énergétique d’un ou de plusieurs de leurs bâtiments. Le Conseil constitutionnel, qui avait considéré qu’une telle disposition ne pouvait trouver sa place dans une loi de finances, l’avait cependant écartée [8]. Ce nouvel outil suffira-t-il à venir en aide aux personnes publiques face à l’ampleur du montant des investissements nécessaires à la rénovation énergétique de leurs bâtiments ? En permettant de lisser le coût des travaux sur la durée du marché, la loi du 30 mars 2023 offre aux personnes publiques, à titre expérimental (II.), l’accès à un nouvel outil (I.). I. Un outil nouveau de rénovation énergétique des bâtiments publics La loi du 30 mars 2023 prévoit l’accès à un nouvel outil dérogeant au Code de la commande publique (1.1.) et ce, à des conditions simplifiées (1.2.).

1.1. Une dérogation au Code de la commande publique … Le CCP ne permet pas, en l’état du droit, le recours au tiers financement dans les marchés publics, consistant, selon l’exposé des motifs de la proposition de loi déposée par la députée Madame Bergé et les membres du groupe Renaissance, à « inclure un tiers dans le portage financier d’une rénovation énergétique de bâtiment, dans le cadre d’une offre complète. Le tiers réalise l’investissement, puis le bénéficiaire des travaux lui rembourse l’avance et les intérêts associés à compter de la date de livraison des travaux. Le tiers‑financement peut ainsi faciliter le déclenchement de la décision de réaliser des travaux de performance énergétique » [9]. En mars 2011, le rapport rendu par Maître Ortega au ministre de l’Écologie identifiait déjà, parmi les difficultés responsables de l’insuffisance du déploiement des contrats de performance énergétique via les marchés globaux de performance, celle de l’interdiction du paiement différé [10]. Afin de faire face à l’urgence climatique actuelle, la loi du 30 mars 2023 ouvre la possibilité aux personnes publiques de conclure des contrats de performance énergétique dérogeant aux articles L. 2191-2 à L. 2191-8 du CCP, sous la forme de marchés globaux de performance pour la rénovation d’un ou plusieurs de leurs bâtiments [11]. Pour rappel, le CCP distingue trois catégories de marchés publics globaux : les marchés de conception-réalisation, les marchés globaux de performance et les marchés sectoriels [12]. Le marché global de performance est défini comme un marché associant « l’exploitation ou la maintenance à la réalisation ou à la conception-réalisation de prestations afin de remplir des objectifs chiffrés de performance » [13]. Il est exécuté en deux étapes : une phase de conception-réalisation, correspondant aux travaux d’amélioration de la performance énergétique, et une phase d’exploitation et/ou de maintenance. La loi du 30 mars 2023 prévoit la possibilité, pour l’acheteur, d’ajuster les modalités de financement indiquées dans l’offre finale. Il est précisé que « cet ajustement de l’offre ne peut porter que sur la composante financière du coût global du contrat et est seulement fondé sur la variation des modalités de financement, à l’exclusion de tout autre élément ». Le texte insiste en outre sur le fait que cet ajustement ne peut avoir pour effet, « ni de remettre en cause les conditions de mise en concurrence en exonérant l’acheteur de l’obligation de respecter le principe du choix de l’offre économiquement la plus avantageuse ni de permettre au titulaire pressenti de bouleverser l’économie de son offre » [14]. Afin de sécuriser davantage les contrats, une disposition a été ajoutée, précisant que la durée d’un marché global de performance passé dans le cadre de l’expérimentation « est déterminée en fonction de la durée d’amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues » [15]. Enfin, pour assurer la cohérence du dispositif avec les dispositions législatives relatives à la sous‑traitance, le texte précise qu’en cas de recours au paiement différé, les sous‑traitants sont payés directement par l’entrepreneur principal mais bénéficient d’une action directe contre le maître d’ouvrage [16]. 1.2. ... aux conditions de recours simplifiées La loi du 30 avril 2023 précise les conditions de recours simplifiées à ces contrats : une étude préalable permettant de comparer les différents modes envisageables de réalisation du projet, et une étude de soutenabilité budgétaire. Il semble toutefois intéressant de noter que le texte initial prévoyait une étude de soutenabilité budgétaire, une condition de seuil, la présentation d’une évaluation préalable et l’établissement d’un bilan plus favorable. L’étude de soutenabilité budgétaire, considérée indispensable pour s’assurer du bon usage des deniers publics et mesurer les conséquences financières du contrat pour l’acheteur, a été maintenue. La condition de seuil, l’évaluation préalable et l’établissement d’un bilan plus favorable ont en revanche été supprimés. Le bilan a quant à lui été remplacé par l’étude préalable, qui permet la comparaison des différents modes envisageables de réalisation du projet. Ainsi, l’acheteur devra tout d’abord procéder à une étude préalable démontrant « que le recours à un tel contrat est plus favorable que le recours à d’autres modes de réalisation du projet, notamment en termes de performance énergétique. Le critère du paiement différé ne peut à lui seul constituer un avantage » [17].

Par ailleurs, une étude de soutenabilité budgétaire devra être réalisée pour apprécier notamment « les conséquences du contrat sur les finances publiques et la disponibilité des crédits ». Le texte précise que « lorsque le marché global de performance est conclu pour les besoins de plusieurs personnes morales, l’étude de soutenabilité budgétaire précise les engagements financiers supportés par chacune d’elles » [18]. Le rapport sur la proposition de loi dressé par la sénatrice Madame Eustache-Brinio indique que cette étude budgétaire a pour objet « d’évaluer la capacité de l’acheteur public à honorer à terme ses engagements contractuels, étant entendu que les économies d’énergie réalisées ne pourront pas compenser intégralement les importants coûts que représentent les travaux de rénovation énergétique » [19]. Ces garanties visent, de manière générale, à éviter les risques de surendettement des plus petites collectivités, qui pourraient voir en cet outil une solution de court terme sans financement viable. En l’absence de recul, à l’heure actuelle, sur la capacité de ce nouvel outil à répondre aux objectifs énergétiques de la France, la loi du 30 mars 2023 n’en a prévu qu’une application temporaire. II. Un outil expérimental de rénovation énergétique des bâtiments publics Ce nouvel outil, bien que seulement prévu à titre temporaire (2.1.), semble déjà soulever quelques inquiétudes (2.2.). 2.1. Un outil temporaire … La loi du 30 avril 2023 précise bien que le tiers financement sera ouvert à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales « à titre expérimental, pour une durée de cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi », afin de favoriser les travaux de rénovation énergétique [20]. Il importe toutefois de préciser que cette durée de cinq ans correspond uniquement à la période pendant laquelle ces contrats pourront être conclus, à partir de la promulgation de la loi. Leur durée d’exécution pourra donc excéder ce délai et s’étendre au-delà de la période d’expérimentation. Par ailleurs, un rapport d’évaluation sera remis dans les trois ans par le Gouvernement au Parlement. Le texte dresse une liste non exhaustive des dix points qui devront faire l’objet d’un examen par le rapport, parmi lesquels [21] :  Le nombre et la destination des bâtiments publics ayant fait l’objet de travaux de rénovation énergétique par le recours à ces contrats ;  Les économies d’énergie réalisées du fait des travaux de rénovation énergétique effectués dans le cadre de ces contrats ;  L’atteinte des objectifs chiffrés de performance énergétique définis dans ces contrats ;  Le recours à ces contrats par catégorie de collectivités territoriales, notamment par les communes de moins de 3 500 habitants ayant eu recours à la mutualisation de plusieurs opérations entre différentes communes ;  L’accompagnement des acheteurs publics, en particulier les collectivités territoriales et les établissements publics de santé, notamment pour la passation et l’exécution de ces contrats. Les conséquences budgétaires desdits contrats sur les finances des acheteurs publics concernés. Enfin, le texte précise que ce rapport devra être mis à jour et à nouveau transmis au Parlement, au plus tard six mois avant le terme de l’expérimentation. 2.2. … suscitant déjà plusieurs inquiétudes Pour résumer, ce nouveau texte permet aux personnes publiques « d’investir maintenant et de lisser dans le temps le coût de l’investissement », dont le remboursement sera « partiellement financé par les économies d’énergie réalisées grâce aux travaux », résume Monsieur Cazenave, rapporteur du texte devant l’Assemblée nationale [22].

Cependant, nous ne saurions manquer de soulever les différentes inquiétudes déjà émises par les députés, tenant principalement à la question de la complexité de la mise en œuvre de ce dispositif pour les collectivités. En premier lieu, se pose la question de l’intérêt réel de ce mécanisme, d’une part pour l’État, qui bénéficie déjà de canaux d’endettement simplifiés et de taux d’intérêt plus bas et, d’autre part, pour les collectivités, pour lesquelles il n’est pas certain que le tiers financement s’avérerait moins coûteux qu’un emprunt bancaire classique. La pertinence de l’idée même d’un tiers financement dérogeant aux lois de la commande publique en matière de rénovation thermique a également été interrogée, au regard notamment du risque de surendettement des plus petites collectivités, qui pourraient voir en cet outil une solution de court terme sans financement viable. Il est à espérer qu’un véritable accompagnement des collectivités territoriales par l’État permettrait d’éviter ce risque de surendettement, ainsi que d’assurer la garantie de la bonne appropriation du tiers financement par ces dernières. Des doutes ont enfin été émis par certains députés quant aux pratiques corruptives susceptibles d’être favorisées par le recours à des financements privés. À cet égard, il est important que les élus locaux puissent rester libres de décider d’un financement public ou privé au soutien de leurs projets. * * * En conclusion, le dispositif introduit par la loi du 30 mars 2023 promet un nouvel outil d’aide aux personnes publiques face à l’ampleur du montant des investissements nécessaires à la rénovation énergétique de leurs bâtiments. L’efficacité de ce texte complexe sera toutefois à contrôler sur la durée, tant au regard du risque d’endettement des plus petites collectivités territoriales, qu’au regard du risque de corruption qu’il pourrait engendrer.

Références :

[1] Examen en commission de la proposition de loi visant à ouvrir le tiers financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique - accessible ici.

[2] Code de l’énergie, art. L. 100-4.

[3] Rapport de la commission des lois.

[4] Énergie dans les bâtiments | Ministères Écologie Énergie Territoires (ecologie.gouv.fr)

[5] CCP, art. L. 2191-2 à L. 2191-8.

[6] Loi n° 2023-222 du 30 mars 2023 visant à ouvrir le tiers financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique, JORF n° 0077 du 31 mars 2023.

[7] Loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022, JORF n° 0304 du 31 décembre 2021.

[8] Conseil constitutionnel, Décision n° 2021-833 DC du 28 décembre 2021.

[9] Proposition de loi visant à ouvrir le tiers financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique.

[10] « Les contrats de performance énergétique », rapport à Madame Nathalie Kosciusko-Morizet, Ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement, par Olivier Ortega, avocat associé, mars 2011, accessible ici.

[11] Article 1er de la loi n° 2023-222 du 30 mars 2023.

[12] CCP, art. L. 2171-1.

[13] CCP, art. L. 2171-3.

[14] Article 2 de la loi n° 2023-222, préc.

[15] Article 2 XIV de la loi n° 2023-222, préc.

[16] Titre III de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance.

[17] Article 2 IV de la loi n° 2023-222, préc.

[18] Article 2 V de la loi n° 2023-222, préc.

[19] Rapport n° 321 (2022-2023) de Mme Jacqueline Eustache-Brinio, fait au nom de la commission des lois, déposé le 8 février 2023, accessible ici.

[20] Article 1er de la loi n° 2023-222, préc.

[21] Article 3 de la loi n° 2023-222, préc.

[22] Rapport de la commission des lois sur la proposition de loi, après engagement de la procédure accélérée, de Mme Aurore Bergé, M. Damien Abad et plusieurs de leurs collègues visant à ouvrir le tiers financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique (574). (M. Thomas Cazenave), accessible ici.

Maguelone Torti

Maguelonne Torti