Extrait de la Gazette n°49- Juin 2022
L’introduction d’une « clause filet » pour l’évaluation environnementale des projets était nécessaire au regard de la position adoptée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) puis par la Commission européenne (A). Elle est devenue une obligation pour le Gouvernement à la suite de l’injonction prononcée par le Conseil d’Etat en ce sens (B).
A) La nécessité de se conformer à l’interprétation de la directive donnée par les institutions européennes
Pour rappel, l’article 2§1 de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement impose que les projets susceptibles d’avoir une incidence notable sur l’environnement fassent l’objet d’une évaluation environnementale [2].
La France avait fait le choix de transposer cette directive en définissant, pour certaines activités listées dans le tableau annexé à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement, deux seuils reposant sur la dimension des projets. Au-dessus du premier seuil, les projets doivent obligatoirement et systématiquement faire l’objet d’une évaluation environnementale. Au-dessus du second seuil, une autorité doit déterminer, sur la base d’un examen au cas par cas, si le projet est susceptible de présenter des incidences notables sur l’environnement, auquel cas il doit faire l’objet d’une évaluation environnementale. Cela signifie qu’en dessous de ce second seuil, un projet n’était pas soumis à évaluation environnementale. Le système français souffrait dès lors d’une certaine incohérence, dans la mesure où des projets de faible dimension peuvent toutefois avoir des conséquences importantes pour l’environnement et la santé [3].
Par ailleurs, dès l’origine, la transposition effectuée en droit interne pouvait interroger au regard de la finalité de la directive 2011/92/UE, telle qu’interprétée par la CJUE. Dès un arrêt du 24 mars 2011 [4], la CJUE avait en effet souligné qu’« un projet de dimension même réduite peut avoir des incidences notables sur l’environnement » et doit dès lors être soumis à évaluation environnementale. Pour la CJUE, un Etat membre fixant « des seuils et/ou des critères en ne tenant compte que des dimensions des projets » outrepasse la marge d’appréciation dont il dispose pour la transposition de la directive relative à l’évaluation environnementale des projets.
Dans un rapport de mars 2015 [5], Jacques Vernier, président d’un groupe de travail sur la modernisation de l’évaluation environnementale, avait par conséquent proposé l’introduction en droit français d’une « clause filet, permettant de déclencher une étude d’impact, même en-dessous des seuils, lorsque le milieu naturel est sensible ». Il avait présenté cette mesure comme « indispensable au regard des exigences du droit européen ». Toutefois, cette proposition était restée lettre morte, alors que la réforme de l’évaluation environnementale par l’ordonnance du 3 août 2016 [6] aurait été l’occasion de l’introduire [7].
En 2019, la Commission européenne avait adressé à la France, en brandissant la menace d’un avis motivé, une lettre de mise en demeure pour non-conformité de la législation française avec la directive 2011/92/ UE, qui « semble exclure certains types de projets des procédures d'évaluation des incidences sur l'environnement et fixer des seuils d'exemption inadaptés pour les projets » [8]. Une mise en demeure complémentaire avait ensuite été adressée le 28 février 2021 pour demander à la France « de mettre sa législation nationale en conformité avec la directive concernant l’évaluation des incidences sur l’environnement », et en particulier avec « l’obligation faite à l’autorité compétente de prendre en considération les critères établis à l’annexe III de la directive pour déterminer si un projet relatif à une installation soumise à enregistrement doit faire l’objet d’une évaluation des incidences sur l’environnement » [9].
Si l’introduction d’une « clause filet » semblait nécessaire pour éviter que soit initiée une procédure en manquement contre la France, c’est finalement le juge administratif français qui a obligé le Gouvernement à s’atteler à la rédaction du texte.
B) La nécessité de se conformer à l’injonction formulée par le Conseil d’Etat
Par un arrêt France Nature Environnement du 15 avril 2021 [10], le Conseil d’Etat a enjoint au Premier ministre de prendre, dans un délai de neuf mois, « des dispositions réglementaires permettant qu'un projet, lorsqu'il apparaît qu'il est susceptible d'avoir une incidence notable sur l'environnement ou la santé humaine pour d'autres caractéristiques que sa dimension, notamment sa localisation, puisse être soumis à une évaluation environnementale ».
Dans cette décision plus que prévisible [11], le Conseil d’Etat a ainsi souligné qu’il « résulte des termes de la directive, tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne, que l'instauration, par les dispositions nationales, d'un seuil en-deçà duquel une catégorie de projets est exemptée d'évaluation environnementale n'est compatible avec les objectifs de cette directive que si les projets en cause, compte tenu, d'une part, de leurs caractéristiques, en particulier leur nature et leurs dimensions, d'autre part, de leur localisation, notamment la sensibilité environnementale des zones géographiques qu'ils sont susceptibles d'affecter, et, enfin, de leurs impacts potentiels ne sont pas susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine ».
C’est pour exécuter cette décision que le Gouvernement a publié, avec du retard, le décret n° 2022-422 du 25 mars 2022 relatif à l’évaluation environnementale des projets.
II. La « clause filet » du nouvel article R. 122-2-1 du Code de l’environnement : le choix de conserver un système de seuils en fonction de la taille des projets
L’introduction de la « clause filet » a pour conséquence la création d’une troisième catégorie de projets eux aussi susceptibles d’être soumis à évaluation environnementale (A). Le décret prévoit que la « clause filet » peut être utilisée à l’initiative de l’autorité compétente ou du maître d’ouvrage (B), et vient utilement préciser l’articulation de cette nouvelle procédure avec les procédures existantes (C).
A) La création d’une troisième catégorie de projets susceptibles d’être soumis à évaluation environnementale
Comme souligné par Monsieur Stéphane Hoynck dans ses conclusions sous la décision France Nature Environnement, il existait plusieurs manières d’intégrer une « clause filet » en droit français.
Il indiquait ainsi dans ses conclusions qu’en Allemagne « tous les projets de l’annexe I de la directive doivent faire l’objet d’une évaluation préliminaire de la nécessité d’une évaluation environnementale au moins en raison de leur localisation », tandis qu’en Italie, pays ayant « retenu un système de critères et de seuils » le droit « a prévu la possibilité que l’autorité compétente impose la réalisation d’une étude d’impact environnementale à un projet qui de prime abord, ne satisfait pas les critères mais qui peuvent potentiellement avoir des effets négatifs significatifs sur l’environnement ».
C’est finalement un système proche du droit italien qui est introduit en droit français, la logique des seuils étant maintenue [12]. Le décret du 25 mars 2022 met en effet en place un dispositif qui soumet à évaluation environnementale des projets qui sont, de par leur dimension, certes situés en deçà des seuils de la nomenclature annexée à l'article R. 122-2 du Code de l'environnement, mais qui sont néanmoins susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement et la santé humaine au regard des critères énumérés à l'annexe de l'article R. 122-3-1 du même code.
Le décret introduit un article R. 122-2-1 au sein du Code de l’environnement, dont le paragraphe I prévoit que « l'autorité compétente soumet à l'examen au cas par cas prévu au IV de l'article L. 122-1 tout projet, y compris de modification oud'extension, situé en deçà des seuils fixés à l'annexe de l'article R. 122-2 et dont elle est la première saisie, que ce soit dans le cadre d'une procédure d'autorisation ou d'une déclaration, lorsque ce projet lui apparaît susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine au regard des critères énumérés à l'annexe de l'article R. 122-3-1 ».
Dès lors, il convient désormais de distinguer trois catégories pour savoir si un projet est ou non soumis à évaluation environnementale [13]. En application du premier seuil de l’annexe à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement, une première catégorie de projets est soumise à évaluation environnementale de manière systématique, tandis qu’en application du second seuil, une seconde catégorie de projets est soumise à évaluation environnementale à la suite d’un examen au cas par cas. La troisième catégorie, introduite par le décret, comprend les projets en deçà des seuils, qui sont soumis à évaluation environnementale par application de la « clause- filet » de l’article R. 122-2-1 du Code de l’environnement.
B) Un mécanisme dont la mise en œuvre relève de l’initiative de l’autorité compétente ou du maître d’ouvrage
La soumission d’un projet situé en deçà des seuils de la nomenclature annexée à l'article R. 122-2 du Code de l’environnement à un examen au cas par cas peut être initiée par l’autorité compétente pour autoriser le projet, mais aussi par le maître d’ouvrage.
Le I de l’article R. 122-2-1 du Code de l’environnement prévoit que l'autorité compétente pour délivrer la première autorisation ou recevoir la première déclaration d'un projet est compétente pour le soumettre à l'examen au cas par cas s'il lui semble susceptible d'avoir des incidences sur l'environnement ou la santé humaine. Pour ce faire, l’autorité compétente doit informer par décision motivée et au plus tard quinze jours à compter du dépôt du dossier de demande d'autorisation ou de déclaration, le maître d'ouvrage de sa décision de soumettre le projet à examen au cas par cas. Le II de l’article R. 122-2-1 indique que le maître d’ouvrage doit ensuite lui-même saisir l'autorité en charge de cet examen au cas par cas dans les conditions prévues aux articles R. 122-3 et R. 122-3-1 du Code de l'environnement.
De manière alternative, le III de l’article R. 122-2-1 du Code de l’environnement prévoit que le maître d'ouvrage peut également, de sa propre initiative, saisir directement l'autorité chargée de l'examen au cas par cas, même si son projet est en dessous des seuils de la nomenclature. Dans ce cas, l’autorité compétente pour délivrer l'autorisation ou recevoir la déclaration d'un projet n’est donc pas consultée.
En revanche, il est intéressant de souligner que la mise en œuvre de la « clause filet » ne peut pas résulter de l’initiative de tiers. Une telle possibilité aurait pu bénéficier notamment aux associations de protection de l’environnement.
C) Une articulation bienvenue avec les procédures d’autorisation existantes dans d’autres législations
En plus d’introduire le nouvel article R. 122-2-1 au sein du Code de l’environnement, le décret du 25 mars 2022 contient également des dispositions visant à garantir la bonne articulation de cette nouvelle procédure « clause filet » avec les procédures existantes [14].
Le décret modifie des dispositions relatives au régime de l’autorisation environnementale [15], aux déclarations IOTA [16] et ICPE [17], à l’autorisation spéciale de travaux sur les monuments naturels et sites classés [18], à l’autorisation de défrichement [19], aux autorisations d’occupation ou d’utilisation du domaine public maritime naturel [20] et auxconcessions pour l’exploitation de cultures marines [21].
Ces dispositions s’attachent notamment à organiser le contenu du dossier et les modalités de suspension ou d’interruption des délais d’instruction en cas d’activation de la « clause-filet », et comportent des ajustements relatifs à l’enquête publique ou la participation du public par voie électronique [22]. L’insertion de la « clause filet » a également nécessité la modification de certaines dispositions du Code de l’urbanisme [23], car la nouvelle procédure a des conséquences sur le régime d’instruction des permis de construire, d’aménager et de démolir [24].
Ce souci du détail n’a cependant pas empêché le texte de souffrir de nombreuses lacunes, porteuses d’insécurité juridique pour les porteurs de projets.
III. La « clause filet » : une contrainte juridique supplémentaire qui manque de clarté
En application de la « clause filet », tout type de projet est désormais susceptible d’être soumis à évaluation environnementale (A). Si cette évolution est la bienvenue, la procédure mise en place comprend des zones grises créant un nouveau risque contentieux (C), et complexifie un peu plus l’état du droit (B).
A) La possibilité, pour tout type de projet, d’être soumis à évaluation environnementale
La première conséquence évidente de l’introduction de la procédure « clause filet » par le décret du 25 mars 2022 est que tous les projets sont désormais susceptibles d’être soumis à évaluation environnementale, quand bien même ils ne sont pas dans les seuils de la nomenclature annexée à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement.
Cette évolution doit être considérée comme une avancée, mais elle constitue inévitablement une nouvelle contrainte juridique susceptible d’augmenter les coûts de certains projets [25]. Les porteurs de projet devraient donc anticiper et être à même de démontrer en quoi leurs projets ne sont pas susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine s’ils veulent éviter un examen au cas par cas. A l’inverse, s’ils s’inscrivent dans une démarche de prudence, il est possible que les porteurs de projets situés en deçà des seuils saisissent de manière assez systématique l’autorité compétente afin de déterminer si une étude d’impact doit être réalisée [26], une telle saisine permettant d’écarter le risque contentieux une fois l’autorisation obtenue. Dans son avis de février 2022 sur le projet de décret [27], l’Autoritéenvironnementale encourageait « d’ores et déjà vivement les maîtres d’ouvrage, qui identifient un risque d’incidences notables pour l’environnement, à engager une évaluation environnementale et des échanges avec le public de façon volontaire, dans l’intérêt de l’environnement mais aussi pour accroitre la sécurité juridique du projet ». En tout état de cause, cette nouvelle contrainte juridique doit être prise en compte en amont afin de sécuriser le projet et les délais de réalisation envisagés.
B) Un niveau d’instruction supplémentaire source de complexité
Le nouvel article R. 122-2-1 du Code de l’environnement prévoit que ce sont les autorités compétentes pour instruire les demandes d’autorisation ou de déclaration qui doivent apprécier, dans un délai de quinze jours à compter du dépôt du dossier, l’incidence environnementale du projet, afin de décider s’il doit être soumis à examen au cas par cas.
A première vue, le choix d’un délai de quinze jours peut sembler bienvenu, car il n’induit pas un allongement excessif des délais de procédure pour les porteurs de projets. Pour autant, en raison de la brièveté de ce délai, il n’est pas possible d’écarter le risque de voir l’autorité compétente considérer « facilement », dans un souci de prudence, que le projet lui apparaît susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine, et qu’il doit en conséquence être soumis à examen au cas par cas. A ce titre, l’Autorité environnementale avait ainsi relevé dans son avis de février 2022 [28] que la question de « l’objectivité de l’autorité chargée de la mise en œuvre de la «clause filet » pouvait se poser, car « cette autorité est confrontée à l’injonction d’accélérer les procédures et de réduire les délais ». Ce manque possible d’objectivité était d’autant plus problématique pour l’Autorité en raison du « manque de transparence du dispositif », la procédure de mise en œuvre de la « clause filet » n’ayant aucun caractère public.
Par ailleurs, l’autorité compétente pour instruire les demandes d’autorisation d’un projet étant parfois distincte de l’autorité chargée de l’examen au cas par cas [29], la « clause filet » revient à introduire un niveau d’instruction supplémentaire. Dans son avis sur le projet de décret, l’Autorité environnementale s’en désolait en soulignant que le dispositif « introduit donc un niveau d’instruction et une autorité supplémentaires pour des projets qui ne seront qu’exceptionnellement soumis à évaluation environnementale », cette évolution n’étant pas la bienvenue car « la complexité actuelle de la procédure faisant intervenir au titre de l’autorité environnementale des acteurs multiples est déjà source d’insécurité juridique pour les porteurs de projets » [30]. Selon elle, il aurait été envisageable de confier la mise en œuvre de la « clause filet » à l’autorité environnementale, comme envisagé par le rapport Vernier [31].
C) Un nouveau risque contentieux pour les porteurs de projets
Comme évoqué précédemment, le mécanisme de la « clause filet » doit être pris en compte en amont par les porteurs de projets, afin que la réalisation, le cas échéant, d’une étude d’impact, ne bouleverse pas de manière trop importante le calendrier opérationnel du projet. Mais la « clause filet » introduit également un risque contentieux supplémentaire pour les porteurs de projet et, partant, des risques de rallongement des procédures de permitting.
En effet, comme souligné par l’Autorité environnementale dans son avis de février 2022, il est probable, en cas de décision de dispense d’évaluation environnementale après mise en œuvre de la « clause filet », que le juge administratif ne puisse être saisi que d’un recours dirigé contre la décision finale autorisant le projet [32]. C’est en tout cas la solution qui prévaut en matière de projets soumis à examen au cas par cas, le Conseil d’Etat ayant, par un avis du 6 avril 2016 (Conseil d’Etat, avis, 6 avril 2016, n° 395916) énoncé que « l'acte par lequel l'autorité de l'Etat compétente en matière d'environnement décide de dispenser d'évaluation environnementale un plan, schéma, programme ou autre document de planification mentionné à l'article L. 122-4 du code de l'environnement [...] a le caractère d'une mesure préparatoire [...] insusceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir » [33]. Il n’est donc pas risqué de penser que, de la même manière, l’illégalité de la décision de dispense prise au titre de la « clause filet » ne pourra être contestée qu’à l’occasion du recours dirigé contre la décision finale d’autorisation.
Cette subtilité contentieuse est susceptible de créer « un décalage dans le temps, qui pourra être important, entre le moment où est prise la décision de ne pas soumettre un projet à évaluation environnementale, et le moment où la décision d’autorisation est susceptible d’être attaquée en justice » [34]. Le décret du 25 mars 2022 a donc un effet paradoxal car s’il avait pour objet de sécuriser les projets qui étaient jusqu’ici exonérés d’évaluation environnementale au mépris du droit européen, il crée en fin de compte un nouveau risque contentieux lié à la mise en œuvre de la « clause filet » [35].
Par ailleurs, la procédure prévue au nouvel article R. 122-2-1 du Code de l’environnement est « applicable aux premières demandes d’autorisations ou déclarations de projet déposées à compter de sa date d’entrée en vigueur » [36], soit le 27 mars 2022. Si le décret apporte des précisions sur le type de projets visés, en faisant référence à « tout projet, y compris de modification ou d’extension [...] » [37], il contient, selon nous, des zones d’ombre concernant son applicabilité dans le temps.
En effet, si un dossier de déclaration ou de première demande d’une des autorisations requises pour le projet a été déposé avant le 27 mars 2022, l’article R. 122-2-1 nouveau ne devrait en principe pas être applicable, y compris à d’éventuelles autorisations subséquentes, si l’on s’en tient à une lecture stricte du texte. En revanche, la question peut se poser d’un projet dont le dossier de demande ou la déclaration aurait été déposé avant le 27 mars 2022, mais qui ferait l’objet d’une modification substantielle en cours d’instruction/en phase permitting, postérieurement à l’entrée en vigueur du décret. Dans ce cas, il semble difficile d’écarter le risque que l’administration requière le dépôt d’une nouvelle demande/déclaration qui pourrait être assimilée à une première demande, impliquant sa soumission à l’article R. 122-2-1 du Code de l’environnement [38]. Dans le même ordre d’idée, il serait possible d’imaginer qu’en cas de remise en cause de l’autorisation – en cas d’annulation juridictionnelle par exemple – le porteur de projet soit amené à renouveler une demande qui pourrait de facto être soumise au cadre prévu par l’article R. 122-2-1 du Code de l’environnement.
Une dernière lacune du décret du 25 mars 2022, qui accroît un peu plus le risque contentieux, tient à l’absence de précision quant à la conséquence, à l’issue du délai de quinze jours, de l’absence de décision expresse de l’autorité compétente pour décider que le projet doit être soumis à examen au cas par cas en application de la « clause filet ». Sur ce point, l’Autorité environnementale a souligné dans son avis sur le projet de décret que « selon l’interprétation constante de la directive Projet, un silence ne peut valoir exonération car le silence ne permet pas de vérifier que l’examen a bien été réellement mené » [39].
Au-delà d’un risquecontentieux, cette lacune crée aussi un risque de bouleversement du calendrier de réalisation du projet, dans le cas où l’autorité compétente décide tardivement de soumettre le projet à examen au cas par cas.
Ainsi, à la lumière de l’ensemble de ces éléments, si le décret « clause filet » du 25 mars 2022 permet une mise en conformité du droit français avec le droit de l’Union européenne, il complexifie encore un peu plus la procédure et crée un risque contentieux supplémentaire pour les porteurs de projets. Le texte s’est longtemps fait attendre mais on ne peut que remarquer, à l’instar de l’avis de l’Autorité environnementale, qu’il s’agit d’une opportunité manquée « d’aborder de façon globale et cohérente l’articulation entre les avis d’autorité environnementale, les décisions au cas par cas et cette clause filet, dans l’objectif de revenir à une approche à la fois plus simple et robuste juridiquement ».
Références
[1] : JORF n° 0072 du 26 mars 2022.
[2] : Article 2§1 de la directive 2011/92/UE : « Les États membres prennent les dispositions nécessaires pour que, avant l’octroi de l’autorisation, les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une procédure de demande d’autorisation et à une évaluation en ce qui concerne leurs incidences ».
[3] : Anne-Laure Youhnovski Sagon, « Naissance de la clause-filet : une réforme inachevée de l’évaluation environnementale », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales, n° 13, 4 avril 2022.
[4] : CJUE, 24 mars 2011, aff. C-435/09, Commission c/ Royaume de Belgique, §55, ECLI:EU:C:2011:176.
[5] : Jacques Vernier, « Moderniser l’évaluation environnementale », mars 2016, p.3
[6] : Ordonnance n° 2016-1058 du 3 août 2016 relative à la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes
[7] : Laetitia Santoni, « Evaluation environnementale – La clause filet prise dans les filets du Conseil d’Etat », Lexis Nexis, Construction – Urbanisme, n° 6, Juin 2021.
[8] : Commission européenne, Fiche d’information, « Procédures d’infractions du mois de mars : principales décisions », 7 mars 2019.
[9] : Commission européenne, Communiqué, « Procédures d’infractions du mois de février : principales décisions », 18 février 2021.
[10] : CE, 15 avril 2021, France Nature Environnement, req. n° 425424 : « 8. En vertu des seuils fixés au d) de la rubrique 44 du tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement, dans leur rédaction issue du décret attaqué, la construction d'équipements sportifs ou de loisirs ne figurant dans aucune autre rubrique du tableau et susceptibles d'accueillir un nombre de personnes égal ou inférieur à 1 000 est exemptée systématiquement de toute évaluation environnementale, quelles que puissent être, par ailleurs, leurs autres caractéristiques et notamment leur localisation. Ainsi, en ce qu'il exempte de toute évaluation environnementale ces projets à raison seulement de leur dimension, alors que, eu égard notamment à leur localisation, ces projets peuvent avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine, le décret attaqué méconnaît les objectifs de la directive du 13 décembre 2011 ».
[11] : Laetitia Santoni, « Evaluation environnementale – La clause filet prise dans les filets du Conseil d’Etat », op.cit.
[12] : Anne-Laure Youhnovski Sagon,« Naissance de la clause-filet : une réforme inachevée de l’évaluation environnementale », op.cit.
[13] : Anne-Laure Tulpain, « Evaluation environnementale des projets : le décret instaurant la clause-filet est publié ! », Editions Législatives, Environnement et nuisances, 28 mars 2022.
[14] : Delphine Déprez, « Evaluation environnementale : la « clause filet » est adoptée ! », La lettre Lamy de l’Environnement, n° 668, 8 avril 2022.
[15] : L’article 1 du décret modifie les articles D. 181- 15-1 et R. 181-16 du Code de l’environnement.
[16] : L’article 2 du décret crée un nouvel article R. 214-35-1 au sein du Code de l’environnement
[17] : L’article 4 du décret modifie les articles R. 512- 47 et R. 512-48 du Code de l’environnement.
[18] : L’article 3 du décret crée les articles R. 341-9-1 et R. 341-11-1 au sein du Code de l’environnement.
[19] : L’article 5 du décret modifie les articles R. 341- 1, R. 341-4 et R. 341-6 du Code forestier.
[20] : L’article 6 du décret modifie les articles R. 2124 -2, R. 2124-41 et R. 2124-56-1 du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques.
[21] : L’article 7 du décret modifie l’article R. 923-23 du Code rural et de la pêche maritime.
[22] : « Evaluation environnementale des projets : focus sur le décret ‘clause-filet’ », Editions Législatives, Dictionnaire permanent Construction et urbanisme, 8 avril 2022.
[23] : L’article 8 du décret modifie les articles R. 423- 20, R. 423-32, R. 423-25 et R. 431-36 du Code de l’urbanisme, et crée un nouvel article R. 451-6-1.
[24] : « Evaluation environnementale des projets : focus sur le décret ‘clause-filet’ », op.cit.
[25] : Olivier Buisine, « Évaluation environnementale : le décret de « clause filet » est publié ! », La Semaine Juridique Notariale et Immobilière n° 17, 29 Avril 2022, act. 498.
[26] : Ibid.
[27] : Autorité Environnementale, Avis délibéré de l’Autorité environnementale sur le projet de décret relatif à l’évaluation environnementale des projets, 10 février 2022.
[28] : Ibid.
[29] : L’article R. 122-3 du Code de l’environnement énumère les autorités chargées de l’examen au cas par cas prévu au premier alinéa du IV de l'article L. 122-1 du Code de l’environnement.
[30] : Autorité Environnementale, Avis délibéré de l’Autorité environnementale sur le projet de décret relatif à l’évaluation environnementale des projets, op.cit.
[31] : Ibid. : « Le rapport Vernier avait envisagé de confier la mise en œuvre de cette clause filet à l’autorité environnementale (sans formulaire, décision à rendre dans un délai de quinze jours), sous réserve de définir des filtres simples pour éviter que la « clause filet » soit trop souvent sollicitée et requière trop de moyens ».
[32] : Ibid.
[33] : CE, avis, 6 avril 2016, n° 395916 : « Si la décision imposant la réalisation d'une évaluation environnementale est, en vertu du IV de l'article R. 122-18 du code de l'environnement précité, un acte faisant grief susceptible d'être déféré au juge de l'excès de pouvoir après exercice d'un recours administratif préalable, tel n'est pas le cas de l'acte par lequel l'autorité de l'Etat compétente en matière d'environnement décide de dispenser d'évaluation environnementale un plan, schéma, programme ou autre document de planification mentionné à l'article L. 122-4 du code de l'environnement. Un tel acte a le caractère d'une mesure préparatoire à l'élaboration de ce plan, schéma, programme ou document, insusceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir, eu égard tant à son objet qu'aux règles particulières prévues au IV de l'article R. 122-18 du code de l'environnement pour contester la décision imposant la réalisation d'une évaluation environnementale. La décision de dispense d'évaluation environnementale pourra, en revanche, être contestée à l'occasion de l'exercice d'un recours contre la décision approuvant le plan, schéma, programme ou document ».
[34] : Autorité Environnementale, Avis délibéré de l’Autorité environnementale sur le projet de décret relatif à l’évaluation environnementale des projets, op.cit.
[35] : « Evaluation environnementale des projets : focus sur le décret ‘clause-filet’ », op.cit.
[36] : Article 9 du décret n° 2022-422 du 25 mars 2022.
[37] : Article 1 du décret n° 2022-422 du 25 mars 2022.
[38] : A titre de comparaison, l’article L. 752-15 du Code de commerce relatif aux autorisations commerciales des magasins à grande surface dispose qu’ « une nouvelle demande est nécessaire lorsque le projet, en cours d'instruction (...) subit des modifications substantielles ». L’article L. 212-10-2 du Code du cinéma et de l’image animée pose le même principe en ce qui concerne les demandes d’autorisation d’aménagement cinématographique.
[39] : Autorité Environnementale, Avis délibéré de l’Autorité environnementale sur le projet de décret relatif à l’évaluation environnementale des projets, op.cit.