Loi 3Ds et éolien : encadrement d’une pratique préexistante en faveur des maires

 Extrait de la Gazette n°50- septembre 2022

Communément appelée « loi 3Ds », la loi n° 2022- 217 en date du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, a été publiée au Journal Officiel le 22 février 2022 [1]. L’article 35 de cette loi insère un nouvel article L. 151-42-1 dans le Code de l’urbanisme, ayant pour vocation de réaffirmer le rôle des élus locaux dans les projets d’implantation d’éoliennes sur le territoire de leur commune [2].

Cette nouvelle disposition est rédigée comme suit :

« Le règlement peut délimiter les secteurs dans lesquels l’implantation d’installations de production d’électricité à partir de l’Energie mécanique du vent est soumise à conditions, dès lors qu’elles sont incompatibles avec le voisinage habité ou avec l’usage des terrains situés à proximité ou qu’elles portent atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, à la qualité architecturale, urbaine et paysagère, à la mise en valeur du patrimoine et à l’insertion des installations dans le milieu environnant » [2].

Il s’agit, pour les auteurs d’un plan local d’urbanisme (PLU), de créer un nouveau règlement graphique limitant l’installation d’éoliennes au sein de certaines zones. Sous peine de voir l’autorisation environnementale nécessaire leur être refusée, les promoteurs qui souhaitent implanter des éoliennes sur le territoire d’une commune devront respecter les prescriptions nouvelles du règlement écrit établi par cette dernière.

Cette nouvelle disposition est susceptible d’appeler des questionnements quant à son efficacité. En effet, le nouvel article L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme, légalisation d’une pratique existante (I.), pose de nombreuses questions quant à son application (II.).

I. L’article L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme ou la légalisation d’une pratique existante

Avant l’apparition de la loi 3Ds, les maires disposaient déjà de la possibilité de limiter l’implantation d’éoliennes au sein de leur commune (A). Face aux nombreux recours exercés contre ces règlementations, une légalisation de cette pratique est toutefois apparue opportune (B).

A. La préexistence d’une pratique indirecte mais réelle

Le nouvel article L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme permet aux auteurs de plans locaux d’urbanisme de délimiter les zones permettant l’implantation d’éoliennes et, en cas d’autorisation, de les soumettre à certaines conditions. Cette évolution ne consiste en réalité qu’en l’encadrement d’une pratique indirecte mais déjà existante, exercée de longue date par les élus locaux. Les maires disposaient en effet déjà de la possibilité d’interdire de façon totale ou partielle l’installation d’éoliennes sur leur commune, par l’usage de différents outils classiques du droit de l’urbanisme.

 « La définition des secteurs d’implantations des éoliennes au sein des zonages règlementaires du PLU. Le PLU devant, dans tous les cas, justifier des éventuelles interdictions qui pourraient grever certaines zones et montrer la proportionnalité́ des éventuelles règles encadrant les implantations acceptées. Une interdiction générale et absolue couvrant l’intégralité du territoire étant par nature difficile à justifier, elle est à proscrire. », pouvait-on lire, dans le « Guide à des destination des élus » sur « l’éolien et l’urbanisme », édité́ en 2019 par le ministère de la Transition écologique et solidaire [3]. Ce Guide rappelait tout d’abord que l’implantation d’éoliennes pouvait faire l’objet d’orientations d’aménagement et de programmation ou d’emplacements réserves. Ce document évoquait en outre la possibilité́ de limiter l’installation d’éoliennes par le biais du règlement du plan local d’urbanisme, notamment dans les zones agricoles (A) et naturelles (N). Notons toutefois qu’en zone A ou N, sont généralement admis sous conditions les « équipements collectifs », qualification à laquelle répondent les parcs éoliens [4].

Il était également déjà possible d’interdire l’implantation d’éoliennes dans les zones urbanisées (U) et à urbaniser (AU), du fait de la sécurité publique ou de l’insertion dans l’architecture environnante.

Les maires pouvaient, de surcroît, insérer des impératifs de préservation des paysages dans les définitions de zonages sensibles. L’article L. 151-19 du Code de l’urbanisme, rédigé comme suit, permet en effet de définir des lieux à préserver :

« Le règlement peut identifier et localiser les éléments de paysage et identifier, localiser et délimiter les quartiers, îlots, immeubles bâtis ou non bâtis, espaces publics, monuments, sites et secteurs à protéger, à conserver, à mettre en valeur ou à requalifier pour des motifs d'ordre culturel, historique ou architectural et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer leur préservation leur conservation ou leur restauration. Lorsqu'il s'agit d'espaces boisés, il est fait application du régime d'exception prévu à l'article L. 421-4 pour les coupes et abattages d'arbres » [5].

Par ailleurs, depuis la loi « Climat et résilience », publiée au Journal Officiel le 24 août 2021, les maires de la commune d’implantation et des communes limitrophes sont avisés d’un projet éolien « au moins un mois » avant le dépôt de la demande d’autorisation [6]. Le conseil municipal de la commune d’implantation dispose ensuite de la possibilité de partager ses observations aux porteurs de projets, lesquels lui doivent une réponse sous un délai d’un mois [6]. Notons qu’en l’absence de réaction, le second alinéa de l’article L. 181-28-2 du Code de l’environnement prévoit que le maire est réputé avoir renoncé à adresser ses observations aux porteurs du projet [7]. Dans ce cas, le maire semble avoir indirectement acquiescé au projet en l’état, ce qui pourrait représenter un risque pour la commune. L'article précité prévoit enfin en son troisième alinéa qu’en cas d’observations du maire, « le porteur de projet adresse sous un mois une réponse aux observations formulées, en indiquant les évolutions du projet qui sont proposées pour en tenir compte » [7].

Bien que non opposables aux projets éoliens, les plans climat-air-énergie territorial (PCAET), les schémas de cohérence territoriale (Scot), ou encore les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), sont autant d’autres outils régissant déjà l’implantation des projets éoliens [8].

Enfin, en application de la circulaire adressée aux préfets de région le 27 mai 2021, des cartographies de zones potentiellement favorables à la construction de nouvelles infrastructures éoliennes sont attendues pour la fin de l’année 2022 [9].

B. Une volonté de réaffirmer le rôle des maires dans les projets éoliens sur leur territoire

L’adoption de la loi 3Ds s’est inscrite dans la continuité du Grand Débat national, lancé en décembre 2018 par le Président de la République, dont l’objectif était de discuter de la mise en place de solutions nouvelles, permettant de réaliser une action publique mieux adaptée aux spécificités de chaque territoire, de gagner en flexibilité et en efficacité [10]. La loi 3Ds concrétise ainsi l’engagement du Président Emmanuel Macron, pris à l’issue de ce débat public national, d’apporter des réponses concrètes aux besoins pratiques et opérationnels des collectivités territoriales.

Le texte de loi, qui comprend un total de 270 articles portant sur divers sujets, s'articule autour de quatre grandes priorités. La différenciation territoriale tout d’abord, afin de donner aux collectivités la flexibilité dont elles ont besoin pour adapter leurs actions aux caractéristiques de leur territoire. La décentralisation ensuite, afin d’accorder aux élus la responsabilité de « relever, dans la proximité, les grands défis du pays ».

La déconcentration en troisième lieu, afin d’assurer une bonne coordination de l’action gouvernementale sur le terrain. La simplification, enfin, afin de « faciliter l’action publique locale » [11].

L’introduction, par la loi 3Ds, du nouvel article L. 151-42-1 au sein du Code de l’urbanisme, lequel s’inscrit dans le bloc « Réussir la transition écologique dans les territoires », poursuit à ce titre un double objectif : favoriser le développement des énergies renouvelables et de l’économie circulaire ; et conforter le rôle des collectivités territoriales dans la transition écologique [9].

Avant l’apparition de la loi 3Ds, de nombreux recours étaient intentés devant le juge administratif en réponse à la mise en œuvre, par les élus locaux, de règles restreignant la possibilité d’implantations éoliennes sur leurs territoires.

Le nouvel article L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme se veut ainsi compléter l’arsenal d’outils classiques dont disposent les maires pour garder le contrôle sur ces implantations.

Reste à déterminer l’efficacité de ce nouvel outil en faveur des maires.

II. L’article L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme : un nouvel outil d’encadrement ?

L’article L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme, disposition à l’application et au devenir encore incertains (B.), a toutefois le mérite de poser deux critères objectifs de règlementation des parcs éoliens (A.).

A. L’élaboration de deux critères objectifs : l’incompatibilité et l’atteinte

Le nouvel article L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme prévoit qu’une zone règlementée peut être fixée au regard de cinq différentes incompatibilités ou atteintes avec un projet d’implantation éolien, à savoir : « le voisinage habité », « l’usage des terrains situés à proximité », « les espaces naturels et les paysages », « la qualité architecturale, urbaine et paysagère » et, enfin, « la mise en valeur du patrimoine et l’insertion des installations dans le milieu environnant » [2].

Le premier critère, celui de l’incompatibilité, semble offrir, en pratique, de larges possibilités de réglementation aux élus locaux. En effet, pour limiter l’implantation d’éoliennes sur le territoire d’une commune, l’incompatibilité avec le « voisinage habité » ou avec « l’usage des terrains situés à proximité » devra-t-elle être excessive, ou simplement gênante ? De quelle nature pourraient être ces incompatibilités ?

Notons par ailleurs que l’article L. 515-44 du Code de l’environnement protège déjà̀ les zones habitées, en prévoyant que les éoliennes « dont la hauteur des mâts dépasse 50 mètres » sont soumises au respect d’une distance d’éloignement minimum de 500 mètres entre les installations et les constructions à usage d’habitation, les immeubles habités et les zones destinées à l’habitation [12].

La compatibilité avec « l’usage des terrains situés à proximité » pose également question en raison de sa formulation large. Quel sera en effet le mode d’emploi de l’appréciation de cet « usage » ? Sera-t-il défini au regard du zonage du plan local d’urbanisme, ou d’une autre façon ?

Une visibilité importante sur un parc éolien depuis un monument historique ou un site naturel pourrait-elle justifier d’une incompatibilité suffisante, comme le juge l’a déjà recherché en matière éolienne [13] ?

Nous pouvons supposer qu’il appartiendra aux collectivités d’apporter la preuve de l’existence de cette incompatibilité́, au cas par cas, devant le juge administratif.

Le critère de l’atteinte « à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, à la qualité architecturale, urbaine et paysagère, à la mise en valeur du patrimoine et à l’insertion des installations dans le milieu environnant », semble plus classique que celui de l’incoémpatibilité [2]. En effet, l’atteinte est un critère communément utilisé en droit de l’environnement, tout comme en droit de l’urbanisme. Il apparait notamment en droit de l’environnement au sein des contentieux portant sur la prévention des atteintes par les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) aux dangers et inconvénients, comme la protection des paysages et « la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique » [14].

En matière d’urbanisme et, plus précisément, de plan local d’urbanisme, l’atteinte est appréciée au regard du caractère ou de l’intérêt des lieux avoisinants, des sites, des paysages naturels ou urbains ainsi qu’au regard de la conservation des perspectives monumentales [15].

La méthodologie du juge administratif quant à l’appréciation du critère de l’atteinte est, tout comme pour celui de l’incompatibilité, encore assez méconnu.

Rappelons cependant que pour déterminer si un projet constitue un risque d’atteinte aux éléments précités, il appartient à l’autorité administrative d’apprécier la qualité du site sur lequel la construction est envisagée, puis d’évaluer l’impact que celle-ci pourrait avoir sur ce dernier, tant du point de vue de sa nature que de ses effets. Cette norme d’appréciation fait l’objet d’une jurisprudence constante, depuis la décision Association Engoulevent, rendue par le Conseil d’État le 13 juillet 2012 [16].

L’objectif sera donc, pour les maires, de justifier leurs choix de réglementation d’implantation d’éoliennes de la façon la plus précise possible, de manière à anticiper les litiges qui en découleront.

B. Une disposition à l’application et au devenir encore incertains

L’article L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme ne sera probablement pas simple à manier pour les élus locaux, à tout le moins dans un premier temps. En effet, le cadre juridique des conditions d’implantation des éoliennes contenus dans le nouvel article du Code de l’urbanisme n’a pas encore été précisé. Nous sommes également dans l’attente de précisions quant aux critères pour l’identification et la définition des secteurs réglementés.

La loi 3Ds autorise par ailleurs les élus locaux à recourir à une procédure de modification simplifiée du règlement de leur plan local d’urbanisme prévue aux articles L. 153-45 à L. 153-48 du Code de l’urbanisme, afin d’identifier des secteurs d’implantation sous conditions [17]. La modification doit intervenir avant le 22 août 2027 [18]. Cette possibilité a pour effet de favoriser une réaction rapide face à l’urgence de certaines situations.

Notons néanmoins une contradiction : tandis que l’article 35 de la loi prévoit une enquête publique préalable à la modification simplifiée du règlement du plan local d’urbanisme, les articles précités du Code de l’urbanisme ne prévoient qu’une « mise é disposition du public » [17]. La réalisation de cette enquête publique aura vocation é s’exercer selon des modalités qui seront prévues par un décret en Conseil d’État, et dont nous ne connaissons pas encore les contours.

En outre, ne pourrions-nous pas craindre que cette nouvelle procédure de modification simplifiée des documents d’urbanisme puisse engendrer une forme de pression à l’encontre de certains élus locaux ?

Si l’application et le devenir de l’article L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme semblent encore incertains, il reste que cette disposition nouvelle a le mérite de compléter le peu d’outils mis à la disposition des maires en la matière, leur redonnant ainsi la parole pour lutter contre une implantation excessive de l’éolien sur le territoire de leur commune.

Ainsi, cette réforme si ardemment négociée est à tout le moins parvenue à apporter une base légale et des critères de réglementation objectifs au développement de l’éolien sur le territoire national.

Le temps nous permettra par la suite de prendre le recul nécessaire à l’établissement d’un bilan sur l’impact de cette réforme.

Références :

[1] Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique local, JORF n° 0044 du 22 février 2022.

[2] Code de l’urbanisme, art. L. 151-42-1.

[3] « Guide à des destinations des élus » sur « l’éolien et l’urbanisme », novembre 2019, ministère de la Transition écologique et solidaire, [consulté le 13 septembre 2022], accessible ici.

[4] CE, 18 juillet 2012, Société EDP Renewables France, req. n° 343306.

[5] Code de l’urbanisme, art. L. 151-19.

[6] Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (1), JORF n° 0196 du 24 août 2021.

[7] Code de l’environnement, art. L. 181-28-2.

[8] Le plan climat-air-énergie territorial (PCAET),

Outils de l’aménagement, Cerema, accessible ici.

Le SCoT : un projet stratégique partagé pour l’aménagement d’un territoire, site internet du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires - Ministère de la transition énergétique, accessible ici.

SRADDET : un schéma stratégique, prescriptif et intégrateur pour les régions, site internet du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires - Ministère de la transition énergétique, accessible ici.

[9] Instruction du Gouvernement du 26 mai 2021 relative à la planification territoriale et l’instruction des projets éoliens, NOR : TRER2113107J, texte non paru au Journal officiel, accessible ici.

[10] Le grand débat national, gouvernement.fr, accessible ici et ici.

[11] Dossier de présentation de la loi 3Ds, ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, février 2022, [consulté le 14 septembre 2022], accessible ici.

[12] Code de l’environnement, art. L. 515-44.

[13] CAA de Nantes, 28 février 2020, n° 19NT0588.

[14] Code de l’environnement, art. L. 511-1.

[15] Code de l’urbanisme, art. R. 111-27.

[16] CE, 13 juillet 2012, Association Engoulevent, req. n° 345970.

[17] Code de l’urbanisme, art. L. 153-45 à L. 153-48.

[18] Loi n° 2022-217 du 21 février 2022, préc., art. 35. V. : Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, prc. art. 194.

 

Maguelonne TORTI