Extrait de la Gazette n°48- Mars 2022
Par une décision en date du 10 février 2022 [1], le Conseil d’État a jugé que l’obligation de confidentialité imposée aux maîtres d’ouvrage et à leurs assistants devait être prise en compte dans l’appréciation du risque d’une atteinte imminente au secret des affaires.
Dans le présent dossier, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre / Abymes a conclu un contrat d’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) avec la société ACAOP pour la passation des marchés d’assurance du groupement hospitalier territorial de la Guadeloupe. Le 10 mai 2021, avec l’assistance de la société ACAOP, le CHU a lancé une consultation ayant pour objet des services d’assurance pour le centre hospitalier Sainte-Marie de Marie-Galante.
La Société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM), candidate à la procédure de passation, alléguait que l’AMO avait des liens avec l’une des sociétés candidates concurrentes.
Si l’absence de publication de l’ordonnance attaquée nous empêche de connaitre l’intensité des liens existant, il est possible de comprendre le contexte en se référant à d’autres ordonnances rendues par des tribunaux administratifs différents [2] qui concernaient les mêmes parties intervenant dans une procédure de passation de marché ayant pour objet des services d’assurance pour un centre hospitalier : la société SHAM intervenant en qualité de candidat soumissionnaire mettant en cause la partialité de la société ACAOP intervenant en qualité d’assistant à maîtrise d’ouvrage et ayant des liens étroits avec l’une des sociétés concurrentes, aux cas d’espèce le groupe BEA [3]: « 4. D’une part, il résulte de l’instruction qu’il existe sur le marché des assurances des établissements hospitaliers, très faiblement concurrentiel, une situation conflictuelle particulière entre la SHAM et le cabinet de courtage BEAH, au sein duquel M. E… a joué un rôle actif. En effet, il n’est pas contesté qu’après avoir dirigé la société Protectas, qui intervenait alors en qualité d’assistant à maîtrise d’ouvrage, M. E… a créé en 2009 un cabinet de courtage dénommé BEAH dans le but de rendre plus concurrentiel le marché d’assurances des établissements hospitaliers, jusqu’alors dominé par Axa et la SHAM, ainsi que cela ressort d’un courrier du directeur général de la société Protectas en date du 21 août 2009 versé aux débats. Il résulte de l’instruction que les liens entre la société BEAH, qu’il dirigeait, et la société Protectas ont été la cause de plusieurs litiges dans le cadre de recours relatifs à l’attribution de marchés publics relatifs à des prestations d’assurance dénoncés par la SHAM. La société requérante soutient que depuis lors, M. E… s’est livré à une politique de contestation systématique des marchés attribués à la SHAM à la fois devant les juridictions administratives et pénales, jusqu’en 2018. Elle produit à l’appui de ses allégations plusieurs articles signés en février 2014, mai 2018 et janvier 2019 dans lesquels M. E… a fait preuve d’une animosité particulière révélant un profond différend à l’égard de la SHAM.
5. D’autre part, si M. E… a cédé les parts qu’il détenait au sein de la société BEAH en 2019, il n’est pas davantage contesté qu’il entretient toujours des liens amicaux avec M. C…, qui était le directeur général de BEAH lorsqu’il en était le président, et qui dirige actuellement la société Emileo, détentrice à hauteur de 80 % des parts de BEAH ».
Cette situation conflictuelle entre ces deux sociétés est établie dans ce secteur : « Depuis, les deux acteurs [le groupe BEA et la société SHAM] se livrent une guerre sans merci, se contestant à tour de rôle l’attribution de marchés publics dans le secteur hospitalier » [4].
C’est dans ce contexte que le 7 juin 2021, la SHAM, candidate à l’attribution de deux lots, a saisi le juge du référé secret des affaires sur le fondement de l’article R. 557-3 du code de justice administrative entré en vigueur depuis le 1er janvier 2020.
Elle soutenait qu’il existait un risque imminent d’atteinte au secret des affaires dès lors que l’AMO pouvait transférer son offre à la société concurrente. Elle demandait alors au juge de faire usage de ses pouvoirs en interdisant à l’assistant d’avoir accès à l’ensemble des documents déposés par les candidats et en l’excluant de la consultation.
Par une ordonnance en date du 9 juin 2021, le juge du référé du tribunal administratif de la Guadeloupe a enjoint au centre hospitalier d’interdire par tout moyen l’accès à l’ensemble des documents produits par les soumissionnaires au dirigeant de la société ACAOP ainsi qu’à ses préposés et, dans l’attente, a suspendu l’analyse des offres.
Le CHU de Pointe-à-Pitre / Abymes s’est pourvu en cassation contre cette ordonnance.
Le Conseil d’État devait alors statuer sur la possibilité pour le juge du référé secret des affaires d’interdire l’accès aux offres à un assistant à maîtrise d’ouvrage suspecté de partialité pour assurer l’effectivité du secret des affaires.
Par cette décision, le Conseil d’État a fermé la porte du juge du référé secret des affaires même s’il existe un risque de transmission des offres par un assistant à maîtrise d’ouvrage suspecté de partialité (I), la société requérante pouvant saisir si besoin le juge du référé précontractuel (II).
I - Un encadrement strict de l’intervention du juge du référé secret des affaires
Par cette décision, le Conseil d’État a jugé que le tribunal administratif de la Guadeloupe avait commis une erreur de droit en interdisant à l’assistant à maîtrise d’ouvrage, dont la partialité était mise en cause, d’avoir accès à l’offre de la société soumissionnaire (A) dès lors que ce dernier était soumis à une obligation de confidentialité (B).
A) La tentative d’interdire à un AMO suspecté de partialité d’avoir accès aux offres
Pour éviter tout risque de transmission de l’offre de la société requérante à une société concurrente, le juge du référé secret des affaires du tribunal administratif de la Guadeloupe a enjoint au centre hospitalier d’interdire par tout moyen l’accès à l’ensemble des documents déposés par les soumissionnaires au dirigeant de la société ACAOP ainsi qu’à ses préposés.
En application de l’article L. 77-13-1 du code de justice administrative [5], le récent référé secret des affaires [6] est consacré à l’article R. 557-3 du même code : « Lorsqu'il est saisi aux fins de prévenir une atteinte imminente ou faire cesser une atteinte illicite à un secret des affaires, le juge des référés peut prescrire toute mesure provisoire et conservatoire proportionnée, y compris sous astreinte. Il peut notamment ordonner l'ensemble des mesures mentionnées à l'article R. 152-1 du code de commerce ».
Une information est protégée au titre du secret des affaires lorsque plusieurs conditions cumulatives sont remplies en application de l’article L. 151-1 du code de commerce : « 1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ; 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; 3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ».
Pour faire l’objet d’une protection effective, les mesures ordonnées par le juge du référé sont nombreuses et variées [7] : « 1° Interdire la réalisation ou la poursuite des actes d'utilisation ou de divulgation d'un secret des affaires ; 2° Interdire les actes de production, d'offre, de mise sur le marché ou d'utilisation des produits soupçonnés de résulter d'une atteinte significative à un secret des affaires, ou d'importation, d'exportation ou de stockage de tels produits à ces fins ; 3° Ordonner la saisie ou la remise entre les mains d'un tiers de tels produits, y compris de produits importés, de façon à empêcher leur entrée ou leur circulation sur le marché ».
Il est établi que certaines informations délivrées par les candidats soumissionnant aux appels d’offres sont couvertes par le secret des affaires. En effet, « les soumissionnaires transmettent au pouvoir adjudicateur leur savoir-faire via leur offre technique et financière, et donc des données devant être regardées comme couvertes par le secret des affaires » [8]. Le Conseil d’État avait déjà jugé que l’acheteur avait à bon droit refusé de délivrer le bordereau des prix unitaires de l’entreprise titulaire du marché (la SHAM) au candidat évincé (la société BEAH) pour assurer le secret de la stratégie commerciale [9] : « 3. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que les marchés publics et les documents qui s'y rapportent, y compris les documents relatifs au contenu des offres, sont des documents administratifs au sens des dispositions de l'article 1er de la loi du 17 juillet 1978 ; que, saisis d'un recours relatif à la communication de tels documents, il revient aux juges du fond d'examiner si, par eux-mêmes, les renseignements contenus dans les documents dont il est demandé la communication peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret industriel et commercial et faire ainsi obstacle à cette communication en application des dispositions du II de l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978 ; qu'au regard des règles de la commande publique, doivent ainsi être regardés comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l'ensemble des pièces du marché ; que dans cette mesure, si notamment l'acte d'engagement, le prix global de l'offre et les prestations proposées par l'entreprise attributaire sont en principe communicables, le bordereau unitaire de prix de l'entreprise attributaire, en ce qu'il reflète la stratégie commerciale de l'entreprise opérant dans un secteur d'activité et qu'il est susceptible, ainsi, de porter atteinte au secret commercial, n'est quant à lui, en principe, pas communicable ; »
C’est dans ce contexte que les juges du référé secret des affaires des tribunaux administratifs, comme celui de la Guadeloupe, ont décidé d’écarter de la procédure des assistants à maîtrise d’ouvrage dont la partialité était mise en cause.
Ainsi, le tribunal administratif de Nancy a jugé que [10] : « 6. Dans ces conditions, eu égard, d’une part, à l’intensité et au caractère récent des liens qui unissent la société BEAH avec M. E [le dirigeant de la société assistant le maître d’ouvrage] … et à l’animosité particulière avec laquelle M. E… s’exprime à l’égard de la SHAM, et, d’autre part, au fait que ces sociétés sont fréquemment en concurrence pour l’attribution de marchés publics d’assurance de centres hospitaliers, la société requérante établit que la collaboration de M. E… comme assistant à la maîtrise d’ouvrage pour l’analyse des offres des candidats constitue avec un degré de vraisemblance suffisant l’existence d’une atteinte imminente au secret des affaires. Elle est par suite fondée à demander au juge des référés des mesures visant à prévenir une telle atteinte ».
Usant de ses pouvoirs, le juge avait suspendu l’analyse des candidatures et des offres de la SHAM sur l’ensemble des lots auxquels elle avait candidaté jusqu’à la notification de l’ordonnance à intervenir dans le cadre du référé précontractuel et a enjoint à l’acheteur public, jusqu’à la même échéance, d’interdire l’accès, par tout moyen, à l’ensemble des documents déposés par la SHAM au dirigeant de la société ACAOP ainsi qu’à ses préposés.
Le tribunal administratif de Montreuil a motivé en des termes identiques sa décision tout en précisant : « la société requérante établit que la collaboration de M. X comme assistant à la maîtrise d’ouvrage (AMO) pour l’analyse des offres des candidats révèle, avec un degré de vraisemblance suffisant, et nonobstant l’obligation déontologique de confidentialité incombant à ce dernier, l’existence d’une atteinte imminente au secret des affaires. Elle est, par suite, fondée à demander au juge des référés des mesures visant à prévenir une telle atteinte ». Le juge a alors enjoint à l’acheteur public d’interdire par tout moyen l’accès (transmission et/ou prise de connaissance et/ou échange d’informations) à l’ensemble des documents déposés par les soumissionnaires au dirigeant et à toutes personnes travaillant au sein de la société ACAOP, et, dans l’attente, de suspendre l’analyse de l’ensemble des candidatures [11].
De fait, ces injonctions empêchaient l’exécution du contrat d’assistance à maîtrise d’ouvrage.
Ce nouveau référé permettait de protéger le secret des affaires des offres en écartant l’assistant à maîtrise d’ouvrage de la procédure dès lors qu’il existait un risque qu’il transmette l’offre à une société concurrente.
Par cette saisine, c’était l’ensemble de la procédure de passation du marché qui était également protégée dès lors que le risque d’un manquement à l’obligation d’impartialité de l’assistant à maîtrise d’ouvrage était neutralisé en amont de la procédure. En effet, une fois l’AMO écarté de la procédure, aucun manquement à la procédure de publicité et de mise en concurrence n’est établi. C’est ce qui ressort de l’ordonnance rendue par le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Nancy [12].
Toutefois, le Conseil d’État en a jugé autrement.
B) Le refus de postuler d’un manquement à l’obligation de confidentialité
Le Conseil d’État a jugé que l’obligation de confidentialité des maîtres d’ouvrage et de leurs assistants devait être prise en compte dans l’appréciation du risque d’une atteinte imminente au secret des affaires : « A ce titre, il n’a pas été contesté devant le juge du fond que la société ACAOP intervient pour le compte de la personne publique et que son dirigeant et ses personnels sont tenus, dans le cadre de l’exécution de ce marché, à une obligation professionnelle de confidentialité. Par suite, en jugeant qu’il n’y avait pas lieu de prendre en compte cette obligation de confidentialité dans l’appréciation du risque d’une atteinte imminente au secret des affaires susceptible d’être imputable au centre hospitalier, contre lequel la SHAM a engagé son action, à raison de l’intervention de la société ACAOP dans la procédure de passation du marché d’assurance auquel la requérante a candidaté, le juge des référés a commis une erreur de droit ».
Aux termes de l’article L. 2132-1 du code de la commande publique, l’acheteur public est soumis à une obligation de confidentialité pour protéger notamment le secret des affaires : « L’acheteur ne peut communiquer les informations confidentielles dont il a eu connaissance lors de la procédure de passation, telles que celles dont la divulgation violerait le secret des affaires, ou celles dont la communication pourrait nuire à une concurrence loyale entre les opérateurs économiques, telle que la communication en cours de consultation du montant total ou du prix détaillé des offres ».
Selon les juges du Palais Royal, il est impossible de saisir le juge du référé secret des affaires pour lui demander d’écarter de la procédure un AMO même s’il entretient vraisemblablement des liens avec une société concurrente dès lors que ce dernier est soumis à une obligation de confidentialité. Jugeant l’affaire au fond, le Conseil d’État a annulé l’ordonnance rendue par le juge du référé du tribunal administratif de la Guadeloupe : « Si la SHAM fait valoir qu’elle s’est expressément opposée à ce que son offre soit communiquée à M. J…, dirigeant de la société ACAOP, et à l’ensemble des préposés de cette société, dont elle a sollicité l’exclusion de l’analyse des offres, en raison de relations étroites alléguées de M. J… avec une société concurrente, cette seule circonstance ne suffit pas, par elle-même, à caractériser un risque d’atteinte imminente au secret des affaires dès lors que la société ACAOP ainsi que son dirigeant et ses personnels sont tenus à une obligation contractuelle de confidentialité dans le cadre de leur mission d’assistance au maître de l’ouvrage ».
Plusieurs conséquences sont à tirer de cette décision.
En premier lieu, il est seulement établi à l’heure actuelle que l’allégation de « relations étroites » entre l’assistant à maîtrise d’ouvrage et une société concurrente ne suffit pas pour saisir le juge du référé secret des affaires. La jurisprudence ultérieure nous apprendra si une relation manifestement établie entre un assistant à maîtrise d’ouvrage et une société concurrente permet de saisir le juge du référé ou s’il faut nécessairement démontrer un manquement à l’obligation de confidentialité pour pouvoir le saisir.
En deuxième lieu, pour saisir le juge du référé, la décision invite à démontrer une violation de l’obligation de confidentialité. Or, dans une procédure d’appel d’offres, il sera difficile pour une société candidate de rapporter la preuve d’une telle infraction. De plus, par cette jurisprudence, le juge ne serait plus saisi de manière préventive, mais une fois la faute commise. Il n’existerait alors plus réellement de « risque » dès lors que la procédure est déjà viciée, le juge intervenant alors pour faire cesser une atteinte illicite à un secret des affaires.
Enfin, cette décision peut s’expliquer par le contexte juridique et pratique entourant l’exercice des assistants à maîtrise d’ouvrage. D’abord, ces assistants ont pour rôle d’orienter les choix du maître d’ouvrage, seul titulaire du pouvoir de décision. De plus, malgré les obligations d’impartialité et de confidentialité, il n’est pas rare dans ce milieu qu’existent des ressentis entre ces deux parties et que les candidats dénoncent le manque de neutralité des assistants. Par suite, si le Conseil d’État avait approuvé le raisonnement soutenu par les juges du fond, c’est un grand nombre de contrats d’assistance à maîtrise d’ouvrage qui risquaient d’être remis en cause du fait des proximités existantes dans les secteurs où ils exercent.
Toutefois, si la saisine du juge du référé secret des affaires est strictement encadrée, le candidat soumissionnaire pourra saisir le juge du référé précontractuel.
II - Le renvoi vers le juge du référé précontractuel
En fermant la porte du juge du référé secret des affaires, le candidat ne pourra que saisir le juge du référé précontractuel (A) renvoyant au maître d’ouvrage l’obligation d’être vigilant dans son choix d’assistant (B).
A) Les manquements invocables par le candidat soumissionnaire
Par cette présente décision, le Conseil d’État renvoie les sociétés soumissionnaires vers le juge du référé précontractuel : « A cet égard, il appartiendra à la requérante, si elle s’y croit fondée, de faire valoir notamment devant le juge du référé précontractuel tout manquement qu’elle aura relevé aux règles de publicité et de concurrence, tenant, le cas échéant, en une violation par le pouvoir adjudicateur du secret commercial ou de l’impartialité à laquelle celui-ci est tenu ».
Il est de jurisprudence constante qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit de délai, notamment un délai raisonnable, pour saisir le juge du référé précontractuel d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence [13]. En effet, comme l’indiquait le Conseil d’État « la possibilité ainsi offerte aux personnes intéressées de former un référé précontractuel à tout moment de la procédure, en permettant que ces manquements soient, le cas échéant, corrigés avant la conclusion du contrat, tend à prévenir l’introduction de recours remettant en cause le contrat lui-même après sa signature et alors qu’il est en cours d’exécution ; ».
La violation de l’obligation de confidentialité pourra être soutenue devant ce juge, ce qui renvoie à la difficulté pour une société soumissionnaire de prouver une telle faute dans une procédure d’appel d’offres.
De plus, le candidat pourra soutenir un manquement à l’obligation d’impartialité de l’assistant à maîtrise d’ouvrage.
Il est établi « qu'au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, dont la méconnaissance est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence » [14].
Ce manquement à l’obligation d’impartialité doit être lu au regard de la définition du conflit d’intérêts prévue à l’article L. 2141-10 du code de la commande publique : « Constitue une situation de conflit d’intérêts toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché public ou est susceptible d’en influencer l’issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché public ».
Le candidat pourra soutenir une méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence dès lors que l’AMO entretient des relations étroites avec une société concurrente et/ou dénoncer son comportement agressif envers la société requérante. Cette attitude peut légitimement faire naitre un doute sur son impartialité.
Par ailleurs, les faits de l’espèce rappellent ceux de la décision du 14 octobre 2015
[15] : « que, d'autre part, M. A...a exercé des responsabilités importantes au sein de la SA Applicam, en qualité de directeur qualité puis de directeur des opérations et des projets, et qu'ayant occupé ces fonctions du mois de décembre 2001 au mois d'avril 2013, il n'avait donc quitté l'entreprise que moins de deux ans avant le lancement de la procédure litigieuse ; que s'il ne résulte pas de l'instruction que l'intéressé détiendrait encore des intérêts au sein de l'entreprise, le caractère encore très récent de leur collaboration, à un haut niveau de responsabilité, pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance de tels intérêts et par voie de conséquence sur l'impartialité de la procédure suivie par la région Nord-Pas-de-Calais ; qu'il était au demeurant loisible à la région, qui avait connaissance de la qualité d'ancien salarié de la SA Applicam de M.A..., de mettre en œuvre, une fois connue la candidature de cette société, toute mesure en vue de lever ce doute légitime, par exemple en l'écartant de la procédure d'analyse des offres ; que, dans ces conditions, la région Nord-Pas-de-Calais a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence ; que, par suite, il y a lieu, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande, d'annuler la procédure contestée ; ».
Plus généralement, s’il est établi que l’assistant à maîtrise d’ouvrage a violé le secret des affaires, le candidat pourra également engager sa responsabilité civile en application de l’article L. 152-1 du code de commerce [16] et pénale sur le fondement de l’article 226-13 du code pénal [17]. En outre, la communication de l’offre peut également constituer un délit d'octroi d'avantage injustifié en application de l’article 432-14 du code pénal [18]. Enfin, la responsabilité contractuelle de l’AMO pourra être également engagée par le maître d’ouvrage.
Par cette décision, il revient alors au maître d’ouvrage d’être vigilant quant au choix de son assistant.
B) La nécessité d’une vigilance du maître d’ouvrage quant au choix de son assistant
À défaut pour le juge du référé secret des affaires d’intervenir en amont de la procédure, le maître d’ouvrage devra être vigilant quant au choix de son assistant, sous peine de voir la procédure de passation, qui méconnait les prescriptions de l’article L. 3 du code de la commande publique [19], sanctionnée par le juge du référé précontractuel.
Cette mise en garde était déjà annoncée par le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Nancy [20].
De fait, l’acheteur devra s’assurer de l’impartialité de son assistant en ne se bornant pas à considérer que la procédure n’est pas viciée dès lors que l’AMO est soumis à une obligation de confidentialité.
Il convient de noter dès à présent qu’une procédure d’anonymisation des offres ne suffit pas à assurer une égalité de traitement entre les candidats lorsque le marché est peu concurrentiel, comme c’est le cas en matière d’assurance pour les centres hospitaliers [21] : « à elle seule, cette démarche d’anonymisation des offres ne saurait suffire à éviter une éventuelle violation du secret des affaires, dès lors que, sur un marché faiblement concurrentiel, comportant un nombre limité d’acteurs, l’auteur d’une offre est aisément identifiable au regard des caractéristiques de celle-ci ».
L’une des solutions consiste alors pour l’acheteur à inscrire des clauses dans les documents de consultation l’autorisant à délivrer les informations soumises au secret des affaires tout en précisant l’ampleur et la fonction des tiers recevant lesdites informations [22]. Néanmoins, comme il a déjà été dit, il n’est pas rare que des ressentis existent entre les candidats et les AMO ce qui pourrait neutraliser l’effectivité d’une telle clause.
Aurélie AMSALLEM
Références :
[1] CE, 10 février 2022, n° 456503, Publié
[2] TA Nancy, Ord., 26 octobre 2020, n° 2002619 ; TA Nancy, Ord., 4 novembre 2020, n°2002618 ; TA Montreuil, Ord., 1er juin 2021, n° 2106741
[3] La dénomination sociale de la société concurrente n’est pas indiquée dans la présente décision mais il est établi que la société SHAM et le groupe BEA sont souvent en concurrence pour ce type de marchés.
[4] https://www.argusdelassurance.com/les-assureurs/rc-medicale-la-guerre-des-hopitaux-publics.140725
[5] CJA, art. L. 77-13-1 : « Lorsque les actions tendant à prévenir, faire cesser ou réparer une atteinte portée au secret des affaires relèvent de la juridiction administrative, le juge peut mettre en œuvre les mesures prévues au chapitre II du titre V du livre Ier du code de commerce, sous réserve des adaptations réglementaires nécessaires » ; CJA, art. R. 77-13-2 : « Lorsqu'il est saisi aux fins de prévenir une atteinte imminente ou faire cesser une atteinte illicite à un secret des affaires, le juge des référés se prononce ainsi qu'il est dit à l'article R. 557-3 ».
[6] L'article 4 du décret n° 2019-1502 du 30 décembre 2019, portant application du titre III de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et autres mesures relatives à la procédure contentieuse administrative est entré en vigueur le 1er janvier 2020.
[7] C. Com., art. R. 152-1 : « II. Aux lieu et place des mesures provisoires et conservatoires mentionnées aux 1° à 3° du I, la juridiction peut autoriser la poursuite de l'utilisation illicite alléguée d'un secret des affaires en la subordonnant à la constitution par le défendeur d'une garantie destinée à assurer l'indemnisation du détenteur du secret.
La juridiction ne peut pas autoriser la divulgation d'un secret des affaires en la subordonnant à la constitution de la garantie mentionnée au premier alinéa.
III. La juridiction peut subordonner l'exécution des mesures provisoires et conservatoires qu'elle ordonne à la constitution par le demandeur d'une garantie destinée, dans le cas où l'action aux fins de protection du secret des affaires est ultérieurement jugée non fondée ou s'il est mis fin à ces mesures, à assurer l'indemnisation du préjudice éventuellement subi par le défendeur ou par un tiers touché par ces mesures.
IV. La garantie mentionnée aux II et III est constituée dans les conditions prévues aux articles 514-5, 517 et 518 à 522 du code de procédure civile.
V. Les mesures prises en application du présent article deviennent caduques si le demandeur ne saisit pas le juge du fond dans un délai courant à compter de la date de l'ordonnance de vingt jours ouvrables ou de trente et un jours civils si ce dernier délai est plus long ».
[8] TA Montreuil, Ord., 1er juin 2021, n° 2106741, cons. 8 ; CE, 10 février 2022, n° 456503, cons. 7, Publié : « La SHAM était tenue de communiquer, dans le cadre de la consultation en cause, des informations relatives au prix de son offre, lesquelles doivent être regardées, à ce stade de la procédure de passation, comme couvertes par le secret des affaires au sens des dispositions citées aux points 2 à 4 ».
[9] CE, 30 mars 2016, n° 375529, cons. 3, Publié
[10] TA Nancy, Ord., 26 octobre 2020, n° 2002619, cons. 6
[11] TA Montreuil, Ord., 1er juin 2021, n° 2106741, cons. 13
[12] TA Nancy, Ord., 4 novembre 2020, n° 2002618, cons. 6
[13] CE, 12 juillet 2017, Sté Études Créations et Informatique, n° 410832, Inédit
[14] CE, 14 octobre 2015, n° 390968, Rec. T., cons. 5
[15] Ibid
[16] C. Com., art. L. 152-1 : « Toute atteinte au secret des affaires telle que prévue aux articles L. 151-4 à L. 151-6 engage la responsabilité civile de son auteur ».
[17] C. Pén., art. 226-13 : « La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ».
[18] C. Pén., art. 432-14 « Est puni de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 200 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction, le fait par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d'économie mixte d'intérêt national chargées d'une mission de service public et des sociétés d'économie mixte locales ou par toute personne agissant pour le compte de l'une de celles susmentionnées de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession ».
[19] CCP, art. L. 3 : « les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d'égalité de traitement des candidats à l'attribution d'un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d'accès et de transparence des procédures, dans les conditions définies dans le présent code ».
[20] TA Nancy, Ord., 4 novembre 2020, n° 2002618, cons. 8 : « d’aucun manquement constitué, mais simplement d’un risque que le CHRU, désormais alerté, reprenne la procédure de passation au stade de l’analyse des offres en y associant M. E…. Dès lors, la SHAM ne peut être regardée comme se prévalant d’un manquement susceptible de l’avoir lésée ou risquant de la léser. Ses conclusions à fin d’annulation doivent, en conséquence, être rejetées ».
[21] TA Montreuil, Ord., 1er juin 2021, n° 2106741, cons. 8
[22] K. PICAVEZ, D. GIAMPAOLI, « L’acheteur public et le défi du référé en matière de secret des affaires », JCP A, n° 25, 22 juin 2020, 2176 ; K. PICAVEZ, D. GIAMPAOLI, « L’acheteur public et le référé en matière de secret des affaires : un régime qui se précise », JCP A, n° 13, 29 mars 2021, 2095.