Mme Nathalie MULLIÉ, Présidente de la 4ème chambre du TA de Melun

Extrait de la Gazette n°38 - Juillet 2019 - Propos recueillis par Louis Grohard et Julie Paladian

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Nathalie MULLIÉ

Présidente de la 4ème chambre du TA de Melun

Pourriez-vous présenter votre parcours à nos lecteurs ?

Après une maîtrise de droit « affaires fiscales », j’ai effectué deux DEA, l’un en droit communautaire et l’autre en droit public interne. J’ai par la suite intégré le corps des conseillers de tribunal administratif au 1er juillet 2000, où j’ai pu traiter les différents contentieux propres à la juridiction administrative. Je me suis toutefois spécialisée en droit de l’urbanisme.

Dans le cadre de ma mobilité, j’ai également été cheffe du bureau de la législation de l’urbanisme au Ministère de l’écologie, au moment des lois Grenelle. 

Je suis actuellement présidente de Chambre au Tribunal administratif de Melun depuis le 1er octobre 2015.

Pourriez-vous nous présenter la fonction de Président de chambre au sein d’un tribunal administratif ?

Trois offices peuvent généralement être associés au président de chambre d’un tribunal administratif.

La première fonction porte sur l’organisation de la chambre en liaison avec le greffier qui, rappelons-le, est aussi important que le président de chambre. Tout un travail en amont doit donc être effectué de concert avec les rapporteurs pour que les différents dossiers soient en état d’être jugés. Cette fonction est d’autant plus importante en droit de l’urbanisme que certaines affaires ont des délais de jugement contraints, ce qui exige une surveillance particulière. A titre informatif, la chambre est actuellement concernée par plus de 580 dossiers d’urbanisme.

La seconde fonction tient en la sécurité juridique : outre une bonne instruction des dossiers, cela concerne exige une très bonne qualité rédactionnelle des jugements, tant sur le fond que sur la forme. Le président doit donc effectuer un très attentif travail de révision des projets de jugement rédigé par les rapporteurs. Le président est également aidé par le rapporteur public, ainsi que par le greffier. 

La troisième fonction s’attache quant à elle à la formation des nouveaux rapporteurs et des agents de greffe. Ce travail de formation doit être effectué en permanence, compte tenu des évolutions constantes du droit.

Comptez-vous étendre vos services au-delà du milieu des cabinets d’avocats ?

Outre les avocats, certaines entreprises utilisent beaucoup PREDICTICE. C’est notamment le cas de certaines compagnies d’assurance et de directions juridiques de grandes entreprises comme Orange, Suez ou Bouygues Télécom. L’intérêt de PREDICTICE pour ces entreprises est notamment de leur permettre de maîtriser le risque financier lié à certaines de leurs opérations et à provisionner les sommes en conséquence.

Quelle est la place en urbanisme des modes alternatifs de règlement des différends ?

C’est une question difficile en ce qu’il est ardu d’en apprécier leur étendue et leur recours.
A titre d’exemple, au sein de la chambre, une part importante des dossiers concernant des autorisations de construire sortent en raison d’un désistement, qui peut être le résultat de négociations entre le requérant et le pétitionnaire.

Cela peut également être le cas s’agissant des refus de permis de construire ou d’aménager où très souvent une discussion entre le requérant et l’autorité administrative permet de préciser certaines règles d’urbanisme, leur interprétation et leur compréhension.

Quoiqu’il en soit, il est certain que ces modes, dont la médiation, sont appelés à se développer au sein de de la juridiction administrative, même si, dans certains cas les négociations sont très difficiles, voire impossibles, compte tenu de ce que, pour un certain nombre de requérants, leur contestation d’une autorisation de construire est liée à la protection de leur droit de propriété Pour ce faire, un changement de mentalité de la part des différents acteurs est nécessaire. Actuellement, au Tribunal, nous travaillons sur le développement de cette médiation.

 

Que pensez-vous de la théorie portée par certains praticiens selon laquelle la loi ELAN viendrait mettre un frein au contentieux de l’urbanisme (intérêt à agir, recours abusif, etc.) ?

Je pense que c’est avant tout une théorie. Il ne faut pas oublier qu’au-dessus des lois nationales, il y a l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre le droit au recours. C’est un droit essentiel qu’il ne faut pas perdre de vue.

 

Ainsi, si les articles L. 600-1-1 et suivants du code de l'urbanisme encadre l’intérêt à agir des tiers contre les autorisations de construire, force est de constater que la jurisprudence du Conseil d’Etat n’a pas considérablement évoluer l’appréciation portée par le juge sur l’intérêt donnant aux tiers qualité à agir contre les autorisations de construire. Ce n’est pas en raffinant à outrance les textes de lois qu’on arrivera véritablement à restreindre le droit au recours.

Toutefois, il est vrai que certains requérants exercent des recours de manière abusive et il paraît indispensable de prendre des mesures contre ces derniers. Il ne s’agit, cependant, pas de la majorité des recours.

Enfin, je trouve que le contentieux des autorisations de construire est dès le départ paradoxal : en effet, l’affichage d’un permis de construire indique la possibilité ouverte à tout tiers de le contester devant le juge administratif, ce qui ne peut qu’inciter les tiers à saisir la juridiction administrative, alors qu’en réalité, le recours n’a pas forcément lieu d’être, puisque le problème ne porte pas véritablement sur la légalité du permis de construire, mais sur les effets préjudiciables de la future construction pour les tiers. J’estime, en ce sens, que le juge judiciaire devrait être en capacité d’être saisi. A tout le moins, cela révèle tout l’intérêt de la médiation.

Le ministère d’avocat devrait-il, selon vous, devenir obligatoire pour le contentieux de l’urbanisme ?

Non. Je pense que tout dépend de la complexité de l’affaire. En présence d’une affaire simple, avec un règlement d’urbanisme clair, les requérants peuvent être capables de rédiger eux-mêmes les requêtes. D’autant plus que l’accès au juge administratif est aisé pas l’absence de formalisme. Cependant, la complexité de certains dossiers rend le ministère d’avocat très utile.

Pensez-vous que la qualité de la justice administrative est tributaire de la qualité des relations entretenues entre les avocats et les juges ?

Tout dépend de ce que l’on entend par « qualité ». Effectivement, l’un des éléments de qualité de la justice administrative correspond au délai de jugement puisque, rappelons-le, une justice rapide est une justice efficace.

Ainsi, la relation qu’une juridiction entretient avec les avocats est fondamentale notamment ne serait-ce que pour l’instruction des dossiers. De bons auxiliaires de la justice peuvent faciliter le travail du juge en prenant soin de produire toutes les pièces nécessaires au jugement de l’affaire et en les nommant le plus précisément possible. De même, il est essentiel que les avocats informent très rapidement la juridiction de l’évolution des circonstances de fait : par exemple, la délivrance d’un permis de construire modificatif ou du retrait du permis de construire attaqué est un élément très important dont le juge doit avoir connaissance dans les plus brefs délais.

La fonction de l’avocat complète également celui du juge par son rôle d’explication auprès des clients une fois que le jugement a été rendu. Cela est particulièrement important lorsqu’un  un sursis à statuer en vue de la délivrance d’un permis de construire modificatif a été délivré.

 

Avez-vous des conseils à prodiguer aux jeunes avocats publicistes ?

La première chose qui est de bon sens, c’est d’assister convenablement son client, c’est à dire de savoir l’écouter, lui expliquer à la fois les problèmes concrets que pose son dossier, mais également le fonctionnement global de la justice administrative. La pédagogie est, en effet, essentielle. 

Ensuite, le droit est une matière exigeante qui évolue constamment, ce qui implique une mise à jour de ses connaissances permanente, en participant aux formations organisées par le barreau, mais également en allant aux audiences et en écoutant attentivement le rapporteur public.

Ensuite, il est nécessaire de maîtriser l’aspect « agenda ». La justice administrative est en train d’évoluer tant au niveau de l’instruction, qu’au niveau des calendriers d’audiencement ou encore de la cristallisation des moyens. Je ne peux donc que recommander aux avocats de disposer d’un agenda bien organisé. 

Il est par ailleurs très important de produire toutes les pièces venant au soutien de ses allégations pour faciliter le travail du juge et ainsi participer à la célérité du jugement.