Maître Jehan BÉJOT, Avocat associé - Cabinet Claisse & Associés

Extrait de la Gazette n°40 - Novembre 2019 - Propos recueillis par Olga Buamulungu et Julie Paladian

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Jehan BÉJOT

Avocat associé, cabinet Claisse & Associés

Maître BÉJOT, pourriez-vous présenter votre parcours à nos lecteurs?

Mon appétence pour le droit public en général et le droit public économique en particulier s’est confirmée dès la fin de ma licence. L’un des éléments de choix, au-delà, bien évidemment, de l’attrait intellectuel qu’elle a toujours suscité, tenait en ce que la matière était encore peu prisée par les étudiants souhaitant exercer la profession d’avocat.

Le droit public des affaires était, en effet, une spécialité peu reconnue dans la profession et n’offrait, à ce titre, que peu de perspectives en dehors de certains cabinets de niche. Il m’a donc assez rapidement et assez naturellement semblé que quand un sol n’a pas encore été trop foulé c’est là qu’il faut planter son arbre. 

J’ai effectué un DEA (Master 2) en Droit public interne, à l’Université Paris II Assas. Ce DEA, tourné vers la recherche, recouvrait déjà la plupart des matières du droit public économique. 

À la suite de ce DEA, j’ai immédiatement débuté un stage dans un cabinet parisien. Dans le mois de mon arrivée, n’étant pas encore avocat, ce stage a été converti en contrat de travail. J’ai commencé jeune, ce qui m’a permis de devenir associé assez rapidement à l’âge de 30 ans. Cette première aventure a duré plus d’une quinzaine d’années.

J’ai ensuite rejoint le cabinet Claisse & Associés en 2014 où j’exerce depuis lors en qualité d’associé en charge du département droit public de l’économie. 

Le 18 septembre 2019, le Conseil d’État a rendu une décision précisant les modalités de candidature d’un établissement public à une concession. Pensez-vous que ces précisions, apportées régulièrement, sont de nature à sécuriser le contentieux?

La sécurisation du contentieux, sur ce point, est antérieure au rendu de cet arrêt qui ne fait qu’appliquer des principes déjà bien établis. A mon sens, cet arrêt est aussi intéressant pour le second volet qu’il traite, à savoir, la confirmation, par le Conseil d’État, que dans certains secteurs spéciaux, l’acheteur public n’est pas tenu de hiérarchiser les critères de sélection des offre, alors cependant que des critères non hiérarchisés rendent encore peu lisible la manière dont les offres vont être analysées. Sur le premier volet (de la candidature des personnes publiques), la position du Conseil d’État n’est, en réalité, pas nouvelle.

Tout a commencé par l’avis, Jean-Louis Bernard Consultant du 8 novembre 2000 dans lequel le Conseil d’État avait rappelé que la qualité de personne publique n’interdit pas de soumissionner pour l’attribution de contrat de la commande publique. Simplement, dans cet avis, il y avait une réserve, plutôt axée sur le droit de la concurrence, tirée de ce que, si une personne publique candidate, elle doit être en capacité de démontrer qu’elle n’a pas bénéficié, par son statut, d’un avantage anticoncurrentiel lui permettant de remettre des prix qui ne couvriraient pas les coûts qu’elle devrait supporter. 

En 2014, le Conseil d’État, par un arrêt d’Assemblée, a précisé les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales et les EPCI pouvaient candidater à des contrats de la commande publique. Par cet arrêt, le Conseil d’État a pris soin de rappeler que ces collectivités territoriales et EPCI peuvent candidater à la condition que cela relève de leur compétence et que puisse être identifié dans leur acte de candidature un intérêt public. 

En 2015, le Conseil d’État a précisé qu’il relevait de l’office du juge du référé précontractuel de contrôler si un candidat, personne publique, dispose de la compétence à l’effet de faire acte de candidature en vue de l’obtention d’un marché. C’était assez novateur, si l’on tient compte du principe, par ailleurs affirmé de manière invariable, suivant lequel le moyen d’incompétence ne relève pas, en principe, du champ du référé précontractuel. 

Par la suite, le Conseil d’État, dans un arrêt
Société Armon SNC du 14 juin 2019, a légèrement desserré l'étau de sa jurisprudence d'Assemblée de 2014, en retenant une interprétation souple de l'«intérêt public», qui peut ainsi résulter de considérations purement financières si, par exemple, le candidat personne publique dispose d’équipements et a le souhait de pouvoir les amortir. Ce souci d’amortissement permet de justifier sa compétence pour des raisons strictement financières.

Cela étant rappelé, l’arrêt du 18 septembre 2019 n’a donc pas d’autre portée que ce travail de synthèse de l’ensemble des arrêts rendues antérieurement. Pour le dire autrement et parce qu’il faut conclure sur ce point, ce dernier arrêt n’est que la stricte application d’une jurisprudence construite depuis 2000. 

Une première application jurisprudentielle du recours «» a été faite par le Conseil d’État dans une décision du 30 novembre 2018. En considérant que seules des irrégularités compromettant manifestement l’intérêt général justifieraient qu’il soit mis fin à un contrat public, le Conseil d’État a considérablement restreint l’utilisation de ce recours à tel point qu’il apparaît difficile d’en saisir l’utilité réelle. Qu’en pensez-vous?

C’est un sujet intéressant pour lequel il me semble qu’il existe un décalage entre l’effet d’annonce de la décision SMPAT du 30 juin 2017 (présentée comme un accès supplémentaire des tiers au contrat) d'une part et la réelle portée de cette décision d'autre part. 

Par le nouvel arrêt du 30 novembre 2018,
le Conseil d’Etat a n’a pas déplacé les lignes de sa jurisprudence antérieure, puisqu’il a purement et simplement réitéré le considérant n°3 de son précédent arrêt SMPAT

Le Conseil d’État avait présenté cet arrêt SMPAT, dans le prolongement de l’ouverture initiée par sa décision d’Assemblée «et Garonne» de 2014 (c’est-à-dire le recours direct au fond par des tiers au contrat du fait de sa passation), comme une nouvelle voie de recours ouverte aux tiers au stade de l’exécution. Cette communication paraissait séduisante en ce qu’elle laissait augurer, dans un esprit d’élargissement, un plus large accès direct des tiers au contrat (passation: Tarn et Garonne / exécution SMPAT).

En réalité, je pense que ces jurisprudences sont à l’origine d’un resserrement significatif de l’accès des tiers au contrat.

Par son arrêt Tarn et Garonne, en effet, le
Conseil d'État a, certes, autorisé une plus grande diversité de tiers qu'il ne l'envisageait par le passé à contester la validité du contrat (l'arrêt TTS de 2007 autorisait déjà les candidats évincés à attaquer le contrat) mais, il a, en même temps, accompagné cet élargissement d'une condition redoutable puisque le tiers requérant ne peut, depuis cet arrêt de 2014, faire prospérer son moyen à l'encontre du contrat que s'il démontre que l'irrégularité dont il se prévaut est susceptible de l'avoir lésé. 

Ce n’est plus le simple constat d’une irrégularité, mais la démonstration que cette irrégularité est susceptible de l’avoir lésé qui est de nature à faire prospérer le moyen soulevé par le tiers, ce qui, bien évidemment, restreint sensiblement le champ du possible.

Or, en pratique, le premier tiers concerné par la conclusion d’un contrat de la commande publique est le candidat évincé. Ce dernier, tenu en référé précontractuel, depuis la jurisprudence Smirgeomes de 2008, de démontrer un intérêt lésé était, jusqu'en 2014, dispensé de cette démonstration lorsqu'il contestait directement le contrat sur le fondement de la jurisprudence Tropic Travaux Signalisation de 2007. L'arrêt Tarn et Garonne de 2014 a, du point de vue de la lésion, aligné son sort sur celui du requérant en référé précontractuel.

C’est exactement dans la même évolution que s’inscrit l’arrêt SMPAT de 2017, pourtant présenté comme un nouvel élargissement offrant la possibilité pour les tiers d'attaquer directement des mesures d'exécution du contrat signé et de demander qu'il soit ainsi directement mis fin à cette exécution. 

Certains y ont vu une nouvelle ouverture au bénéfice des tiers (en effet, plus nombreux dans leur diversité à pouvoir introduire ce recours) mais, en réalité, les conditions posées à l’appui de cette jurisprudence sont si restrictives qu’elles rendent l’exercice particulièrement difficile. 

A nouveau, il existe un décalage entre l’effet d’annonce (une plus grande ouverture) et la portée concrète (le resserrement) de ces décisions qui ne peut se mesurer pleinement qu’en gardant à l’esprit que la voie de recours résultant de cet arrêt SMPAT (dont l'arrêt du 30 novembre 2018 n'est qu'une illustration), existait, en réalité, déjà suivant des modalités moins contraignantes pour le tiers requérant qui était parfaitement recevable à contester des décisions de refus de résiliation du contrat. 

Cette faculté avait été reconnue en filigrane par
le Conseil d’État dans un arrêt de 1964 et avait été explicitement réitérée dans un arrêt de 2008. Très simplement, le tiers demandait à la personne publique de résilier le contrat et le refus qui lui était habituellement opposé lui permettait alors la saisine du juge sans qu’il soit requis qu’il justifie au soutien de son recours d’un intérêt lésé de la rigueur qu’impose, depuis lors l’arrêt SMPAT. 

L’arrêt SMPAT a certes ouvert la voie au recours direct contre le contrat, dispensant ainsi de la nécessité de faire naître une décision de refus de l'administration, mais le Conseil d'État y a associé des conditions particulières qui sont beaucoup plus restrictives que celles qui existaient par le passé depuis la jurisprudence de 2008. 

À mon sens, le recours SMPAT apparaît donc comme une restriction supplémentaire aux recours des tiers évincés qui participe de cette construction jurisprudentielle, renforcée depuis 2014, de sécurisation des contrats publics.

Selon vous, la zone de pertinence des marchés de partenariat est-elle paralysée par le trop nombreuses contraintes financières, et dans l’affirmative, les contrats globaux, montages concurrents, ont-ils vocation à s’y substituer ?

Je ne le pense pas, ce d’autant que les seuils de recours aux marchés de partenariat demeurent relativement modestes.

Les marchés de partenariat comme les marchés globaux ont vocation à mettre à la charge du cocontractant une série d’obligations indissociables, au risque, sinon, de disqualifier le contrat. En cela il existe une indéniable similitude entre les deux. Mais la comparaison ne va pas au-delà.

En particulier, les marchés globaux, n’incluent pas le financement.

Le marché de partenariat permet, pour des projets plutôt importants, d’externaliser les financements auprès d’opérateurs privés qui ont les capacités de le faire. 

En outre, le marché de partenariat autorise à lisser la rémunération du cocontractant sur la durée de l’exécution du contrat, ce que ne permettent pas les marchés globaux dès lors que le principe de l’interdiction du paiement différé leur demeure applicable. 

L’une des difficultés du recours au marché de partenariat réside dans la nécessité de justifier d’études préalables devant notamment opérer une comparaison entre les différents montages contractuels possibles pour être en capacité d’affirmer que le marché de partenariat constitue la voie la plus adaptée. Cette contrainte explique qu’il puisse exister une certaine frilosité à recourir au marché de partenariat et à se rabattre sur des contrats «classiques» dont les marchés globaux. 

Nombre de vos confrères disent que les marchés de partenariats sont morts qu’en pensez-vous?

J’ai toujours un peu de réticence à annoncer la mort. Je garde en souvenir les chroniques qui avaient évoqué la mort des METP (marché d’entreprise et de travaux publics) par lesquels la réalisation des travaux était rémunérée au stade de l’exploitation de l’ouvrage, en raison du principe de l’interdiction du paiement différé qui les avait pour ainsi dire condamnés. Or, les contrats confiant, tout à la fois, à leur titulaire la construction d’un ouvrage ou la réalisation d’un équipement puis son exploitation existent bel et bien, sous d’autres dénominations certes, mais il serait sans doute audacieux d’affirmer que ce mode contractuel d’externalisation a disparu. 

Financièrement, alors que, selon son objet, un marché de partenariat peut ne porter que sur des investissements ne dépassant pas 2 millions d’euros, ce type de contrats est encore aujourd’hui perçu – à tort ou raison - comme trouvant prioritairement sa place que dans les projets de longue durée.

Et, comme tout contrat de longue durée, il comporte un risque signalé de dérives financières. 

Le «», qui liste les risques prévisibles et détermine qui des parties devra les supporter, a, en principe vocation à réduire ces dérives, du moins, à les anticiper contractuellement. Il est donc au cœur du marché de partenariat.

Certains acheteurs publics sont, sans doute, moins armés sur le plan financier que les opérateurs privés pour s’assurer de la bonne rédaction de ces clauses qui sont centrales dans la conclusion de ces contrats, ce qui peut expliquer certaines réticences à y avoir recours. 

Cela étant, un tel aléa – qui est d’abord consubstantiel aux contrats de longue durée – fragilise dans les mêmes termes les contrats de concession. Si l’on remonte aux premiers principes ayant forgé notre droit administratif, la théorie de l’imprévision en est une parfaite illustration. Historiquement, cette théorie a justement été érigée pour assurer la continuité de l’exécution du service assurée dans le cadre de contrats de concessions, signés pour des durées souvent supérieures à 20, voire 30 ans. 

Les ordonnances du 23 juillet 2015 et du 29 janvier 2016, ainsi que leurs décrets d'application, ont été codifiées à droit constant dans le Code de la commande publique, depuis le 1er avril 2019. Près de six mois après cette entrée en vigueur, quelles sont les observations que vous pourriez porter sur cette codification, fruit d'une longue attente des praticiens du droit public ? Quelles évolutions ?

Dans le principe, il est toujours préférable de disposer d’un seul code regroupant l’intégralité des règles applicables et l’on ne peut donc, de ce point de vue, qu’être favorable à la démarche de centralisation qui a été entreprise.

Cela étant, il convient de ne pas tenir nouvel outil pour acquis. En cette matière, en effet, les modifications sont quasi permanentes et l’on se souvient, à ce titre, que l’ancien code des marchés public avait lui-même été modifié à plusieurs reprises pour finalement être abrogé et que les ordonnances et décrets de 2015 et de 2016 ont eux-mêmes connu des modifications profondes..

Pour le praticien, cette nouvelle codification nécessite – très concrètement - un travail de réappropriation, consistant à identifier les nouveaux articles par référence à ceux qui les ont précédés et à relier les jurisprudences que l’on cite, rendues sur la base des anciens textes, aux nouveaux. 

Avez-vous des conseils à prodiguer aux jeunes avocats publicistes ?

Je leur conseille avant tout d’être extrêmement méticuleux dans le travail de recherche et d’articulation de l’argumentaire juridique.

La première des choses dans ce que nous faisons en conseil ou en contentieux c’est de trouver la source. Ce travail de recherche peut paraitre anodin, mais il faut avoir cet acharnement à faire émerger la solution. 

Il faut, en outre, qu’ils aient le souci de ne pas trop se spécialiser au départ. L’efficacité passe par la maîtrise des fondamentaux: qu’il s’agisse des grands principes du droit administratif général ou des grands principes du contentieux administratif, si l’on ne maîtrise pas cela, il sera difficile d’appréhender une spécialisation en particulier. 

Ma troisième préconisation pour les jeunes publicistes, est de ne pas hésiter à s’impliquer dans l’activité contentieuse. Il faut aller plaider, il faut connaître le juge administratif. Il n’y a que comme cela que l’on peut délivrer des prestations de conseils efficaces. Il faut avoir une vision claire de la manière qu’aura un juge de traiter notre dossier. 

Ma quatrième recommandation est de ne pas minimiser la fibre commerciale. Au début de mon activité, nous étions 35avocats en France, soit approximativement autant que le nombre aujourd’hui d’inscrits au seul Barreau de Paris. 

L’activité est désormais très concurrentielle, ce qui nous invite à faire preuve d’inventivité dans notre manière de nous rendre utiles aux clients que nous servons, à travers de nouveaux secteurs, notamment.