Madame Cécile PAVAGEAU, Directrice juridique de Transamo

Extrait de la Gazette n°41 - Juin 2020 - Propos recueillis par Mégane Rioux

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Cécile PAVAGEAU

Directrice juridique de Transamo

Madame PAVAGEAU, pourriez-vous présenter votre parcours ?

Je suis diplômée de Sciences-po Paris en relations internationales, et de l’EFB. J’ai également un DEA de droit international public et un DESS de droit européen des affaires.

J’ai commencé mon expérience professionnelle dans les bureaux parisiens de cabinets anglosaxons en droit public des affaires, notamment chez Freshfields, Hogan Lovells et Gibson. Les missions qui m’étaient confiées concernaient principalement des fusions-acquisitions, des cessions de contrats publics, ou encore l’étude du domaine public. C’était intéressant car il fallait expliquer (en anglais) aux Américains des concepts du droit public français.

Ces expériences ont été très enrichissantes. C’était enthousiasmant de travailler dans un contexte international, et très stimulant de partager des dossiers avec des gens du monde entier. J’ai pu découvrir des thèmes et des façons de travailler très diversifiés.

Puis, j’ai voulu faire du contentieux, porter la robe et plaider, autant que cela est possible en droit public bien évidemment. Je suis allée dans une structure plus petite : le cabinet Claisse & Associés. Tout se passait bien, mais c’était trop « franco-français » pour moi : j’aimais exercer le droit public français avec tous ses concepts mais je préférais lorsque c’était dans un contexte international.

Un jour, un chasseur de tête m’a proposé le poste de mes rêves : un poste « mixte » chez Transdev en corporate. Je faisais des appels d’offre internationaux, je voyageais à travers le monde (Russie, Malte, etc.), et pour une partie de mon temps, j’étais mise à la disposition de la filiale de maîtrise d’ouvrage et d’ingénierie qui s’appelle Transamo où je traitais des problématiques en de droit de l’environnement, en contrats et marchés publics, le tout dans un contexte de transports publics.

Travailler dans le transport public avait beaucoup de sens pour moi, je me sentais à l’aise dans ce milieu. Pour les publicistes en entreprise, on est toujours dans les « utilities » comme on dirait en dans les pays anglosaxons, on ne s’éloigne jamais du service public.

Puis, quand Vincent Cordonnier est devenu Directeur Général de Transamo, il m’a proposé de devenir Directrice Juridique de Transamo. Je fais donc partie de l’équipe originelle. A l’époque nous étions 44, et aujourd’hui, nous sommes pratiquement 150. Le chiffre d’affaires a été multiplié par 5. Désormais, je dirige ma propre équipe de juristes.

Pourriez-vous nous en dire plus sur les raisons pour lesquelles vous avez souhaité quitter la robe pour devenir juriste d’entreprise, et comment s’est passé ce changement ?

Tout a été plutôt progressif, puisque c’est un chasseur de tête qui m’a appelée… à un moment idéal. Dans mon cas, c’était un changement qui m’a permis d’avoir des dossiers qui m’intéressaient plus, avec des clients plus gros, dans des appels d’offres internationaux.

C’était également intéressant parce que j’étais « en direct » dans les négociations alors que je ne l’étais pas auparavant. Que ce soit dans les cabinets anglosaxons ou chez Claisse & Associés, j’étais collaboratrice : seuls les associés faisaient la « vraie » négociation. Là c’est moi, qui, en direct, parlait aux clients.

Le fait de ne plus faire de contentieux ne m’a pas manqué car c’était juste une discipline que je voulais me donner. Il fallait que je fasse du contentieux pour voir ce que ça donnait et acquérir des compétences dans ce domaine. Je me sentais plus à l’aise dans la vie en entreprise, et dans l’élaboration des projets.

Pourriez-vous nous présenter l’activité de la société Transamo et ses particularités, notamment vis-à-vis des personnes publiques avec lesquelles vous êtes amenée à travailler ?

Le métier historique de Transamo est mandataire de maîtrise d’ouvrage au sens de la loi MOP de 1985, dans le transport public, et ce, notamment pour la création des grandes opérations de tramway. Depuis les années 1980, Transamo fait partie de ceux qui ont réintroduit le tramway dans les villes françaises, d’abord en collaboration avec les sociétés d’économie mixte, en particulier à Nantes, puis sans société d’économie mixte, et enfin par des mandats en Île-de-France.

Ce qui m’a le plus marquée c’était la première ligne d’Angers, c’était la première fois que je travaillais sur une opération de bout en bout : la négociation pour l’expropriation, le rapport à l’ingénierie urbaine, les négociations avec les politiques, avec les maîtres d’œuvre, les contentieux, la gestion des claims des entreprises de BTP, etc.

S’agissant plus particulièrement du métier de juriste, c’est très particulier d’être un juriste de droit public à Transamo : on travaille pour les clients publics, main dans la main avec les ingénieurs.

La loi d’orientation des mobilités (LOM) est parue. Quels seront les impacts majeurs de cette loi sur votre activité ?

La LOM (l’équivalent de la LOTI dans les années 1980) est ce qui va bouleverser le secteur très profondément.

Pour l’activité de Transamo, il n’y a pas énormément d’impact car la LOM concerne surtout l’exploitation du service public de transport. Néanmoins, les impacts les plus notables seront ceux sur la gouvernance entre les personnes publiques, l’émergence du MASS (mobility as a service) et la définition de l’autorité organisatrice de la mobilité (AOM), laquelle va avoir un champ d’application plus large.

L’émergence du MASS (mobility as a service) permet désormais, et c’est inscrit dans le texte de loi, qu’un opérateur aille chercher les différentes AOM et fédérer l’émission de billets par exemple.

Le MASS est l’idée que l’on a une infrastructure de transport, de mass transit, mais qui intègre de multiples couches de services et de fonctionnalités au-delà du simple transport. Par exemple, une application sur un téléphone va pouvoir optimiser au maximum l’articulation entre les différents modes de transport, permettant d’obtenir des informations diverses en temps réel. Pour arriver à cela, chacune des AOM doit mettre à disposition ses horaires en temps réel, ses données et sa capacité à avoir un billet. C’est la coopération de toutes les AOM, en termes de tarifs, de billettique, et d’horaires, que la LOM permet aujourd’hui d’organiser.

L’élargissement du champ des AOM va accentuer un mouvement : les nouvelles mobilités, le numérique, l’optimisation du trafic, etc.

Quand je suis arrivée à Transamo, il n’y avait que la maîtrise d’ouvrage pure et dure alors qu’aujourd’hui, il y a des études générales, du management de projet, des systèmes. Nous avons une notion du transport qui va bien au-delà de la simple infrastructure. Ce sont pour moi les changements les plus structurants.

Dans quels cas faites-vous appel aux avocats et quelles sont vos attentes ? 

Il y a quatre cas.

Le premier cas est celui où Transamo fournit une expertise pour les personnes publiques. Cependant, n’étant pas en nombre suffisant, lorsque l’on postule à une offre dans un appel d’offre, nous n’avons pas la capacité pour tout faire. Dès lors, on se met en groupement avec des cabinets d’avocats qui vont fournir la prestation de service juridique. J’attends alors du cabinet qu’il se comporte en partenaire avec nous et qu’il y ait une bonne collaboration.

S’agissant du deuxième cas, il s’agit de défendre les intérêts de Transamo dans le cadre de contentieux propres à Transamo. Ce sont des avocats avec lesquels je travaille depuis des années. J’attends d’eux qu’ils soient pugnaces et qu’ils soient capables d’expliquer à ma Direction Générale ce que parfois, j’essaie de leur dire, mais qu’ils ne comprennent pas toujours.

Il faut vraiment faire comme si nous étions dans la même équipe, et que l’avocat défende les intérêts de Transamo avec diligence. Il peut également arriver qu’on fasse appel à un cabinet d’avocats pour qu’il rédige une note pour le client, parce qu’on est à bout de l’argumentation, et qu’il faut que quelqu’un d’extérieur grave quelque chose dans le marbre pour pouvoir progresser. Ce deuxième cas concerne souvent des contentieux marchés publics sur les contrats dont Transamo est attributaire.

Le troisième cas concerne les sujets où je n’y connais rien, comme par exemple en fiscalité ou en droit privé. Là, je lui fais confiance dans son activité de conseil.

Enfin, je peux aussi rencontrer des avocats pour toutes les questions relatives aux assurances. Par exemple, dans le cas de référés expertises, sans avocat, l’assurance refuse de tout rembourser. La compagnie d’assurance donne des listes, et j’attends de l’avocat qu’il me reporte au bon moment, qu’il ne me submerge pas de détails sans intérêt, et qu’il soit efficace car les journées en expertise peuvent être très chronophages.

Quels conseils donneriez-vous aux avocats publicistes ?

Je suis d’une génération très particulière, car je suis entrée dans la profession à un moment où d’une part, il fallait avoir un patron pendant deux années, tandis que désormais il est possible de s’installer directement, et d’autre part, c’était l’émergence des partenariats public-privé (PPP). Le tout combiné engendrait un contexte particulier.

Pendant mes premières années de formation, les meilleurs avocats, les plus formateurs, étaient dans les cabinets anglosaxons. A l’époque, j’avais le choix entre entrer à l’IDPA et effectuer mon stage au sein des cabinets partenaires que l’on nous attribuait à l’époque, (et il s’agissait surtout de cabinets français), ou de faire le choix du cabinet anglosaxon. En adéquation avec ma personnalité, j’ai préféré le deuxième choix qui me correspondait davantage.

Le droit public est au cœur de la mondialisation : les GAFAM, le rapport à l’urbain, aux villes, etc. Il faut avoir conscience que le droit public est hyper percutant, moderne et contemporain, que ce soit dans l’analyse du domaine public, de l’open data, ou dans les transports publics, ou les services de VTC (analyse des autorisations) par exemple. Beaucoup de business model et de start-ups sont fondés sur une analyse robuste de ce qu’est le droit public français. L’exercice en droit public peut être vraiment passionnant, notamment avec les entreprises dont le business model est fondé sur les contrats publics, sachant qu’en France, l’économie est fondée à 50% sur ces contrats.

Lorsque les gens choisissent le droit public c’est principalement parce qu’ils sont intéressés par le service public et l’intérêt général. Il faut garder à l’esprit que le droit public n’a jamais été aussi nécessaire que maintenant : que ce soit le droit de l’environnement, de l’urbanisme, des contrats publics, de la domanialité et même de la concession de service public en général.