M. Thierry LAJOIE, Directeur Général de Grand Paris Aménagement, EPIC de l’Etat

Extrait de la Gazette n°33 - Septembre 2018 - Propos recueillis par Anaïs Gauthier et Léna Tchakerian

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M. Thierry LAJOIE,

Directeur Général de Grand Paris Aménagement, Établissement public industriel et commercial de l’Etat

1°/ Pourriez-vous exposer à nos lecteurs votre parcours et nous présenter vos missions et votre rôle au sein de Grand Paris Aménagement ?

Mon parcours est celui d’un juriste de formation, plutôt publiciste, qui a connu trois moments dans son parcours professionnel.

Le premier moment très tôt, très jeune, c’est celui de la décision publique, puisque pendant 10 années j’ai été membre de cabinets ministériels sous les deux septennats de Monsieur le Président de la République François Mitterrand. Ce qui est aussi une bonne école de formation.

La deuxième partie de mon parcours c’est l’apprentissage non pas d’un travail mais d’un métier de gestionnaire d’établissement public. Cela m’a pris une deuxième dizaine d’années de ma vie, j’ai notamment été secrétaire général d’établissements publics comme voies Navigables de France (VNF) ou l’Union des Groupements d’Achats Publics (UGAP).

Et puis la troisième partie de mon parcours professionnel qui s’est engagée depuis une quinzaine d’années ce sont des responsabilités dans des entreprises publiques ou privées qui me donnent la caractéristique, je crois de comprendre le langage du secteur privé, du secteur public et peut-être, d’avoir appris à constituer des passerelles entre ces deux secteurs, public et privé.

Côté public, j’ai fondé et dirigé une société anonyme dont les actionnaires majoritaires étaient la Caisse des Dépôts et des Consignations, le Groupe Moniteur et Orange, qui s’appelle « achatpublic.com » et adresse l’Etat et les collectivités. Côté privé, j’ai secondé Stéphane COURBIT[i] dans la fondation de sa société d’investissement. Côté public ou privé, j’ai aménagé comme dirigeant de sociétés d’économie mixte et de sociétés publiques locales l’agglomération Dijonnaise pendant plusieurs années.

Je dirige depuis plus de cinq années  Grand Paris Aménagement, l’ancienne Agence Foncière et Technique de la Région Parisienne[ii], qui est un établissement public à caractère industriel et commercial de l’État présentant pour singularité d’être organisé et géré selon un modèle purement entrepreneurial, sans subventions de fonctionnement, sans perception de taxes, sans recours à l’impôt, tout, attentive à son résultat et pilotée par sa marge économique comme n’importe quelle entreprise, fût-elle publique.

S’agissant de mon rôle au sein de Grand Paris Aménagement ce n’est pas une question facile. Si le mot était français, je vous répondrais volontiers que j’essaie d’être un manager.

Manager de projets, pour les faire émerger, les faire vivre, les faire exister, les faire aimer, en tous cas les faire réaliser.

Manager d’équipe, car je ne suis rien sans celles et ceux qui m’entourent, qu’ils aient des responsabilités opérationnelles ou fonctionnelles, qu’ils aient des compétences d’urbanistes, d’ingénieurs, juridiques, comptables, ou d’autres, peu importe.

Et manager d’idées, j’aime bien cela, c’est mon côté politiste. Je crois à la fécondité de la controverse et j’aime l’idée que différents métiers, talents, différentes expériences, différents âges, se mêlent, se brassent, pour essayer d’en tirer des choses parfois nouvelles, innovantes, transformatrices

Donc si j’avais à définir ma fonction, je pourrais vous dire, même si je ne suis pas moi-même fonctionnaire, que je suis un agent public désigné par le Président de la République pour mener à bien une mission à la tête d’un établissement public à caractère industriel et commercial de l’État. Mais j’aimerais autant que l’on me regarde comme un manager, un manager de projet, un manager d’équipe et un manager d’idées.

 

2°/ Quel est le fonctionnement et les missions de Grand Paris Aménagement ?

Grand Paris Aménagement a trois métiers. Le premier historique, qui était celui de l’Agence Foncière et Technique de la Région Parisienne (AFTRP), c’est l’ingénierie foncière puisque l’AFTRP est née par la volonté de Paul DELOUVRIER[iii] au moment de la nécessaire incubation des emprises foncières pour les futures villes nouvelles qui allaient être construites dans le district de Paris. Nous exploitons 5.000 hectares en Ile-de-France.

Grand Paris Aménagement a pour deuxième métier, plus émergent, l’habitat. Un habitat particulier, difficile, c’est l’habitat privé dégradé des grandes copropriétés en Ile-de-France qui demande beaucoup d’efforts et de patience. Nous avons été les prestataires de l’État, nous sommes désormais les prestataires de l’EPFIF[iv] puisque la loi ALUR[v] a consacré le rôle de l’EPFIF en la matière pour un grand chantier : requalifier ces grandes copropriétés dégradées dites d’intérêt national, qui constituait le rêve de l’accession à la propriété pour de très nombreuses familles, qui ont eu les moyens d’accéder à cette propriété mais jamais de payer les charges de copropriété, ce qui les a mises en faillites. Aujourd’hui c’est un drame urbain, économique, social et républicain qu’il convient de réparer.

Le troisième métier de Grand Paris Aménagement c’est son core business : l’aménagement urbain de quartiers de villes partout en Ile-de-France avec une singularité dans notre intervention puisque nous pouvons intervenir à la fois en concession d’aménagement, au terme de procédures de mises en concurrence, organisées par les collectivités locales, mais également à titre dérogatoire en compte propre au nom de l’État, selon des prérogatives qui nous sont données par le code de l’urbanisme. Dans le cadre d’une feuille de route qui m’a été donnée en juin 2013 après ma nomination, Grand Paris Aménagement a constitué la plateforme de regroupement de plusieurs établissements publics de l’État, en l’espèce l’ex-EPA de la Plaine de France qui lui a été fusionné au 1er janvier 2017 et l’EPA Orly-Rungis Seine Amont qui lui a été associé en novembre 2017. Si bien que, croissance interne et croissance externe aidant, Grand Paris Aménagement porte et pilote aujourd’hui une centaine d’opérations actives ou en développement représentant un portefeuille commercial, donc un chiffre d’affaire engagé ou à réaliser supérieur à 3 milliards d’Euros. Grand Paris Aménagement est une entreprise croissante et profitable.

J’aime parler de projet d’entreprise. Même si nous sommes un établissement public à caractère industriel et commercial, je considère que nous sommes une entreprise. Au fond, la seule différence qui existe entre une entreprise et un EPIC, c’est l’absence de capital, qui fait que la gouvernance n’est pas constituée d’actionnaires, mais d’autorités – des autorités partenaires. Pour le reste, nous sommes une entreprise, mais une entreprise d’intérêt général. C’est-à-dire que notre objectif n’est pas de servir des dividendes à des actionnaires, puisque nous n’avons pas de capital. Notre objectif est de fabriquer de l’intérêt général sur le territoire. Le développement harmonieux des territoires franciliens, la reconstruction des équilibres des territoires franciliens, l’accroissement du nombre de logements, car il y a un million de mal-logés en Ile-de-France, l’importance du développement économique et de la création d’emplois, la volonté, peut-être y viendra-t-on, de vivre mieux en ville et notamment en ville dense, l’idée qu’une ville monde à la française, une grande métropole, ne se construit pas comme les autres villes monde, avec beaucoup de ségrégation, beaucoup de relégation, c’est cette feuille de route, le projet d’entreprise de Grand Paris Aménagement. Et sa mise en œuvre doit être rentable, s’appuyer sur des fonds propres robustes, un endettement prudent, être pilotée par la marge, générer un EBITDA positif [vi]… 

Ce que nous faisons, c’est que nous employons les moyens de droit existants pour mettre en œuvre cette feuille de route, mais nous ne lésinons pas sur les propositions de nouveaux moyens de droit pour mettre en œuvre ladite feuille de route quand cela nous parait utile. Naturellement, il reste aux pouvoirs exécutif et législatif la liberté d’arbitrer sur la pertinence de nos propositions. Mais, depuis plusieurs années, nous sommes à l’origine de plusieurs évolutions du droit qui nous permettent, ainsi qu’à d’autres aménageurs publics, d’intervenir différemment que nous ne le faisions par le passé.

On peut citer les contrats d’intérêt national qui ont été créés par une décision du comité interministériel du Grand Paris en 2014 sous l’autorité du Premier ministre de l’époque, Monsieur Manuel VALLS. On peut citer les sociétés publiques locales d’aménagements d’intérêt national qui permettent à des puissances publiques de différents niveaux de s’allier ensemble, dans une entreprise, aux fins d’aménager une partie de territoire, qui ont été introduites par la loi SPAM [vii]. On peut citer la société d’économie mixte d’aménagement à opération unique, permettant l’association de l’État, que nous avons proposé d’introduire dans la loi NOTRe [viii] à l’époque et qui permet à des niveaux de puissances publiques différents de sélectionner ensemble, au terme d’une mise en concurrence, un coactionnaire majoritaire pour mettre en œuvre une grande opération d’aménagement.

On peut parler aujourd’hui des projets partenariaux d’aménagement ou futurs PPA à la création desquels le Gouvernement nous a associés, pour l’inclure dans le projet de loi ELAN [ix] dans l’objectif de favoriser l’émergence partenariale des grandes opérations d’urbanisme.

Pourquoi je dis cela ? Pas pour souligner combien nous sommes à l’initiative de nouveaux textes, mais parce que nous essayons d’imprimer, dans les textes, les changements de fonctionnement ou de modalités d’intervention qui sont les nôtres dans l’application de la feuille de route. Pendant longtemps, l’aménagement urbain a été soit une affaire de l’État, historiquement parfois dans le déni, dans le mépris, dans l’infantilisation des territoires. Puis la décentralisation est venue et souvent, l’aménagement urbain s’est à ce point émietté, que seules des petites opérations étaient possibles, ce qui est contradictoire avec l’ambition de la fabrication de la ville monde, et encore, dans un climat de concurrence locale ou de marketing territorial qui n’était pas toujours au profit de l’intérêt général. Je suis de ceux, comme l’exprime le philosophe, Marcel GAUCHET [x], qui considèrent que l’intérêt local, même additionné, ne fabrique pas mécaniquement l’intérêt général ou du moins ne suffit pas toujours à fabriquer l’intérêt général.

Je pense que nous entrons dans une troisième période, après cette centralisation excessive et cette décentralisation exclusive, qui est l’époque de la coopération et des partenariats. Partenariats entre niveaux de puissance publique, et ce n’est pas simplement la raréfaction des ressources budgétaires qui construisent ça, partenariats entre les puissances publiques, partenariats entre la sphère publique et la sphère privée, partenariat entre les décideurs et les habitants. Chacun peut être légitime, selon le contexte et la complexité d’une opération d’aménagement, à en être tantôt le leader, tantôt l’accompagnateur, tantôt le facilitateur.

Je crois que c’est comme cela que l’on construit la ville aujourd’hui et si j’avais à décrire le fonctionnement de Grand Paris Aménagement, je pourrais vous parler de gouvernance, de statut social, de mécanisme de prise de décision, d’organigramme, mais je choisis de ne vous dire qu’une chose : nous fabriquons dans le partenariat et la coopération ce qu’il ne serait pas possible de fabriquer autrement et que nos prédécesseurs fabriquaient isolément ou en silo.

 

3°/ Quels sont les projets d’envergure réalisés par Grand Paris Aménagement ? Quels sont ceux en cours ou à venir ?

Le Grand Paris est en mouvement, personne n’a le monopole du Grand Paris donc tout le monde peut y contribuer. Mais du point de vue institutionnel, la région Ile-de-France, la métropole du Grand Paris et les intercommunalités, les EPT ou EPCI d’Ile-de-France, fabriquent les frontières Grand-parisiennes. Du point de vue des mobilités, la Société du Grand Paris construit la troisième génération du métro parisien, qui est le Grand Paris Express, deux cents kilomètres de tracés ne passant pas, pour la première fois, par Paris. La Société du Grand Paris avec IDF Mobilités construisent l’armature, le squelette du développement Grand-parisien. Grand Paris Aménagement, lui, est l’aménageur de référence de projets urbains qui peuvent aller du développement de 300 ou 400 logements sur des fonciers publics à Saint-Maur, au Vésinet ou à Asnières concourant au « décarencement » social de ces communes jusqu’à de très très grandes opérations d’aménagement qu’aucune puissance publique ne pourrait porter seule puisque cela demande de la robustesse et une diversité de compétences internalisées, que peuvent être des opérations comme l’aménagement des friches de PSA à Aulnay-Sous-Bois, l’aménagement de Paris Nord et de sa suite, AéroliansParis à Tremblay-en-France, comme le triangle de Gonesse dans le Val d’Oise, comme l’ancien hippodrome de Ris-Orangis et Bondoufle en Essonne, comme les Ardoines dans le Val-de-Marne, comme le Fort d’Aubervilliers à Aubervilliers, bref des opérations de 30 à 300 hectares chacune qui peuvent être à dominante d’activités économiques et d’emplois ou à dominante de logements et d’habitats, qui toutes doivent êtres mixtes pour être agréables, qui toutes demandent l’intervention de différents niveaux de puissances publiques et différents acteurs économiques, publics ou privés, mais dont aucune ne pourrait se faire sans la réunion de différentes puissances publiques et de différents acteurs publics ou privés, ce que nous essayons de fédérer pour passer à l’acte du Grand Paris en matière de projet urbain.

Grand Paris Aménagement dispose de 220 collaborateurs, son nouveau siège social se situe au parc pont de Flandre dans le 19e arrondissement, quartier emblématique du recyclage de la ville sur la ville et est très attaché à la construction des différentes polarités qui fabriqueront le Grand Paris, ce Grand Paris polycentrique, multipolaire que nous appelons de tous nos vœux, qui doit être de plus en plus attractif et de plus en plus agréable pour ses habitants. Il y a donc un enjeu mondial et un enjeu très local, très quotidien et on essaie de s’y attacher avec enthousiasme.

Il y a trois catégories de projets qui structurent notre action. La première catégorie de projet, ce sont les projets de territoires, qui fabriquent l’attractivité internationale, mondiale, du Grand Paris, les marques du Grand Paris. Nous ne sommes pas les seuls dépositaires de ces grands projets là, les établissements qui conduisent les projets de la Défense, de Saclay, de Marne-la-Vallée avec Disney, fabriquent au quotidien aussi ces grandes marques là. C’est un premier type de projets à enjeux, ou en tous cas, un premier type d’enjeux pour une catégorie de projets que de fabriquer cette attractivité mondiale du Grand Paris. C’est très important. Tout commence par l’urbanisation accélérée du monde. En 1800, 3% de la population mondiale vivait en ville, il y a 30 ans 30% de la population mondiale vivait en ville, en 2008 la bascule est intervenue avec le franchissement du seuil des 50%, dans 30 ans près de 80% de la population mondiale vivra en ville. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que le rang, la puissance d’une nation, dépend de plus en plus de la capacité de ses grands centres d’urbanisation, donc de ces métropoles à déployer leur propre puissance. La richesse d’un pays va dépendre de plus en plus de la richesse de sa ville monde. Nous n’avons pas d’alternatives locales. Si Paris n’est pas la ville monde de la France et ne sort pas de ses frontières pour devenir la ville monde de la France, qu’en sera-t-il ? Ce sera Londres ou Bruxelles ? Ou ce sera ailleurs, Barcelone ou Francfort ? Ou un ailleurs qu’on ignore aujourd’hui ? Il faut donc prendre notre destin entre nos mains. Cela passe par ces grands projets d’attractivité mondiale, ces grandes destinations, parce qu’il n’y a pas de ville monde qui ne se voie pas de loin. Il y a besoin de densité, d’intensité. Richard FLORIDA [xi] parle des 3 T : Tolérance, Technologie, Talents, c’est-à-dire la réunion des classes créatives au sein d’un ensemble qui créé une dynamique de la valeur pour fabriquer la ville monde, il a raison.

La deuxième catégorie de projets qui nous tient évidemment très à cœur, c’est ce qui va fabriquer la multipolarité du Grand Paris, la polycentralité du Grand Paris, c’est-à-dire la mise en réseau, parce que c’est ça une ville monde, une métropole, c’est la ville en réseau. C’est la mise en réseau de polarités urbaines et notamment en nous adossant aux différents types de mobilités dont évidemment le Grand Paris Express, mais pas seulement. Nous avons à construire les centralités permettant la polycentralité, qui changeront peut-être progressivement la ville « sur elle-même » pour que la ville soit plus mixte, plus brassée, plus avenante, plus aimable, plus soutenable aussi. Notamment, en réduisant la pendularité, de telle sorte que l’on puisse à chaque endroit, y habiter, y travailler, y vivre, s’y promener, y respirer, s’y cultiver, y apprendre, y consommer, y courir, que sais-je.

Et puis la troisième catégorie de projets, qui n’est pas la moins importante, c’est que même l’aménageur urbain aux trois milliards d’euros de portefeuille commercial ne doit pas oublier qu’il n’y a pas que la chirurgie urbaine, il y a aussi « l’acupuncture urbaine ». Le « très grand est très important », mais « le très petit » est au moins aussi important. Il est au moins aussi important pour deux raisons. La première, c’est qu’on répare ou on fabrique la ville aussi bien par « le tout petit » que par « le très grand ». La deuxième raison, c’est que c’est « le tout petit » qui créé des effets immédiats, des solutions concrètes, de l’amélioration quotidienne pour les gens, qui rend les projets d’aménagements urbains acceptables quelle que soit leur échelle pour les habitants. On ne fabrique plus aujourd’hui de projets urbains sans les gens, ne serait-ce que pour une seule raison que Frédéric GILLI[xii] donne bien : les habitants aujourd’hui considèrent que tout ce qui est fait sans eux est fait contre eux. Donc, notre mission, c’est de réussir à concilier ces trois échelles : l’échelle de l’attractivité mondiale, qui se voit de très loin, qui est parfois très grande ; l’échelle de la construction Grand-parisienne, celle de la polycentralité et de la multipolarité ; et l’échelle de l’habitant, au quotidien, qui attend des améliorations pour lui-même ou pour ses enfants. Le tout en évitant, donc, que la construction Grand-parisienne dans ces trois dimensions ne soit une machine à éviction des habitants, c’est-à-dire qu’elle ne relègue progressivement, de plus en plus loin, au fur et à mesure que le centre s’élargirait, les familles du cœur de la métropole. L’idée est de dire que l’on ne construit pas un centre en créant de nouvelles périphéries ou de nouveaux territoires servants, mais on construit des centres, mis en réseaux entre eux, qui font que l’on ne rejette plus personne aux marges, de plus en plus loin, on les intègre dans les centres de plus en plus nombreux.

Au fond si l’on avait à résumer on peut dire que c’est une tentative d’alliance entre le « Big is powerful » et le « Small is beautiful ».

 

4°/ Pourriez-vous nous indiquer quel est l’impact des politiques publiques sur les projets devant être réalisés par Grand Paris Aménagement ?

Cet impact est extrêmement important. On ne construit pas la ville sans règles, ni normes. Encore faut-il que ces règles et normes soient pertinentes et judicieuses et encore faut-il aussi qu’elles ne soient pas trop nombreuses pour qu’elles ne soient pas trop enchérisseuses. On ne construit pas la ville sans investissements publics. C’est vrai pour les voiries structurantes, les infrastructures primaires, on parlait du Grand Paris Express par exemple, il ne peut pas y avoir de construction de la ville sans ces investissements. C’est également vrai pour les stratégies de renouvellement urbain ou pour l’accueil de grands évènements qui construisent le paysage urbain ou qui contribuent à la construction du paysage urbain, comme les Jeux Olympiques par exemple. Il y a besoin d’investissements publics.

Il y a besoin aussi de la création de ce que j’appelle les situations de confiance. Vous me direz que ce n’est pas de la politique publique, or si, c’est beaucoup de la politique publique. Si l’on veut bien considérer que la construction de la ville de demain c’est beaucoup de coopérations, public-public et public-privé, alors il y faut injecter beaucoup de confiance. Or la puissance publique est à même d’injecter cette confiance. Pour résumer je dirais que selon que l’on est « business friendly » ou moins « business friendly » on ne peut pas construire la ville de la même manière.

Dernier élément que je peux citer, parce que j’y tiens beaucoup, c’est dans les textes, dans les relations financières, dans les relations et les engagements de confiance, la manière dont est prise la question de l’économie immatérielle. On connaît tous, la transition écologique qui nous oblige avec des exigences climatiques parce que l’on n’a plus le choix, on parle moins de la transition numérique. Mais il n’y a pas de transition écologique sans transition numérique. Il n’y a plus de transition numérique sans transition écologique. Les deux se tiennent. C’est particulièrement vrai appliqué à la ville. Donc, la manière qu’auront les pouvoirs publics de se saisir de la question de la transformation digitale de la ville et des nouveaux modèles qu’impacte l’économie immatérielle, devient tout à fait décisive. Si l’on parle des règlements et des normes d’un côté, des financements dans les infrastructures de l’autre, si l’on parle du lien de confiance qui se construit entre les puissances publiques et l’économie privée, si l’on parle de la bonne prise en compte de l’économie immatérielle, on a un bon panel pour construire la ville de demain.

Reste la question des équipements publics de proximité qui sont générés par l’aménagement urbain. Aujourd’hui, quand l’on regarde les choses de près, les intérêts sont mal alignés. Un élu en Ile-de-France a plutôt intérêt à ne pas construire ou à construire de l’immobilier tertiaire. Cela lui rapporte des recettes, cela crée de la consommation locale et n’ajoute pas d’électeurs. Il a moins intérêt à construire des logements, qui ne créent pas de recettes mais des dépenses, puisqu’il y a les équipements publics de proximité consécutifs à l’arrivée d’un nombre d’habitants nouveaux à financer. Le logement, crée, il faut bien le dire, des électeurs. L’enjeu est très important pour nous. Et est très importante pour nous, la prise en compte par tous de l’enjeu selon lequel, doivent être réalignés les intérêts entre les différentes collectivités et l’acte de construire y compris du logement, pour que notre mission puisse être menée dans les meilleures conditions possibles.

 

5°/ Selon vous quelle est la place du droit et plus précisément du droit public dans l’exercice de vos fonctions ? de Grand Paris Aménagement ?

Elle est majeure. Je dis toujours qu’un bon projet urbain n’est jamais dicté, ni par une procédure de qualité, ni par un bilan financier d’aménagement équilibré. On n’a jamais vu une procédure, ni un bilan, fabriquer une belle ville. En tous les cas, le lien de causalité n’est pas démontré. En revanche ce qui est absolument certain, c’est que sans le droit et sans le souci de la rentabilité économique, on ne peut construire que des catastrophes urbaines, des accidents industriels, des risques pour les populations. Il faut avoir les idées claires. Ni l’excès de procédures ou de rentabilité ne doit dicter la manière dont s’organise la ville ou à fortiori les formes urbaines. Ni la ville ne doit émerger, et surtout pas les formes urbaines, sans le droit et l’équilibre des comptes. Le droit et les comptes sont les conditions, même s’ils ne sont pas les drivers.

 

6°/ Selon vous quelles peuvent-être les attentes d’un établissement comme Grand Paris Aménagement vis-à-vis des prestations réalisées par un avocat ?

Pour moi, un grand professionnel du droit est quelqu’un qui, premièrement rend intelligent, deuxièmement sécurise et troisièmement innove.

Celui qui ne fait que rendre intelligent, c’est à dire qui commente l’existant, m’est insuffisant. Celui qui ne fait que sécuriser, et c’est déjà pas mal, m’est insuffisant. Celui qui ne ferait qu’innover, me serait insuffisant.

Celui qui, dans nos métiers de l’aménagement et de l’urbanisme, excelle, sera celui qui saura lier les trois. Partant de là, l’objectif majeur est de bénéficier des meilleurs conseils pour n’être jamais exposé à des contentieux. Nous sommes toujours heureux, notamment à travers des accords-cadres, de faire suffisamment travailler les professionnels du droit, à l’amont des projets. Nous considérons que c’est du temps et de l’argent gagné, notamment en évitant des procédures ou des recours qui retarderaient possiblement les projets. Malheureusement, nous ne sommes pas dans un monde idéal, les professionnels du droit, quelle que soit la qualité de leurs conseils, n’évitent jamais complétement l’intervention du contentieux.

Le bon professionnel du droit dans notre domaine est donc celui qui saura minimiser le contentieux par la délivrance du conseil mais qui saura, lui-même, s’il le fallait, nous accompagner dans le contentieux en ayant compris, pour l’avenir, l’insuffisance de ses conseils.

 

7°/ Vous avez évoqué le projet de loi ELAN : Qu’en pensez-vous ?

Le projet de loi ELAN est un texte remarquable du point de vue de l’aménageur en ce qu’il pose deux éléments fondamentalement nouveaux dans le paysage de l’aménagement urbain.

Le premier élément nouveau c’est qu’il désépaissit le code de l’urbanisme de très nombreuses pages. Puisque je fais partie de ceux qui pensent que l’excès de droit nuit au droit et qu’il vaut mieux, un droit court et bien écrit, qu’un droit bavard qui complexifie à l’excès, je me réjouis que la loi ELAN nous fasse entrer dans une période nouvelle où, l’objectif redevient enfin la priorité et le moyen revient à sa plus juste place. L’idée de dire « les textes fixent des objectifs à atteindre à ceux qui sont chargés de les atteindre et de mobiliser les moyens qu’ils jugent utiles et qui permettent de les atteindre » :  est une bonne idée. Il y a beaucoup de traductions de cette idée-là dans le projet de loi ELAN et pour nous, aménageurs, c’est assez fondateur. C’est le passage d’une culture très française, culture de moyens, à une culture plus anglo-saxonne, culture de l’objectif ou du résultat.

Le deuxième élément réfère à ce que je disais tout à l’heure, je crois que le projet de loi ELAN est la première des lois qui considère l’aménagement urbain comme un dispositif complexe donc forcément coopératif et partenarial entre plusieurs parties. Jusqu’ici, la France en matière d’aménagement urbain vivait de coexistences de silos verticaux. L’État faisait ceci, les collectivités de rang X faisaient cela, celles de rang Y faisaient cela, le secteur privé faisait peut-être autre chose. Au départ le choix d’une opération d’aménagement se trouvait finalement être l’exercice d’une compétence, laquelle était exercée jusqu’au bout. Les compétences étant d’ailleurs progressivement enchevêtrées. Les opérations d’intérêt national ont symbolisé ce choix français. Quand il s’agissait d’une OIN c’était l’État qui décidait du début à la fin, jusqu’à ce que le Préfet délivre le permis de construire à la place du maire. Lorsque l’on était dans une opération de concession d’aménagement d’une collectivité locale, c’est tout juste si l’État avait son mot à dire et dans les deux cas le secteur privé lui n’était pas consulté. Ce que réveille la loi ELAN, c’est l’idée que l’aménagement urbain ne peut pas se faire sans partenariat ou coopération, entre les différents niveaux de puissances publiques et entre les puissances publiques et le secteur privé. C’est notamment à travers la création des grandes opérations d’urbanisme et du projet partenarial d’aménagement qui leur sont attachées qu’émerge, se concrétise, se traduit l’idée de la coopération et du partenariat.

Si j’avais à retenir deux choses de la loi ELAN, pour ce qui nous concerne nous, aménageurs, je dirais que l’on passe de la norme à la confiance et que l’on passe de l’autorité à la coopération. Ce sont deux bonnes nouvelles.

 

8°/ Comment envisagez-vous l’avenir du Grand Paris et de Grand Paris Aménagement ?  

Pour Grand Paris Aménagement le projet de loi ELAN emporte deux conséquences immédiates.

La première est que nous sommes amenés à initier et participer à de futurs projets partenariaux d’aménagement dans le périmètre de notre intervention en région Ile-de-France.

La seconde conséquence est que Grand Paris Aménagement pourra, non seulement pour des études et pour des projets partenariaux d’aménagements, intervenir à la demande conjointe de l’État et des collectivités, jamais de son initiative seule, en dehors du territoire francilien. En réalité, l’ex-AFTRP avait déjà la possibilité d’intervenir pour des études, en dehors du territoire francilien. Mais il se trouve qu’elle a davantage exercé cette compétence à l’étranger que dans les régions Françaises. Je pense qu’aussi bien l’État que les collectivités, vont se saisir de cette possibilité pour que Grand Paris Aménagement puisse intervenir utilement. Notamment là où il n’y a pas d’établissement public de l’État pouvant intervenir en relai des volontés politiques, nationales et locales.

Sinon pour le Grand Paris lui-même, je constate que la loi ELAN vise ou permet directement au Grand Paris, notamment au travers de mécanismes de partenariat, de déployer des projets urbains plus efficaces, plus rapides, et plus utiles que cela n’était le cas précédemment. Et ce en faveur des trois échelles que je décris : d’une part les grandes opérations d’aménagement urbain d’intérêt international, d’autre part les opérations fabriquant la multipolarité, polycentralité Grand-parisienne et enfin les opérations que je décrivais comme relevant de « l’acuponcture urbaine », plus locales, plus quotidiennes immédiates et d’effet immédiat pour la population.

Un point d’attention toutefois : la loi ELAN, les grandes opérations d’urbanismes, et les projets partenariaux d’aménagement ne serviront pas qu’à la ville monde, aux grandes métropoles ou aux zones denses, car ils peuvent être utiles à d’autres types d’opérations sur tous types de territoires comme y tiennent le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques MEZARD, et le Secrétaire d’Etat, Julien DENORMANDIE. Il s’agit d’ailleurs là du souhait du Président de la République, Emmanuel MACRON, lorsqu’il considère qu’il faut cesser les politiques ciblées selon les territoires, mais qu’il importe de se saisir de toutes les politiques publiques pour les déployer sur tous les territoires. D’une certaine manière, le problème porte surtout sur la question de réussir à déployer toutes les politiques publiques sur tous les territoires et de réussir à fabriquer des politiques publiques applicables à tous ces territoires. C’est ce qui construit la cohésion et l’équilibre des territoires. Donc les dispositions de la loi ELAN, inspirées de ce principe ne visent pas spécifiquement le Grand Paris. Mais j’ai la conviction qu’elles seront utiles à sa fabrication.

[i] Stéphane COURBIT est un entrepreneur français spécialisé dans le secteur des médias et de la télévision. Il est aujourd’hui le Président de LOV Group, une société orientée vers la production audiovisuelle, les jeux en ligne et l’hôtellerie de luxe. Ce groupe est également présent dans les secteurs de l’énergie et du financement participatif. (source : www.stephane-courbit.com).

[ii] L’AFTRP, Agence foncière et technique de la région parisienne, était un établissement public à caractère industriel et commercial créé par l’État en 1962 (Décret n°62-479 du 14 avril 1962). L’AFTRP a été transformée par le décret n°2015-980 du 31 Juillet 2015, paru le 5 aout 2015 au Journal Officiel, portant création de l’Établissement public Grand Paris Aménagement, lequel s’est substitué à l’AFTRP.

[iii] Paul DELOUVRIER (1914-1995) était un haut fonctionnaire français sous la IVème et la Vème République Française et l’un des principaux artisans de la planification pendant les Trente Glorieuses. Il est communément désigné comme le « père des villes nouvelles ».

[iv] L’Établissement Public foncier de la Région Ile-de-France est un opérateur public foncier de l‘État qui contribue à l’accroissement de l’offre de logement, au soutien du développement économique et à la lutte contre l’habitat indigne. Il intervient en tant que partenaire foncier des collectivités territoriales franciliennes.

[v] Loi n°2014-366 du 24 mars 2014 pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové.

[vi] L’EBITDA est un sigle anglais signifiant « earnings before interest, taxes, depreciation, and amortization » et pouvant être traduit comme « bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements ». Un EBITDA positif signifie qu’une entreprise est rentable mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle est bénéficiaire globalement après intérêts, impôts et amortissements.

[vii] Loi n°2017-257 du 28 février 2017 relative au Statut de Paris et à l’Aménagement Métropolitain.

[viii] Loi n°2015-991 du 7 août 2015 portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République.

[ix] Projet de loi sur l’Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique.

[x] Marcel GAUCHET est un philosophe et un historien français.

[xi] Richard FLORIDA est un géographe et enseignant américain. Il est docteur de l’Université Columbia en aménagement urbain. Sa théorie des trois T a été illustrée dans un ouvrage publié en 2002, The Rise of the Creative Class.

[xii] Frédéric Gilly est un économiste français spécialisé dans les problématiques urbaines. Il est l’un des auteurs les plus influents sur les questions relatives à la Métropole du Grand Paris.