Mme Catherine HO-THANH, Directrice juridique et Foncier de Paris La Défense

Extrait de la Gazette n°34 - Novembre 2018 - Propos recueillis par Adrien de Prémorel et Léna Tchakerian

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Catherine HO-THANH

Directrice juridique et Foncier de Paris La Défense

Pourriez-vous exposer à nos lecteurs votre parcours ?

Je suis avocat de formation même si je ne m'y destinais pas forcément. Nous n’étions alors que 5% des juristes à se présenter à l’examen d’avocat avec une formation purement publique. J’avais une maîtrise en droit des collectivités territoriales, avec un DESS en droit de l’urbanisme et de la construction.

J’ai d’abord fait mon stage de fin d’étude chez DS avocats, où j’ai ensuite été juriste. Au bout d’un an là bas, Daniel Chausse, l’actuel managing partner, et Jean-François Bizet, m’ont persuadée de passer l’examen d’entrée à l’école d’avocats, en m’indiquant que le profil d’avocat spécialisé en urbanisme était rare et recherché et qu’il était difficile de pourvoir ce poste. J’ai prêté serment en 1998 et j’ai commencé par exercer pendant une dizaine d’années en droit de l’urbanisme, d’abord chez DS, puis au cabinet De Castelnau, avant de fonder avec une associée, notre propre cabinet. J’étais en charge des aspects liés à  l'urbanisme et l'aménagement.

En tant qu’avocat en droit de l’urbanisme on ne voit en général qu’une petite partie des projets qui posent des difficultés, y compris en conseil. La vision globale du projet, son intégration dans la ville, son aspect sociétal nous échappe. Je trouvais cette appréhension restrictive alors que j’aime les métiers de la ville et les aspects urbains dans leur globalité.

Au bout de dix ans, je suis donc passée dans le privé. Plutôt par défaut d’ailleurs, parce que les collectivités dans lesquelles je candidatais avaient une crainte vis-à-vis de mon statut d’avocat, estimant ce profil peu apte à se conformer à des exigences de hiérarchie.

J’ai donc d’abord travaillé chez Total, puis j’ai été responsable du pôle droit public chez Sita France (groupe Suez), où je faisais essentiellement du marché public. Ensuite le syndicat des transports d’Ile-de-France (STIF, aujourd’hui Île-de-France Mobilités) m’a contacté. Cela a été pour moi mon ouverture sur le public. J’ai été chargée de projet, puis responsable d’une cellule dédiée à la sécurisation de la maîtrise d’ouvrage, ce qui m’a amenée à pratiquer les matières de l’aménagement, du foncier et de l’urbanisme. Ensuite, je suis devenue responsable juridique à la Société du Grand Paris en charge également de l’urbanisme, de l’environnement et de l’aménagement dans le domaine des transports.

Depuis le printemps 2018, je suis directrice juridique et foncier de Paris La Défense.

Pourriez-vous nous présenter l’historique de Paris La Défense ?

L’établissement public Paris La Défense est un établissement public existant depuis le 1er janvier 2018. Il résulte de la fusion de DEFACTO, l'établissement public de gestion et d'animation du quartier d'affaires de La Défense, et de l’EPADESA, l'établissement public d'aménagement de la Défense Seine Arche.

Paris La Défense est aujourd’hui un des tous premiers quartiers d’affaires d’Europe.

Le Brexit a-t-il un impact d’ailleurs sur l’activité de Paris La Défense ?

Aujourd’hui, l’opinion dirait que non. Mais en termes de revenus, notre zone d’affaires l’a ressenti puisque l’on a été très contactés par des entreprises qui veulent quitter leur siège social de la City et venir s’installer à la Défense. C’est donc un phénomène que l’on ressent à Paris La Défense.

Quel est le statut juridique de cet établissement ?

Paris La Défense dispose d’un statut complexe à gérer. Il s’agit d’un EPIC local sui generis rattaché au département des Hauts-de-Seine. Il est indépendant du département, mais le président de celui-ci est également président de l’établissement public Paris La Défense. Le président s’implique dans le choix des projets sans avoir de rôle exécutif, lequel est dévolu à la Directrice générale de Paris La Défense.

Comme à l'origine l’EPADESA (EP de l’Etat) et DEFACTO (EP local) n’étaient pas régis par le même droit, il a fallu que chacun des collaborateurs prenne ses marques dans un établissement public local, avec un fonctionnement davantage axé “collectivités”.

Quelles sont les compétences de Paris La Défense  ?

On a deux types de compétences résultant de la fusion de DEFACTO et de l’EPADESA.

D’abord une activité de gestion, issue de DEFACTO. Nous avons des propriétés et du foncier qui nous sont remis en gestion par les collectivités membres de Paris La Défense Nous devons d’une part entretenir ce domaine (les ascenseurs ou escalators  en panne, etc.) et d’autre part le valoriser, via les redevances d’occupation de la dalle notamment.

Ensuite, un aspect aménagement, issu de l’EPADESA. Par exemple, nous sommes aménageurs de la ZAC des Groues à Nanterre.

Globalement, nous sommes dans une politique où nous souhaiterions nous imposer en direct pour pouvoir aménager et valoriser plus librement..

Quelles sont les missions de la direction juridique et foncière au sein de l’établissement ?  

La direction juridique et foncière s’organise autour de trois pôles, comprenant chacun environ une dizaine de collaborateurs avec un responsable et directeur de pôle

D’abord un pôle exclusivement juridique qui s’occupe de tous les aspects juridiques de type corporate, propriété intellectuelle et les problèmes de domanialité et d’occupation hors questions foncières, de montages immobiliers.

Ensuite, un pôle foncier qui s’occupe de tout ce qui est acquisition, à savoir les actes de vente, les suivis de cession, les procédures de préemption et d’expropriation. Nous avons pour particularité d’avoir notre propre équipe de géomètres, rattachée à ce pôle.  

Enfin un pôle marchés publics, chargé classiquement des passations des marchés et de la détermination de la stratégie d’achat.

Comment fonctionne concrètement une direction juridique et foncière au sein d’un établissement public de gestion et d’aménagement ?

J’essaie de placer ma direction en mode projet, c’est-à-dire dans une perspective opérationnelle et de support. Quand je suis arrivée, la direction avait besoin de management : d’une part avec les anciens statuts “collectivités” ou “État” des collaborateurs, d’autre part avec des juristes opérationnels mais pas forcément habituées à travailler en mode projet.

A mon sens, un bon technicien du droit, juriste ou avocat, ne fait pas forcément un bon juriste opérationnel. Un bon juriste opérationnel est celui qui considère que rien n’est impossible en droit et qu’il faut jouer avec les règles pour que les projets puissent aboutir. Si la solution proposée aboutit à une impasse, cela révèle la plupart du temps que ce n’est pas la bonne solution. Or tout le monde n’a pas forcément ce recul.

Par ailleurs, Paris La Défense est tourné vers la modernité, l’innovation y est au cœur. A la direction juridique et foncière aussi nous tâchons de dépoussiérer un vieux métier. Nos locaux sont en total flex. C’est à dire que sur trois étages, chaque collaborateur dispose d’un casier, et se place où il veut dans l’espace de travail. Personne n’a de bureau, y compris les directeurs et la direction générale. En termes de management, cela incite à d’autres réflexes.

Le marché des immeubles de bureaux étant tendu en Île-de-France, avez-vous affaire avec les acteurs privés du marché immobilier ?

Oui, et c’est d’ailleurs un aspect assez nouveau pour moi.

Notre statut d’EPIC d’aménagement nous oblige à être rentable.

Le property management a une place importante, puisque nos revenus sont issus principalement des redevances d’occupation et de la revente des droits à construire. Il en résulte d’importantes négociations immobilières et foncières. La direction aménagement a pour rôle de négocier les droits à construire pour rapporter de l’argent.

Nous avons aussi une compétence d’émission d’avis sur les demandes d’autorisations des projets de construction.

De quelle manière intervenez-vous lorsqu’il y a un nouveau projet de tour ? Quels sont les projets en cours ?

Nous auditons et validons tous les permis de construire déposés sur le territoire. Tous les mois, nous avons une réunion avec les services de l’Etat pour discuter des permis qui posent des difficultés. A terme c’est le Préfet qui délivre le permis comme il s’agit d’un secteur OIN.

Nous sommes partie prenante à leur élaboration puisque les permis ne sont déposés qu’à partir du moment où les porteurs de projets ont une promesse de vente de droit à construire de notre part. Dès qu’un projet ayant vocation à occuper la dalle est initié, nous sommes sollicités pour en valider le contenu. D’ailleurs nous ne donnons notre accord que lorsque nous y trouvons un intérêt financier et en termes d’amélioration de l’aménagement de la dalle.

Quant aux projets en cours,  il y a par exemple le projet Trinity qui va se situer sur la place centrale et va complètement changer l’aspect de la dalle.

Quel sera l’un des impacts majeurs de la loi ELAN sur votre activité ?

Nous contrôlons les agréments que le préfet donne pour l’ouverture de bureaux. Cet accord à la construction de bureaux est d’enjeu à l’aune de la loi ELAN qui ambitionne de développer la reconversion des bureaux en logements.

Les propriétaires et l’établissement public Paris La Défense subissent une pression pour que la zone devienne une zone mixte. Or, Paris La Défense est par nature un quartier d’affaires. L’inclusion croissante de logements est un vrai enjeu..

Dans quels cas faites vous appel aux avocats et quelles sont vos attentes ?

L’établissement étant jeune, nous avons dû trouver nos marques. Durant les premiers mois nous y avons eu recours pour se structurer.

Depuis, nous essayons de traiter le plus possible en interne. Nous faisons appel à nos prestataires juridiques pour les questions engageantes pour nous. Lorsqu’il y a une dimension politique, nous souhaitons externaliser le risque.

Nos marchés d’avocats sont allotis pour avoir des cabinets très spécialisés. Le pôle juridique travaille avec une pluralité d’avocats étant donné le large spectre des questions qu’ils ont à connaître.  

Auriez vous des conseils pour les jeunes avocats publicistes ?

A mon sens, vous trouverez plus facilement une place en cabinet ou en entreprise dès lors que vous êtes experts. Aujourd’hui il n’y a plus de place pour le généraliste, même si avec de la chance on peut trouver des postes qui le demeurent.

Egalement, je vous conseillerais de faire attention aux fausses spécialités. A titre personnel, je considère que le droit public des affaires n’est pas une spécialité. Par nature en droit, on fait des affaires et on est en relation d’affaires, sinon on n’est pas avocat.

Choisir la spécialisation relève de la subjectivité de chacun. Si en matière de commande publique, il y a toujours de la demande, les candidats sont plus nombreux. Il y a de plus en plus de personnes en urbanisme. Il me semble que la spécialité transversale urbanisme-environnement est porteuse. Les matières à la limite entre le public et le privé, comme le droit boursier, ont également un fort potentiel.

Enfin, bien que le métier soit usant, je vous conseille de ne pas abandonner au bout de trois à cinq ans. Beaucoup d'avocats arrêtent à ce moment là. Or lorsqu’on reçoit leurs CV, on ne considère pas leur expérience d’avocat comme significative. Ils sont alors en concurrence directe avec des juristes qui sont depuis plus longtemps dans le monde de l’opérationnel. L’avocature est selon moi valorisable au bout de 8 à 10 ans.