M. Olivier MANDIL, Directeur juridique et contractuel Eau-France, Veolia Environnement

Extrait de la Gazette n°36 - Janvier 2019 - Propos recueillis par Adrien de Prémorel et Martin Charron

Veolia-01.jpg

Olivier MANDIL

Directeur juridique et contractuel Eau-France, Veolia Environnement

Monsieur le Directeur, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs, leur exposer votre parcours ?

J’ai d’abord fait deux maîtrises à l’université Paris 11 : une maîtrise en carrières judiciaires et une maîtrise droit international privé et européen. J’ai ensuite fait un DEA de droit international privé et droit du commerce international à l’université Paris 2. J’ai donc des relations assez lointaines avec le droit public.

Après mes études, j’ai commencé ma carrière en tant que juriste au cabinet Gide à Pékin. J’y suis resté 3 ans et j’ai intégré Veolia Propreté à Paris en 2000. J’ai intégré la direction juridique de Veolia Environnement en 2003.

Je faisais alors beaucoup de projets à l’international, essentiellement de la croissance externe, c’est-à-dire des fusions et acquisitions. Je m’occupais également des réponses aux appels d’offres. Il s’agissait donc surtout du soutien à la croissance, au développement.

Par la suite, j’ai intégré la division eau du groupe Veolia en 2005 où je gérais principalement des projets à l’international, notamment au Moyen-Orient, via des BOT (Build Operate Transfer) pour des projets de désalinisation ou de traitement des eaux usées.  

Je suis finalement reparti à Pékin pour Veolia Eau entre 2007 et 2011.

A partir de 2011, j’ai été directeur juridique d’une entreprise commune dont Veolia était co-actionnaire avec un fonds d’investissement émirien. J’étais alors basé à Abou Dhabi. Ce fonds s’est retiré en 2012.

Je suis donc revenu à Paris en 2012 et j’ai pris la tête de la direction juridique Afrique Moyen-Orient de Veolia Environnement jusqu’en 2018.

Depuis 2018, je suis directeur juridique et contractuel de Veolia Eau France.

Pouvez-vous nous rappeler l’histoire de Veolia et nous présenter votre service ?

L’ancêtre de Veolia est la Compagnie générale des Eaux créée en 1853 par décret impérial. C’est un pur produit de la révolution industrielle et du développement des services publics. La Compagnie s’est rapidement développée en France à l’étranger. C’est devenu une très grande entreprise en 1980 en exerçant sur plusieurs secteurs : électricité, déchets, santé, immobilier, construction, téléphone, audiovisuel. Le secteur environnement est devenu Vivendi Environnement puis Veolia Environnement, la société mère, aujourd’hui cotée à Euronext Paris.

Le groupe Veolia a trois activités principales : l’eau, la propreté et l’énergie.

Veolia est organisé au niveau mondial par zones géographiques. Chaque zone opère dans les trois activités. Pour la France, en raison de leur taille essentiellement, l’eau et la propreté ne sont pas regroupées. Les deux activités sont gérées de façon autonome.

En France, Veolia vient de relancer son activité dans les services énergétiques aux bâtiments, ou les réseaux de chaleur. Les différentes activités du groupe Veolia permettent de produire de l’énergie : incinération des déchets incinérés ou de la biomasse, récupération du gaz des centres de stockage des déchets, méthanisation des boues d’épuration. Notre idée est la suivante : réemployer toujours le produit que l’on supprime.

Tout cela suscite des questions juridiques nouvelles auxquelles la direction juridique s’efforce de répondre.


Comment fonctionne la direction juridique Eau France ?

La direction juridique et contractuelle Eau France est une direction juridique nationale déconcentrée avec des juristes au niveau national et au niveau régional. Elle regroupe en tout une trentaine de juristes, dont un nombre important sont spécialisés en droit public des affaires. En effet, le cœur du métier c’est l’accompagnement de l’activité. Veolia Eau France, c’est beaucoup de contrats de concessions et de marchés et plus de 500 appels d’offres par an.

Une autre partie de l’expertise se concentre sur les questions juridiques sectorielles liées à l’eau, en termes de droit de l’environnement, droit de la consommation, etc.

Nous avons également une grosse activité en droit privé, notamment en droit des contrats.

Le droit de la responsabilité civile est également très important en raison des dommages qui peuvent causés à nos ouvrages (canalisations, etc.) par des tiers mais aussi des dommages que nous pouvons causer du fait de nos propres activités. Cela représente beaucoup d’argent et une part importante du contentieux.

Il y a également le sujet des données personnelles, notamment celles des abonnés au service de l’eau, que nous collectons en application des contrats de concessions.

Enfin, nous avons une partie de l’activité en droit des sociétés car nous avons environ 130 sociétés en France sur le secteur Eau.


Comment se répartissent les compétences entre la direction juridique Eau France et les autres filiales ?

A Aubervilliers, nous sommes répartis en pôles de compétences (commande publique, contentieux, droit privé, droit de l’environnement, droit des sociétés).

Les juristes basés à la direction nationale interviennent généralement sur les appels d’offres, les contrats ou les contentieux les plus complexes. Les juristes en régions (9 régions pour environ 18 juristes) sont normalement compétents pour tout type de dossier mais peuvent travailler avec un juriste du niveau national autant que nécessaire.

Est-ce que vous constatez une volonté des collectivités de reprendre la gestion de l’eau en régie ?

Il y a eu une mode en ce sens mais elle est, selon moi, terminée. En revanche, certaines collectivités continuent de faire valoir cette possibilité pour exercer une pression sur les prix proposés par les concessionnaires lors des appels d’offres.

Le secteur est très concurrentiel avec trois grands entreprises: Veolia, Suez et Saur auxquels s’ajoute une dizaine d’acteurs régionaux ou étrangers, espagnols notamment.

Pendant longtemps, les entreprises ont dû payer un droit d’entrée pour pouvoir assurer par contrat la gestion de l’eau des collectivités, somme qui allait au budget général de la commune. Les contrats étaient de longue durée car il fallait amortir ce droit d’entrée et les investissements. La loi Sapin de 1993 puis la loi Barnier de 1995 sont venues limiter la durée maximale des délégations de service public. Ensuite, le Conseil d’Etat a rendu la décision Commune d’Olivet (CE 8 avril 2009, n°271737) qui a interdit, sauf exceptions, de poursuivre des contrats antérieurs à la loi de 1995. Cet arrêt a bouleversé le marché en provoquant la remise en concurrence de très nombreux contrats.

Quelles sont les activités de Veolia en Asie et en Afrique ? Comment les juristes interviennent dans le cadre de ces activités ?

Sur ces deux continents Veolia exerce l’intégralité de ses secteurs d’activités.

Il y a notamment d’importantes concessions de production et de distribution d’eau potable, ainsi que des contrats mixtes qui réunissent eau potable, collecte et traitement des eaux usées et distribution d’électricité. Nous sommes également titulaires de contrats d’enfouissement de déchets et de traitement des déchets dangereux, pour les déchets industriels très toxiques. C’est une activité qui se développe beaucoup en Asie.

En Afrique, les concessions sont très similaires au modèle français. Nous sommes par exemple présents au Niger et au Maroc, etc. Les pays francophones ont une législation généralement inspirée du droit français avec souvent un double ordre de juridiction, un code des marchés publics, une législation spécifique sur les concessions, etc. Mais nous sommes également présents dans d’autres pays africains avec une tradition juridique très différente tels que le Ghana, Maurice ou l’Afrique du sud.

Au Maroc, Veolia est ainsi titulaire de trois des quatre concessions existantes en eau, assainissement et électricité. Contrairement à la situation actuelle en France, le concessionnaire doit réaliser d’importants investissements car l’infrastructure n’existe pas encore.

En Chine, les autorités ont souvent procédé à une privatisation de sociétés publiques locales qui étaient elles-mêmes constituées avec les actifs de l’ancien département ou service des eaux de la commune. Les sociétés privatisées ont signé des contrats de concession avec les municipalités ou quelquefois de simples autorisations d’exploiter. Les stipulations relatives à la fin de la période d’exploitation ou de concession ne sont généralement pas très détaillées. En principe, la société concessionnaire est propriétaire des actifs qu’elle exploite.

Les juristes interviennent dans l’analyse du droit local sur tous les sujets (réglementation relative à l’investissement étranger, droit foncier, droit des contrats, …) et bien sûr dans l’analyse du règlement de consultation et du cahier des charges ainsi que dans la négociation et la rédaction des contrats. Ceux-ci peuvent être très nombreux pour un seul projet.


Privilégiez-vous certains modes de règlement des litiges en matière de contrats publics en Afrique ?

On peut dire que le mode de règlement des litiges est un élément important de l’analyse des risques que nous menons pour chaque projet. Généralement – mais pas toujours - les collectivités préfèrent que les litiges contractuels relèvent de la compétence des tribunaux étatiques. Toutefois, si le règlement de consultation permet de proposer des déviations contractuelles, on peut suggérer que la clause de règlement des différends prévoie un recours à l’arbitrage. On peut préférer l’arbitrage international si l’on a des raisons de douter de l’indépendance de la justice étatique du pays dans lequel le contrat est exécuté, ce qui est malheureusement souvent le cas. Il existe beaucoup d’institutions d’arbitrage. La cour permanente d’arbitrage de la CCI est très connue mais il existe d’autres institutions dont bien évidemment la CCJA pour les pays membres de l’espace OHADA.

Quand le litige porte sur une question d’investissement, il peut être utile de recourir aux traités bilatéraux de protection des investissements quand un tel traité existe entre le pays d’accueil de l’investissement et l’Etat d’origine de l’investisseur. Dans le cadre d’un tel traité, l’investisseur peut attraire l’Etat hôte devant le CIRDI (Centre de règlement des différends relatifs aux investissements), qui est un organisme créé par la convention Washington de 1965 et qui permet de sécuriser les investissements. C’est un arbitrage uniquement entre États et investisseurs.

Veolia a eu plusieurs fois recours au CIRDI ces dernières années.

Si la sentence arbitrale est rendue en votre faveur, on entre dans le droit des voies d’exécution internationale. Or, il peut y avoir une vraie difficulté à faire exécuter les sentences arbitrales dans certains pays. Il peut parfois être tentant de céder à un tiers la créance née de la sentence arbitrale pour une partie de sa valeur.