Extrait de la Gazette n°35 - Décembre 2018 - Spéciale 30 ans - Propos recueillis par Adrien de Prémorel et Léna Tchakerian
Jean-Pierre BOIVIN & Jean-Marc PEYRICAL
Fondateur et ancien directeur de l’IDPA
Directeur de l’IDPA
Maître Boivin, en tant que fondateur de l’IDPA, pourriez-vous nous expliquer l’histoire de l’IDPA ?
Jean-Pierre Boivin : L’IDPA est le fruit d’une idée. En 1988, le bâtonnier Lafarge a eu la prémonition que l’école du barreau de l’époque devait changer son rapport aux techniques de formation. Il souhaitait qu’une pluralité d’instituts pratiques soient créés dans l’école afin que les étudiants soient formés par des praticiens sur des thématiques spécialisées en étroite liaison avec la magistrature, le Conseil d’État, et les tribunaux et dans le souci de ne pas reproduire les cours théoriques enseignés durant les 5 à 8 ans d’études universitaires.
Il s’agissait d’aborder la formation sous un angle professionnel. Le droit, c’est d’abord un marché qu’il faut attaquer avec les outils du marché. Et les outils du marché, ce n’est pas trois cents personnes dans un amphi. Il fallait donc une équipe d’enseignants resserrée et un nombre d’élèves restreint.
Le même projet a été tenté pour le droit social, mais ça n’a jamais décollé, et l’institut est mort l’année même. Et pour le droit de l’informatique, cela a fonctionné quelques années, puis un universitaire a souhaité créer un DESS à partir de cet institut. Le barreau a dès lors légitimement retiré ses financements, marquant ainsi la fin de ce troisième institut.
Il n’est donc resté qu’un seul témoin : l’IDPA.
À mon sens, le bâtonnier Lafarge avait eu une très bonne intuition en poussant à la création de ces instituts. Je suis intimement persuadé que la matrice aurait pu fonctionner pour d’autres instituts. La question se pose d’ailleurs toujours : avec plus de 1500 étudiants, l’EFB pourrait développer de tels instituts pour quelques dizaines d’étudiants qui seraient invités à travailler sur ce mode à la fois volontaire et exigeant.
Jean-Marc Peyrical : La question s’est reposée par la suite, notamment sous le précédent bâtonnat pour le droit du sport, droit social, etc. Mais ça n’a pas abouti.
Jean-Pierre Boivin : En effet, à nouveau le sacro-saint principe d’égalité s’y oppose. Or, il faut une sélection pour que ce type de formation fonctionne et soit reconnu, sinon ça ne marche pas.
Comment s’est passée la transmission de la direction de l’IDPA ?
J-M.P : La transmission a été marquée par une fluidité. J’étais d’abord honoré que Jean-Pierre m’en parle en 2008. Je ne m’y attendais pas. Il m’a accompagné les premiers temps, je lui ai posé pas mal de questions, il m’a montré comment cela fonctionnait, puis je me suis approprié l’organisation inhérente à l’Institut. Je me suis aperçu qu’il faisait cela tout seul.
J-P.B : La transmission a été facilitée par le fait que nous étions tous les deux à la Faculté de droit de Sceaux. Nous nous connaissions et avions une même culture universitaire. Nous nous sommes immédiatement bien entendus.
J-M.P : J’ai été muté à Sceaux dans les années 2000 en venant de l’université Paris XIII. Notre première rencontre m’a marqué : nous avions une réunion de professeurs. Je suis arrivée dans ce cadre nouveau, et seul Jean-Pierre est venu me saluer chaleureusement. Ensuite, on s’est bien entendu. Le côté humain compte aussi, c’est sûrement ce qui nous a mené à ce passage de flambeau en 2008.
Fallait-il être universitaire pour diriger l’Institut ?
J-P.B : C’est d’abord notre qualité d’avocat qui intéressait le bâtonnier Lafarge. Le fait que, par ailleurs, nous étions universitaires facilitait les choses, même si l’objectif était - avant tout - de permettre aux étudiants de se confronter aux praticiens.
Comment fonctionne concrètement l’IDPA ?
J-M.P : Je reçois l’assistance de l’EFB pour la mise en place du planning, mais je suis seul pour la recherche des intervenants ou l’organisation des « Jeudis de l’IDPA ». Heureusement, l’Association de l’IDPA m’aide beaucoup. Il faut de la volonté dans le temps. L’université et l’EFB ne sont pas à l’initiative des enseignements.
J-P.B : Il suffit de baisser les bras pendant quelques mois ou de prendre du recul et l’institut disparaît. Ce type d’institution peut disparaître à première demande !
Il faut inscrire son action dans le temps avec toutes les difficultés que l’on rencontre. Des difficultés budgétaires et d’organisation. Il faut se débrouiller seul, ce dont les étudiants ne se rendent pas toujours compte.
Comment s’articule le partenariat entre l’EFB et l’université Paris-Sud ?
J-M.P : L’université, en l’occurrence l’université Paris-Sud de Sceaux, permet de donner une image à notre Institut. Ce partenariat historique avec Paris-Sud nous permet donc d’avoir d’une part l’image universitaire et d’autre part le canal financier des droits universitaires pour que l’IDPA fonctionne sur ces fonds. En effet, l’IDPA est une formation universitaire qui donne lieu au paiement de droits universitaires par les élèves-avocats. L’acquittement de ces droits permet de rémunérer les intervenants. L’EFB, qui traverse une passe financière un peu délicate, prête quant à elle ses locaux.
J-P.B : L’idée initiale n’était d’ailleurs pas celle-là. Une convention a été établie par laquelle le barreau confiait à l’université un budget reconduit chaque année pour les enseignements. Un contrôle sur l’utilisation des fonds était opéré pour s’assurer qu’ils ne servaient pas à financer d’autres missions et que c’était bien des praticiens qui formaient des praticiens.
Pourquoi le rattachement s’est-il fait avec l’université Paris-Sud de Sceaux en particulier ?
J-P.B : J’enseignais déjà à Sceaux lors de la création de l’IDPA et le barreau souhaitait confier son budget spécifique de formation à l’université qui porterait le projet. Si j’avais été ailleurs, cela se serait fait ailleurs. Ces projets-là nécessitaient un investissement très fort de la part des parties prenantes, en ce compris le personnel de l’université à laquelle on rattacherait l’Institut.
Quelles sont les forces de l’IDPA ?
J-P.B : Ses trente années d’existence justement, car les choses se construisent avec le temps.
La force puise également ses racines dans la motivation personnelle et le plaisir des résultats. C’est la plus grande récompense de la direction d’un tel institut : voir les anciens étudiants réussir. C’est un critère d’appréciation parfaitement objectif : il suffit d’observer où sont les anciens, quels postes ils occupent et la réponse est là.
J-M.P : Les bases solides de l’Institut expliquent sa durée aussi. Le travail le plus dur et ingrat a été réalisé par Jean-Pierre dans les débuts de l’IDPA. Personnellement, j’ai récupéré quelque chose qui existait déjà. Ce n’était pas facile pour autant car il fallait persévérer, continuer. Mais les fondations étaient là.
Ce qui compte aussi c’est le lien qui perdure : avec un réseau d’anciens qui joue le jeu en se prêtant à l’exercice des interviews dans la gazette, en assurant un mentorat envers les étudiants et bien sûr en étant mécène du gala annuel de l’IDPA. Le réseau de l’IDPA est l’une de ses plus grandes forces. Enfin, il faut rendre hommage aux enseignants. Il y a de la qualité, des bonnes formations, des connaissances acquises : tout cela se sait et concourt à l’image de l’IDPA et à la reconnaissance de l’IDPA par les cabinets. Ce label est toujours reconnu par les cabinets lors des recrutements des stages notamment.
Mais c’est vrai que trente ans, pour ce genre d’institut, c’est exceptionnel, c’est rare qu’une institution universitaire et universitaire-pratique du barreau dure aussi longtemps.
Les enseignements qui sont aujourd’hui prodigués le sont-ils depuis l’origine ?
J-M.P : Le socle des enseignements - à savoir le contentieux administratif, le droit de l’environnement industriel, le droit fiscal, le droit de l’urbanisme, de l’Union européenne et des contrats publics - est constant depuis l’origine.
Il est toutefois de plus en plus difficile de trouver des enseignants : les professionnels du barreau ont un rythme de travail de plus en plus soutenu et l’IDPA implique un investissement en présentiel et en amont pour préparer les séances. Actuellement nous avons une équipe complète qui tourne bien, je souhaite qu’elle perdure. En espérant pouvoir compter sur le vivier des anciens si un jour le besoin se présentait de remplacer un intervenant.
Certains enseignants de l’IDPA sont-ils présents depuis l’origine ?
J-P.B : En effet, Maître Brigitte Vergilino enseigne à l’IDPA depuis sa création. Maître Gilles Amédée-Mamesme, grand fiscaliste, avait été sollicité pour l’enseignement de droit fiscal. La première et la deuxième année c’était lui qui assurait l’enseignement, accompagné de Maître Vergilino qui travaillait dans son cabinet. Assez rapidement, elle a repris le flambeau. C’est la seule à être présente depuis trente ans puisque, pour ma part, j’ai arrêté mes interventions au moment du passage de témoin avec Jean-Marc Peyrical.
Est-ce un atout d’être également universitaire lorsque l’on est avocat ?
J-P.B : C’est à la fois un atout et un handicap. Nombreux sont les universitaires qui n’hésitent pas à tirer à boulets rouges sur leurs collègues qui sont bi-appartenants.
Du côté des clients, je gomme souvent purement et simplement le volet universitaire car cela suscite de nombreuses interrogations sur le côté trop théorique et le coût de la prestation, sauf certains sujets très pointus où l’universitaire est vu comme un « expert ».
J-M.P : Les magistrats peuvent avoir des réserves. Devant les tribunaux, il m’arrive que des magistrats m’interrompent et me disent : « Maître, on n’est pas en cours, ne donnez pas de leçons. » Et ça peut faire peur à certains clients qui pensent qu’on n’aura pas suffisamment de temps pour s’occuper d’eux. Vis-à-vis du client ça n’apporte rien. Et du côté de l’université, ça crée des jalousies sans fin.
J-P.B : C’est un peu une course entre deux handicaps ! Mais c’est intéressant et avoir les deux visions apporte une certaine hauteur de vue et un certain regard qui n’est pas celui du praticien uniquement.
J-M.P : Au sein de mon cabinet, je suis celui qui écrit le plus. Pour moi c’est important, je ne pourrais pas arrêter l’université. Je vais à l’université le mercredi et ce temps de réflexion, cet échange avec les étudiants me manqueraient.
J-P.B : Absolument, donc le profit est purement personnel. Il n’est que très peu lié aux clients, aux confrères ou aux collègues.
J-M.P : Il est lié aux étudiants !
J-P.B : Et au plaisir de partager un certain nombre de réflexions, car l’enseignant a par nature envie de réfléchir et de partager. Pour écrire un article, il faut encore y consacrer une partie de son week-end, après avoir passé une longue semaine à s’occuper de ses dossiers. On ne le fait que si on a envie de partager. Il faut la force, l’envie d’être lu, de partager avec les étudiants, les confrères et les collègues de l’université. Et quand on est cité dans un article ou une décision, c’est plutôt agréable.
J-M.P : Il y a un côté flatteur c’est vrai. La reconnaissance c’est bien. On voit vite la différence entre les avocats qui sont également enseignants et ceux qui ne le sont pas.
Quels étaient les critères de recrutement des étudiants dans les débuts de l’IDPA ? Ont-ils évolué au fil des années ?
J-P.B : A l’origine, les étudiants étaient dans le cadre du régime de droit commun de l’école d’avocat et ne payaient pas de droits supplémentaires. Ils étaient sélectionnés sur leurs motivations. Fait marquant, au début de l’Institut, il y avait très peu de candidats, car personne n’y croyait. Ensuite, on pouvait dénombrer 150 dossiers de bonne qualité pour 25 places. Certains professeurs me recommandaient leurs meilleurs étudiants. Quand un collègue prenait la peine de vous téléphoner, c’est que l’étudiant en valait la peine... Par ailleurs, je prenais la précaution d’avoir un contact physique avec chacun des admis, pour éviter les démissions et les déceptions.
J’ai eu la chance de commencer à un moment où le mot « sélection » était encore audible, même s’il fallait agir avec tact. Au fil du temps, il a fallu commencer à être plus prudent au nom du principe d’égalité qui était agité de plus en plus par ceux qui n’étaient pas pris ou qui n’avaient pas osé candidater. Il pouvait exister un climat latent d’envie qu’il fallait gérer. Mais je ne sais pas comment cela a évolué depuis…
J-M.P : Il y a toujours des déceptions. C’est comme la sélection en master, c’est difficile. Sur un échantillon de 100 dossiers, il y a en une dizaine qui saute aux yeux, pour lesquels c’est évident. Une trentaine où l’on voit que ça ne va pas. Et le reste demande beaucoup d’attention et de comparaison. Avec plusieurs critères : les diplômes évidemment, les stages, la présentation même du dossier… Sur la dernière sélection, quand il ne me restait que 2-3 places et que j’avais encore 5-6 dossiers très équivalents et sur lesquels j’hésitais, je n’étais pas bien. Je me renseigne en appelant les cabinets où les stages ont été effectués, parfois j’appelle les étudiants pour discuter avec eux.
De même, il est intéressant de varier les profils pour ne pas avoir que des spécialistes en contrats publics. J’essaye aussi de sélectionner des personnes venant d’autres universités que les universités parisiennes.
Pour finir, auriez-vous un souvenir particulier au sein de l’IDPA que vous souhaiteriez partager avec nos lecteurs ?
J-P.B : J’ai un souvenir très clair : la première réunion de présentation de l’IDPA dans l’amphi de l’EFB. Avec le bâtonnier Lafarge, nous pensions naïvement voir une armée de volontaires se lever suite à notre présentation que nous avions conçue sur le mode de l’enthousiasme. Et on a eu en tout et pour tout… deux ou trois personnes ! On s’est donc pris une claque fabuleuse. Pourtant le Bâtonnier était un orateur hors pair et je n’étais pas mauvais non plus.
Comme nous n’étions pas du style à nous laisser abattre, on a donc convoqué une nouvelle réunion en présence de Guy Braibant, conseiller d’État, qui a réussi à susciter des vocations en parlant, non pas du droit administratif, mais de son travail au Conseil d’État et de sa vie passionnément consacrée au service de l’État. Le souvenir clair, c’est que tout cela aurait pu s’arrêter… avant même d’avoir commencé.
J-M.P : Le souvenir que j’évoquerai est la première remise de diplômes qu’on avait organisée dans la bibliothèque du Palais. Il y avait beaucoup de monde, beaucoup de cabinets, comme si une famille se retrouvait. J’ai en tête également la joie qu’on voyait dans les yeux des étudiants diplômés. Et je le retrouve chaque année au moment de la remise des diplômes. Il y a une vraie famille IDPA !