Extrait de la Gazette n°26 - Juin 2017 - Propos recueillis par Félix Giboire
Nicolas BUSTAMENTE
Co-fondateur et CEO de Doctrine.fr
Monsieur Nicolas Bustamante, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs, et présenter en quelques mots le site dont vous êtes le co-fondateur, doctrine.fr ?
Je suis le Président de la société Doctrine. Je suis juriste de formation ce qui est une différence par rapport à mes deux associés mathématiciens. Je suis en quelque sorte le garant de la primauté du droit sur les mathématiques. Doctrine est une intelligence artificielle puissante qui simplifie la recherche juridique pour faire gagner l’avocat dans ses contentieux.
Comment la recherche est-elle simplifiée ? Est-ce grâce à son fonctionnement similaire à un moteur de recherche ?
Les algorithmes de Doctrine comprennent le sens de vos questions écrites en langage naturel. Cette technologie s’appelle le « natural language understanding », c’est une branche de l’intelligence artificielle. De surcroit, nos ingénieurs ont optimisé les algorithmes de façon à ce que la réponse apparaisse en 0,1 seconde contre 15 secondes sur les moteurs de recherche traditionnels.
Vous proposez à vos utilisateurs une notification hebdomadaire de veille jurisprudentielle. Celle-ci est sélective, pouvez-vous nous en parler ?
L’intelligence artificielle de Doctrine va apprendre systématiquement de toutes vos recherches. Une fois cet apprentissage réalisé, elle va vous proposer des décisions et des articles à lire par rapport à vos recherches. C’est une révolution dans la veille juridique puisque c’est l’information pertinente qui vient à vous au bon moment. Précédemment, la veille juridique n’était pas personnalisée à un degré si fin. Seule l’intelligence artificielle peut le faire.
Comment vous est venue l’idée de développer ce site ?
Avant de lancer Doctrine, nous étions à San Francisco dans la Silicon Valley. Là-bas, le climat était très anxiogène ; tout le monde souhaitait remplacer les juristes par des algorithmes. Nous souhaitions aller contre ce courant et mettre l’intelligence artificielle au service des professionnels du droit. L’intelligence artificielle ne remplace pas, elle accompagne les professionnels dans leur transformation digitale.
Quelle est votre particularité par rapport aux éditeurs tels que Dalloz ou LexisNexis ?
Notre ADN est différent, Doctrine est une start-up technologique ; nous avons quatre fois plus d’ingénieurs que de juristes. La technologie est au cœur de notre activité contrairement à un éditeur juridique traditionnel. Il y a aussi des différences au niveau du produit, à l’instar du fait que nous possédons deux fois plus de décisions qu’un éditeur traditionnel.
Comment se fait-il que vous disposiez, en un an, de plus de décisions que des acteurs majeurs présents sur le marché depuis des décennies ?
C’est notre cœur de métier ! Nous avons des partenariats avec des juridictions qui nous envoient des décisions. Les avocats nous aident à ouvrir le droit en nous envoyant massivement des décisions - souvent quand ils ont gagné d’ailleurs. Enfin, comme Google nous avons conçu des robots qui parcourent le web en permanence à la recherche de décisions. Aujourd’hui, nous possédons deux fois plus de décisions qu’un éditeur traditionnel et ce n’est que le début !
Travaillez-vous de concert avec les juridictions, notamment administratives ?
Oui, avec toutes les juridictions. Nous travaillons avec des magistrats, certains d’entre eux nous aident d’ailleurs à développer Doctrine, mais aussi des greffiers qui nous envoient des décisions. Nous connaissons toutes les juridictions en France. Les juridictions administratives sont très bien organisées, leur système d’information est performant. Il faut souligner que certaines juridictions sont très récentes, les cours administratives d’appel datent de 1989.
En quoi le système d’information des juridictions administratives est plus performant que celui de la juridiction judiciaire ?
Leur logiciel est tout simplement plus moderne. Les juridictions administratives ont bien moins de contentieux à traiter. L’organisation est donc relativement plus simple.
Votre travail a-t-il une dimension politique, notamment auprès du ministère de la justice ? Le cas échéant, l’élection présidentielle pourrait-elle avoir un impact sur votre activité ?
Nous sommes régulièrement contactés par le Ministère de la Justice. D’ailleurs, en mai dernier nous avons présenté Doctrine au ministre de la justice, Monsieur Jean-Jacques Urvoas. Le sujet majeur actuellement est l’open data ; plus précisément de rendre librement accessible sous un format exploitable l’ensemble des décisions de justice publiées. La loi Lemaire allait dans ce sens mais le décret d’application n’a pas vu le jour. Plus qu’un impact sur l’activité de Doctrine, l’élection présidentielle a un impact sur la justice elle-même. Cette dernière est à bout de souffle, complètement privée de moyens. Il faudrait une volonté politique forte pour redresser la justice.
L’open data est une question centrale pour les avocats publicistes, notamment concernant l’accès - encore inexistant pour le grand public alors que les magistrats y ont accès - aux décisions des tribunaux administratifs et Cour administratives d’appel. Ne pourriez-vous pas assister les juridictions dans le processus de publication ouverte ? Quelles seraient les éventuelles difficultés ?
Il y a maintes difficultés quant au pilotage d’un tel projet informatique par les juridictions. De surcroit, la problématique de l’anonymisation freine les volontés d’open data. Nous sommes évidement prêts à aider les juridictions comme nous l’avons toujours fait.
Quel avenir pour les avocats avec la numérisation ? N’y a-t-il pas un risque d’uberisation du droit ? Quel est le futur de l’open data ?
Le 21eme siècle consacrera l’avènement de l’avocat et non sa disparition. Les outils technologiques vont permettre aux avocats de se libérer des tâches répétitives. L’ubérisation du droit est une chimère. Le marché du droit s’étend et des startups fournissent des prestations dans des domaines délaissés par les avocats. Ce n’est pas grave car le numérique augmente la valeur ajoutée des avocats. Concernant le futur de l’open data il est aujourd’hui, hélas, un peu obscur. Il y a pourtant une volonté claire mais les moyens manquent pour réaliser cette belle ambition.
Quels types de clients avez-vous aujourd’hui ? Quelle base d’utilisateurs ?
Nous travaillons avec les plus grands cabinets d’avocats à l’instar d’Orrick Rambaud Martel, ou CMS Bureau Francis Lefebvre. Nos clients sont aussi des directions juridiques comme la SNCF Transilien et même le Dow Jones. Surtout, des centaines d’avocats individuels s’abonnent directement en ligne sur Doctrine.
Vous avez eu une croissance très importante au cours de l’année, et avez aujourd’hui une équipe importante. Comment envisagez-vous l’avenir de doctrine.fr ? Avez-vous des projets nouveaux ?
Nous allons continuer de grandir sur ce rythme effréné, d’autant plus que nous avons toujours plus de clients. Nous investissons massivement en Recherche & Développement et nous allons donc poursuivre les recrutements, notamment de data scientists. Il y a deux projets très nouveaux qui sortiront en septembre 2017 ; tout est confidentiel mais vous verrez, c’est une belle surprise.