Extrait de la Gazette n°46 - Septembre 2021
Le 4 avril 2014, le Conseil d’État a refondu les conditions de recours de tiers contestant la validité d’un contrat administratif en décidant que « tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles ; […] ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi » (CE, Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n°358994).
Il ressort de ces énonciations que le contenu de la formalité de publicité choisie doit comporter au moins deux mentions, à savoir la conclusion du contrat ainsi que ses modalités de consultation.
Ces exigences se traduisent par la nécessaire publicité de la décision de signer le marché et le fait de prévoir la possibilité de consulter le contrat concerné, ce qui n’est pas toujours chose aisée [1].
En l’absence de telles précisions, le juge administratif ne constate pas de départ effectif du délai de recours et peut, en conséquence, admettre une requête présentée plus de deux mois après la date de signature du contrat [2].
La formulation ici adoptée par le Conseil d’État ne permet toutefois pas de définir limitativement les supports de publication susceptibles d’accueillir la mesure de publicité du contrat administratif (ou de ses modifications) afin de faire courir les délais contentieux du recours Tarn-et-Garonne, laissant ainsi le soin au juge du fond de déterminer casuistiquement si des mesures de publicité « appropriées » ont été réalisées.
Le présent article vise ainsi à mettre en lumière la difficulté à laquelle la personne publique peut être confrontée lorsqu’il s’agit pour elle d’envisager le recueil, le journal officiel, le bulletin d’annonces, voire le site internet ou journal spécialisé le plus à même d’accueillir la mesure de publicité de l’acte de modification du contrat, unilatéral ou conventionnel, et de purger ainsi le délai de recours, ce alors même que le périmètre du recours du tiers dirigé contre l’avenant contractuel a été reconnu et précisé par le Conseil d’État (CE 27 mars 2020, n°426291) (CE, 20 novembre 2020, n°428156) et que l’exigence du seul recours pour excès de pouvoir « LIC » contre la modification unilatérale du contrat fut quant à elle récemment maintenue, sous conclusions « en partie » contraires du rapporteur public M. Marc Pichon de Vendeuil (CE 18 mai 2021, n° 434438).
Aussi, le risque de contentieux intentés par des tiers s’accroît d’autant plus que tous les contrats administratifs ne sont pas concernés par le nécessaire accomplissement de formalités de publicité visant à faire respecter les principes tirés du libre, égal et transparent accès à la commande publique.
La collectivité non conseillée pourrait alors s’exposer à laisser peser un délai de recours perpétuel (non encore « czabajisé »...) à l’encontre de son contrat ou avenant en supposant être dédouanée d’une quelconque nécessité de formalisme, ou en publiant par exemple seulement la modification de celui-ci dans un bulletin spécialisé, ce qui permettrait certes d’éviter d’éveiller des requérants endormis, mais risquerait toutefois de ne pas permettre de purger les délais de recours à l’encontre de « tout tiers » si le juge venait à en décider ainsi.
I) L’appréciation du caractère « approprié » du support de la mesure de publicité en fonction de la subjective situation du requérant ?
Il semble impossible, comme le relève le Professeur Olivier Guézou, de plaquer les enseignements tirés d’une publicité dont l’adaptation doit permettre un accès suffisant à la consultation, à une publicité dont l’objectif est de déclencher un délai de recours contentieux [3].
Le droit positif n’a toutefois pas à ce jour définitivement tranché le débat de l’assimilation totale de l’accomplissement de telles formalités de publicité du contrat au point de départ des délais contentieux à son encontre : les juges du fond restent confrontés à une casuistique parfois très hétéroclite.
À cet égard, la question du support de publication de l’avis d’attribution du contrat n’a pas été appréhendée de la même manière par les différentes juridictions.
La cour administrative d’appel de Marseille semblait affirmer le principe selon lequel « S'il résulte des dispositions […] que la personne publique concluant un contrat de partenariat est tenue de publier un avis d'attribution afin de respecter le principe fondamental de la commande publique qu'est l'obligation de transparence des procédures, il ne s'en déduit pas pour autant […], que la publication d'un tel avis d'attribution serait à même de constituer une publicité appropriée de nature à déclencher le délai de recours imparti aux tiers pour attaquer le contrat de partenariat » avant d’observer en l’espèce le départ des délais de recours à partir de la publication au Journal officiel de la République française (JORF) du décret approuvant la conclusion du contrat, lequel mentionnait la date de conclusion du contrat, l’intégralité de ses termes ainsi que les modalités de consultation de ses annexes [4].
La cour administrative d’appel de Paris avait au contraire souligné un an auparavant, à propos de concurrents évincés, que « la région était tenue de publier un avis d'attribution dans le Bulletin officiel des annonces des marchés publics et au Journal officiel de l'Union européenne ; que cette publication de l'avis d'attribution a été effectuée, respectivement, le 29 novembre et le 3 décembre 2014 ; que le point de départ du délai de recours contentieux a commencé à courir à compter de la plus tardive de ces deux dates de publications obligatoires, soit à compter du 3 décembre 2014 » [5].
Ce faisant, elle a considéré comme suffisante la plus tardive des publications du contrat au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) et au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE) (étant précisé que le requérant était un concurrent évincé) [6].
Il a été également jugé, concernant l’information des candidats du rejet de leur offre, que l’introduction du recours dans les deux mois suivant une telle notification n’était pas tardive (CAA Bordeaux 8 novembre 2016, Société Guyanet, n°15BX00313).
Les mesures individuelles d’information constituent donc elles aussi, pour les tiers que sont les concurrents évincés, une mesure de publicité appropriée de nature à faire courir les délais de recours.
Le professeur Etienne Muller a alors soulevé l’idée selon laquelle le caractère approprié de la mesure de publicité – de nature à ainsi déclencher les délais de recours – tend en réalité à s’apprécier en fonction de la situation du requérant [7].
En tout état de cause, il semble que la démarche adoptée par le juge administratif lors de l’examen de la date d’enregistrement de la requête se rapproche de celle mise en œuvre lors du contrôle de son intérêt à agir : si ce recours de plein contentieux vise objectivement la légalité de l’acte attaqué, en étant au demeurant ouvert à « tout tiers », il se subjectivise lors du contrôle de sa recevabilité, notamment en ce qu’il prend en compte la nature des demandes ainsi que la qualité du tiers à l’origine de la requête.
Une évolution du contrôle dans un tel sens nous paraît vraisemblablement en accord avec la volonté de formalisation du contentieux contractuel issue de la jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne précitée.
Le rapporteur public, M. Bertrand Dacosta, y distinguait en effet deux catégories de tiers, en mettant à part les tiers privilégiés : les concurrents évincés et les autres tiers formant la « cohorte des usagers de seconde classe du contentieux contractuel » [8].
Ainsi peut-on avancer que plus le requérant entretiendra un lien étroit avec le contrat conclu, moins le juge exigera de la mesure de publicité qu’elle dispose d’un « effet erga omnes » [9] afin de faire courir les délais de recours à son encontre.
Il s’ensuit que pour un même contrat ou avenant, plusieurs délais de recours pourraient supposément exister en fonction de la mesure de publicité réalisée et du tiers concerné, faisant ainsi peser sur la personne publique une incertitude impactant la vie de la convention adoptée.
Dès lors, il devient important pour la collectivité de se pencher également sur la problématique du choix des modalités adéquates de publicité « a posteriori » [10], de sorte qu’elles puissent permettre de purger les délais de recours à l’encontre du contrat et de ses modifications, vis-à-vis de n’importe quel tiers à ceux-ci, même en l’absence d’obligations de publicité tirées des règles gouvernant la commande publique.
La recherche d’une telle sécurité juridique semble pouvoir s’inspirer de la pratique déjà admise pour la publicité d’actes réglementaires, laquelle leur permet, par nature, d’affecter tout administré.
II) Les modalités de publicité des actes réglementaires : un exemple à suivre ?
En principe l’acte réglementaire, de portée générale et impersonnelle, doit être rendu public dans un recueil accessible à tout intéressé : le délai de recours contentieux contre les actes administratifs unilatéraux court à compter du jour de leur publication au Journal officiel de la République française (CE, Assemblée, 12 avril 1972, Brier).
Des textes peuvent également prévoir qu’un acte réglementaire ou individuel devra faire l’objet d’une insertion dans d’autres recueils officiels afin de faire courir le délai de recours contentieux.
Par ailleurs, le Conseil d’État est revenu sur sa jurisprudence initiale [11] en admettant désormais, concernant le cas d’une double publicité de l’acte administratif organisée par les textes, que le délai contentieux court à compter de la première des mesures et non plus de la dernière (CE 27 mars 2020, Syndicat agricole des petits planteurs de Cadet Sainte-Rose, n°435277).
En dehors des hypothèses dans lesquelles les textes précisent les conditions de publicité des actes administratifs, le juge administratif recherche si le mode de publicité est adapté à l’objet de l’acte et à ses destinataires [12].
Un tel raisonnement nous paraît assimilable à celui opéré par le juge du contrat lorsqu’il s’agit d’apprécier le caractère approprié de la mesure de publicité du contrat administratif - ou de l’avenant à celui-ci - en fonction de la nature du requérant et en l’absence de prescriptions textuelles.
S’agissant du régime de publicité des actes réglementaires dans un autre support que le Journal officiel, le Conseil d’État a d’abord pu décider que « la publication d'une décision administrative dans un recueil autre que le journal officiel fait courir le délai du recours contentieux à l'égard de tous les tiers si l'obligation de publier cette décision dans ce recueil résulte d'un texte législatif ou réglementaire lui-même publié au Journal officiel de la République française ; qu’en l'absence d'une telle obligation, cet effet n'est attaché à la publication que si le recueil peut, eu égard à l'ampleur et aux modalités de sa diffusion, être regardé comme aisément consultable par toutes les personnes susceptibles d'avoir un intérêt leur donnant qualité pour contester la décision » (CE, Section, 27 juillet 2005, Millon, n°259004).
Le Conseil d’État a également estimé qu’aucune règle ne s’opposait à ce que la publication d’une décision réglementaire régissant la situation des personnels d’un établissement public ne prenne la forme d’une mise en ligne sur le site intranet de l’établissement : un tel mode de publicité par voie électronique devait cependant avoir été prévu dans un acte réglementaire régulièrement publié (CE 11 janvier 2006, Syndicat national CGT-ANPE, n°273665).
De surcroît, le juge adopte une approche assez mesurée à l’égard des effets des publications effectuées volontairement dans la presse. Il n’admet ainsi le caractère approprié d’une telle publication que si elle était suffisante pour atteindre les personnes qui étaient visées par la décision ainsi publiée (CE 25 avril 2001, Association sportive Nancy-Lorraine, n°228171).
Enfin, il serait tentant de considérer la publication de l’acte réglementaire ou du contrat sur le site internet de la personne publique comme une voie de nature à faire courir les délais de recours : en plus d’être moins coûteuse en temps et en difficulté, celle-ci permet en soi une consultation large et ouverte à tout tiers.
En l’absence de dispositions prescrivant une formalité de publicité déterminée, il fut d’abord admis que les délibérations ayant un caractère réglementaire d'un établissement public étaient opposables aux tiers à compter de la date de leur publication au bulletin officiel de cet établissement ou de celle de leur mise en ligne, dans des conditions garantissant sa fiabilité, sur le site internet de la personne publique (CE 24 avril 2012, Etablissement public voies navigables de France, n°339669).
S’agissant des actes administratifs du département, le Conseil d’État a jugé que leur publication intégrale en ligne, en complément de l’affichage à l’hôtel du département, était de nature à faire courir les délais de recours [13], avant de considérer ultérieurement, cette fois-ci à propos des actes préfectoraux, que leur publication au recueil des actes administratifs (RAA) « sur le site internet de la préfecture, dans la rubrique [recueil des actes administratifs], dans des conditions garantissant la fiabilité et la date de mise en ligne de tout nouvel acte » était suffisante à elle seule [14].
Quant aux circulaires ministérielles, le Conseil d’État a admis que leur publication sur le site internet de la personne publique pouvait être de nature à faire courir le délai de recours contentieux en ce que, eu égard à l’ampleur et aux modalités de sa diffusion, le site internet du ministère de l’enseignement supérieur pouvait être regardé comme aisément consultable par toutes les personnes susceptibles d’avoir un intérêt leur donnant qualité pour contester une telle décision (CE 20 mars 2019, Mme A.C., n°401774).
En définitive, plusieurs options s’offrent à la personne publique, lorsque non liée par des textes, afin de purger les délais de recours à l’encontre des actes administratifs unilatéraux adoptés : la publication dans le Journal officiel ou dans le recueil des actes administratifs (RAA) pour les collectivités territoriales de 3500 habitants et plus, la publication par affichage ou par voie de presse, ou encore la mise en ligne de l’acte dès lors que de tels supports peuvent alors être regardés comme aisément consultables par toutes les personnes susceptibles d'avoir un intérêt leur donnant qualité pour contester la décision ainsi prise.
L’essentiel réside donc dans la possibilité pour les intéressés « de prendre connaissance du contenu de l’acte, d’en comprendre le sens et les motifs » [15].
Faute d’indication définitive du juge ou du législateur permettant d’établir limitativement le support de publication de nature à faire courir les délais de recours contre les contrats administratifs, il semble que la personne publique puisse raisonnablement se reporter aux règles applicables aux actes administratifs unilatéraux afin de sécuriser la convention, les avenants et modifications unilatérales du contrat, ce à l’égard de tout tiers.
III) Choisir le support approprié de la mesure de publicité de l’acte modifiant le contrat
a) Respecter l’exigence d’une double publicité : la publicité liée à la transparence concurrentielle (lorsque requise) et la publicité de nature à faire courir le délai de recours des tiers « éloignés »
Un avis de modification doit être publié pour les modifications apportées aux marchés passés selon une procédure formalisée soit en raison de travaux, fournitures ou services supplémentaires devenus nécessaires, soit en raison de la survenance de circonstances imprévues.
L’article R. 2194-10 du code de la commande publique prévoit à ce titre que : « Dans les cas prévus aux articles R. 2194-2 et R. 2194-5, lorsque le marché a été passé selon une procédure formalisée, l'acheteur publie un avis de modification. Cet avis est publié au Journal officiel de l'Union européenne dans les conditions fixées aux articles R. 2131-19 et R. 2131-20, conformément au modèle fixé par le règlement de la Commission européenne établissant les formulaires standards pour la publication d'avis dans le cadre de la passation de marché ».
Le code de la commande publique impose en outre la publication de données essentielles de modifications apportées aux marchés publics et aux contrats de concession sur le profil d’acheteur [16].
La doctrine ne semble pas cristallisée sur le point de savoir quel format de publicité permet d’aviser les tiers de la modification apportée au contrat.
Là où certains considèrent comme éventuellement suffisants l’avis de modification et la publication des données essentielles relatives auxdites modifications [17], d’autres rappellent qu’il n’appartient qu’à la collectivité publique cocontractante - en l’absence d’obligation textuelle - d’en établir les modalités, lesquelles « pourront utilement s’aligner sur celles applicables en matière d’urbanisme - affichage dans les locaux de la collectivité pendant une période continue de deux mois, accompagnée le cas échéant de la publication d’un avis dans la presse généraliste et spécialisée » [18].
Certes, il est probable que la publication de l’avis de modification au JOUE ou la mise à disposition des données essentielles de la modification sur le profil d’acheteur puissent être regardées comme étant de nature à faire courir les délais de recours à l’encontre des tiers entretenant une relation étroite avec le contrat ainsi conclu, mais il pèserait alors encore - en l’état - une incertitude quant à la purge effective des délais de recours à l’égard des autres tiers à celui-ci.
Surtout, se satisfaire de telles modalités de publicité paraît difficile en ce que la publication de l’avis de modification au JOUE reste cantonnée à seulement deux hypothèses de modification du contrat administratif soumis aux règles de la commande publique.
Quant aux modalités de publicité telles qu’alignées sur le droit de l’urbanisme, il faut admettre qu’elles constituent un argument plus convaincant, mais parfois inadapté à certaines espèces ou contrats dont l’objet est étendu sur plusieurs territoires.
Des moyens plus aisés paraissent être à la portée de toute personne publique pour assurer le départ effectif des délais de recours - qu’elle ait au demeurant à publier ou non un avis de modification ainsi que les données essentielles du contrat conclu.
b) Assurer la « sécurisation classique » du point de départ des délais de recours
Afin de sécuriser au maximum la conclusion d’avenants ou de modifications unilatérales (ainsi parfois négociées…) à l’égard de l’ensemble des tiers au contrat administratif, la personne publique devrait continuer de s’inspirer du régime de publicité des actes réglementaires, en sus des formalités à accomplir au titre de la commande publique.
S’agissant des modifications apportées aux contrats de l’État, il conviendrait de privilégier une publication au Journal officiel de la République française, dont il est certain qu’elle soit de nature à faire courir les délais de recours : à cet égard, plusieurs contrats ont fait l’objet d’une telle formalité de publicité ces dernières années [19].
Pour les modifications de contrats des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, il en va de même dans la mesure où les délais de recours peuvent être purgés par leur publication dans leurs recueils des actes administratifs respectifs, dès lors qu’ils puissent, eu égard à l'ampleur et aux modalités de sa diffusion, être regardés comme aisément consultables par toutes les personnes susceptibles d'avoir un intérêt leur donnant qualité pour contester l’acte modificatif en cause. S’agissant des communes de moins de 3500 habitants, il est raisonnable de penser que l’affichage continu suffise à déclencher le délai de recours contentieux.
Il est enfin possible d’envisager à ce titre une publication numérique de l’intégralité de l’acte modificatif dans une rubrique dédiée à un recueil d’actes, mise en ligne sur le site internet de la collectivité concernée, dans des conditions garantissant tant sa fiabilité que sa date de publication, ce afin de purger les délais de recours : l’essentiel étant de permettre une consultation aisée, large et ouverte à tout tiers.
Toutefois, il pèserait alors sur la personne publique un risque résiduel puisqu’il pourrait être objecté que l’existence, en France, d’une fracture numérique [20] rende contestable l’extension de l’utilisation de l’outil numérique comme unique moyen pour les tiers de prendre connaissance de l’acte modifiant le contrat administratif.
Néanmoins, nous pensons d’abord que cet obstacle puisse être surmonté dès lors que, d’une part, la seule publicité sur internet reste en soi susceptible d’atteindre une très large partie de la population et, que d’autre part, cette dernière peut toujours être complétée d’une publication écrite ultérieure.
Ensuite, les exigences liées à la nature économique de ce contentieux ainsi que la recherche de stabilité des relations contractuelles supposent qu’un tiers, susceptible d’être directement lésé par le contrat ou l’avenant litigieux, s’intéresse activement à la cause qu’il entend soulever devant les juridictions.
Enfin, la jurisprudence pourrait elle-même s’adapter et faire preuve de souplesse en exigeant notamment, à l’instar de ce qui existe dans le contentieux du refus de communication de documents administratifs [21], la démonstration de l’existence de circonstances particulières faisant obstacle à ce que le tiers, eu égard à sa qualité, ait eu un accès effectif au site internet de la collectivité sur lequel l’acte attaqué aurait été publié.
En l’état de ce qui précède, il convient surtout de relever qu’il importe que la collectivité veille à procéder d’une part, lorsque les textes l’exigent, à la publication d’un avis de modification au JOUE et à la mise à disposition de données essentielles sur le profil acheteur, ainsi qu’à la publication, d’autre part, de l’avenant ou de la modification unilatérale dans un recueil d’actes suffisamment large, dépassant notamment le seul champ des revues spécialisées connues des opérateurs économiques.
Ce recueil pourrait alors faire l’objet d’une numérisation au sein d’une rubrique dédiée, le cas échéant en sus d’une publication écrite, sur un site internet aisément accessible par tout administré, en faisant état de la date de publication en ligne de l’acte modificatif en cause (JORF, RAA, Bulletin officiel…).
Mathis Ruocco-Nardo
Références :
[1] V. en ce sens : CE 8 août 2008, Ville de Marseille, n°312370 ; CE 3 juin 2020, Centre Hospitalier d’Avignon, n°428845.
[2] CAA Lyon 5 mai 2011, Société SMTP, n°10LY00134.
[3] O. GUEZOU, Le contrôle de la passation du marché public, Droits des marchés publics et contrats publics spéciaux, Tome 3, Le Moniteur.
[4] CAA Marseille 12 novembre 2018, M.B., n°17MA02568.
[5] CAA Paris 14 mars 2017, Société géomètres experts fonciers (GEA), n°16PA00718 - Notons par ailleurs que la seconde conséquence de la solution, en ce qu’elle retient la plus tardive de ces deux dates de publications comme point de départ du délai contentieux, risquerait aujourd’hui de subir un revirement (v. en ce sens : CE 27 mars 2020, Syndicat agricole des petits planteurs de Cadet Sainte-Rose, n°435277).
[6] Le Conseil d’État a confirmé que de tels supports de publicité, tels qu’imposés aujourd’hui par l’article R. 2183-1 du code de la commande publique (CCP), devaient être regardés comme étant « appropriés » et de nature à faire courir les délais de recours pour un concurrent évincé (CE 3 juin 2020, Centre Hospitalier d’Avignon, n°428845).
[7] E. MULLER, comm. 26 sous CAA Marseille 12 novembre 2018, M.B., n°17MA02568, Ctts MP n°1, Janvier 2019.
[8] Concl. B. DACOSTA sur CE, Ass., 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, préc.
[9] Qualificatif emprunté au professeur E. MULLER désignant une mesure de publicité capable d’aviser tout tiers.
[10] Expression empruntée au professeur S. BRACONNIER, « Précis du droit de la commande publique », Le Moniteur, 2019.
[11] CE 18 février 1976, Union des chambres syndicales d’affichage et de publicité extérieure, n°96293.
[12] Mattias GUYOMAR, Bertrand SEILLER « Contentieux administratif », Hypercours Dalloz, 2012.
[13] CE, Section, 3 décembre 2018, Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen, n°409667.
[14] CE 27 mars 2020, Syndicat agricole des petits planteurs de Cadet Sainte-Rose, n°435277, préc.
[15] M. GUYOMAR, B. SEILLER « Contentieux administratif », préc.
[16] Articles R. 2196-1 (pour les marchés publics) et R. 3131-1 (pour les contrats de concession) du CCP.
[17] A. LATRECHE « Avenants : comment l’obligation de transparence va impacter le recours des tiers », Le Moniteur, 5 octobre 2018.
[18] P. CASSIA, Les grands arrêts du contentieux administratif, comm. sous CE, Ass, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, préc, Dalloz 2020.
[19] Avis de 2016 relatif à la notification d'un avenant au contrat de partenariat conclu avec la société Opale Défense pour le regroupement des états-majors et services centraux sur le site de Balard (NOR: DEFS1629673V) ;
Avis de 2012 relatif à l'accord autonome signé dans le cadre du projet du nouveau palais de justice de Paris sur le périmètre de la ZAC Clichy Batignolles (NOR: JUST1207727V).
[20] L’absence d’accès à internet et l’illectronisme touchaient 17% de la population française, selon l’INSEE, en 2019.
[21] CE 30 janvier 2020, Société Cutting Tools Management Services, n° 418797.