Les partenariats public-privé locaux en Afrique

Extrait de la Gazette n°42 - Septembre 2020

Les partenariats public-privé (PPP) font l’objet d’une promotion importante de la part des acteurs de l’aide au développement, des institutions financières et des bailleurs de fonds internationaux. Les publications de la Banque mondiale montrent les liens entre ces contrats et l’efficacité de la commande publique des pays en développement. Au-delà du consensus de Washington, les politiques d’aide au développement s’organisent désormais autour des objectifs de réduction de la pauvreté [1]. Les PPP sont donc devenus des sujets incontournables dans le financement de secteurs comme l’infrastructure, les transports, l’énergie, l’assainissement et les télécommunications.

Les droits publics nationaux, et en particulier les droits de la commande publique, ont été particulièrement sollicités pour réaliser ce changement de paradigme [2]. Par le truchement de la conditionnalité et de la recherche de financements, les réformes se sont multipliées sur le continent africain. Les États se sont dotés de cadres institutionnels et juridiques inspirés de modèles historiques et internationaux. Les projets à réaliser en PPP se sont multipliés au sein des plans de développement nationaux. Les partenariats symboliques fondés depuis la fin des années quatre-vingt-dix en Afrique ont notamment permis la réalisation des projets d’infrastructure et la gestion d’activités de réseaux d’envergure [3]. Ils ont sollicité des investissements et des financements conséquents. La délégation de service public en zone urbaine a permis à des groupes internationaux spécialisés, parfois implantés de longue date sur le continent, d’investir de nombreux secteurs [4].

Dans l’ombre de ces projets et des contrats associés, les PPP ont aussi été mis en œuvre à des échelles plus réduites et à la marge des projets nationaux. Des micro-partenariats ont été utilisés dans des secteurs traditionnels pour accélérer l’électrification et assurer la distribution d’eau potable dans les moyennes et petites villes et en zone rurale. Plus récemment, des partenariats locaux ont aussi été noués pour des projets d’éclairage public, dans le domaine de la santé, dans l’agriculture et pour le traitement des déchets [5].

L’examen de ces partenariats est délicat. La variation d’échelle complexifie l’appréciation d’une notion déjà nébuleuse. Entre un projet mené au niveau d’une province et un partenariat impliquant une commune, l’écart est important. Les petits projets tendent à être regroupés par les États et les bailleurs. Selon les montants en jeu et les perspectives de rentabilité, les appels d’offres intéressent des acteurs différents : établissements et filiales de multinationales, groupes régionaux et nationaux jusqu’aux entrepreneurs individuels.

Les projets visés sont d’un intérêt local. Ils ne concernent que des parties réduites, parfois infimes, des territoires. Ils se déploient notamment en zone périurbaine et rurale où les partenaires privés historiques peinent à concilier l’importance des investissements exigés et la rentabilité des projets. Les équipements sont donc limités : des pompes, des bornes fontaines dans plusieurs villages, une ferme de panneaux solaires, un hôpital et quelques dispensaires ou encore une gare routière d’une petite ville. L’échelle de la commune est emblématique.

Dans un contexte de désengagement de l’État et de transfert de compétences aux collectivités territoriales (I.), les partenariats public-privé locaux en Afrique ont pris la forme de montages particuliers (II.) qui suscitent des incertitudes et provoquent des recompositions importantes à des échelles variées (III.).

I.               Désengagement et transferts de compétences

D’un État à un autre et au gré de la conjecture économique, la gestion des services publics a alterné entre une gestion publique et privée. Selon la logique de l’interventionnisme économique, la régie a souvent été le mode préféré de gestion du secteur de l’eau, des transports, des déchets et de l’énergie depuis les indépendances. Les offices nationaux s’étaient multipliés pour organiser ces activités en monopole avec des résultats disparates. En zone rurale l’État a été confronté aux problèmes de rentabilité. Il s’est donc rapidement appuyé sur des mécaniques de gestion communautaire [6].

La crise économique des années quatre-vingt et l’effondrement des systèmes rentiers ont précipité la fin de l’interventionnisme. Les États, sous la pression des institutions financières internationales et des groupes de créanciers ont dû rationaliser les dépenses publiques et se concentrer sur des secteurs plus rentables. Les politiques de désengagement et de décentralisation tracées dans le sillage des plans d’ajustement structurel ont relayé ces transformations [7]. L’essor des PPP locaux apparaît comme une conséquence de ces évolutions et une cause de transformations institutionnelles dans la régulation des services publics [8].

Les collectivités territoriales en Afrique n’ont pas toujours eu la maîtrise de leurs contrats et des procédures associées. Le refus de reconnaître la qualité de maître d’ouvrage enfermait la commande publique dans les mains des autorités centrales [9]. Cette qualification est toutefois devenue fréquente dans les codes des marchés publics et des délégations de service public adoptés après la Conférence d’Abidjan en 1998. Pour les bailleurs, cette reconnaissance relève d’une responsabilisation. Le partenariat est envisagé comme permettant la professionnalisation des pouvoirs publics locaux dans la gestion de certains services publics.

Les instances communales doivent donc organiser les procédures de passation et superviser l’exécution des projets et des contrats. Une maîtrise efficace est essentielle pour éviter les crises locales et préserver les relations avec les acteurs privés et les usagers [10]. Une politique contractuelle a donc dû être mise en place. Des considérations de planification, d’économies d’échelles et de rentabilité ont été intégrées avec difficultés dans la gestion des services publics.

Malgré l’ancienneté de la pratique des PPP en Afrique, leur essor récent et leur mise en œuvre locale mettent en exergue des problèmes de compétences et de moyens. Les collectivités territoriales ne disposent pas toujours de l’expertise nécessaire, qu’elle soit technique, fiscale, financière ou juridique, pour organiser des contrats complexes. La maitrise d’ouvrage n’est pas une évidence. L’attribution d’une compétence nouvelle devrait s’accompagner des ressources nécessaires pour l’exercer. Les moyens des communes rurales restent limités par rapport à la charge des contrats. Dans certains domaines, comme la construction de routes et des ponts, les stratégies et les documents de planification n’ont pas été pensés pour des petites échelles. Ces difficultés sont aussi renforcées par le manque de documents standardisés. En dépit des efforts de quelques États, des cahiers des charges et des modèles de contrats manquent encore [11].

Paradoxalement, les autorités contractantes locales disposent d’une marge de manœuvre limitée. En matière de PPP, au moins dans les textes, l’État n’est jamais loin. Les cadres institutionnels et juridiques centralisés mis en place pour organiser le recours aux formules contractuelles récentes s’articulent autour d’évaluations et de contrôles théoriques étroits. Les projets doivent en principe faire l’objet d’études budgétaires préalables organisées sous les auspices de comités nationaux de pilotage. Ces derniers sont souvent rattachés aux plus hautes instances de l’État. Ils peuvent ainsi dépendre de la Présidence, du Premier ministre ou des ministères techniques. Des mécanismes d’approbation et des contrôles a priori et a posteriori jalonnent ensuite la mise en œuvre d’un PPP.

Face aux personnes morales de droit public, les cocontractants privés des partenariats locaux présentent aussi de nombreuses spécificités. Selon l’ampleur du projet, ces partenaires peuvent être des structures individuelles, des micro-entreprises ou encore des groupements. Les personnes physiques impliquées connaissent en principe le contexte du projet : commerçants locaux reconvertis, retraités, anciens fonctionnaires ou encore membres d’associations d’usagers qui se professionnalisent. Dans les projets plus importants, financés par des bailleurs et inscrits dans les programmes nationaux, les partenaires privés sont souvent des entreprises nationales ou régionales spécialisées. Les candidats étrangers se font plus rares à mesure que l’échelle du projet et de l’appel d’offre se réduit.

Dans ce contexte compliqué, les méthodes de financement et les montages contractuels ont été adaptés, bon gré mal gré, aux contingences locales.

II.            Financements et contrats

La question du financement est fondamentale. Elle l’est d’autant plus pour des projets à petite échelle où la rentabilité est incertaine. Les techniques traditionnelles de financement de projet sont difficiles à transposer. Les services délégués et les équipements exploités ne génèrent pas toujours des flux de revenus stables, durables et importants qui sous-tendent de tels montages [12]. Les partenariats locaux reposent donc davantage sur des apports en capitaux propres que sur des dettes. Par effet de balance, les parties financières risquent d’avoir des exigences supplémentaires. Ces dernières prennent la forme de garanties et de sûretés sur les flux financiers, et dans une moindre mesure sur les actifs physiques du projet.

Pour remédier à ces problèmes, l’État joue un rôle important dans la recherche et le déblocage de financements pour les collectivités locales. Ces dernières ne disposent pas toujours de ressources et de recettes fiscales suffisantes. Les PPP ne doivent pas se retourner contre des collectivités déjà fragiles qui auraient surestimé leurs capacités d’investissement.

Au niveau des contrats, ces problématiques de financement se traduisent par des clauses de paiement liés à des objectifs de disponibilité et surtout de performance. Ces mécanismes ne suffisent pas toujours à compenser les risques de crédit et de paiement inhérents à certains projets. Le modèle de la concession et son adéquation avec les techniques du financement de projet trouvent peut-être ici leurs limites. Dans ces modèles les renégociations sont essentielles. La flexibilité des projets, alternant entre concession et affermage, doit permettre de trouver un équilibre selon la santé financière du cocontractant et le contexte économique au long cours [13].

L’apport des bailleurs internationaux, notamment par la mise en place de fonds dédiés, est également essentiel pour compenser les obstacles au financement des projets à de petites échelles. Le rôle des institutions financières internationales amène néanmoins plusieurs problèmes. Ces derniers s’articulent autour des conditions de l’accord de prêt, de la responsabilisation de l’emprunteur dans la gestion du projet et de la place accordée aux systèmes nationaux de passation des contrats [14].

Des schémas de partenariats complexes impliquant l’État, les autorités sectorielles, les parties financières, les personnes publiques locales et les partenaires privés se sont ainsi dégagés à des échelles étroites. Ils visent à concilier les questions de financement, de l’intérêt général, de la qualité des services publics et de la rentabilité. La tâche n’est pas simple.

L’examen des projets locaux ne révèle pas de modèle contractuel particulier. À l’instar des grands projets, les montages choisis pour structurer ces partenariats varient. Ils sont le reflet du droit national, de la nature du projet, des modalités de financement, des choix institutionnels et des parties impliquées [15]. L’ensemble des contrats disponibles dans les droits nationaux et préconisés dans les standards et modèles internationaux a été utilisé. Une tendance se dessine néanmoins. Compte tenu de la nature des opérateurs privés locaux et du coût des équipements, les personnes publiques tendent à conserver la responsabilité des investissements et les risques associés. Les cocontractants privés se voient donc principalement transférer le risque opérationnel et d’exploitation.

Le droit des partenariats public-privé en Afrique est saisi par deux mouvements de transformations toujours en cours. Le premier concerne la vague de codification qui a eu lieu depuis la Conférence d’Abidjan en 1998. Si ces réformes portent surtout sur les marchés publics, les délégations de service public sont aussi prises en compte dans les codes de nombreux pays.

Dans les États de tradition juridique francophone, c’est le modèle de la concession au sens large qui a été repris et déployé. La passation de ces contrats fut parfois organisée sans véritable base légale [16]. Elle s’appuyait alors sur la législation et la réglementation sectorielle ou sur celle perfectible des marchés publics. Les réformes actuelles tendent à enserrer ces contrats autour des principes et des règles de passation modernisés. La délégation de service public, bien connue pour des raisons historiques liées à l’héritage juridique en Afrique francophone, a reçu une attention renouvelée [17].

Le deuxième mouvement a consisté en l’adoption de lois spécifiques portant sur des partenariats public-privé à paiement public [18]. Ces contrats clef en main s’inspirent des techniques bancaires de financement de projets élaborées aux États-Unis et popularisées par le gouvernement britannique dans les années quatre-vingt-dix. La diffusion dans le droit et surtout dans la pratique des pays africains des montages de type BOT, inventés en Turquie, parfois proches des concessions, participe de ce mouvement.

Ces législations et règlementations nouvelles prennent rarement en compte les variations d’échelles des projets. Des seuils n’ont pas toujours été prévus pour ajuster la rigueur des études préalables, des contrôles, des mesures de publicité, et des procédures. D’un appel d’offre à un autre, les documents sont les mêmes. Les autorités contractantes décentralisées doivent ainsi composer avec des contraintes trop sévères qui alourdissent et complexifient la procédure.

Dans ces perspectives de décentralisation et de transfert à des opérateurs privés, des montages souples inspirés des délégations de service public jouent un rôle important aux échelles étudiées. Le modèle a surtout permis le transfert de la gestion de certains services aux opérateurs privés locaux, en limitant leur responsabilité dans des investissements souvent coûteux et à la rentabilité inégale. La variété des solutions contractuelles a épousé la diversité des situations.

L’affermage occupe une place centrale dans les activités de réseaux et notamment la distribution d’eau potable en zone semi-rurale et rurale. Cette solution a permis aux nouveaux maîtres d’ouvrages locaux de déléguer l’exploitation des infrastructures et des équipements complexes, en particulier ceux nécessaires à l’adduction de l’eau. Ces contrats tendent à être courts : d’un à cinq ans. La redevance dépend souvent du volume d’eau fourni. Elle comprend en principe les charges pour l’amortissement et l’extension des réseaux. L’autorité délégante s’occupe ainsi du remplacement des équipements couteux et cruciaux pour les opérations d’exhaure.

La concession au sens strict a été utilisée pour l’installation et l’exploitation de mini-réseaux pour l’électrification rurale [19]. Le modèle a été employé à différentes échelles autour de fermes solaires. Dans les grandes concessions rurales, au Mali par exemple, les économies d’échelle ont permis de limiter les coûts importants de l’installation, de l’entretien et des opérations de logistique. À l’inverse, des concessions plus réduites permettent de se rapprocher des usagers. Les coûts d’entretien sont plus faciles à maîtriser et la perception de la redevance est simplifiée. Le bilan de ces concessions reste toutefois mitigé. En Afrique du Sud, une partie seulement des concessions a perduré [20]. Face aux incertitudes et aux contraintes fortes du secteur, les projets ont eu du mal à être financés. Certains prêteurs ont préféré se retirer. L’État a donc peiné à financer le secteur.

Pour le traitement des déchets urbains solides et liquides, les contrats sont plus variés [21]. C’est la délégation de service public qui a parfois été choisie pour assurer la construction, l’exploitation et la maintenance d’infrastructures de traitement. Les opérations de collecte de déchets solides ont aussi été transférées à des opérateurs privés avec des résultats mitigés. Les montages choisis alternent entre des contrats de gestion adossés financés par des taxes ou des modèles plus proches de la concession.

Dans le domaine des transports, ce sont également des délégations de service public organisées en concessions qui ont été retenues, notamment pour l’exploitation de gares routières [22]. Les rémunérations sont perçues auprès des usagers, des éventuels commerçants locataires et surtout des entreprises de transports qui utilisent les gares.

Dans certains États de common law, en Ouganda, au Kenya et en Afrique du Sud par exemple, des contrats de gestion et de performance à paiement public ont été utilisés pour organiser la distribution d’eau et l’assainissement [23]. Les contrats sont là encore de courte durée. Le cocontractant privé est responsable de la gestion des équipements et l’autorité délégante conserve la responsabilité des investissements et de l’extension des réseaux.

En Côte d’Ivoire [24], des contrats BOT ont été utilisés pour assurer la construction et l’exploitation de marchés urbains. Les résultats furent là aussi mitigés. Les opérateurs privés ne disposent pas toujours des capacités nécessaires pour assurer l’ensemble des missions. Les stratégies de perception des taxes pour financer l’exploitation ont conduit à l’exclusion des commerçants les plus fragiles. Les opérations de maintenance et d’entretien peinent à être menées dans des équipements surdimensionnés [25].

À la variété des montages, succède la diversité de leurs effets. La diffusion du modèle des PPP auprès des collectivités territoriales et leur mise en œuvre à des échelles plus réduites suscitent des incertitudes et provoquent des recompositions locales.

III.          Incertitudes et recompositions

Les partenariats public-privé locaux n’échappent pas à l’engrenage de la corruption systémique sur le continent. À d’étroites échelles, la commande publique et les partenariats s’insèrent aussi dans des réseaux clientélistes impliquant les élus, les fonctionnaires et les entrepreneurs locaux [26]. Ces logiques de patronage et de redistribution [27] se heurtent évidemment aux principes de mise en concurrence et de transparence. Le détournement des textes et le partage des appels d’offres entraînent des effets d’exclusion et fragilisent l’exécution des contrats.

Le recours aux PPP a également provoqué des transformations dans le secteur informel. Ces nouvelles méthodes de gestion ont remplacé des pratiques préexistantes impliquant, surtout en zone rurale, des structures de gestion communautaire. Par effet d’attraction et de répulsion, les projets et les contrats aboutissent à des recompositions plus ou moins importantes.

Dans le domaine de l’eau potable, les anciennes méthodes de gestion communautaire ont souvent été jugées défaillantes [28]. La décentralisation et l’irruption du secteur privé ont entraîné de nouvelles concurrences autour de la maîtrise d’une activité essentielle.

Au Bénin par exemple, les contrats d’affermage de gestion des installations d’adduction d’eau ont provoqué des changements sensibles dans l’ordre social local [29]. Les organisations d’usagers, devenus consommateurs, ont perdu du pouvoir au profit de nouveaux notables. Les contrats ont entravé les mécanismes de redistribution des ressources issues de la gestion des équipements. Dans le même temps, les fermiers ont pu s’appuyer sur les compétences du secteur informel pour reprendre la gestion des réseaux d’eau potable.

Au Niger, selon des logiques similaires, les PPP locaux en zone rurale prennent la forme de schémas associant les communes et les associations d’usagers. Ils prévoient la délégation de la gestion des ouvrages à des opérateurs privés. Ces derniers sont souvent des commerçants reconvertis, des techniciens ou des sociétés actives dans plusieurs communes [30].

Dans la collecte et le traitement des déchets ménagers, l’articulation avec le secteur informel a parfois été plus difficile. À Ouagadougou, le domaine de la pré-collecte fait l’objet d’une concurrence entre les acteurs formels, c’est-à-dire les concessionnaires et leurs sous-traitants, et les pré-collecteurs informels [31]. Ces derniers, permanents ou occasionnels, sont incapables de répondre aux appels d’offres. Exclus des politiques de professionnalisation, ils ont réinvesti une activité devenue rentable. À l’inverse, la sous-traitance a aussi été utilisée pour faciliter la transition complexe de ces pré-collecteurs vers le secteur formel.

Enfin, les partenariats doivent intégrer les particularités des usagers. La précarité des populations doit être prise en compte. Les populations, en zones rurales mais aussi autour des villes, ont par exemple des difficultés à payer régulièrement un abonnement pour l’énergie et surtout pour l’accès à l’eau potable [32]. Le choix du mode de tarification est donc essentiel et l’évaluation des disparités dans le pouvoir d’achat des ménages est un exercice difficile.

Les usagers, parfois exclus de la gestion de certains services publics, peuvent également avoir des difficultés à formuler des critiques et des observations sur leur qualité. Cette mobilisation n’est pas simplifiée par l’irruption d’un délégataire privé. Ce dernier agit comme un obstacle supplémentaire entre les éventuelles revendications des usagers et les autorités publiques. Les usagers sont parfois regroupés en association et peuvent être associés dans les montages. Au Bénin et au Niger, dans le domaine de l’adduction d’eau potable, des contrats d’affermages tripartites ont par exemple été conclus avec ces associations [33]. Elles peuvent alors être responsables, aux côtés de l’autorité contractante, de la supervision des opérations d’amélioration et d’extension des réseaux.

***

L’utilisation des PPP comme instruments de développement économique et leur intégration dans la commande publique des pays en développement interrogent au regard des critiques dont fait l’objet le modèle. Sous d’autres cieux, la méfiance à l’égard de ces partenariats est désormais bien établie. En France, les turpitudes des contrats de partenariat sont symboliques. Les critiques se sont attachées à démontrer avec justesse leur complexité et leurs écueils.

En Afrique, les bilans mitigés de certains partenariats historiques, notamment dans les domaines de l’eau et du rail [34], illustrent au moins la nuance nécessaire dans l’examen des montages et leur appréciation dans le temps long. À petite échelle, la commande publique en Afrique montre ses particularités. Les modèles hérités de l’histoire et ensuite modelés selon des logiques externes de transformation du droit sont finalement adaptés aux contraintes locales. Malgré la malléabilité des montages, les partenariats noués à des échelles réduites présentent des difficultés particulières. Certaines de ces difficultés résistent à une appréciation juridique pure. Au-delà des questions de l’adaptation des textes, de l’accès aux financements, de la répartition des risques et des compétences, les partenariats sont étroitement liés aux usages locaux préexistants et aux recompositions qu’ils suscitent.

[1] Jean-Pierre Cling, Mireille Razafindrakoto, François Roubaud, « Les documents stratégiques de réduction de la pauvreté : un renouveau de l’aide au développement ? », dans A. Aknin et al., Quel développement durable pour les pays en voie de développement ? Paris, GEMDEV, 2005, p. 23-45.

[2] Placide Moudoudou, « Les tendances du droit administratif dans les États d'Afrique francophone », Revue juridique et politique des États francophones, vol. 64, n° 1, 2010, p. 43-97.

[3] Jean-Serge Boissavit, et al., « Infrastructures : enjeux et stratégies du développement des partenariats public-privé », Décideurs magazine : stratégie, finance droit, 2015, p. 114-119.

[4] Benjamin Boumakani, « La régulation des services publics en réseau en Afrique », Mélanges en l’honneur de J. du Bois de Gaudusson, Université de Bordeaux, 2014, p. 71.

[5] Banque mondiale, A preliminary review of trends in small-scale public-private partnership projects, Washington DC, Document de travail n° 93256, août 2014, p. 1.

[6] Au Sénégal, voir ainsi : Moussa Diop, Amadou Hamath Dia, « Réformes des services d’eau en milieu rural africain : enjeux et limites du montage institutionnel de gestion. Une étude de cas au Sénégal », Mondes en développement, 3, n° 155, 2001, p. 37-58.

[7] Jérôme Marie, Eric Idelman, « La décentralisation en Afrique de l’Ouest : une révolution dans les gouvernances locales ? », EchoGéo, juin-août 2010, n° 13.

[8] Voir par exemple : Mahaman Tidjani Alou, « Le partenariat public-privé dans le secteur de l’eau au Niger : autopsie d’une réforme », Annuaire suisse de politique de développement, vol. 24, n° 2, 2005, p. 161-177.

[9] Sur les hésitations entre un centralisation et décentralisation de la maîtrise des procédures, voir le cas du Cameroun : Jacques Biakan, Droit des marchés publics au Cameroun - contribution à l’étude des contrats publics, Paris, l’Harmattan, 2011, p. 62.

[10] Jean-Pierre Salambéré, « Le recours au partenariat public-privé (PPP) par une collectivité locale : le cas de la gare routière de Koudougou au Burkina Faso », Revue internationale de politique de développement, 11, 1, 2019.

[11] Par exemple au Mali, voir : Cahier des charges pour la délégation de gestion des adductions d’eau potable dans les centres semi-urbains et ruraux, République du Mali, Ministères des mines de l’énergie et de l’eau, Direction nationale de l’Hydraulique, avril 2004.

[12] Olivier Fille-Lambie, « Aspects juridiques des financements de projet appliqués aux grands services publics dans la zone OHADA », Revue de droit des affaires internationales, n° 8, 2001, p. 925-968.

[13] Par exemple à Abidjan : Jean-Claude Lavigne, « Les leçons des contrats de concession en Côte d’Ivoire », Les annales des mines, août 1999, p. 83 ; Philippe Marin, et al. « Un partenariat réussi pour l’eau en Côte d’Ivoire », Grid Lines, PPIAF, note n° 50, août 2009.

[14] Sur le rôle des bailleurs de fonds internationaux à l’égard de la commande publique dans les pays en développement, voir en particulier : Sope Williams-Elegbe, « Public Procurement and Multilateral Development Banks : Law Practice and Problems », Hart Publishing, 2017. [15] CE 12 octobre 2005, Société Placoplatre, req. n° 277300.

[15] François Lichère, Boris Martor, « Essor des partenariats public-privé en Afrique : réformes en cours et perspectives d’avenir », Revue de droit des affaires internationales, n° 3, 2007, p. 297-311.

[16] Robert R. Hunja, « Obstacles to public procurement reforms in developing countries », dans S. Arrowsmith, M. Trybus, Public Procurement: The Continuing Revolution, Kluwer Law International, 2003, p. 13-22.

[17] Boris Martor, Sébastien Thouvenot, « Partnership agreements or the revival of public-private partnerships à la française“ », International Business Law Journal, n° 2, 2004, p. 111-149.

[18] Le Sénégal apparaît comme pionnier sur le continent : voir la loi n° 2004-13 adoptée le 1er février 2004.

[19] Richard Hosier et al., Rural electrification concessions in Africa : what does the experience tell us ? Banque mondiale, Washington DC, rapport n° 116898, 2017, p. 4

[20] Xavier Lemaire, « Off-grid electrification with solar home systems : the experience of a fee-for-service concession in South Africa », Energy for sustainable development, vol. 15, n° 3, 2011, p. 277-283.

[21] Koffi Attahi, « Abidjan, Côte d’Ivoire », dans Adepoju G. Onibokun (dir.), La gestion des déchets urbains. Des solutions pour l’Afrique, Paris, Karthala, CRDI, 2002, p. 17 ; Amandine Henry, « Centralisation, décentralisation et accès aux services urbains : le cas de l’enlèvement des ordures ménagères à Abidjan », Belgeo, 3-4, 2009.

[22] Jean-Salembéré, op. cit., p. 8 ; El Hadj Mamadou Ndiaye, Rémy Tremblay, « Le transport routier au Sénégal : problématique des gares routières », Revue canadienne des sciences régionales, 32, 2, 2009, p. 495-510.

[23] Victoria Rigby Delmon, Structuring private-sector participation contracts for small scale water projects, Washington D.C, Banque mondiale, mai 2014, p. 8.

[24] La pratique des BOT est ancienne dans le domaine de l’énergie : Patrick Blanchard, « Grands projets dans le secteur de l'énergie, Concessions et BOT électriques et gaziers en Côte d’Ivoire : tentatives innovantes des années 90 (I, II et III) », Revue de droit des affaires internationales, n° 4, 2000, p. 443.

[25] Sylvie Bredeloup, « L’application du BOT aux marchés d’Abidjan : formule magique ou concept douteux ?», dans Sylvie Bredeloup et al., Abidjan, Dakar, des villes à vendre ? : la privatisation made in Africa des services urbains, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 218-238.

[26] Giorgio Blundo, « Dessus de table. La corruption quotidienne dans la passation des locaux marchés publics au Sénégal », Politique africaine, vol. 3, n° 83, 2001, p. 79-97.

[27] Jean-François Bayart, L’État en Afrique, la politique du ventre, Paris, Fayard, 1989, p. 149.

[28] Par exemple : Jean-Pierre Olivier de Sardan, Abdouha Elhadji Dagobi, « La gestion des pompes dans le département de Tillabéry », Études et travaux, n° 4, 2001, p. 31.

[29] Alain Bonnassieux, Fabrice Gangneron, « Des mini-réseaux d’eau potable : entre enjeux politiques et arrangements locaux. Le cas de la commune de Djougou au Bénin », Mondes en développement, 3, n° 155, 2011, p. 77-92.

[30] Mahaman Tidjani Alou, « Le partenariat public-privé dans le secteur de l’eau au Niger : autopsie d’une réforme », Annuaire suisse de politique de développement, vol. 24, n° 2, 2005, p. 161-177.

[31] Issa Sory, Bernard Tallet, « Un partenariat public-privé à l’épreuve des logiques d’acteurs : », Géocarrefour, 90, 1, 2015, p. 51-59.

[32] Catherine Baron, Alain Bonnassieu, « Les enjeux de l’accès de l’eau en Afrique de l’Ouest : diversité des modes de gouvernance et conflits d’usages », Mondes en développement, vol. 4, n° 156, 2011, p. 17-32.

[33] Banque mondiale, Bilan sur sept pays africains : délégations de gestion du service d’eau en milieu rural et semi urbain, Washington DC, note de terrain, n° 63556, 2010, p. 10.

[34] Karim-Jacques Budin, « Les particularités des « concessions ferroviaires dans les pays émergents », Revue des concessions et des délégations de service public, n°10, 2000, p. 9-23 ; Sylvain Petitet, « Problèmes et limites de la diffusion internationale d’un modèle de gestion des services publics urbains « à la française » : le cas de l’eau potable », Entreprises et histoire, vol. 4, n° 31, 2002, p. 25-37.

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Lukas PERICHON