L’interdiction des emballages plastiques en France, une mesure durable ?

Extrait de la Gazette n°37 - Avril 2019

La fin de la mise à disposition des emballages plastiques à usage unique a été initiée en droit positif par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (ci-après, « loi LTE »). Le champ d’application de cette interdiction a été étendu depuis quatre ans, et encore récemment avec l’adoption du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, le 11 avril 2019 (ci-après, « loi PACTE »).

La législation française est depuis 2015 précurseuse dans ce domaine. L’Union européenne n’est parvenue à l’adoption d’une directive européenne qu’en 2019. Néanmoins, cette mesure fait encore l’objet de contestations en France comme en témoigne un potentiel cavalier législatif qui s'est invité dans les débats sur la loi PACTE en vue de revenir sur certaines interdictions d’emballages plastiques.    

On verra que, de son origine jusqu’aux débats sur le projet de loi PACTE, la mesure d’interdiction a toujours fait l’objet de contestations parlementaires (I). Toutefois, cette mesure s'ancre durablement dans l'état du droit alors que le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ont largement validé la constitutionnalité et la conventionalité de cette interdiction, qui est en passe d’être reprise au niveau de l’Union européenne (II).

I- Une interdiction débattue au sein du pouvoir législatif

A- Une origine parlementaire

L'origine de l’interdiction de la mise à disposition des emballages plastiques à usage unique se trouve à l’article 73 de la loi LTE prévoyant qu’au 1er janvier 2020, il doit être mis fin à la « mise à disposition des gobelets, verres et assiettes jetables de cuisine pour la table en matière plastique, sauf ceux compostables en compostage domestique et constitués, pour tout ou partie, de matières biosourcées ». Cet article ne figurait pas dans le projet de loi initial déposé par la ministre de l’environnement mais résulte d’un amendement de députés. Lors de la navette parlementaire, un amendement de sénateurs visait à le supprimer, aux motifs que la mesure était prématurée, inadaptée aux services publics (hôpitaux, prisons), qu’elle favoriserait les produits de substitution importés et que la mesure supprimerait 650 emplois directs. L’article a néanmoins été adopté et intégré dans un paragraphe III de l’article L. 541-10-5 du code de l’environnement.

Depuis, deux évolutions tenant au champ d’application de la mesure d’interdiction sont intervenues. D’abord, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages de 20161 (ci-après, « loi biodiversité ») a étendu l’interdiction aux « bâtonnets ouatés à usage domestique » (1er janvier 2020) et aux « produits cosmétiques […] comportant des particules plastiques » (1er janvier 2018). Ensuite, la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous de 20182 (ci-après, « loi EGalim ») a inséré l’interdiction dans les services de restauration collective scolaires et universitaires des « contenants alimentaires de cuisson » (1er janvier 2025) et des « bouteilles d’eau plate en plastique » (1er janvier 2020).

Ainsi depuis quatre ans, l'interdiction de nouvelles catégories d'emballages plastiques se matérialise dans le code de l’environnement grâce aux lois LTE, biodiversité et EGalim. Les objectifs de ces lois sont en lien direct avec la mesure. Mais ce constat est difficilement transposable au projet de loi PACTE, ayant une visée économique, dans lequel les débats parlementaires furent porteurs de contestations de cette mesure.

B/ Une contestation parlementaire persistante mais restreinte

Ni le projet initial de loi PACTE ni le texte amendé en première lecture par l’Assemblée ne contenaient de disposition relative aux emballages plastiques, en cohérence avec l’objet économique du projet de loi. C’est par un amendement sénatorial3 qu’une modification des interdictions posées par la loi EGalim a été insérée.

Les objectifs de cet amendement étaient notamment l’alignement du champ d’application des interdictions nationales sur celui du projet de directive européenne4, et la limitation de l’interdiction pour les contenants alimentaires des services de restauration collective. Les sénateurs à l’initiative de cet amendement considéraient en effet que la liste d’interdiction avait été étendue par la loi EGalim sans examen préalable de l’impact « pour un certain nombre d’entreprises et d’emplois en France » représentant « environ 1 500 à 2 000 emplois […] menacés ». Ils entendaient également « ne pas limiter [la] croissance [des entreprises françaises] par une situation de concurrence déloyale à l’échelle européenne » du fait de l’« interdiction » de certains produits par la loi EGalim, alors que le projet de directive prévoirait pour ces mêmes produits une simple « réduction ». De manière positive cependant, les sénateurs soulignent qu’ils n’entendent pas revenir sur les interdictions introduites par la loi LTE de 2015 et par la loi biodiversité de 2016.

Après un passage infructueux en commission mixte paritaire, la commission spéciale de l’Assemblée a rendu son rapport le 7 mars 2019 sur le projet de loi PACTE. A rebours de l’amendement des sénateurs, la commission spéciale a retenu un élargissement du champ des interdictions afin de préserver les avancées de la loi EGalim, un rétablissement de l’interdiction des assiettes jetables, toutes sortes confondues, une interdiction d’utilisation de contenants alimentaires de réchauffe et de service en matière plastique dans le cadre des services de restauration scolaire d’ici 2025, et un rétablissement de la date d’entrée en vigueur de l’interdiction des piques à steak et des couvercles à verre jetables. En revanche, elle a suivi le Sénat en ne rétablissant pas l’interdiction des plateaux-repas.

Le projet de loi PACTE a été définitivement adopté par l'Assemblée nationale le 11 avril 2019. La loi adoptée retient donc la modification de l'article L. 541-10-5 du code de l'environnement telle qu'établie par la commission spéciale de l'Assemblée. Si la critique d’un cavalier législatif demeure formellement dans une loi d'ordre économique, force est de constater que les réticences parlementaires aux mesures d’interdiction des emballages plastiques furent vaines.

Dans l'hypothèse d'une extension législative future du champ d'application de la mesure d'interdiction, une vigilance devrait être maintenue sur les travaux parlementaires. Heureusement, la mesure semble inscrite durablement dans le droit national et européen (II).

II/ Une interdiction approuvée par les hautes institutions nationales et par l’Union européenne

A/ Une validation partagée par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État

1- Le Conseil constitutionnel s’est prononcé à deux reprises (loi LTE et loi EGalim) sur la constitutionnalité du paragraphe III de l’article L. 541-10-5 du code de l’environnement. Par deux fois, il l’a déclaré conforme à la Constitution.

En premier lieu, lors du contrôle a priori de la loi LTE5, les députés soutenaient qu’une partie du champ d’application de l’article recoupait la qualification d’« emballage » au sens des normes européennes6 en méconnaissance de l’article 88-1 de la Constitution et de l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Néanmoins, le Conseil a laconiquement balayé cette argumentation en considérant le grief tiré de l’article 88-1 comme inopérant, et en constatant l’intelligibilité effective de l’article.  

En second lieu, s’agissant du contrôle de la loi Egalim7, le Conseil constitutionnel était saisi de griefs lui permettant un contrôle plus approfondi. En effet, les sénateurs requérants reprochaient au texte de porter une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté d'entreprendre des personnes produisant et commercialisant les ustensiles visés par cette interdiction. Le Conseil a d’abord considéré qu’il ne lui appartenait pas de contrôler l’appréciation du législateur sur l’objectif « de protection de l'environnement et de la santé publique ». Ensuite, il a considéré l’interdiction comme limitée aux « ustensiles jetables », terme général - duquel ne seraient finalement exclus que les « ustensiles non jetables » - par lequel le Conseil laisse au pouvoir législatif une marge de manœuvre sur de potentielles interdictions à venir. Puis, il souligne que les produits réutilisables et compostables sont exclus de l’interdiction. En considération enfin du caractère différé de l'interdiction dans le temps, le Conseil constitutionnel a conclu que la restriction apportée à la liberté d’entreprendre était en lien avec l'objectif poursuivi.

Le contrôle, plutôt mesuré, du Conseil constitutionnel sur ce type d’interdiction a semble-t-il été fixé lors de cette seconde décision. Il peut être observé que la Charte de l’environnement n’est jamais évoquée.

2- Le Conseil d’État a lui été saisi par plusieurs sociétés d’un recours en annulation contre le décret n° 2016-1170 du 30 août 2016 pris en application du III de l’article L. 541-10-5 du code de l’environnement. Les juges ont rejeté la requête en fondant leur raisonnement sur un objectif de prévention et de gestion des déchets8.

Les requérantes soutenaient que le texte instaurait une mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives, en violation des articles 34 et 35 du TFUE.  Les juges ont d’abord rappelé qu’une telle mesure peut être justifiée notamment « par des raisons (…) de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux ». Or le Conseil d’État, s’il qualifie bien le texte de « mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives », considère néanmoins, pour rejeter le moyen, que l’objectif poursuivi est celui de prévention et de gestion des déchets imposé par l’article L. 541-1 du code de l’environnement. Il considère ensuite que les mesures de substitution évoquées par les requérants (systèmes de collecte) « ne répondent pas à l'objectif [et] ne constituent, en outre, qu'une réponse partielle ». Il en conclut que « l'interdiction édictée constitue une mesure nécessaire au regard de l'exigence impérative de protection de l'environnement, proportionnée et justifiée au regard de l'objectif poursuivi. »

De plus, le Conseil d’État a rejeté le moyen tiré du défaut de clarté et d’intelligibilité de la norme, considérant comme suffisantes l’énumération expresse du texte (« gobelets », « assiettes », etc.), l’exclusion expresse des emballages au sens de la directive n° 94/62/CE, ainsi que l’existence de normes françaises définissant les notions utilisées dans le décret. Le raisonnement paraît relever du bon sens.

Par ces trois décisions, le gardien de la Constitution et le Conseil d'État envoient un message clair de validité de l’interdiction des ustensiles plastiques, et ce dans un « un objectif de réduction du volume des déchets plastiques afin, notamment, de prévenir et de limiter la pollution des sols et du sous-sol ainsi que les atteintes à la biodiversité ». Il s’agit finalement d’un encouragement adressé au pouvoir législatif ainsi qu’aux services exécutifs chargés de la mise en œuvre effective des interdictions d’ici le 1er janvier 2020.

B/ Des normes européennes similaires à venir

Les déchets font l’objet d’une réglementation européenne majeure9 modifiée encore récemment s’agissant du traitement des déchets et des plans de gestion10. En matière de déchets domestiques aussi, l’Union européenne adopte de nouvelles règles. En effet, le 18 janvier 2019, les États membres ont confirmé l'accord obtenu avec le Parlement européen, le 19 décembre 2018, sur le projet de directive relatif à l’interdiction de certains objets en plastique à usage unique11. Le 27 mars 2019, le Parlement a adopté la proposition de directive. L’ultime étape du projet est l’approbation formelle par le Conseil européen.

Le champ d’application du projet de directive, précisé dans son annexe, se rapproche sensiblement de celui de l’article L. 541-10-5 III du code de l’environnement. Cependant, la directive prévoit que certains produits seront purement interdits de mise sur le marché (article 5, concernant notamment les couverts et les assiettes) quand pour d’autres, les États membres auront le choix des mesures nécessaires à la réduction significative de leur consommation (article 4, concernant les gobelets et les récipients de l’alimentation rapide). Comme le soulignait les sénateurs en France, certains produits font l’objet d’« interdiction » de mise sur le marché dans la loi française, alors que dans le projet de directive ils entreraient dans le champ de la « réduction ». Cependant, l’article 4 laisse aux États membres une marge de manœuvre quant aux mesures pour atteindre cette réduction. Ces mesures pourraient a fortiori, prendre la forme d'une interdiction conformément au principe de subsidiarité. Dès lors la mesure nationale d’interdiction généralisée, en ce sens plus stricte que le projet de directive, semble compatible avec la législation européenne.

A rebours des transpositions tardives de directives, il est positif que le Parlement français adopte une mesure précoce et plus ambitieuse que la directive. Et ce, malgré l'existence de craintes structurelles s'opposant à devancer le calendrier européen ou à prévoir des législations plus strictes12. En tout état de cause, ce projet européen peut être applaudi : le périmètre d’action géographique de l'Union européenne étant plus significatif pour l’environnement.

En somme, et malgré les réticences de certains parlementaires, l'évolution progressive de l’interdiction des déchets plastiques est une avancée normative majeure dans la transition écologique. La mémoire collective récente démontre que les évolutions de nos modes de consommation entrent finalement dans nos usages, à l’instar des éco-cups en festival ou de l’interdiction des sacs plastiques en magasin.

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Léna TCHAKERIAN

[1] loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, JORF n° 0184 du 9 août 2016

[2] loi n°2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, JORF n°0253 du 1er novembre 2018

[3] amendement n° 932 du 29 janvier 2019 au projet de loi PACTE

[4] résolution législative du Parlement européen du 27 mars 2019 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la réduction de l’incidence sur l’environnement de certains produits en plastique (COM(2018)0340 – C8-0218/2018 – 2018/0172(COD)).

[5] décision n° 2015-718 DC du 13 aout 2015, sur la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, JORF n° 0189 du 18 août 2015, page 14376

[6] directive n° 94/62/CE du 20 décembre 1994 relative aux emballages et aux déchets d’emballages

[7] décision n° 2018-771 DC du 25 octobre 2018, sur la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, JORF n° 0253 du 1er novembre 2018

[8] Conseil d’État, 6ème et 5ème chambres réunies, société DOPLA et autres, 28 décembre 2018, n° 404792, inédit au recueil Lebon

[9] directive-cadre n° 2008/98/CE du 19 novembre 2008 relative aux déchets et abrogeant certaines directives ; directive n° 94/62/CE du 20 décembre 1994 relative aux emballages et aux déchets d’emballages ; la directive 2012/19/UE du 4 juillet 2012 relative aux déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE)

[10] directives UE n° 2018/849 ; 2018/850 ; 82015/851 ; 2018/852 du 30 mai 2018, JOUE n° L 150 du 14 juin 2018

[11] cf. [4] ci-dessus

[12] rapport d'information de M. le sénateur René DANESI au nom de la commission des affaires européennes et de la délégation aux entreprises n° 614 (2017-2018) du 28 juin 2018, « La surtransposition du droit européen en droit français : un frein pour la compétitivité des entreprises »