Extrait de la Gazette n°39 - Septembre 2019
Réflexions sur le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 29 août 2019
(req. n° 1704722, 1705712, 1705713, 1705226, 1705265 et 1705238).
Fin août, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rendu un jugement précisant, un peu plus, les cas dans lesquels l’autorité environnementale n’a pas fait preuve d’une impartialité suffisante à l’occasion d’un avis sur une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE).
Le projet en question avait pour objet la poursuite de l’exploitation d’une carrière de gypse à ciel ouvert et l’extension de cette dernière en souterrain. En raison de l’importance du projet, l’autorité environnementale a été saisie, et l’avis a été préparé par une unité de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL). L’avis a été rendu par le préfet de la région Ile-de-France, dans un sens favorable à l’autorisation du projet. En parallèle, le dossier d’autorisation a été instruit par le préfet de département du Val-d’Oise, qui s’est appuyé sur les services de cette même DREAL.
Courant 2017, le préfet du Val-d’Oise a autorisé, par trois arrêtés distincts, la poursuite de l’exploitation de la carrière à ciel ouvert, la poursuite de l’exploitation de la carrière sous talus et l’extension de la carrière en souterrain. Ces trois arrêtés sont contestés devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise par une association de protection du patrimoine historique ainsi qu’une association de riverains.
Les requérants font notamment valoir que l’avis de l’autorité environnementale est irrégulier en raison d’un manque d’impartialité des services qui l’ont préparé.
I. Les conséquences de l’annulation des dispositions instituant le préfet de région comme autorité environnementale
Il résulte des exigences de l’Union européenne et notamment de la directive du 13 décembre 2011[1] que tout projet qui présente des conséquences potentiellement notables sur l’environnement doit faire l’objet d’un examen par une autorité indépendante. Ces exigences sont transposées, en droit interne, aux articles L. 122-1 et R. 122-6 du code de l’environnement.
La finalité de cette règle est de garantir qu’une autorité compétente et objective rende un avis sur l’évaluation environnementale de projets, publics ou privés, susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, afin de permettre la prise en compte de ces incidences avant leur autorisation.
Jusqu’à fin 2017 et conformément aux dispositions réglementaires, un certain nombre de ces avis, notamment concernant les autorisations uniques et environnementales ou encore les permis de construire pour des projets éoliens, était rendu par le préfet de région, en tant qu’autorité environnementale. Cela pouvait mener à des situations problématiques dans lesquelles le préfet de région, qui rendait un avis sur un projet, délivrait l’autorisation ou le permis de construire pour ce même projet sous sa casquette de préfet de département.
Ainsi, dans sa décision du 6 décembre 2017[2], le Conseil d’État a considéré que les dispositions législatives et réglementaires ne prévoyaient pas de dispositif propre permettant, dans le cas où le préfet de région est compétent pour autoriser le projet en tant que préfet de département, que la compétence consultative soit exercée par une entité interne disposant d’une autonomie réelle à son égard. En conséquence, les dispositions du décret[3] qui désignaient le préfet de région comme autorité environnementale ont été annulées.
Cela a mené à un abondant contentieux devant les juridictions administratives. De nombreux permis de construire et autorisations ont été jugés irréguliers lorsque, au cours de la procédure, l’avis avait été rendu par un préfet qui avait la double casquette préfet de région et préfet de département.
Pour éviter que certaines annulations ne soient injustifiées au regard de la finalité des exigences européennes, les juges se sont attelés à vérifier, in concreto, si l’autorité environnementale n’avait pas bénéficié de toutes les garanties d’impartialité avant de prononcer une annulation. Pour cela, ils se sont fondés sur la jurisprudence Seaport[4] de la Cour de justice de l’Union européenne.
Selon cette jurisprudence, il n’est pas nécessaire qu’une séparation organique soit instituée entre l’autorité qui rend un avis et celle qui instruit un projet, mais dans ce cas, il faut qu’une séparation fonctionnelle soit organisée, notamment que l’autorité qui rend l’avis dispose de moyens administratifs et humains qui lui sont propres.
Les juges administratifs ont alors repris ce raisonnement à leur compte et ont vérifié, au cas par cas, si cette autonomie fonctionnelle avait été respectée. Ils regardent notamment quel service a préparé l’avis et quel service a instruit le dossier. L’administration doit alors faire état d’une justification permettant d’apprécier concrètement la réalité de l’autonomie dont ce service dispose[5]. Le juge contrôle ensuite la séparation entre les services et si celle-ci répondait aux objectifs d’impartialité de la directive[6].
Enfin, et en cas de carence d’autonomie fonctionnelle de l’autorité environnementale, le juge vérifie si l’irrégularité de l’avis a eu pour effet de priver le public d’une garantie ou a exercé une influence sur le sens de la décision prise par le préfet[7].
Depuis la décision du 6 décembre 2017, le contentieux qui en a découlé a été précisé par les juges et peu de questions subsistent encore. La situation qui s’est présentée devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise était toutefois inédite.
II. La reconnaissance d’une absence d’autonomie fonctionnelle en présence d’une autonomie organique
La question qui s’est posée devant le tribunal administratif est la suivante : comment juger de l’impartialité de l’autorité environnementale lorsqu’il y a bien une séparation organique entre les différentes autorités mais qu’il y a un problème manifeste de séparation fonctionnelle.
Ce point restait à trancher, et la problématique avait par exemple été soulignée par le rapporteur public Louis Dutheillet de Lamotte dans ses conclusions sur l’avis du 28 septembre 2018[8]. Il avait énoncé à cet égard : « En outre, signalons que votre jurisprudence ne s’est pas encore prononcée sur le cas où le préfet de région est autorité environnementale tandis que le préfet de département autorise le projet, tous deux s’appuyant sur la même DREAL. »
Pour de nombreuses cours administratives d’appel, cette situation n’a pas mené à des débats. L’avis et l’autorisation environnementale sont rendus par deux autorités distinctes, il n’y a donc aucune irrégularité[9]. Ainsi, les exigences de la directive ne sont pas méconnues lorsqu’un préfet de département est compétent pour délivrer une autorisation tandis que le préfet de région est compétent pour rendre l’avis, quand bien même les services du préfet de région assurent, en outre, l’instruction de la demande[10].
Cependant, il ressort de certaines décisions que, dans l’hypothèse où des éléments du dossier permettraient de tenir pour établi que l’autorité environnementale n’a pas été en mesure de se prononcer dans les conditions d’impartialité et d’objectivité requises, l’avis serait irrégulier[11].
C’est dans ce cadre que les faits soumis aux magistrats du tribunal administratif de Cergy-Pontoise se trouvaient. En effet, étaient bien intervenues deux autorités distinctes organiquement, puisque le préfet de la région
d’Ile-de-France avait rendu l’avis tandis que le préfet du département du Val-d’Oise avait autorisé l’installation. Au premier abord, il n’y avait pas de problème de manque d’autonomie organique.
Toutefois, à la lecture des pièces, ressortait clairement une absence d’autonomie fonctionnelle. Les deux préfets se sont appuyés sur une même DREAL et le même agent, chef de l’unité territoriale, a à la fois signé l’avis de l’autorité environnementale et établi le rapport d’instruction des demandes d’autorisation de la société.
Dans ces conditions, les juges ne pouvaient que reconnaître que l’autorité environnementale ne présentait pas, à l’égard de l’autorité décisionnaire, une autonomie réelle et notamment des moyens administratifs et humains propres.
Les juges sont donc allés à rebours de la jurisprudence majoritaire qui tendait à conclure à une totale impartialité lorsqu’une séparation organique existait. Dans les faits de l’espèce, il n’était pas possible de conclure à l’autonomie de l’auteur de l’avis au regard des pièces du dossier.
La question a toutefois été soulevée par l’avocate de la société exploitant la carrière lors de l’audience : à quel stade l’irrégularité a-t-elle été commise ? Est-ce au moment où le service a rendu l’avis ou au moment où le service instructeur a rendu son rapport ? Cette question apparaît toutefois secondaire puisque les instructions se situent toutes deux à la même phase de la procédure de l’autorisation environnementale, celle d’examen de la demande. Une régularisation devra donc être menée dès ce stade de la procédure.
III. L’application du sursis à statuer en cas d’irrégularité de l’avis de l’autorité environnementale
Le Conseil d’État est venu préciser la procédure à suivre depuis l’annulation de l’article R. 122-6 du code de l’environnement. La question s’est posée dans tous les cas où un même préfet a été service instructeur et autorité environnementale, ce qui a mené à une jurisprudence fournie et établie.
Cette régularisation est prévue à l’article L. 181-18 du code de l'environnement. Le Conseil d’État a précisé la marche à suivre en cas de régularisation d’une autorisation environnementale de manière générale[12], et plus particulièrement concernant l’irrégularité d’un avis de l’autorité environnementale dans sa décision du 27 septembre 2018[13].
Dans cet avis, le Conseil d’État a prévu les strictes modalités de régularisation de ce vice de défaut d’impartialité de l’autorité environnementale.
Tout d’abord, et pour décider de la régularisation d’une autorisation environnementale, le juge doit constater qu’un seul vice est fondé et que tous les autres moyens sont irrecevables.
Il faut ensuite que le vice n’affecte qu’une seule phase de l’instruction. Soit ce vice n’est pas régularisable, alors l’annulation de l’autorisation est prononcée et l’instruction doit être reprise à partir de la phase annulée, soit il est régularisable, alors une autorisation modificative peut être délivrée après que le juge a sursis à statuer pour permettre à l’autorité compétente de procéder à la régularisation, au moyen d’un jugement avant-dire droit.
Dans le cas d’un vice de procédure tiré de l’irrégularité de l’avis rendu par l’autorité environnementale, et en raison de l’importance de cet avis pour l’information du public, la régularisation ne peut se borner à la simple édiction d’un nouvel avis.
L’avis initial peut être régularisé par la consultation d’une autorité présentant les garanties d’impartialité requises. Le Conseil d’État a cité, par exemple et en l’absence de texte définissant une autorité environnementale compétente, les missions régionales de l’autorité environnementale (MRAe) du Conseil général de l’environnement et du développement durable. Un décret est attendu en vue d’une désignation réglementaire de ces MRAe en tant qu’autorité environnementale.
Le nouvel avis doit ensuite être porté à la connaissance du public. Le juge, dans son jugement avant-dire droit, doit en prévoir les modalités en distinguant deux cas :
Si le nouvel avis diffère substantiellement de celui qui avait été porté à la connaissance du public, une enquête publique complémentaire devra être organisée ;
S’il n’y a pas de modification substantielle de l’avis, l’information du public pourra prendre la forme d’une simple publication sur internet.
En l’espèce, après avoir constaté qu’aucun autre vice n’était susceptible de fonder l’annulation des différents arrêtés, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a décidé d’utiliser sa faculté de surseoir à statuer en vue d’une régularisation.
Il a été prévu que la MRAe serait consultée pour avis dans un délai de huit mois. En cas d’avis différant de manière substantielle, un délai de six mois supplémentaire est prévu pour qu’une enquête publique complémentaire puisse être organisée.
L’installation ne présentant aucun danger ou inconvénient pour les intérêts protégés à l’article
L. 511-1 du code de l’environnement, les autorisations n’ont pas été suspendues et l’exploitation de la carrière peut se poursuivre pendant la durée de la régularisation.
Pour conclure, ce jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise s’est prononcé sur un point inédit dans le contentieux de la régularité des avis de l’autorité environnementale. Le tribunal rappelle que cette autorité doit, matériellement, respecter des garanties d’impartialité. De ce fait, il ne faut pas toujours s’arrêter à une autonomie de façade.
[1] Directive n°2011/92/UE du 13 décembre 2011 sur l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement.
[2] CE 6 décembre 2017, Association France Nature Environnement, req. n°400559.
[3] Décret n° 2016-1110 du 11 août 2016 relatif à la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes.
[4] CJUE 20 octobre 2011, Department of the Environment for Northern Ireland c/ Seaport (NI) Ltd et autres, affaire C-474/10.
[5] CAA Bordeaux 9 octobre 2018, MM. X, req. n°16BX02291.
[6] CE 22 octobre 2018, Dessailly, req. n° 406746.
[7] CAA Nantes 26 décembre 2018, Mme X. et autres, req. n°17NT01268.
[8] CE 27 septembre 2018, Association Danger de tempête sur le patrimoine rural et autres, req. n° 420119.
[9] Par exemple : CAA Bordeaux 7 mars 2019, Association Grand vent malade et autres, req. n°17BX00719.
[10] CAA Nancy 4 octobre 2018, Association des évêques aux cordeliers et autres, req. n°17NC01857.
[11] CAA Nantes 26 décembre 2018, Mme X. et autres, précité.
[12] CE 22 mars 2017, Association Novissen, req. n°415852.
[13] CE 27 septembre 2018, Association Danger de tempête sur le patrimoine rural et autres, précité.