Extrait de la Gazette n°33 - Octobre 2018
Lors d’une procédure d’attribution d’un contrat de marché public, l’un des aspects le plus essentiel pour l’acheteur public est d’avoir bien défini préalablement son besoin. En effet, cette définition est indispensable puisqu’elle va ensuite permettre de sélectionner des offres remplissant précisément les objectifs poursuivis par la personne publique souhaitant passer un marché public. Cela va aussi permettre l’économie des deniers publics. L’obligation de bien définir les besoins est inscrite à l’article 30 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics qui énonce que « la nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ». En outre, de nombreux articles du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 y sont également consacrés.
Or, il peut s’avérer que définir son besoin se révèle extrêmement complexe pour l’acheteur public. À l’heure de l’essor des nouvelles technologies, il est parfaitement compréhensible que certains projets, relatifs par exemple aux smart-city ou à l’intelligence artificielle, demandent des renseignements qui ne sont pas nécessairement disponibles en dehors des acteurs directement concernés ainsi qu’une coopération renforcée avec des acteurs du secteur privé.
C’est dans ce cadre-là que le décret de 2016 précité a consacré la pratique du sourcing. Cette technique permet « à un acheteur de mieux identifier les fournisseurs susceptibles de répondre à son besoin » [1]. Derrière cette notion générale de sourcing, se trouve une grande variété de situations dans lesquelles l’acheteur va être en contact avec les acteurs économiques, que ce soit, par exemple, au travers de la tenue de consultations pour connaître les progrès techniques, au travers d’études de marché, de rencontres lors de salons de professionnels ou encore de visites de site.
Le Conseil d’État, notamment dans une décision SMEAG du 14 novembre 2014 [2], a validé la pratique du sourcing autrement dénommé « sourçage ». Cette jurisprudence constate un état de fait, à savoir que cette technique était pratiquée bien avant sa consécration officielle en droit français par le décret 2016/360.
En observant la pratique, deux types de sourcing différents peuvent être dégagés. Il y a d’abord le sourcing ouvert, qui consiste « à informer l’ensemble des opérateurs économiques sur un projet de marché » [3]. Il y a ensuite le sourcing restreint qui « implique des démarches de prospection de la part de l’acheteur ». Le premier type de sourcing a pour objectif de confronter le besoin à la réalité économique tandis que le second poursuit davantage des objectifs de perfectionnement, d’affinage.
La pratique du sourcing est consacrée par la directive 2014/24/UE du Parlement Européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE. L’article 40 de la directive énonce qu’« avant d’entamer une procédure de passation de marché, les pouvoirs adjudicateurs peuvent réaliser des consultations du marché en vue de préparer la passation de marché et d’informer les opérateurs économiques de leurs projets et de leurs exigences en la matière. À cette fin, les pouvoirs adjudicateurs peuvent par exemple demander ou accepter les avis d’autorités, d’experts indépendants ou d’acteurs du marché. Ces avis peuvent être utilisés pour la planification et le déroulement de la procédure de passation de marché, à condition que ces avis n’aient pas pour effet de fausser la concurrence et n’entraînent pas une violation des principes de non-discrimination et de transparence ».
L’article 4 du décret n° 2016-360, transposant le contenu de la directive, dispose qu’ « afin de préparer la passation d'un marché public, l'acheteur peut effectuer des consultations ou réaliser des études de marché, solliciter des avis ou informer les opérateurs économiques de son projet et de ses exigences. Les résultats de ces études et échanges préalables peuvent être utilisés par l'acheteur, à condition qu'ils n'aient pas pour effet de fausser la concurrence et n'entraînent pas une violation des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ».
Des mesures de précaution sont aussi instituées dans l’objectif de préserver la libre concurrence. Celles-ci sont précisées par la directive et son article 41 [4] ainsi que par l’article 5 du même décret, selon lequel « l'acheteur prend les mesures appropriées pour que la concurrence ne soit pas faussée par la participation à la procédure de passation du marché public d'un opérateur économique qui aurait eu accès, du fait de sa participation préalable directe ou indirecte à la préparation de cette procédure, à des informations ignorées des autres candidats ou soumissionnaires. Cet opérateur n'est exclu de la procédure de passation que lorsqu'il ne peut être remédié à cette situation par d'autres moyens, conformément aux dispositions du 3° de l'article 48 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée ».
La jurisprudence du Conseil d’État, ainsi qu’une observation des pratiques des collectivités, témoignent d’une ancienneté de la pratique du sourcing. Il est, par conséquent, évident que le sourcing présente certains avantages à ne pas négliger. Cependant, un risque majeur, celui du délit de favoritisme, va peser sur l’acheteur public usant de la méthode du sourcing, ce qui conduit à relativiser les différents avantages octroyés (I). En outre, comme la technique du sourcing implique des échanges entre opérateurs économiques candidats et acheteurs publics préalablement à la mise en concurrence, des limites ont été fixées par le décret n° 2016-360 afin d’éviter les détournements et les atteintes aux grandes libertés économiques dont la libre concurrence. Par ailleurs, comme souvent en matière administrative, la jurisprudence va jouer un rôle primordial dans l’encadrement de la pratique du sourcing (II).
I/ Le sourcing : une pratique à risque avantageuse pour les acheteurs publics
Le sourcing est une pratique qui ne présente pas moins de trois avantages essentiels pour les acheteurs publics. Son attrait est donc réel (A). Cependant, un risque majeur pèse encore et toujours sur les acheteurs, celui du délit de favoritisme. Ce risque pourrait même décourager certains acheteurs publics de s’intéresser à cette méthode (B).
A/ Le sourcing : une pratique présentant trois avantages majeurs
Par le biais de l’utilisation de la technique du sourcing, l’acheteur va être au contact direct des entreprises. Trois avantages manifestes peuvent être clairement retirés de l’usage du sourcing, ce qui a conduit à sa reconnaissance en droit européen puis en droit français en 2016.
L’intérêt principal du sourcing réside dans l’identification et dans la précision du besoin. En effet, utiliser la technique du sourcing va permettre à l’acheteur public de mieux se renseigner sur l’état du marché, sur les nouvelles technologies en vigueur, sur la concurrence présente sur le marché, ou encore sur l’état général du tissu économique et industriel. Les renseignements amassés pourront être réutilisés par l’acheteur pour définir son besoin et rédiger un marché plus en adéquation avec celui-ci. Cette technique n’est pas à confondre avec la technique du dialogue compétitif définie à l’article 74 du décret n° 2016-360 comme « la procédure dans laquelle l'acheteur dialogue avec les candidats admis à participer à la procédure en vue de définir ou développer une ou plusieurs solutions de nature à répondre à ses besoins et sur la base de laquelle ou desquelles les participants au dialogue sont invités à remettre une offre ». Effectivement, le sourcing intervient postérieurement dans la chronologie de la passation d’un contrat de marché public puisque des candidats sont déjà admis à participer à la procédure.
Le sourcing permet aussi d’ouvrir à la concurrence les documents de consultation. L’acheteur public qui pratique le sourcing peut ainsi être amené à revoir les modalités même de la procédure initialement prévue en allant aux contacts des professionnels. Il pourra s’interroger sur l’opportunité de certaines procédures, sur l’intérêt de l’allotissement ou encore sur certaines clauses du règlement de consultation ou du cahier des charges.
Par ailleurs, il ne faut pas minimiser l’impact positif du sourcing en termes de communication. Les parties peuvent se rencontrer et expliquer leurs attentes ainsi que leurs contraintes juridiques et financières. Les entreprises peuvent aussi saisir l’occasion pour se faire connaître des pouvoirs adjudicateurs, ce qui d’un point de vue de stratégie commerciale et de développement est positif. Deux mondes éloignés que sont le monde des collectivités publics et le monde de l’entreprise peuvent ainsi créer des interactions positives. Cela ne peut qu’être positif tant leurs intérêts sont convergents sur de nombreux projets de construction, d’aménagement, etc.
Les avantages tirés d’une pratique saine du sourcing sont donc bien réels, et l’on comprend mieux pourquoi certaines collectivités le pratiquaient « officieusement » bien avant sa reconnaissance par les textes européens. Ces avantages doivent cependant être relativisés puisqu’un frein important existe encore aujourd’hui : le délit de favoritisme.
B/ Le délit de favoritisme : un obstacle sérieux à l’utilisation du sourcing
L’article 432-14 du code pénal énonce qu’ « est puni de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 200 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction, le fait par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d'économie mixte d'intérêt national chargées d'une mission de service public et des sociétés d'économie mixte locales ou par toute personne agissant pour le compte de l'une de celles susmentionnées de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession ».
Lors des débats sur l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, le sénateur Bonnecarrère a assuré que le sourcing n’avait volontairement pas été mentionné pour éviter que les acheteurs ne se livrent à cette pratique et tombent ainsi sous le coup de l’article 432-14 précité. Le sourcing pourrait, en effet, être perçu comme l’occasion pour des acheteurs de dévoiler des informations privilégiées sur le projet de passation du contrat de marché public ce qui, de facto, romprait l’égalité entre les candidats au futur marché public en favorisant un opérateur au détriment des autres candidats potentiels.
Les auditions des professeurs Noguellou et Taillefait ainsi que de M. Maïa, alors directeur des affaires juridiques de Bercy, dans le cadre de la mission d’information sénatoriale sur la commande publique, ont révélé que la définition même du délit de favoritisme, qui n’a pas été modifiée depuis, dissuadait certains pouvoirs adjudicateurs de se donner les moyens d’optimiser leurs achats en utilisant la technique du sourcing.
À la suite de ces réflexions, le sénateur Bonnecarrère, a déposé un amendement [5] lors du projet de loi de ratification de l’ordonnance relative aux marchés publics qui visait à modifier la définition du délit en précisant que le fait de procurer ou d’avoir tenté de procurer un avantage injustifié devait l’être « en connaissance de cause » et dans ce but précis. Le délit de favoritisme aurait donc eu un champ d’action plus restreint et les acheteurs auraient couru moins de risques.
Le rapport du sénateur André Reichardt sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics rappelle qu’ « en l’état du droit, la jurisprudence de la Cour de cassation [6] considère en effet que ce délit est constitué même si l’intention de l’acheteur de favoriser une ou plusieurs entreprises n’a pas été démontrée » [7] et soutient l’amendement pour favoriser le développement du sourcing. L’amendement a été adopté.
Cependant, l’amendement n’a finalement pas été retenu, puisque la tentative du Sénat de ratifier l’ordonnance n’a pas eu de suite et celle-ci a eu lieu par le biais de l’article 39 de la loi Sapin 2 [8], qui n’a apporté aucune modification à la définition du délit de favoritisme.
La menace du délit de favoritisme pèse donc a priori toujours sur les acheteurs puisque sa définition n’a pas été modifiée. Ce risque peut donc décourager les acheteurs publics.
Afin de limiter les risques juridiques, et en contrepartie de la liberté donnée, il appartient aux acheteurs publics de respecter certaines obligations légales posées par l’article 5 du décret n°2016-360 pour protéger la concurrence. La jurisprudence administrative est intervenue en parallèle et a renforcé la protection des contrats passés à l’issu de l’utilisation du sourcing.
II/ L’existence d’une responsabilisation des acheteurs et d’un régime souple favorisant l’utilisation du sourcing
L’article 41 de la directive 2014/24 UE transposé par l’article 5 du décret n°2016-360 met en place des barrières afin d’éviter que la pratique du sourcing ne débouche sur la violation des libertés fondamentales en matière de contrats publics et notamment de l’égalité de traitement entre les candidats. Ces limites ont pour conséquence de responsabiliser davantage l’acheteur public se livrant à du sourcing (A). Le rôle de la jurisprudence n’est pas non plus à négliger, puisque de l’appréciation du juge administratif dépend l’éventuelle annulation du marché public conclu à l’issu du sourcing de l’acheteur public (B).
A/ Une responsabilisation renforcée de l’acheteur en matière de sourcing
La première source de responsabilisation est posée par l’article 5 du décret du 25 mars 2016 qui précise qu’en cas de participation d’un opérateur économique à la préparation d’un marché public, « l'acheteur prend les mesures appropriées pour que la concurrence ne soit pas faussée par la participation à la procédure de passation du marché public d'un opérateur économique qui aurait eu accès, du fait de sa participation préalable directe ou indirecte à la préparation de cette procédure, à des informations ignorées des autres candidats ou soumissionnaires ».
Cet article transpose simplement la jurisprudence française et européenne [9] à propos des études préalables. En droit français, la décision Société Génicorps [10] du Conseil d’État avait établi qu’il était, par principe, interdit d’exclure un candidat au motif de sa simple participation à la préparation du marché. Mais le Conseil d’État avait fixé une limite et l’exclusion d’un candidat est possible s’il a « recueilli des informations susceptibles de l’avantager par rapport aux autres ». Lorsqu’il existe une asymétrie d’informations telle qu’il est impossible de rétablir l’équilibre entre les candidats, il était donc possible pour l’acheteur public d’évincer le candidat avantagé.
L’article 5 du décret dans sa deuxième partie reprend cette possibilité en prévoyant que « cet opérateur n'est exclu de la procédure de passation que lorsqu'il ne peut être remédié à cette situation par d'autres moyens, conformément aux dispositions du 3° de l'article 48 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée ». L’attitude des acheteurs s’en trouvera donc modifiée en amont de la procédure, puisqu’ils devront s’assurer de faire preuve de prudence en pratiquant le sourcing. Par ailleurs, à titre curatif, le principe de transparence devra jouer pour rétablir l’équilibre entre les candidats au marché.
Mais la question se pose de la signification exacte des « mesures appropriées » prévues par le décret puisqu’il n’existe pas de jurisprudence portant spécifiquement sur le sourcing. Concernant les études préalables mentionnées par l’article 4 du décret n°2016-360, la jurisprudence considère que, dès lors que les études préalables sont communiquées à l’ensemble des candidats, le principe d’égalité est respecté [11]. Il faudra donc bien garder à l’esprit pour les acheteurs que toute information communiquée devra l’être à tous les candidats si cette information est utile, en respectant la propriété intellectuelle des différents intéressés.
La seconde source de responsabilisation concerne l’obligation des acheteurs publics de prendre leurs distances avec les résultats du sourcing. Il s‘agit de ne pas trop donner d’avantages à un candidat sourcé. Il peut sembler pourtant antinomique de faire du sourcing, pour préciser ces besoins avant ensuite de s’en éloigner à nouveau pour respecter le principe de libre concurrence et d’égalité entre les candidats. Selon l’avocat Samuel Dyens, « c’est une question d’équilibre qu’il faut résoudre, entre la prise en compte effective des résultats du sourcing (sinon à quoi bon « sourcer » ?!) et le maintien de l’impératif fondamental de l’égalité de traitement des candidats » [12]
Le juge administratif est prompt à sanctionner les acheteurs ne maintenant pas un semblant d’égalité de traitement. Il a, par exemple, pu être jugé que les prescriptions d’un cahier des clauses techniques particulières ne pouvant être satisfaite que par un opérateur unique n’étaient pas valables sauf si elles étaient justifiées par l’objet du marché [13], ou encore que portait atteinte à l’égalité des candidats le fait qu’un acheteur se réfère aux spécifications techniques d’un bien identifiable précisément ou d’une marque [14].
Il faut donc que les spécifications techniques, même résultant d’un sourcing, soient présentées de manière neutre et objective.
Il existe cependant une solution pour les acheteurs, si à l’issu du sourcing, un seul candidat intéressant se détache et qu’aucun autre candidat ne peut accomplir ce que souhaite l’acheteur public. Il s’agit de la possibilité ouverte par le décret de 2016 de pouvoir passer un marché sans publicité ni mise en concurrence. Cette possibilité est prévue par l’article 30 dudit décret. Cependant, les hypothèses de recours sont limitativement énumérées. Il s’agit, par exemple, d’une situation d’urgence ou encore de raisons techniques.
Il existe donc des obligations pesant sur les acheteurs, qui vont les conduire à se responsabiliser et à entreprendre leur approche des entreprises avec prudence.
Bien évidemment, des entreprises évincées peuvent considérer que le sourcing a conduit à favoriser certains de leurs concurrents en violant les libertés en matière de marchés publics. C’est alors au juge administratif de vérifier au cas par cas, si les mesures prises par les acheteurs ont suffi pour s’autonomiser des résultats du sourcing et si les mesures appropriées ont été prises. Mais le juge administratif, dans une jurisprudence récente du 24 novembre 2017 relative à la mise en œuvre du sourcing lui-même, semble vouloir sécuriser les contrats conclus après un sourcing.
B/ Le développement du contentieux du sourcing : l’encadrement souple d’une pratique par le juge administratif
Le contentieux du sourcing est d’abord le contentieux lambda des marchés publics et, comme étudié précédemment, les grandes jurisprudences en matière de transparence, de libre concurrence et d’égalité entre les candidats vont trouver à s’appliquer.
On a également évoqué dans cet article, l’application au contentieux du sourcing, par analogie, des jurisprudences relatives aux études préalables à la conclusion d’un marché public [15].
Toutes ces jurisprudences vont encadrer la pratique du sourcing. Mais, en parallèle de ces jurisprudences, se développe un contentieux spécifique aux problématiques liées au sourcing dont l’exemple le plus récent et le plus significatif est l’arrêt de la CAA de Nantes du 24 novembre 2017 [16], étonnamment non publié. Cet arrêt évoque les modalités de mise en œuvre du sourcing, alors que les textes officiels étaient silencieux sur ce point. Le juge administratif a donc, encore une fois, accompli son travail de précision des textes législatifs et réglementaires.
La cour d’appel va procéder à la sécurisation de la pratique du sourcing et des acheteurs publics en répondant à plusieurs interrogations légitimes soulevées par la pratique du sourcing et auxquelles la jurisprudence n’apportait jusqu’alors aucune réponse.
La première interrogation concernait la question des rapports existant entre le « sourcé » et l’acheteur. La cour d’appel conclut qu’il est possible qu’un opérateur économique et l’acheteur public puissent entretenir des rapports, y compris institutionnels et préalablement au sourcing. La cour ne fait ici qu’appliquer les règles relatives à la mise en concurrence obligatoire, puisque rien n’interdit une telle pratique, en particulier lorsque les conditions de la quasi-régie [17], qui permettent d’éviter une mise en concurrence, ne sont pas réunies.
La deuxième interrogation concernait l’information de l’attributaire du marché, qui, en l’espèce, avait eu connaissance deux mois avant les autres candidats de la future offre de marché public. En théorie, avoir connaissance d’un marché public avant que les autres candidats potentiels pourraient vicier la concurrence. La cour ne va, cependant, pas suivre les arguments avancés par les requérants et va considérer que « cette connaissance du projet d'engagement de la procédure de mise en concurrence en décembre 2013, avant la publication de l'avis adéquat en février 2014, ne permet pas d'établir à elle seule que cette consultation a procuré à la chambre d'agriculture du Calvados des informations susceptibles de l'avantager de manière significative par rapport aux sociétés requérantes ».
Il est intéressant de voir que la cour constate qu’un avantage est octroyé mais qu’il n’est pas « significatif ». Cela prouve que la cour n’est pas dupe quant au fait que ce délai procure bien un avantage pour le sourcé mais que ledit avantage n’est pas suffisant pour annuler un contrat. Il ne s’agit ici que de considérations d’espèce et un délai plus long pourra être considéré comme procurant un avantage significatif.
La troisième interrogation concerne la possibilité de faire élaborer des documents par le « sourcé » lui-même. En effet, il paraît assez clair que, si le « sourcé » réalise lui-même les documents du futur marché public, des atteintes au principe d’égalité entre les candidats seraient inévitables. Pour la cour, « si la chambre départementale d'agriculture du Calvados a été consultée sur l'élaboration des documents de consultation par l'ancien gestionnaire du réseau d'eau potable, la commune de Caen, il résulte de l'instruction que ces documents ont été intégralement rédigés par le syndicat Réseau ».
Le mot « intégralement » est lui aussi lourd de sens puisqu’il laisse à penser que, si les documents n’avaient pas été réalisés de « A à Z » par l’acheteur public, la cour aurait pu considérer qu’une illégalité existait et annuler le contrat.
En l’espèce, il apparaît qu’au moins une disposition du règlement de consultation a bien été inspiré par le candidat « sourcé ». Il s’agit de « la création, prévue à l'article 5 du règlement de consultation à la suite d'une proposition de la chambre départementale d'agriculture, d'un comité de validation en charge d'assurer la cohérence de l'ensemble des études technico-financières et foncières et d'en valider les différentes étapes, a été portée à la connaissance de tous les opérateurs à la date de diffusion des documents de l'appel d'offres par le syndicat Réseau et s'imposait dans les mêmes termes aux candidats ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que ce point a été déterminant dans l'analyse des offres respectives des opérateurs concurrents ».
Mais le juge va néanmoins se refuser à annuler la procédure et va se livrer à une appréciation in concreto en se montrant attentif aux conséquences précises de la disposition litigieuse et en vérifiant que trois conditions sont réunies : la disposition « a été portée à la connaissance de tous les opérateurs à la date de diffusion des documents de l'appel d'offres », elle « s'imposait dans les mêmes termes aux candidats » et « il ne résulte pas de l'instruction que ce point a été déterminant dans l'analyse des offres respectives des opérateurs concurrents ».
Les juges de la cour ont donc créé un cadre juridique nouveau de manière prétorienne ; il existe une obligation pour l’acheteur de rédiger l’intégralité des documents de consultation, mais cette obligation peut être tempérée à condition que les trois conditions énoncées soient remplies. La règle posée favorise la préservation du contrat, dans l’intérêt des acheteurs et ne peut conduire qu’à l’accélération du développement du sourcing. Cette jurisprudence se place dans la continuité notamment des jurisprudences SMIRGEOMES [18] et Danthony [19], qui ont contribué de manière prétorienne à limiter les possibilités de recours contre les contrats.
Il est à noter que cet arrêt a été rendu sous l’empire de l’ancien droit des marchés publics. Cependant, rien n’indique que la solution aurait pu être différente avec l’article 5 du décret n°2016-360.
Cette jurisprudence souple et flexible va dans le sens des acheteurs publics et du développement de la pratique du sourcing au détriment des candidats évincés dont les arguments devront davantage être solides pour convaincre le juge de l’illégalité d’un marché public conclu à la suite d’un sourcing.
En conclusion, cette pratique du sourcing aux avantages non négligeables se place dans la droite ligne d’un droit des marchés publics plus flexible (in house, marché sans mise en concurrence ni négociation, etc.), comme en témoigne l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes. Dans le même temps, les textes et les jurisprudences accentuent la responsabilisation des acheteurs publics, qui comme corollaire à leur plus grande liberté, font face à des obligations supplémentaires (autonomisation, respect des grandes libertés en matière de contrats publics, etc.) en restant sous la menace du délit de favoritisme prévu par le code pénal. La pratique du sourcing semble être destinée à se développer à l’avenir, bénéficiant du régime favorable au maintien du contrat mis en place par le juge administratif.
[1] PASTOR (J-M.), « Un nouveau droit des marchés publics prêt à l’emploi », AJDA 2016 p.630.
[2] CE, 14 nov. 2014, SMEAG, n°373156.
[3] LONJOU (J), « Sourcing or not sourcing », Village de la Justice, 9 janv. 2018.
[4] « Lorsqu’un candidat ou soumissionnaire, ou une entreprise liée à un candidat ou à un soumissionnaire, a donné son avis au pouvoir adjudicateur, que ce soit ou non dans le cadre de l’article 40, ou a participé d’une autre façon à la préparation de la procédure de passation de marché, le pouvoir adjudicateur prend des mesures appropriées pour veiller à ce que la concurrence ne soit pas faussée par la participation de ce candidat ou soumissionnaire.
Ces mesures consistent notamment à communiquer aux autres candidats et soumissionnaires des informations utiles échangées dans le contexte de la participation du candidat ou soumissionnaire susmentionné à la préparation de la procédure, ou résultant de cette partici5pation et à fixer des délais adéquats pour la réception des offres. Le candidat ou soumissionnaire concerné n’est exclu de la procédure que s’il n’existe pas d’autre moyen d’assurer le respect du principe de l’égalité de traitement.
Avant qu’une telle exclusion ne soit prononcée, les candidats ou soumissionnaires se voient accorder la possibilité de prouver que leur participation à la préparation de la procédure n’est pas susceptible de fausser la concurrence. Les mesures prises sont consignées dans le rapport individuel prévu à l’article 84 ».
[5] « Reprenant une préconisation du président de la HATVP dans son rapport « Renouer avec la confiance publique », cet amendement vise donc à recentrer le délit de favoritisme sur son objectif initial : punir une volonté manifeste de favoriser une entreprise.
Loin de supprimer le délit de favoritisme, il étendrait d’ailleurs son périmètre en y insérant l’ensemble des contrats de la commande publique, y compris les concessions de travaux, les concessions de services « non publics » et les marchés de partenariat.
La préconisation du président de la HATVP est d’autant plus justifiée que les trois directives européennes de février 2014, actuellement en cours de transcription par voie d’ordonnances, demandent aux acheteurs publics, pour une meilleure qualité de la commande publique, de s’informer en amont sur l’état du marché, les types de produits ou de technologies disponibles, les entreprises susceptibles de répondre. Cette pratique nouvelle, dite du « sourçage », justifie a fortiori la nouvelle rédaction proposée ». Projet de loi Ratification ordonnance marchés publics (1ère lecture) (n° 105 ) N° COM-33 14 mars 2016 AMENDEMENT présenté M. BONNECARRÈRE ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE UNIQUE.
[6] Cour de cassation, chambre criminelle, 14 janvier 2004, pourvoi n° 03-83396.
[7] http://www.senat.fr/rap/l15-477/l15-4771.pdf
[8] Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
[9] CJCE, Fabricom SA c/ État belge, aff. C-21/03 et C-34/03.
[10] CE, 29 juill. 1998, garde des Sceaux c/ Société Génicorp, n°177952.
[11] TA Dijon, ord., 16 décembre 2010, Société Synapse Construction, n° 1002782.
[12] S. DYENS, « Définition préalable du besoin et sourcing, la responsabilisation des acheteurs publics dans le nouveau droit des marchés publics », AJCT 2016, p.422.
[13] CE, 10 fév. 2016, Société SMC2, n°382148.
[14] CE, 11 sept. 2006, Commune de Saran, n°257545.
[15] Voir II.A.
[16] CAA Nantes, 24 nov. 2017, n°16NT02706, Groupement sociétés Dynamiques foncières.
[17] Art. 17 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.
[18] Conseil d'État, 03 oct. 2008, n°305420.
[19] Conseil d'État, 23 déc. 2011, n°335033.