Loi Elan : un (nouveau) coup dur pour la loi MOP

Extrait de la Gazette n°34 - Novembre 2018

Au lendemain de son adoption, la loi Elan a été déférée au Conseil constitutionnel repoussant de quelques semaines sa promulgation (1). L’occasion pour les éditeurs spécialisés de se pencher davantage encore sur les principales dispositions de la loi, tout en essayant d’en anticiper les incidences.

Tous les secteurs de la construction et du logement sont concernés par cette loi, dont les objectifs sont rappelés dans ses quatre titres (« Titre 1 : construire plus, mieux et moins cher » ; « Titre 2 : évolutions du secteur du logement social » ; « Titre 3 : répondre aux besoins de chacun et favoriser la mixité sociale » ; « Titre 4 : améliorer le cadre de vie »).

Mais ce sont ses impacts sur la maîtrise d’ouvrage publique qui seront ici abordés.

Déjà fragilisée par les évolutions récentes (2), la loi sur la maîtrise d’ouvrage publique, dite loi « MOP », du 12 juillet e 1985 doit, aujourd’hui, faire face à un (nouveau) coup porté à son encontre. La loi Elan apporte en effet plusieurs dérogations au texte de 1985 participant, de ce fait, à son vieillissement.

Un champ d’application étendu pour la conception-réalisation

L'article 20-I du projet de loi Elan prolonge la possibilité pour les entités du secteur social de déroger à la loi MOP en recourant librement à la conception-réalisation pour leurs opérations de construction (3). Cette dérogation devait, en principe, prendre fin au 31 décembre 2018 (4). La loi Elan la pérennise.

Selon l'étude d'impact du projet de loi (5), « environ 15% des opérations de construction de logements sociaux sont réalisées en conception-réalisation. (…) l'absence de prolongation du dispositif provoquerait un renchérissement des coûts de 5 à 8% et une augmentation des délais de 6 à 12 mois ». Les bailleurs sociaux pourront, désormais, librement recourir à ce type de contrat, sans se soucier de la limitation prévue par la loi MOP.

Cette possibilité de recourir sans condition à la conception-réalisation est également prévue pour la réalisation ou la réhabilitation des ouvrages nécessaires aux jeux olympiques et paralympiques de 2024 (6), pour ldes centres régionaux des œuvres universitaires (jusqu’en 2021) (7) ou encore ldes réseaux de communication électronique (jusqu’en 2022) (8).

Un champ d’application réduit de la loi MOP

L’article 28-V du projet de loi Elan retire du champ d’application du titre II de la loi MOP relatif à la maîtrise d’œuvre les opérations de construction menées par les bailleurs sociaux. Autrement dit, les maîtres d’œuvre ne seront plus protégés, en termes de missions et de rémunération, par les dispositions de ce titre II (mission de base, indemnisation en cas de concours, rémunération forfaitaire fixée contractuellement).

L'étude d'impact rappelle la logique de la loi MOP, qui est celle de « la réalisation ponctuelle d'ouvrages de natures très diverses par des collectivités publiques dont la mission et les compétences ne sont pas d'être constructrices et gestionnaires d'une catégorie d'ouvrage ». Or, les bailleurs sociaux sont des « des professionnels de la construction immobilière spécialisés au même titre que les professionnels du secteur privé ». Leur assujettissement à cette partie de la loi MOP « n'est ni utile ni adapté » et constitue « non une aide mais un frein à la recherche de la performance de l’activité de construction du secteur des organismes de logements sociaux ».

Une explication qui fait vivement réagir les architectes, lesquels déplorent la sortie du logement social du cadre de la loi MOP (9).  

Il est à noter aussi que ces organismes ne seront plus obligés de recourir au concours d’architecture pour leurs marchés de maîtrise d’œuvre ; cette dernière mesure toucherait également les centres régionaux universitaires et scolaires (CROUS) (10).

La loi Elan retire également du champ d’application de la loi MOP un certain nombre d’opérations. Ne seront plus soumis à la loi MOP les ouvrages d’infrastructure situés dans le périmètre d’une grande opération d’urbanisme ainsi que d’une opération d’intérêt national. Cette nouvelle exclusion allongerait ainsi la liste des autres opérations qui échappent à la loi MOP (11).

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Manon ERILL-SELVES

(1) Définitivement adoptée par le Parlement le 16 octobre, la loi Elan fait l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel, déposé le 24 octobre. Deux volets de la loi sont attaqués : le volet accessibilité, le volet loi littoral.

(2) « La loi MOP toujours vent debout ? », Jean-Marc Peyrical, avocat à la cour, Les Echos marchés publics : « Ces toutes dernières années, deux évolutions ont particulièrement fragilisé le cadre juridique [posé par la loi MOP]. La première est relative à la disparition de la maitrise d’ouvrage publique dans la définition des marchés publics de travaux. (…) La seconde concerne l’utilisation exponentielle des marchés globaux dérogeant au principe de séparation entre le concepteur et le réalisateur ».

(3) La loi MOP impose de dissocier la mission de maîtrise d’œuvre de celle de l’entrepreneur pour la réalisation d’ouvrages de bâtiments et d’infrastructures.

(4) Cette dérogation avait été prolongée une première fois par la loi n°2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion. La limitation dans le temps prévue initialement par le législateur jusqu’au 31 décembre 2013 a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2018.

(5) Etude d’impact du projet de loi Elan, art. 20-1, point 3.2 « Impacts économiques et financiers ».

(6) Art. 5 septies de la loi Elan

(7) Art. 20-II de la loi Elan

(8) Art. 64 bis de la loi Elan

(9) Loi ELAN : « le nouveau cadre ramène à la construction des années 60 » par Denis Dessus, Président CNOA, publié le 13 juin 2018, La Gazette des communes.

(10) Pour rappel : l’article 83 de la loi LCAP de 2016 a imposé aux organismes soumis à la loi MOP de recourir à un concours d’architecture. L’article 28-VI de la loi Elan exclut du champ obligatoire du concours d’architecture les bailleurs sociaux et centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS).

(11) Cf. Art. 1 de la loi n°85-704 du 12 juillet 1985 (loi MOP)