Extrait de la Gazette n°30 - Janvier 2018
Le soir du vendredi 15 septembre 2017, les Parisiens et les touristes réunis devant l’Hôtel de Ville ont pu fêter ensemble l’attribution à la ville de Paris de l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques 2024. Un véritable compte à rebours des préparatifs a démarré en vue d’accueillir dans les meilleures conditions cet événement qui ne s’était pas déroulé sur le territoire français depuis 1924. Ainsi, le gouvernement actuel a souhaité engager le plus tôt possible ce chantier impliquant d’importants aménagements juridiques. Ce sont ces aménagements nouveaux que propose d’explorer le projet de loi relatif à la préparation de cet événement « à tous égards exceptionnel » déposé le 15 novembre 2017 en procédure accélérée [1].
Au sommaire de ce projet de loi, dix-neuf articles répartis en quatre titres afin de permettre à la ville de Paris d’honorer les engagements souscrits en phase de candidature auprès du Comité international olympique (CIO) ainsi que du Comité international paralympique (CIP). Le texte propose une répartition des titres de la manière suivante : le titre premier traite des dispositions permettant d’assurer le respect des stipulations contractuelles conclues entre la ville de Paris, le Comité national olympique, et le CIO ; le titre deuxième porte sur les questions relatives à l’aménagement du territoire, et notamment de l’adaptation des règles d’urbanisme afin de respecter les échéances de livraison relatives aux équipements et infrastructures ; le titre troisième traite des mesures de sécurité et notamment de la création de voies réservées à la circulation ; enfin, le quatrième et dernier titre aborde les dispositions relatives à la transparence et à l’intégrité dans l’organisation de cet événement.
Rédigé à la suite d’une étude d’impact quelque peu lacunaire sur certaines dispositions ainsi que l’a souligné le Conseil d’État dans son avis rendu le 9 novembre 2017 [2], le projet de loi surprend. Sans qu’il ait été jugé nécessaire de modifier les dispositions législatives actuellement applicables, ce texte nouveau s’attache à les « adapter » aux besoins organisationnels de l’événement. Cette période de préparatifs et de tenue des Jeux devient alors l’occasion de mettre en œuvre un régime d’exception ayant pour maître mot de réduire les délais et de rendre inapplicables certaines dispositions jugées comme trop encombrantes. À titre d’exemple, afin d’assurer des délais plus courts dans la livraison des infrastructures, le projet de loi prévoit en son article 7 que les constructions, installations et aménagements directement liés à la préparation, à l’organisation ou au déroulement des jeux (d’une durée d’implantation inférieure à 18 mois et dont la durée maximale de remise en état du site serait inférieure à 12 mois à compter de la fin de son utilisation) pourront être dispensés de toute formalité au titre du code de l’urbanisme à l’occasion de leur réalisation.
Si l’on peut se réjouir de la tenue de cet événement de grande ampleur, on ne peut s’empêcher de questionner le sort qui sera réservé aux monuments et aux sites patrimoniaux qui remplissent Paris, mais également les autres villes concernées, notamment Versailles, Marseille, Bordeaux, Nantes, Nice, ou encore Toulouse. Prenant connaissance des dispositions du projet de loi, des associations ont lancé différents cris d’alarme pour une prise en compte plus respectueuse du patrimoine et de l’environnement [3]. Une des inquiétudes soulevées portait notamment sur la création d’un régime juridique dérogatoire aux interdictions d’affichage publicitaire prévues par le code de l’environnement.
Le cadre juridique actuel – En matière d’affichage dans l’espace public, l’article L. 581-3 du code de l’environnement distingue les publicités, des enseignes et des préenseignes. Là où l’enseigne et la préenseigne ont pour objet d’éclairer le passant sur une activité s’exerçant à l’intérieur d’un immeuble, la publicité s’illustre dans toutes les inscriptions, formes ou images qui n’ont pas cette vocation. Cette différenciation terminologique implique la mise en œuvre de régimes juridiques différenciés, parmi lesquels on trouve au rang des plus controversés celui relatif à l’affichage publicitaire [4].
La réglementation nationale applicable en matière d’affichage publicitaire est définie aux articles L. 581-4 à L. 581-17 du code de l’environnement. Au nom de la protection du cadre de vie, elle s’attache à différencier les restrictions et interdictions applicables selon que le dispositif d’affichage se situe à l’intérieur ou à l’extérieur d’une agglomération. Ces limitations sont diverses et portent aussi bien sur l’implantation géographique du dispositif publicitaire que sur sa hauteur, sa surface ou sa densité par renvoi à un décret pris en Conseil d’État codifié aux articles R. 581-2 et suivants du code de l’environnement. Certaines de ces restrictions peuvent être complétées par les établissements publics de coopérations intercommunales compétents en matière d’urbanisme, ou à défaut les communes, qui ont la faculté, aux termes de l’article L. 581-14 du même code, d’adopter un règlement local de publicité et par conséquent de se voir transférer les compétences de police de la publicité en principe exercées par le préfet [5]. C’est à ce titre que la ville de Paris est à ce jour dotée d’un règlement local de publicité pris par arrêté du 7 juillet 2011.
Parmi les interdictions notables, la réglementation actuelle dispose à l’article L. 581-4 du code de l’environnement que l’affichage publicitaire est interdit sur les immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques, sur les monuments naturels et dans les sites classés, dans les cœurs des parcs nationaux et les réserves naturelles, mais aussi sur les arbres. Au titre du même article, il est possible pour les communes d’interdire par arrêté l’affichage sur des immeubles présentant un caractère esthétique, historique ou pittoresque. Enfin, l’article L. 581-8 de ce même code énonce qu’à l’intérieur des agglomérations, la publicité est notamment interdite aux abords des monuments historiques, dans le périmètre des sites patrimoniaux remarquables, dans les parcs naturels régionaux, dans les sites inscrits, ainsi qu’à moins de 100 mètres et dans le champ de visibilité des immeubles présentant un caractère esthétique, historique ou pittoresque.
Aussi ancienne que puisse dater l’interdiction spécifique d’affichage publicitaire sur les monuments historiques [6], on comprend au regard des caractéristiques intrinsèques de ces sites qu’elle ne soit pas toujours du goût des industriels et de leurs partenaires commerciaux qui apprécieraient d’apposer sur les façades leurs affiches grand format et ainsi obtenir une meilleure visibilité. La tenue des Jeux olympiques 2024 apparaît dès lors comme une nouvelle occasion de remettre en cause cette interdiction et d’interroger son caractère absolu.
Une réglementation qui ne cesse de s’assouplir – L’interdiction relative à l’affichage publicitaire sur les monuments historiques a déjà eu l’occasion de céder en partie devant des considérations économiques. C’est ainsi que le décret n° 2007-487 du 30 mars 2007 relatif aux monuments historiques a introduit au sein du code du patrimoine la possibilité d’autoriser l’installation de bâches d’échafaudage comportant un espace publicitaire à l’occasion des travaux extérieurs réalisés sur les immeubles inscrits ou classés. Cette possibilité requiert alors de se conformer à l’article R. 621-90 du code du patrimoine lequel dispose qu’une autorisation doit être délivrée après étude du projet d’affichage. Cette autorisation peut être assortie d’un cahier des charges mais également de prescriptions portant sur la reproduction de l’image du monument occulté par les travaux. En tout état de cause, la réglementation prévoit que l’affichage ne puisse excéder 50 % de la surface totale de la bâche de support, et que l’ensemble des recettes retirées de la publicité soit intégralement dédié aux travaux entrepris sur le monument. Depuis lors, il n’est plus rare de constater la présence de panneaux publicitaires sur les monuments historiques. Si des débordements ont parfois pu être constatés (voir dernièrement les publicités apposées sur la colonne de Juillet située à Paris [7]), il convient toutefois de saluer la pertinence de ce dispositif réglementaire pensé pour être au service du patrimoine.
Une réglementation incompatible avec l’organisation d’événements sportifs de grande ampleur ? — Cependant, cet assouplissement demeure insuffisant pour certains acteurs, tels que les partenaires commerciaux des événements sportifs de grande ampleur dont le soutien monétaire est bien souvent nécessaire, puisqu’il ne donne accès à des zones d’affichage sur les monuments historiques qu’en période de travaux. C’est ainsi qu’à l’occasion de l’EURO 2016 de football, la Mairie de Paris a mis au placard cette réglementation en consentant, pour l’occasion, à la mise en place d’affiches constituées du sigle de la marque déposée « UEFA Euro 2016 » et de ceux de ses partenaires marketing sur plusieurs sites protégés au titre des monuments historiques, ainsi que sur les lampadaires de la ville afin de promouvoir l’événement prenant place dans plusieurs stades de France. Véritable passage en force, il était alors possible d’apercevoir ces dispositifs d’affichages sur l’Hôtel de Ville, le pont d’Iéna, mais aussi le long des Champs-Élysées, entre son Rond-Point et la place de la Concorde, ainsi qu’au Champ-de-Mars. La société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France (SPPEF) – Sites et Monuments, association de loi de 1901 agissant pour la protection du patrimoine naturel et bâti en France, avait, à la suite de sa demande de retrait des affiches restée infructueuse, introduit un recours devant le Tribunal administratif de Paris à l’encontre des décisions de la Mairie de Paris. Après avoir constaté que les dispositifs mis en place devaient être qualifiés de dispositifs publicitaires en ce qu’ils n’indiquaient aucunement la proximité géographique d’un événement mais se contentaient d’en effectuer la promotion, et que ces derniers étaient par ailleurs apposés sur des immeubles classés au titre des monuments historiques, le Tribunal administratif a estimé que l’ensemble des décisions autorisant les affichages publicitaires en infraction avec le code de l’environnement étaient entachées d’illégalité [8]. Fort de cette expérience, le projet de loi entend désormais pallier d’éventuelles déconvenues similaires et propose de franchir un cap.
Le nouveau dispositif – L’article 3 du projet de loi prévoit qu’il sera possible de déroger aux interdictions des articles L. 581-4, et L. 581-8 du code de l’environnement ainsi qu’aux dispositions des règlements locaux de publicité afin d’assurer le pavoisement des symboles Olympiques et Paralympiques 2024. C’est ainsi qu’emblèmes, drapeaux, devises, symboles, logos, mascottes et autres slogans pourront s’afficher sur les monuments historiques et leurs abords, mais aussi dans le périmètre des sites patrimoniaux remarquables, dans les parcs naturels régionaux, dans les sites inscrits, ainsi qu’à moins de 100 mètres et dans le champ de visibilité des immeubles présentant un caractère esthétique, historique ou pittoresque. Cette possibilité ne sera offerte qu’à l’occasion d’opérations ou d’événements liés à la promotion, la préparation, l’organisation ou le déroulement des jeux, pour une période courant à compter de l’entrée en vigueur de la loi, soit dès 2018, jusqu’au quinzième jour suivant la date de cérémonie de clôture des Jeux paralympiques de 2024.
Pour bénéficier de ce régime d’exception, une simple déclaration auprès de l’autorité de police compétente en matière de publicité suffit. Cette dernière pourra, dans des conditions définies par décret pris en Conseil d’État, s’y opposer ou fixer des conditions permettant d’optimiser l’insertion architecturale et paysagère du dispositif, en réduire l’impact sur le cadre de vie ou prévenir d’éventuelles incidences sur la sécurité routière. L’efficacité de ce dispositif doit toutefois être nuancée, notamment pour la ville de Paris partagée par les rôles de juge et partie, puisqu’elle est à la fois compétente en matière de police de la publicité et partie contractante du contrat villehôte avec le CIO.
Au-delà du pavoisement de ces seuls symboles olympiques, l’article 4 du projet de loi aborde la question de l’affichage publicitaire des partenaires commerciaux. Il prévoit qu’il sera possible d’autoriser ces derniers à apposer leur publicité dans un périmètre de 500 mètres de distance autour de chaque site lié à l’organisation et au déroulement des Jeux. Cela conduit ainsi à appliquer un régime dérogatoire permettant aux publicitaires de s’afficher sur les monuments naturels et sites classés, sur les immeubles présentant un caractère esthétique, historique ou pittoresque, mais également dans le périmètre des sites patrimoniaux remarquables ainsi que dans les sites inscrits. Là encore, les dispositions des règlements locaux de publicité pourront être ignorées. Il sera également possible pour les partenaires commerciaux de s’afficher sur les monuments historiques après autorisation de l’autorité administrative chargée des monuments historiques conformément à la procédure prévue à l’article L. 621-29-8 code du patrimoine. Cette possibilité sera limitée aux monuments historiques accueillant des compétitions. La durée de cette dérogation est toutefois inférieure à celle prévue pour le pavoisement des symboles olympiques, puisqu’elle ne court qu’à compter du 30e jour précédant celui de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques 2024, jusqu’au 15e jour suivant la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques 2024. Il reste que l’ensemble des modalités d’applications de cet article seront déterminées par un décret en Conseil d’État.
Ces deux articles ont fait l’objet d’un avis favorable du Conseil d’État dans son avis du 9 novembre 2017. La haute juridiction n’a pourtant pas manqué de constater l’absence de justification dans l’étude d’impact quant à l’ampleur et la durée des dérogations relatives au pavoisement des symboles olympiques de l’article 3. En ce qui concerne l’affichage publicitaire des partenaires commerciaux, tiré de l’article 4, le Conseil d’État a jugé que les conditions de mise en œuvre de la dérogation permettaient d’arriver à un équilibre satisfaisant entre « l’atteinte temporaire aux intérêts de la protection du patrimoine et la nécessité de ne pas exclure par principe une valorisation exceptionnelle de ce patrimoine à l’occasion de cet événement unique » [9]. Toutefois, on peine à croire que la possibilité de bâcher les sites et monuments qui font aujourd’hui la beauté de nos villes contribuera à leur valorisation à l’occasion de la tenue des Jeux.
Conclusion – En dépit des nombreuses propositions d’amendements formulées à l’égard des articles 3 et 4, le texte n’aura finalement que peu changé [10]. Plusieurs parlementaires ont d’ailleurs déploré le manque de marge de manœuvre dans la construction du texte, jusqu’à avoir le sentiment d’être rassemblés au sein « d’une chambre d’enregistrements de contrats [...] signés hors de l’hémicycle » [11]. En écartant temporairement l’application de régimes juridiques pensés et construits sur plusieurs années, le gouvernement semble choisir une solution facile qui nous paraît pour le moins insensée au regard des nécessités de défendre et de protéger le patrimoine et l’environnement. Il est dès lors bien désolant de lire entre les lignes que la nécessité de trouver des financements privés prime sur les considérations d’ordre culturel et environnemental.
Voté en première lecture à l’Assemblée nationale le 20 décembre 2017, le projet de loi sera prochainement présenté au Sénat. Si ce projet de loi venait à être adopté, devrions-nous craindre à l’avenir qu’il suffise d’un événement international (sportif ou commercial) pour que ces mesures « exceptionnelles » ressurgissent ? L’amateur des pierres anciennes devra alors s’habituer à voir Paris et les grandes villes de France en partie voilées et défigurées par une roulement perpétuel d’affiches publicitaires...
[1] L’ensemble des documents relatif au projet de loi est accessible depuis l’onglet « dossier » du site assemblée-national.fr sous la référence « Sports : organisation des jeux Olympiques et Paralympiques 2024 » ;
[2] CE, 9 novembre 2017, avis n°393671, extrait du registre des délibérations ;[3] Voir en ce sens l’article de Didier Rykner « Jeux Olympiques : une loi d’exception contre le patrimoine » publié le 26 novembre 2017 sur le site internet de la Tribune de l’art, ainsi que l’article « JO de PARIS 2024 : de la dissimulation d’un matraquage publicitaire dérogatoire à toutes les règles en vigueur » publié le 27 novembre 2017 sur le site internet de la SPPEF ;
[4] À noter que le régime juridique de l’affichage publicitaire est également applicable aux préenseignes en vertu de l’article L581-19 du code de l’environnement ;[5] Une grande souplesse d’appréciation est laissée aux collectivités dans la détermination des restrictions supplémentaires possibles par les règlements locaux. Le juge administratif veille néanmoins à ce que ces derniers ne portent pas atteinte de manière disproportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie, à la liberté de la publicité et de l'affichage ou au droit de propriété. Voir en ce sens CAA Paris, 1ere chambre, 19 janvier 2016, n°13PA03128, Inédit au recueil Lebon ;
[6] À notre connaissance, cette interdiction remonte à la loi du 20 avril 1910 interdisant l'affichage sur les monuments historiques et dans les sites ou sur les monuments naturels de caractère artistique ;
[7] Voir en ce sens l’article intitulé « Dépôt d’une plainte contre les publicités géantes de la colonne de Juillet, nécropole des Révolutions de 1830 et 1848 » publié le 4 décembre 2017 sur le site de la SPPEF ;
[8] Voir la décision sous les références TA Paris, 15 juin 2017, n° 1609703/4-1. La décision complète a été numérisée et est accessible sur le site de la SPPEF ;[9] CE, 9 novembre 2017, avis n°393671, extrait du registre des délibérations, paragraphes 7 à 9.
[10] Les propositions d’amendements sont accessibles sur le site de SPPEF sous l’article « LOI OLYMPIQUE (1re lecture à l’Assemblée, Commissions) : nos propositions d’amendements ». L’impact concret du projet de loi y est illustré par des plans et des photographies. Parmi les propositions d’amendement intéressantes, on note celle relative à la volonté de faire intervenir les autorités administratives spécialisées dans l’octroi des dérogations de l’article 3 (DRIEE en matière environnementale et DRAC pour les monuments historiques), mais aussi la réduction du périmètre déterminé à l’article 4 ;
[11] Allocutions de Monsieur Régis Juanico et de Madame Brigitte Kuster dont les propos rapportés sont disponibles dans les comptes rendus de la séance publique du 20 décembre 2017 sur le site de l’assemblée nationale.