Les vélos en libre-service ou free floating, quel cadre juridique pour un développement maîtrisé ?

Avant-première - À paraître à la gazette de décembre 2017

Dans ses conclusions sur l’affaire Compagnie maritime de l’Afrique orientale de 1944 [1], le commissaire du gouvernement Bernard Chenot affirmait : « Le domaine public n’est plus seulement un objet de la police administrative, c’est l’assiette d’un nombre toujours croissant de services d’intérêt général et c’est un bien dont l’administration doit assurer, dans l’intérêt collectif, la meilleure exploitation ».

Ces mots résonnent en symbiose avec l’arrivée des vélos en libre-service qui fleurissent sur le domaine public parisien, lillois, messin et bientôt dans d’autres métropoles françaises. Les entreprises de vélos en libre-service, ou free floating, viennent principalement de Chine. Elles proposent un service payant novateur qui consiste pour l’usager à détecter, à l’aide d’une application mobile, un vélo en libre-service près de chez lui, l’utiliser et le laisser dans un endroit quelconque sur le bord de la chaussée ou le trottoir, après l’avoir verrouillé à l’aide d’un cadenas intégré au cadre.  

S’il est possible de s’enthousiasmer pour cette révolution des transports urbains, qui touche également les scooters, l’absence de réglementation actuelle autour de cette nouvelle économie appelle une réponse juridique afin de concilier développement économique et meilleure exploitation du domaine public dans l’intérêt collectif. Dès lors, il convient d’envisager l’hypothèse où l’autorité publique refuse l’accès des opérateurs de free floating sur son domaine public (I) avant de préciser, dans le cas où elle accepte l’accès des opérateurs sur le domaine public, les conditions de l’occupation (II) ainsi que les modalités de l’aménagement du domaine public (III).

 

I. L’hypothèse du refus d’accès au domaine public

Si les opérateurs de vélos en libre-service souhaitent conquérir les marchés urbains, les communes ont la possibilité de refuser leur installation sur leur domaine public à condition de se trouver dans des situations spécifiques. Deux situations se présentent :

A. Soit le service n’existe pas sur le territoire de la commune

Dans ce cas, la personne publique a toujours la faculté de refuser une demande d’autorisation du domaine puisque, en vertu de la jurisprudence du Conseil d’Etat de 2012, RATP, « la décision de délivrer ou non à une personne privée l'autorisation d'occuper une dépendance du domaine public pour y exercer une activité économique n'est pas, par elle-même, susceptible de porter atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie » [2]. La commune est seulement tenue de ne pas accorder une autorisation au profit d’une seule personne privée dès lors que cette décision aurait pour effet de placer l’unique opérateur économique en situation d’abuser de sa position dominante.

Or, en l’absence d’opérateurs de vélos en libre-service sur la commune, aucune situation d’abus de position dominante n’est susceptible d’exister. Dans cette situation où aucun opérateur économique préexistant sur le territoire de la commune ne prend en charge ce service, la personne publique peut toujours refuser l’arrivée d’opérateurs économiques de vélos en libre-service sur son domaine public.

B. Soit le service est préexistant

Il s’agit des communes ou des syndicats mixtes qui, comme le syndicat mixte Autolib’ Vélib’ Métropole [3], ont passé un marché public confiant à un opérateur la prestation de vélos en libre-service.

Si un opérateur privé souhaite concurrencer l’opérateur choisi par le pouvoir adjudicateur dans le cadre d’un marché public, la personne publique peut refuser d’octroyer une autorisation d’occupation du domaine public dans les conditions définies par l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat en 1932, Société des Autobus Antibois [4]. Cette jurisprudence a été par la suite affinée par la nécessité, pour l’autorité gestionnaire du domaine public, de prendre en compte le respect de la liberté du commerce et de l’industrie ainsi que le droit de la concurrence [5].

En vertu de cette jurisprudence, l’autorité gestionnaire du domaine public peut écarter l’initiative privée à condition que l’opérateur préexistant soit chargé d’une mission de service public et que son activité s’exerce entièrement sur le domaine public du pouvoir adjudicateur.  

Dans cette situation, la première difficulté consiste à considérer que le marché public de prestation de vélos en libre-service porte sur un service public, ce qui reste à démontrer. La seconde difficulté réside dans le périmètre géographique des sociétés de vélos en libre-service. La contrainte est réelle lorsque le service proposé par les opérateurs privés de vélos en libre-service excède le territoire d’une commune et, le cas échéant, excède le champ de compétence du titulaire du pouvoir de police et de gestion du domaine public. En effet, à l’heure des connections entre les différentes communes d’une même aire urbaine et de l’intermodalité des transports, il apparaît peu concevable qu’une société comme Gobee.bike, OFO ou oBike se limite, par exemple, à la seule ville de Paris. Certaines sociétés envisagent au contraire de conquérir les espaces de la petite couronne.

Le cas échéant, il serait juridiquement ardu d’opposer une fin de non-recevoir ferme et définitive à l’occupation de ces sociétés prestataires de vélos en libre-service. En conséquence, il convient d’envisager le cadre juridique adéquat à leur insertion dans les nouveaux modes de transport urbains.

 

II. Les conditions de l’occupation du domaine public

Afin d’occuper légalement le domaine public pour y réaliser une activité économique, les entreprises de vélos en libre-service doivent bénéficier d’un titre d’occupation du domaine public, obtenu après une procédure de mise en concurrence (A), et doivent s’acquitter d’une redevance (B). Ces deux conditions font actuellement défaut.

A. La nécessité d’une mise en concurrence en application de l’ordonnance du 19 avril 2017

Selon l’article L. 2122-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), l’opérateur doit disposer d’un titre afin d’occuper ou d’utiliser une dépendance du domaine public d’une collectivité territoriale dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous.

En l’espèce, les entreprises de vélos en libre-service occupent et utilisent le domaine public dans des limites qui dépassent le droit d’usage appartenant à tous puisque, par définition, ces entreprises exercent leur activité économique sur le domaine public par le biais de ces vélos et sont dotées d’une flotte conséquente de vélos. Cela les distingue du cycliste lambda qui dispose de son vélo pour son trajet personnel. Ces entreprises sont donc tenues, avant d’occuper ou d’utiliser le domaine public, de disposer d’un titre les y habilitant. Or, d’après les informations communiquées par la presse, les entreprises de free floating ne bénéficient actuellement d’aucune autorisation d’occupation du domaine public [6].

Par ailleurs, l’ordonnance du 19 avril 2017 a introduit l’obligation de mise en concurrence des opérateurs économiques dans le cadre d’une occupation du domaine public. S’agissant des activités de free floating, les autorisations devraient être délivrées à l’issue d’une procédure de mise en concurrence. En effet, l’article L. 2122-1-1 du CG3P prévoit que lorsque le titre d’occupation ou d’utilisation du domaine public est délivré en vue d’une exploitation économique sur le domaine public, l’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable « présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester ». Dès lors que les entreprises de vélos en libre-service exercent une activité économique sur le domaine public, l’autorité gestionnaire du domaine public doit procéder à une mise en concurrence pour sélectionner les entreprises qui pourront se voir octroyer un titre d’occupation du domaine public afin d’exercer leur activité.

Un tempérament pourrait néanmoins être opposé à l’obligation de mise en concurrence. L’article L. 2122-1-1 du CG3P accorde à l’autorité gestionnaire du domaine public une dispense de mise en concurrence lorsque le nombre d’autorisations n’est pas limité. Toutefois, il serait imprudent de ne pas limiter le nombre d’autorisations octroyées au risque de voir les trottoirs envahis par les vélos en libre-service.

Plus généralement, la procédure concurrentielle introduite par l’ordonnance du 19 avril 2017 possède de nombreuses vertus: elle permet à l’autorité gestionnaire du domaine public de fixer un nombre limité d’autorisations tout en définissant ses conditions pour l’octroi du titre; elle encourage également le dialogue entre l’autorité gestionnaire du domaine public et les entreprises privées en vue d’aboutir ainsi à une gestion pragmatique et efficiente de l’espace public, tout en développant l’initiative privée. En outre, elle dispense le législateur de se saisir d’une éventuelle question relative à l’introduction de licences d’exploitation, comme l’envisage la mairie de Paris [7].

Il convient également de préciser que dans le cas où un opérateur sollicite spontanément la délivrance du titre, l’article L. 2122-1-4 du CG3P oblige l’autorité compétente à s’assurer, préalablement à la délivrance du titre, de l’absence de toute autre manifestation d’intérêt concurrente. Si des concurrents se manifestent, il faudra procéder à une mise en concurrence. Actuellement, à Paris, l’existence d’une situation de concurrence est avérée. Si la mairie souhaite régulariser la situation, elle devra procéder à une mise en concurrence des opérateurs.

Par conséquent, la mise en concurrence des opérateurs de vélos en libre-service pour la délivrance du titre d’occupation constitue la voie à privilégier. En sus de la délivrance d’un titre, l’occupation domaniale donne lieu au paiement d’une redevance.

B. L’obligation de paiement d’une redevance d’occupation du domaine public

Des articles se sont fait l’écho d’une réflexion au sein de la mairie de Paris s’agissant de l’instauration d’une redevance pour les opérateurs de vélos en libre-service.

En effet, au regard de l’article L. 2125-1 du CG3P, toute occupation ou utilisation du domaine public d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public donne lieu au paiement d’une redevance. En l’espèce, les opérateurs utilisent et occupent le domaine public dans le but de réaliser leur activité économique. L’emplacement utilisé, qu’il soit constitué des trottoirs ou de la chaussée, fait partie intégrante du domaine public. Les vélos sont censés pouvoir être entreposés à n’importe quel endroit sur le domaine public. Dès lors, les entreprises de vélos en libre-service sont tenues de payer une redevance pour occupation du domaine public.

En outre, si le paiement d’une redevance résulte d’une obligation légale, la redevance est d’autant plus nécessaire au regard du principe d’égalité devant les charges publiques. En effet, si des articles de presse ont mis en avant l’existence d’une situation de « concurrence déloyale » entre les Vélibs’ et les opérateurs de vélos en libre-service [8], la situation actuelle ne relève pas, juridiquement parlant, de la concurrence déloyale telle que définie par le Code de commerce, mais plutôt d’une rupture d’égalité devant les charges publiques.

En effet, le principe d’égalité devant les charges publiques, tel que défini dans le célèbre arrêt du Conseil d’Etat de 1974, Denoyer et Chorques [9] impose que, dans une situation similaire, les opérateurs soient placés sur un même pied d’égalité au regard de leurs obligations vis-à-vis de l’autorité publique. S’agissant spécifiquement de l’occupation du domaine public, Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d’Etat, a déjà eu l’occasion de rappeler que « l’occupation privative du domaine public ne peut en outre être permise à titre gratuit, ce qui contreviendrait au principe d’égalité devant les charges publiques » [10].

Actuellement, la situation est constitutive d’une rupture d’égalité devant les charges publiques. Si l’on reprend l’exemple parisien, la société exploitant les Vélibs à Paris [11] paie une redevance d’occupation domaniale alors que les entreprises nouvellement installées et proposant des vélos en libre-service comme Gobee.bike et oBike n’en paient pas.

Pourtant, les Vélibs’ et les Gobee.bike sont dans une situation similaire : ils occupent le domaine public et sont mis en libre-service par des entreprises moyennant le paiement d’un prix par l’usager. Certes, les Vélibs doivent être entreposés sur des bornes spécifiques alors que les vélos en libre-service des nouveaux entrants peuvent être déposés partout sur le domaine public. Toutefois, cet élément ne modifie pas le constat selon lequel ces entreprises utilisent le domaine public pour réaliser leur activité économique. De même, la circonstance que les Vélibs’ soient entreposés sur le domaine public dans le cadre d’un marché public, ne constitue pas une différence de situation qui expliquerait que les entreprises entrantes ne paient pas une redevance d’occupation domaniale.

Dès lors, tous les opérateurs étant placés dans une situation similaire au regard de leur occupation du domaine public, les nouveaux entrants sont contraints de payer une redevance d’occupation du domaine public aux communes sur le territoire desquelles leurs vélos sont exploités. De plus, au moment où la redevance sera fixée, la mairie de Paris sera fondée à réclamer le montant de la redevance depuis le premier jour de l’occupation du domaine public. En effet, le gestionnaire du domaine public est fondé à réclamer à un occupant sans titre une indemnité compensant les revenus qu'il aurait pu percevoir d'un occupant régulier pendant cette période [12].

En revanche, le principe d’égalité devant les charges publiques n’oblige par l’autorité gestionnaire du domaine public à faire payer un même montant de redevance aux opérateurs. Au regard de l’article L. 2125-3 du CG3P, la redevance due pour l’occupation ou l’utilisation du domaine public tient compte de la situation économique de l’entreprise et des avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation d’occupation du domaine public.

Si l’occupation du domaine public nécessite la délivrance d’un titre et le paiement d’une redevance, les activités des entreprises de free floating interrogent également la répartition des rôles quant à l’aménagement du domaine public pour accueillir cette nouvelle activité.

 

III. Les modalités d’aménagement du domaine public

Afin d’assurer les conditions optimales de l’activité des entreprises de vélos en libre-service et de garantir la meilleure exploitation du domaine public, des zones supplémentaires de stationnement doivent être envisagées (A), ainsi que des sanctions à l’encontre de l’opérateur qui ne garantirait pas un usage conforme des vélos sur le domaine public (B).

A. La nécessité d’adapter les zones de stationnement

Dans l’hypothèse où la collectivité souhaiterait accueillir les entreprises de vélos en libre-service sur son territoire, il est nécessaire que le domaine public soit adapté afin de garantir la fluidité de la circulation sur les trottoirs et routes.

La collectivité doit prendre en compte les places de stationnement pour vélos dont elle dispose et évaluer le besoin en nouvelles places. Les documents d’urbanisme actuels obligent déjà les collectivités à estimer ce besoin. A titre d’illustration, en Ile-de-France, le Plan de déplacements urbains d’Ile-de-France (PDUIF) fixe un ratio minimum d’une place de stationnement vélos pour 30 places de stationnement de véhicules à Paris, à horizon 2020. Par la suite, dans le cadre de l’élaboration du Plan local d’urbanisme (PLU), la mairie de Paris est tenue de respecter les prescriptions du PDUIF, conformément à l’article L.131-4 du Code de l’urbanisme. La commune définit le nombre d’emplacements pour vélos en respectant au minimum le ratio fixé par le PDUIF, en choisissant les emplacements qu’elle estime les plus pertinents.

Toutefois, s’il existe aujourd’hui à Paris 25.900 places de stationnement pour vélos [13], l’introduction d’une activité de vélos en libre-service est susceptible de modifier les besoins en places de stationnement pour vélos. Ce constat est généralisable aux autres communes qui accueillent des vélos en libre-service sur leur domaine public. En effet, les usagers des vélos en libre-service sont censés, tout comme les particuliers disposant d’un vélo, utiliser les places préexistantes. Les collectivités pourraient être tenues d’intégrer des emplacements supplémentaires pour le stationnement des vélos.

Dès lors, si le nombre de places préexistantes au sein de la collectivité est insuffisant pour accueillir une activité de vélos en libre-service, se pose la question de la construction de nouvelles places de stationnement pour vélos et plus précisément, de la prise en charge de la construction de ces places. Deux hypothèses se présentent alors : soit les places de stationnement construites sont réservées à l’opérateur privé, soit ces places sont accessibles à tous.  

Dans la première hypothèse, la convention d’occupation du domaine public conclue entre l’autorité gestionnaire et l’opérateur économique mettrait à la charge de ce dernier la construction de places de stationnement pour vélos qui lui seraient exclusivement réservées. Cela lui permettrait de bénéficier de ‘zones obligatoires de stationnement’ pour les usagers de son activité. Cependant, cette hypothèse semble complexe : d’abord, parce qu’il paraît matériellement difficile pour l’opérateur de réserver des places de stationnement de vélos disponibles sur l’espace public, surtout que les vélos en libre-service disposent déjà de cadenas. Ensuite, parce qu’en créant des places exclusives, l’opérateur perd tout l’attrait des vélos en libre-service : l’intérêt étant que ceux-ci soient disponibles à tout moment et partout. Le directeur général d’oBike, Alban Sayag, estime ainsi que la création de telles zones obligatoires pour chaque opérateur à posséder des stations virtuelles [14].

Dans la seconde hypothèse, la convention conclue mettrait à la charge du concessionnaire la construction de places de stationnement pour vélos accessibles à tous les usagers. Le contrat pourrait être requalifié en concession de travaux [15]. En effet, les travaux pour la réalisation de places de stationnement pour vélos répondraient à un besoin de l’autorité concédante : ces nouvelles places seraient profitables tant aux usagers des vélos en libre-service qu’à l’ensemble des particuliers disposant d’un vélo. De plus, l’opérateur privé prendrait à sa charge le risque inhérent à l’exploitation de l’ouvrage puisqu’il devrait amortir le coût de la construction des places par l’exploitation de son activité de vélos en libre-service.

Outre le problème de requalification du contrat et les conséquences que cela aurait sur l’illégalité de la convention au regard de la procédure de sélection des opérateurs, cette hypothèse semble peu probable dans le cas présent. Ce type de montage ne semble pas séduisant pour l’opérateur privé. Il serait chargé de recourir à une entreprise tierce pour réaliser les places de stationnement, et devrait les amortir grâce à son activité, tout en payant une redevance pour occupation du domaine public. L’équilibre économique de l’opérateur peut se trouver fragilisé et bien éloigné du business plan de départ basé sur le free floating et la réduction des coûts.

En définitive, il y a fort à parier que la solution juridique et pratique la plus adéquate consiste pour une commune à financer elle-même la construction de places de stationnement pour vélos accessibles à tous les usagers. La commune doit seulement déterminer le nombre d’emplacement de stationnements pour vélos qu’elle souhaite réaliser, au regard des places existantes. Puis, les redevances perçues au titre de l’occupation du domaine public constitueront autant de ressources disponibles pour la commune pour réaliser ces places de stationnement nécessaires, dans le cadre d’un marché public de travaux classique.

Par ailleurs, s’il apparaît nécessaire de prévoir des emplacements spécifiques pour les vélos en libre-service et leur financement, il est également indispensable de prévoir un cadre juridique adapté pour assurer le bon ordre sur les voies publiques.

B. La définition d’un régime de sanctions incitant l’opérateur à respecter le bon usage du domaine public

Afin de protéger le bon usage du domaine public, il est nécessaire de prévoir les éventuelles sanctions à l’encontre de l’opérateur économique en cas de nuisances causées par son activité.

La mairie de Paris prévoit d’élaborer un guide de bonne conduite avec les opérateurs privés mettant en place une telle activité [16]. Cela permettrait de responsabiliser l’opérateur privé et non directement l’usager. Ce guide de bonne conduite serait inséré dans la convention d’occupation du domaine public conclue entre l’opérateur et la collectivité. Il pourrait y être envisagé des sanctions envers l’opérateur qui ne garantit pas la commodité de passage sur les voies publiques en raison du trop grand nombre de vélos ou de leur abandon sur le domaine public.

Cette option est techniquement réalisable puisque, par exemple, oBike a mis en place un système bonus/malus pour ses clients, qui prend en considération la gêne occasionnée par le vélo sur l’espace public, grâce à sa géolocalisation [17]. De même, il est techniquement envisageable pour la commune de demander aux opérateurs les données de géolocalisation sur une période donnée, pour évaluer un taux de respect du bon usage du domaine public et de prévoir des sanctions le cas échéant. Ces sanctions pourraient se manifester par des pénalités à l’encontre de l’opérateur et, en cas de nuisances persistantes, par le retrait de l’autorisation d’occupation du domaine public, par ailleurs précaire et révocable, conformément à l’article L.2122-3 du CG3P.

L’élaboration d’un tel régime dans le cadre d’un guide de bonne conduite, lui-même inséré dans la convention d’occupation domaniale, paraît juridiquement réaliste. Ce régime s’inscrit dans l’exercice du pouvoir de police confié au maire, en vertu de l’article L.2212-2 du Code général des collectivités territoriales. En effet, dans le cas où l’opérateur ne garantit pas le bon usage des vélos en libre-service, il lui appartient de prendre les mesures nécessaires pour assurer le bon ordre sur les voies publiques. Le maire est compétent pour prendre des mesures de police afin de réprimer les dépôts d’objets de nature à nuire à la commodité du passage sur le domaine public. Toutefois, il convient de préciser que l’exercice de ces pouvoirs de police étant susceptibles d’affecter les activités de l’opérateur, l’autorité devra s’assurer que les mesures prescrites sont proportionnées aux atteintes causées à la liberté du commerce et de l’industrie ainsi qu’aux règles de concurrence [18].

En outre, plus qu’une faculté, l’exercice des pouvoirs de police du maire relève d’une obligation puisqu’en cas d’inaction face à un stationnement illicite et gênant de vélos sur la voie publique, la responsabilité de la commune est susceptible d’être engagée. En effet, dans un cas d’espèce relatif au dépôt de vélos non autorisé et constitutif de nuisances sur la voie publique à Bordeaux, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a considéré que le maire n’avait pas utilisé la plénitude de ses pouvoirs de police pour faire cesser le trouble à l’ordre public. Dès lors, il avait commis une faute dans l’exercice de ses pouvoirs de police, de nature à engager la responsabilité de la commune de Bordeaux [19].

La collectivité sur laquelle s’implante l’opérateur économique devra par conséquent veiller à l’usage conforme des vélos sur le domaine public puisque dans le cas contraire, sa responsabilité pourra être engagée. C’est pourquoi, la définition d’un régime de sanction des opérateurs en cas de non-respect de l’occupation du domaine public permet à la collectivité de disposer d’un outil incitatif pour assurer le bon usage du domaine public en même temps qu’il lui permet de faire usage de ses pouvoirs de police.

En définitive, l’arsenal juridique actuel offre une réponse juridique suffisante pour assurer la régulation des activités de free floating. Ce cadre juridique réduit certes l’attrait du libre-service en soumettant les opérateurs au respect de règles de stationnement sur le domaine public. Mais il s’agit d’une condition indispensable pour parvenir à une conciliation entre la meilleure utilisation du domaine public et l’adoption d’une démarche business friendly. Une telle démarche est à privilégier au regard de l’objectif de développement des transports doux fixé par certaines collectivités, et désormais favorisé par l’initiative privée.

Olivier BÉGUÉ

Stéphanie LEGRAND

 

[1] CE, Sect. 5 mai 1944, Compagnie maritime de l’Afrique orientale, publié au Recueil Lebon.

[2] CE, 23 mai 2012, RATP, n° 348909, publié au Recueil Lebon.

[3] Le Syndicat mixte Autolib’ Vélib’ Métropole compte parmi ses adhérents 101 communes, 3 Établissements Publics Territoriaux, le département des Hauts-de-Seine et Val de Marne, la Région Île-de-France et la Métropole du Grand Paris. Cette dernière a prévu d’apporter une aide financière importante (environ 4 M€/an) pour l’installation et l’exploitation des stations Vélib’ prévues dans toutes les villes adhérentes au syndicat en dehors de Paris.

[4] CE, 29 janvier 1932, Société des Autobus Antibois, n° 99532, publié au Recueil Lebon.

[5] CE, 26 mars 1999, Société EDA, n° 202260, publié au Recueil Lebon.

[6] 20MINUTES, « Gobee.bike, OFO et oBike arrivent à Paris... Non, le free-floating ne va pas tuer le Vélib'! », 24 novembre 2017.

[7] LE JDD, « A Paris, les vélos sans borne défient Vélib’ », 15 novembre 2017.

[8] LA VOIX DU NORD, « Les vélos en partage libre bousculeront-ils le cadre établi ? », 21 octobre 2017.

[9] CE, 10 mai 1974, Denoyer et Chorques, n° 88032 et 88148, publié au Recueil Lebon.

[10] J-M. SAUVÉ, « La valorisation économique des propriétés des personnes publiques », Intervention lors du colloque organisé le 6 juillet 2011 dans le cadre des entretiens du Conseil d‘Etat en droit public économique.

[11] JC Decaux jusqu’au 31 décembre 2017, Smoove à partir du 1er janvier 2018.

[12] CE, 13 février 2015, Voies navigables de France, n° 366036.

[13] Le JDD, « A Paris, les vélos sans borne défient Vélib’ », 15 novembre 2017.

[14] Idem.

[15] Article 5 alinéa 2 de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession.

[16] Challenges, « La Ville de Paris veut un code de bonne conduite pour les vélos en libre-accès », 16 novembre 2017.

[17] 20MINUTES, « Gobee.bike, OFO et oBike arrivent à Paris... Non, le free-floating ne va pas tuer le Vélib'! », 24 novembre 2017.

[18] CE, Avis, Section, 22 novembre 2000, L & P Publicité, n° 223645, publié au Recueil Lebon.

[19] CAA Bordeaux, 22 décembre 2009, n°09BX01649.