Compte-rendu - Petit-déjeuner au Cabinet Bird & Bird - Commande publique et développement de l'Afrique de l'Ouest

Compte-rendu du petit-déjeuner qui s'est tenu le 5 septembre 2017 au Cabinet Bird & Bird sur le thème "Commande publique et développement de l’Afrique de l’Ouest"

Extrait de la Gazette n°29 - Octobre/Novembre 2017

Le 5 septembre 2017, les élèves-avocats de l’IDPA ont été reçus dans les locaux du cabinet Bird & Bird par Me Sophie PIGNON, Responsable du département Droit Public - Financement de projets du bureau de Paris, et deux de ses collaborateurs, Me Ali HOJEIJ et Me Chinedu IHENETU-GEOFFREY, afin de participer à un petit-déjeuner juridique sur le thème « Commande publique et développement de l’Afrique de l’Ouest ».

Cette thématique a nécessité à titre liminaire une contextualisation afin de mieux appréhender l’intérêt actuel pour la problématique de la commande publique en Afrique de l’Ouest. La zone concernée couvre en premier lieu les pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), composée du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’ivoire, de la Guinée-Bissau, du Mali, du Niger, du Sénégal, du Togo, et en second lieu, les pays membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à savoir les Etats membres de l’UEMOA auxquels s’ajoutent le Cap-Vert, la Gambie, le Ghana, la Guinée-Conakry, le Liberia, le Maroc, la Mauritanie, le Nigeria et le Sierra Leone. La principale différence entre ces deux organisations tient au fait que la CEDEAO est une organisation intergouvernementale alors que l’UEMOA est une organisation supra-gouvernementale.

La CEDEAO rassemble 384 millions de personnes, et représente 37% des projets d’infrastructures du continent ainsi qu’un Produit intérieur brut (PIB) de 750 milliards d’euros dont 480 milliards pour le Nigeria et 105 milliards pour le Maroc.

Selon les pays, les besoins en financements sont importants et avoisinent les 50 milliards d’euros par an. Le constat de départ est le suivant : ces pays possèdent des besoins considérables en infrastructures, en énergie, en transport, qui nécessitent de faire appel aux financements privés dans le cadre des contrats de la commande publique.

Cette mise en perspective réalisée, nous avons pu aborder la réglementation de la commande publique dans les pays d’Afrique de l’Ouest (I) avant d’envisager le rôle et la marge de manœuvre de l’avocat publiciste sur ce marché en pleine expansion au travers de questions avec nos hôtes (II). 

I. La réglementation de la commande publique dans les pays de l’Afrique de l’Ouest

À l’heure où de nombreux avocats ou élèves-avocats s’enthousiasment sur le développement des contrats publics sur le continent africain, l’objet de ce petit-déjeuner était de nous offrir le panorama le plus réaliste possible sur les contrats publics dans ces pays. L’expérience de nos interlocuteurs nous a permis de constater que si le continent africain avait des besoins conséquents en infrastructures publiques, les règlementations et le fonctionnement institutionnels doivent être appréhendés dans leur totalité en prenant également en compte les freins au développement de projets.

Classiquement, on retrouve trois types de contrats de la commande publique dans les pays d’Afrique de l’Ouest : les marchés publics, les contrats de partenariat et les délégations de service public (DSP).

Néanmoins, la première difficulté vient du fait qu’il n’existe pas d’uniformisation dans la définition internationale des marchés publics, des DSP ou des partenariats publics-privés. La seconde difficulté provient du cumul de règles entre l’UEMOA, la CEDEAO et les droits nationaux concernant la qualification des marchés publics et des DSP. Les unités PPP (équivalent de FININFRA en France) ont des difficultés à réaliser aisément les projets.

La corruption est également une problématique identifiée qui engendre des exigences particulières de présentation des offres dans ces pays. Les bailleurs de fonds, qui investissent dans les projets de la commande publique, exigent une distinction entre l’offre technique et l’offre financière, rendues séparément dans le temps, afin de lutter contre la corruption. Toutefois, cette contrainte de présentation des offres est parfois inadaptée à l’urgence de certaines situations ou investissements. De manière plus globale, la rigidité des procédures constitue un frein au développement des contrats alors que les demandes sont complexes et que les acteurs gagneraient à pouvoir discuter et négocier dans un cadre juridique sécurisé et garantissant la transparence et l’égalité de traitements.

Me PIGNON a ainsi souligné que l’absence de négociation avec les candidats, imposée par les bailleurs de fonds, rendait compliquée l’exécution des contrats. Par exemple, au Sénégal, le recours à la négociation n’est pas possible pour les DSP car la procédure est calquée sur celle des marchés publics qui interdit la négociation.

La contrainte financière est également importante. Si plusieurs textes régissant la commande publique en Afrique de l’Ouest sont récents, on observe parfois peu de mise en œuvre des projets. En effet, peu de banques commerciales souhaitent financer les projets car certaines concessions comportent un risque de pertes élevées et les banques ne veulent pas prendre le risque du financement face à l’absence de garantie des États, dont la solidité financière est de décroît fragile

Me IHENETU-GEOFFREY a poursuivi cette présentation, en anglais, en l’étendant aux pays d’Afrique de l’Ouest anglophones comme le Nigeria, le Ghana ou le Sierra Leone. Il a rappelé les objectifs et principes des contrats publics en Afrique de l’Ouest :

·      Le premier point est l’économie : les gouvernements veulent avoir les meilleurs produits pour le meilleur prix dans les biens, les services, les travaux publics.

·      Deuxièmement, l’efficience, les gouvernements veulent s’assurer que le système permette de répondre aux besoins.

·      Troisièmement, un processus juste et équitable, pas seulement sur le papier mais qui paraisse également ainsi.

·      Quatrièmement, la transparence.

·      Cinquièmement, la présence de standards de responsabilité et d’éthique.

Plusieurs challenges et solutions s’offrent aux difficultés rencontrées par les contrats publics en Afrique de l’Ouest.

Premièrement, si l’Europe a réussi l’harmonisation réglementaire sur les contrats publics, cela reste un chantier majeur pour l’Afrique.

Deuxièmement, les risques politiques pèsent sur les investissements. Les risques d’expropriation des biens dissuadent les investisseurs. Afin de pallier cette situation, la Banque Mondiale indique les projets avec un faible risque politique garanti et indemnise les investisseurs en cas de risque avéré.

Troisièmement, les investissements sont parfois réalisés en Livres, Dollars ou Euros, mais la contrepartie est versée en monnaie locale. L’aléa sur les devises et le risque de change est présent et peut constituer un frein à l’investissement, ce qui ne permet pas la « bancabilité » du projet.

Quatrièmement, les investisseurs sont parfois obligés de recourir à l’arbitrage en Europe, à Paris par exemple, pour avoir des décisions favorables dans le règlement des litiges, davantage que dans le pays où ils investissent.

Cinquièmement, il existe un risque de « running at a loss » (investir à perte) dans certains secteurs. Au Nigeria par exemple, les tarifs de l’électricité ne couvrent pas les coûts de l’investissement.

 

II. Rôle et marge de manœuvre de l’avocat publiciste sur ce marché en pleine expansion

La seconde partie du petit-déjeuner fut consacrée à un échange de questions-réponses entre les élèves-avocats de l’IDPA et les intervenants. Cela a été l’occasion d’échanger sur la place de l’avocat publiciste dans cet environnement.

S’agissant du marché local, il convient de relever l’importance croissance des cabinets africains parmi les cabinets d’avocats opérant sur le continent, particulièrement ceux implantés en Afrique du Sud. Les cabinets africains qui sont implantés dans les pays d’Afrique de l’Ouest bénéficient de la libre prestation de services entre ces pays. Les cabinets internationaux européens ou américains accompagnent leurs clients lorsqu’ils investissent en Afrique, puis s’appuient sur un avocat local qui est plus aguerri au droit local.

L’avocat publiciste souhaitant travailler sur des dossiers de financement de projets en Afrique doit ouvrir ses « chakras juridiques » et développer ses compétences en droit du financement et sûretés et en droit des sociétés,. Ceux qui réussissent à s’implanter sur ce marché sont généralement plus « business friendly ». Pour Me PIGNON, l’avenir de l’avocat publiciste consiste à être plus ouvert sur la sphère corporate/financement tout en étant un spécialiste aguerri, à ne pas se contenter du marché francophone.

 

Focus sur le Sénégal

Avec plusieurs niveaux de textes et d’acteurs, le paysage institutionnel et juridique est tel que l’investisseur peut éprouver des difficultés à se repérer :

·       Au niveau communautaire avec l’UEMOA et la directive n°05/2005/CM/UEMOA portant contrôle et régulation des marchés publics et délégations de service public dans l'UEMOA du 13 décembre 2005 ;

·       Loi nationale : pour la DSP, aucune phase de négociation n’est possible car son régime a été calqué sur celui des marchés publics.

·       La DCMP (Direction Centrale des Marchés Publics) n’est soumise à aucun délai légal et réglementaire pour statuer sur les projets ni sur le rapport d’opportunité produits par l’autorité délégante.

·       L’Autorité de régulation des marchés publics a une compétente a posteriori.

·       Des régulateurs dans les télécoms (ARTP : Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes), l’énergie (CRSE : Commission de Régulation du Secteur de l’Electricité).

 

Focus sur le Maroc

·       Pour les marchés publics, le Code des marchés publics a été révisé par le décret du 20 mars 2013.

·       Les délégations de service public sont régies par la loi du 14 février 2006 relative à la gestion déléguée des services publics. L’État n’est pas une autorité délégante, ne peut pas contracter de DSP. Les collectivités locales, leurs groupements et les établissements publics sont autorités délégantes. Beaucoup d’établissements publics ont été créés par secteur avec des lois sectorielles, ces établissements pouvant passer des concessions. Le pays a opéré une sorte de déconcentration par les établissements publics.

Le délégataire gère le service délégué à ses risques et périls, il n’existe pas de notion de « rémunération substantiellement assurée par les résultats de l’exploitation du service ».

Le délégataire a l’obligation de constituer une société régie par le droit marocain.

Les établissements publics considèrent qu’ils ont des lois sectorielles et qu’ils n’ont pas à appliquer la loi générale, ce qui leur permet de s’affranchir de l’évaluation préalable et de l’unité PPP (équivalent de FININFRA). Il existe un flou juridique sur ce point.

En outre, il n’existe pas de possibilité de recourir à la négociation pour les DSP dans les secteurs suivants : l’eau, l’assainissement, l’électricité, la gestion des déchets et le transport public urbain.

·       Les partenariats publics-privés sont régis par la loi du 24 décembre 2014 : dialogue compétitif possible, nécessité d’évaluation préalable, cellule PPP au sein de la Direction des entreprises publiques et de la privatisation.

L’ensemble des élèves-avocats de l’IDPA tient à remercier le cabinet Bird & Bird et les avocats qui ont animés ce petit-déjeuner débat pour l’accueil, la qualité des interventions et des échanges que nous avons eus à l’occasion de cette matinée sur la commande publique en Afrique de l’Ouest.

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Olivier BÉGUÉ