Extrait de la Gazette n°27 - Juillet 2017
La réforme tant attendue de la procédure de délivrance des autorisations d’occupation du domaine public vient d’être opérée par l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques. Ce texte soumet désormais cette délivrance à des obligations de publicité et de mise en concurrence. Il met ainsi un terme au vif débat qu’avait suscité la jurisprudence Jean Bouin du Conseil d’Etat [1], souvent critiquée, tant les arguments étaient nombreux en faveur d’une obligation de mise en concurrence préalable des autorisations domaniales.
Cette réforme est en réalité la conséquence nécessaire de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 14 juillet 2016, Promoimpresa [2] qui condamne fermement l’absence, lors de l’attribution de concessions domaniales, de procédure de sélection des candidats potentiels, répondant à des garanties d’impartialité et de transparence. Cette décision de la Cour de Justice avait donc sonné le glas de la jurisprudence précitée Jean Bouin puisque celle-ci admettait l’attribution de gré à gré des titres d’occupation du domaine public. L’ordonnance nouvelle vient ainsi confirmer l’hypothèse exprimée en doctrine, selon laquelle l’avenir de la mise en place d’une procédure de passation des titres portant occupation du domaine public se jouerait sans aucun doute à Luxembourg [3].
L’article 34 de la loi dite « Sapin II » [4], en habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance de nouvelles règles applicables aux autorisations domaniales, a permis de mettre en conformité le droit domanial à la jurisprudence européenne. En application de cette habilitation, l’article 3 de l’ordonnance du 19 avril 2017 a tiré les conséquences de cette jurisprudence en inscrivant au nouvel article L. 2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, le principe selon lequel lorsque le domaine public est occupé « en vue d’une exploitation économique », l’autorité compétente doit alors organiser « une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester » [5]. Applicable aux titres délivrés à compter du 1er juillet 2017, ce dispositif est néanmoins assorti de nombreuses exceptions.
Des exceptions partielles à cette obligation sont accordées lorsque les autorisations sont de courte durée, ou lorsque leur nombre n’est pas limité. Dans un tel cas, une simple publicité préalable suffit. Sont ainsi visées des hypothèses d’occupation du domaine public lors de manifestations éphémères, artistiques ou culturelles.
Une exception totale à l’obligation de publicité et de mise en concurrence est prévue pour les autorisations concédées dans le cadre d’un contrat relevant de la commande publique ou d’un montage contractuel, ayant déjà fait l’objet d’une procédure de sélection.
D’autres situations, énumérées par l’ordonnance, dérogent également à l’ensemble du nouveau dispositif de publicité et de mise en concurrence. La personne publique est alors libre de procéder à la délivrance du titre à l’amiable. Il en va ainsi lorsque l’urgence le justifie, auquel cas la durée de l’autorisation ne peut être supérieure à un an, ce qui oblige le gestionnaire domanial à remettre régulièrement le titre en concurrence. Sont également exemptées les autorisations qui prolongent un titre existant, et qui ne peuvent, en tout état de cause, n’être délivrées qu’à titre temporaire.
Enfin, la procédure n’est pas obligatoire lorsque son organisation s’avère « impossible ou injustifiée ». L’ordonnance énumére notamment les cas suivants :
- Quand une personne est en droit d’occuper le domaine public en cause. C’est notamment le cas des terrasses de cafés.
- En cas d’autorisation délivrée à une personne publique ou privée, placée sous la surveillance et le contrôle de l’autorité compétente. Il s’agit de l’exception de la quasi-régie dite « in-house ».
- Lorsque les caractéristiques particulières de la dépendance le justifient.
- Lorsque l’exercice de l’autorité publique ou des considérations de sécurité publique le justifient.
De l’emploi de l’adverbe « notamment », il en résulte que cette liste n’est pas exhaustive, de sorte que la personne publique pourra, dans d’autres hypothèses, considérer qu’elle n’est pas tenue de respecter la procédure de publicité et de sélection préalable. Elle devra néanmoins, selon le dernier alinéa du nouvel article L. 2122-1-3 du code de la propriété des personnes publiques, rendre publiques les considérations de droit et de fait qui lui permettent de s’exonérer de cette obligation.
L’ordonnance précise en outre que si un opérateur économique se manifeste spontanément auprès de la personne publique, celle-ci devra néanmoins organiser une publicité suffisante de manière à s’assurer que d’autres opérateurs ne soient pas intéressés.
S’agissant des modalités d’organisation de cette procédure de publicité et de sélection préalable, ainsi que du type de publicité adéquat, l’ordonnance se signale par son laconisme. Seules deux précisions sont données par le texte : la procédure doit respecter les principes d’impartialité et de transparence et permettre « aux candidats potentiels de se manifester ». Une grande liberté est donc laissée au gestionnaire du domaine dans l’organisation et le choix de la publicité. Cette marge de manœuvre permettra d’ajuster la procédure de passation au cas par cas. Aucun seuil n’étant de rigueur, s’agissant de la passation des titres d’occupation du domaine public, se pose la question des proportions que doit revêtir cette publicité. Faut-il se référer aux MAPA (marchés à procédure adaptée), dont la passation exige des acheteurs qu’ils procèdent à une publicité permettant de susciter la concurrence la plus large possible ? Partant, le gestionnaire doit-il organiser la publicité la plus large possible, et ce dès le premier euro dépensé comme le veut l’arrêt Telaustria de la Cour de Justice [6] ? De même, le critère de l’intérêt transfrontalier certain dégagé par la Cour de Justice [7] doit-il également être pris en compte par le gestionnaire domanial ? Une application mécanique de ces règles et principes au droit des occupations domaniales ne nous paraît pas aller de soi. En toute hypothèse, c’est au juge administratif qu’il incombera de préciser la teneur de cette obligation. Un décret serait également le bienvenu afin de clarifier les exigences de cette procédure.
Une autre question n’est pas élucidée par l’ordonnance, celle du régime de la sous-occupation. L’article 34 de la loi « Sapin II » habilitait également le Gouvernement à préciser les règles applicables à la sous-occupation du domaine public. Pourtant, l’ordonnance passe sous silence cette problématique, qui nécessiterait des éclaircissements, tant au niveau du régime du sous-occupant du domaine public, que de l’éventuelle mise en concurrence des contrats de sous-occupation.
Enfin, les articles 5, 6 et 8 de l’ordonnance apportent une précision quant à la cession de l’autorisation, offerte au titulaire sous réserve de l’accord écrit du gestionnaire, depuis une jurisprudence de 2015 [8]. L’ordonnance dispose que « de tels transferts ne peuvent intervenir lorsque le respect des obligations de publicité et de sélection préalables à la délivrance d’un titre s’y oppose » [9]. Autrement dit, si le titre d’occupation a été soumis à l’origine à une procédure de publicité et de sélection préalables, il ne pourra pas être cédé sans l’organisation d’une nouvelle procédure. Cette obligation permet à la personne publique de respecter les principes généraux du droit de la concurrence et de s’assurer que les opérateurs potentiels ont eu la possibilité de manifester leur intérêt. Ces dispositions sont applicables aux titres d’occupation conférant des droits réels à leurs occupants [10] ; aux baux emphytéotiques administratifs dits « de valorisation » [11] ; ainsi qu’aux baux emphytéotiques administratifs des collectivités territoriales [12].
Ce régime nouveau de publicité et de sélection préalables trouve son fondement dans le droit de la concurrence, qui tend à irriguer l’ensemble du droit public, et dans la volonté politique, exprimée dans le rapport au Président de la République sur l’ordonnance, d’assurer « une meilleure valorisation du domaine », ainsi qu’un « égal traitement entre les opérateurs économiques intéressés » [13].
La notion centrale est celle d’exercice d’une activité économique, laquelle, lorsqu’elle porte sur le domaine public, confère un avantage concurrentiel aux opérateurs. La personne publique doit donc veiller à ce que l’octroi des autorisations n’ait pas pour résultat de permettre à un opérateur d’abuser de sa position dominante par rapport à ses concurrents. Cette démarche rentre donc totalement dans un objectif de meilleure valorisation du domaine public.
Les auteurs de l’ordonnance ont entendu rapprocher les procédures applicables aux autorisations d’occupation du domaine public abritant des activités économiques et les contrats de la commande publique, notamment les concessions. En tout état de cause, le texte ne bouleverse pas véritablement le droit de la passation des autorisations domaniales, la plupart des pouvoirs adjudicateurs se soumettant depuis longtemps, et ce même en l’absence d’obligation, à une procédure de publicité et de mise en concurrence. En revanche, ce texte permet d’uniformiser les pratiques, de clarifier l’état du droit et de le mettre en conformité avec le droit de l’union européenne.
[1] CE, Sect, 3 décembre 2010, Ville de Paris et Association Paris Jean Bouin, n°338272 et 338527, publié au recueil Lebon.
[2] CJUE, 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl, aff. C-458/14.
[3] Charles Vautrot-Schwarz, L’avenir de la publicité et de la mise en concurrence dans la délivrance des titres d’occupation domaniale, Contrats et Marchés publics, n°12, décembre 2012, étude 8.
[4] Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
[5] Article L. 2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques.
[6] CJCE, 7 décembre 2000, Telaustria, aff. C-324/98.
[7] CJCE, 13 novembre 2007, Commission c/ Irlande, aff. C-507-03 et CJCE, 21 février 2008, Commission c/ République Italienne, aff. C-412-04.
[8] CE, ,6e, septembre 2015, Société Prest’air, n°387375, inédit au recueil Lebon.
[9] Article 5 de l’ordonnance du 20 avril 2017.
[10] Article L. 2122-7 du Code général de la propriété des personnes publiques.
[11] Article L. 2341-1 du Code général de la propriété des personnes publiques.
[12] Article L. 1311-3 du Code général des collectivités territoriales.
[13] Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques.