La collectivité de Corse, modèle pour une généralisation des fusions de départements et régions

Extrait de la Gazette n°28 - Septembre 2017

Le 1er janvier 2018, l’échelon départemental, symbole de l’attachement de l’île aux principes de la Révolution française n’existera plus en Corse.

Rattachée à la France dès 1768, la Corse a connu un statut hybride jusqu’en 1790. En effet, elle n’était ni une province, ni une colonie. Ce n’est qu’à l’époque révolutionnaire que l’île a été solidement ancrée à la partie métropolitaine du territoire français. Lors de la création des départements en 1790, la Corse a été organisée en un département de droit commun, brièvement divisé en deux départements distincts entre 1794 et 1811, jusqu’en 1975. Après le détachement de la région de Corse de la Provence Côte d’Azur en 1970 [1], pour éviter que la nouvelle région ne se confonde pas avec le département, celui-ci fut divisé en deux à partir de 1975 [2].

C’est à l’échelon régional que la Corse a connu le plus d’évolution statutaire durant deux décennies. De 1982 à 1991, la région de Corse a connu un statut similaire aux autres régions du territoire avec néanmoins quelques dérogations.

Dès 1982 [3], son assemblée délibérante fut élue quand les autres régions ont attendu 1986 pour élire leurs représentants. Sur les plans électoraux et du fonctionnement institutionnel, la région de Corse fut un laboratoire car le système proportionnel sans seuil n’a pas permis de dégager une majorité.

Cela a conduit le Gouvernement à dissoudre l’Assemblée de Corse en 1984 et le législateur à adopter un autre régime électoral permettant de donner une efficacité aux Assemblées Régionales en 1985 [4].

La Corse cessa d’être une région en 1991 [5] lorsque la loi a créé la collectivité territoriale de Corse (CTC), dotée d'un statut particulier en lieu et place de la région.

Le législateur de l'époque voulait aller plus loin, mais le Conseil constitutionnel a opéré une censure de l’article 1er de cette loi relative la notion de peuple corse, composant le peuple français [6].

Les institutions de la collectivité se différencient des autres institutions régionales par l'instauration d’une dichotomie entre l’assemblée de Corse composée de 51 membres et un conseil exécutif, composé de huit membres réunis autour d’un président. Outre la dichotomie entre les présidences de l’Assemblée de Corse et du conseil exécutif confiées à deux membres distincts, les conseillers exécutifs sont responsables devant celle-ci et ne peuvent pas être membres de l'Assemblée.

En outre des compétences de l’ancienne région, la loi a également transféré des compétences départementales et de l'État vers la collectivité territoriale de Corse en matière notamment d'éducation, de langue, de culture, d'environnement, de tourisme.

Le législateur a ensuite modifié la CTC 2002 [7] à la suite du « processus de Matignon » mené entre l'Assemblée de Corse et le Premier ministre M. Lionel Jospin.

Le législateur a élargi les compétences de la CTC, sans pour autant en faire clairement la collectivité territoriale, chef de file dans l’île, ainsi que son pouvoir réglementaire.

Le Conseil constitutionnel [8] a néanmoins censuré les dispositions de la loi relatives à l’expérimentation législative et au dialogue direct entre le Premier ministre et l'Assemblée de Corse.

Néanmoins, le « processus » de Matignon prévoyait une révision constitutionnelle ultérieure avec une consultation des électeurs et la suppression des deux départements de l’île à l’horizon 2004.

Suite à la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 introduisant notamment la possibilité de modifier les collectivités à statut particulier et de supprimer certains échelons de collectivités territoriales, les électeurs de Corse ont été consultés sur le projet de loi relatif prévoyant la création d'une collectivité unique. Les départements devaient devenir des conseils territoriaux, établissements publics de la collectivité [9].

Or, le 6 juillet 2003, ils se sont prononcés contre ce projet. Se sentant liés par ce résultat, les différents gouvernements successifs ont préféré geler ce projet de réformer. La question d’une suppression des deux départements s’est de nouveau posée à partir de 2010 quand la Martinique et la Guyane sont devenues chacune des collectivités uniques fusionnant le département et la région.

La future collectivité de Corse est ainsi l’aboutissement de travaux initiés, en 2010, par l’Assemblée de Corse sur la simplification de l’organisation administrative en vigueur. Ils ont conduit à l’adoption par cette Assemblée, à une forte majorité, de la délibération du 12 décembre 2014 en faveur de la fusion de la CTC et des deux départements existants en une collectivité unique [10].

Cette délibération de l’Assemblée de Corse demandait également au Gouvernement d’inscrire la réforme dans la loi NOTRe, alors en cours d’examen au Parlement.

Si ses grands principes ont été adoptés à l’article 30 de la loi [11], les modalités d’entrée en vigueur de la fusion et du fonctionnement de la nouvelle collectivité de Corse ont été renvoyées, pour précision, à trois ordonnances respectivement relatives aux mesures institutionnelles, électorales et financières prises par le Gouvernement le 21 novembre 2016 [12] et ratifiées par le Parlement le 7 mars 2017 [13].

Cette nouvelle collectivité de Corse porte en elle un paradoxe. En absorbant les deux départements, cette collectivité de Corse a été conçue à la fois comme l’aboutissement d’une évolution statutaire entreprise en 1982 consistant à survaloriser l’échelon régional au détriment des départements (1), mais également comme le point de départ d’une redéfinition de l’action territoriale dans l’île (2).

 

I. La collectivité de Corse, finalité de l’effacement des deux départements au profit de la CTC


La nouvelle collectivité de Corse est le résultat d’une fusion recherchée afin d’améliorer l’efficacité de l’organisation territoriale dans l’île (A), tout en préservant le particularisme élaboré pour la CTC, reproduit fidèlement pour cette nouvelle collectivité (B).


A. Une efficacité recherchée par la fusion


Dans un premier temps, la suppression des deux départements de Corse a été initiée par les élus de la collectivité territoriale de Corse.

Cependant, cette initiative a fait l’objet d’un dialogue concerté entre les trois collectivités à l’instar de ce qui est prévu pour la fusion des départements et des régions sur le territoire métropolitain [14].

La loi n° 2002-92 du 22 janvier 2002 relative à la Corse a introduit à l’article L. 4422-16 du code général des collectivités territoriales (CGCT) [15], la faculté pour l’Assemblée de Corse de présenter des propositions tendant à modifier ou à adapter des dispositions réglementaires en vigueur ou en cours d’élaboration concernant les compétences, l’organisation et le fonctionnement de l’ensemble des collectivités territoriales de Corse, ainsi que toutes dispositions réglementaires concernant le développement économique, social et culturel de l’île.

Ces propositions sont alors adressées au président du conseil exécutif qui les transmet au Premier ministre et au préfet de région.

C’est dans ce cadre qu’a été prise la délibération 14/207 AC de l’Assemblée de Corse du 12 décembre 2014 favorable à la fusion des deux départements et de la CTC.

Partant du constat que « l'organisation territoriale de la Corse est trop complexe, insuffisamment efficiente et par certains côtés incohérente », les élus de l’Assemblée de Corse estiment que « doit être mise en œuvre une réforme de cette organisation générant simplification, clarification, efficacité, économies d'échelle, et garantissant un équilibre territorial dans le cadre d'institutions déconcentrées » [16]. La présente délibération prévoit également la création d’un comité de coordination composé de représentants des trois collectivités « chargé d'étudier et de suivre l'exécution des modalités pratiques de mise en œuvre de la fusion en une collectivité unique » [17].

Dans un second temps, le Gouvernement de M.  Valls a accueilli favorablement cette proposition en déposant un amendement reprenant cette proposition de collectivité unique à l’article 30 du projet de la loi NOTRe.

Par conséquent, pour la première fois depuis 1982, une modification substantielle du statut législatif de la CTC n’a pas donné lieu à une loi spécifique, mais à une intégration dans un texte législatif relatif à toutes les collectivités territoriales.

Soucieux d’allier rapidité et efficacité, le Gouvernement a également refusé le principe d’une consultation électorale.

En effet, les élus de la CTC avaient programmé la suppression des départements pour 2017 et souhaitaient une consultation des électeurs.

Ils s’appuyaient sur le précédent de 2003 quand les électeurs de Corse s’étaient prononcés contre l’instauration d’une collectivité unique supprimant les deux départements. Il aurait été cohérent de convoquer une nouvelle fois les électeurs inscrits dans l’île pour qu’ils se prononcent sur ce projet de collectivité unique.      Néanmoins, le Gouvernement a utilisé deux arguments majeurs pour rejeter la proposition de consultation électorale.

D’une part, d’un point de vue politique, le Gouvernement s’est appuyé sur un large consensus des forces politiques puisque 42 membres sur 51 conseillers de l’Assemblée de Corse étaient favorables à cette fusion [18].

D’autre part, d’un point de vue juridique, le Gouvernement n’était pas contraint d’organiser une consultation électorale contrairement aux évolutions statutaires des collectivités régies par l’article 73 de la Constitution. La CTC n’est pas une collectivité d’outre-mer, elle n’est pas régie par l’article 73 alinéa 7 de la Constitution instaurant une consultation obligatoire des électeurs en cas de fusion du département et de la région [19].

En tant que collectivité à statut particulier, sa modification est prévue par un autre texte constitutionnel.

L’alinéa 3 de l’article 72-1 de la Constitution dispose que « lorsqu’il est envisagé de créer une collectivité territoriale dotée d’un statut particulier ou de modifier son organisation, il peut être décidé par la loi de consulter les électeurs inscrits dans les collectivités intéressées. ». L’adoption d’une loi organisant une consultation en Corse aurait repoussé l’adoption de cette fusion. Echaudé par les précédents rejets des électeurs de Corse et d’Alsace, le Gouvernement a préféré la rapidité en refusant la consultation électorale et le risque d’un rejet démocratique de la fusion. Afin d’assurer une mise en place rapide de la fusion, le Gouvernement a pris trois ordonnances pour couvrir le champ de l’habilitation prévue par le VII de l’article 30 de la loi NOTRe en matière institutionnelle, électorale et financière.

La nouvelle collectivité unique reprend fidèlement l’épure institutionnelle édifiée pour la CTC, ce qui renforce l’impression que cette dernière a absorbé les deux départements.


B. Un particularisme maintenu

 

Dans le cadre de la délibération 14/207 AC de l’Assemblée de Corse du 12 décembre 2014 favorable à la fusion des deux départements et de la CTC, les élus de l’Assemblée de Corse estimaient également que « la Corse ne peut (…) ni laisser passer cette occasion, ni prendre le risque de perdre, pour l'essentiel, la spécificité et l'originalité de son statut particulier » [20].

C’est pourquoi, ils considéraient « qu'il est également indispensable que l'Assemblée de Corse soit de nouveau consultée pendant l'examen de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République par l'Assemblée nationale et le Sénat pour préciser les modalités de transfert de compétences et de financement résultant du projet de modification de l'organisation territoriale » [21].

L’article 30 de la loi NOTRe préserve ce particularisme puisqu’il dispose qu’à compter du 1er janvier 2018, la collectivité de Corse se substitue aux trois collectivités territoriales, qu’elle fusionne dans tous leurs biens, droits et obligations, ainsi que dans toutes les délibérations et tous les actes pris par ces dernières.

Cela emporte deux conséquences importantes : en premier lieu, cette nouvelle collectivité va percevoir l’ensemble des ressources financières de la CTC et des deux départements, en second lieu, cette nouvelle collectivité unique devient de plein droit le nouvel employeur des personnels des trois collectivités dissoutes et ceux-ci bénéficient du maintien de leur régime indemnitaire (s’ils y ont intérêt), des compléments de rémunération acquis individuellement et, sous certaines conditions, d’une indemnité de mobilité. Cet article de loi, ainsi que les trois ordonnances adoptées en 2017, ne remettent pas en question les spécificités de la Corse, puisque la nouvelle collectivité bénéficie toujours du statut particulier de la CTC et conserve les compétences élargies des collectivités existantes ainsi que leurs personnels et leurs ressources.

La collectivité de Corse exercera l’ensemble des compétences élargies dont disposait la CTC. A aucun moment, pendant la préparation des ordonnances, il n’y a eu de discussion aboutie entre les élus de Corse et le Gouvernement sur la possibilité d’introduire des compétences nouvelles relatives à des revendications identitaires comme le statut du résident, la co-officialité de laca langue corse, l’octroi d’un pouvoir fiscal.

L’obstacle constitutionnel aurait été infranchissable en l’état du droit actuel. Le particularisme corse se limite donc à ce surplus de compétences de la CTC et des départements et à une architecture institutionnelle originale. 

En effet, la collectivité de Corse reprend l’épure institutionnelle de la CTC avec une assemblée de Corse distincte d’un conseil exécutif.

C’est ce particularisme qui différencie la collectivité de Corse de quasiment l’ensemble des autres catégories de collectivités.

La collectivité unique de Martinique étant organisée selon cette architecture institutionnelle, des différences subsistent néanmoins en terme de membres composant les institutions [22].

Prenant en compte le surcroît d’activité prévisible pour les institutions de la collectivité unique à la suite de sa fusion avec les collectivités existantes, le législateur a opéré quelques modifications non substantielles. Il a ainsi augmenté le nombre d’élus de l’Assemblée de Corse de 51 à 63 [23].

Par conséquent, l’ordonnance n° 2016-1562 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse a augmenté de dix à quatorze le nombre de ces conseillers membres de la commission permanente [24] et a étendu le nombre des conseillers au sein du conseil exécutif de neuf à onze [25].

Cette ordonnance a aussi réduit le délai d’option d’un mois à sept jours [26]. Le mandat de conseiller à l’Assemblée de Corse étant incompatible avec la fonction de conseiller exécutif, lorsqu’un conseiller à l’Assemblée est élu au conseil exécutif, il disposera d’un délai de sept jours pour démissionner, soit de son mandat de conseiller à l’Assemblée de Corse, soit de sa fonction de conseiller exécutif.

La loi NOTRe et les ordonnances maintiennent le principe d’une responsabilité du conseil exécutif devant l’Assemblée de Corse au cas où celle-ci engage une motion de défiance à son égard [27].

Enfin, le Conseil économique, social et culturel de Corse deviendra le Conseil économique, social, environnemental et culturel [28]. L’adaptation des compétences environnementales est un alignement sur le droit commun des conseils économique, social et environnemental des régions.

La nouvelle collectivité de Corse, fidèlement édifiée sur le modèle de la CTC sera donc une collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution. Néanmoins, cette collectivité unique a également vocation à être le point de départ d’une réorganisation administrative importante de l’île.

 

II. La Collectivité de Corse, ébauche d’une réorganisation territoriale de l’île

La nouvelle Collectivité de Corse devra définir son ancrage départemental (A), tout en impulsant une nouvelle action publique territoriale (B)


A. Un nécessaire ancrage départemental de la collectivité unique


La suppression juridique des deux départements emporte certaines conséquences que la future collectivité de Corse devra gérer lors des premiers mois de son installation.

Les élus de Corse devront redéfinir le déploiement territorial de la nouvelle collectivité, tout en préservant les réalités départementales actuelles. Ils devront dissiper les craintes sur les éventuelles suppressions d’emplois et de services découlant de la suppression des départements.

En premier lieu, la question du devenir des ressources humaines des deux départements se pose. En effet, la collectivité de Corse entrera en vigueur sans que toutes les questions relatives aux personnels ne soient réglées.

Pourtant, l’article 30 de la loi NOTRe a prévu que la collectivité unique devient, de plein droit, le nouvel employeur des personnels des trois collectivités dissoutes, dans les conditions de statut et d’emploi qui sont les leurs.

Par ailleurs, les articles L. 5111-7 et L. 5111-8 du CGCT, qui fixent les garanties accordées aux agents changeant d’employeur à la suite d’une réorganisation territoriale, sont applicables aux personnels concernés par la réforme.

Les personnels des trois collectivités fusionnées bénéficieront ainsi du maintien de leur régime indemnitaire et de protection sociale complémentaire, des compléments de rémunération acquis individuellement et, sous certaines conditions, d’une indemnité de mobilité.

De plus, si leur emploi est supprimé, ils sont tenus de suivre toutes les actions d’orientation, de formation et d’évaluation destinées à reclassement. En 2003, une des raisons de la victoire du « non » lors de la consultation électorale du 6 juillet était la désapprobation des fonctionnaires insulaires à l’égard du projet de fusion.

En moyenne, selon une étude de l’INSEE, il y avait en 2012 30000 fonctionnaires [29]. Selon, la même étude, la fonction publique territoriale est surreprésentée. Craignant des blocages dans le processus de fusion, le Gouvernement a souhaité laisser à la nouvelle collectivité de Corse une période transitoire se poursuivant après sa mise en place.

Au 30 juin 2018, l’Assemblée de Corse devra donc adopter une délibération sur les indemnités et les conditions d’emploi des personnels pour une application au plus tard au 1er juillet 2019 [30].

Dans l’attente de l’entrée en vigueur de cette délibération, les agents nouvellement recrutés bénéficient du régime indemnitaire et des conditions d’emploi qui leur étaient applicables jusqu’alors.        

L’ordonnance n° 2016-1562 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse assure le maintien des emplois fonctionnels, qui correspondent à des postes d’encadrement auxquels les agents sont nommés pour une durée déterminée [31].

Ainsi, le directeur général des services (DGS) de la collectivité territoriale de Corse sera reconduit dans ses fonctions au sein de la nouvelle collectivité de Corse, tandis que les DGS et les directeurs généraux adjoints (DGA) des deux départements seront maintenus en tant que DGA de la nouvelle collectivité.

Par ailleurs, le texte prévoit la prorogation des mandats des représentants des personnels dans les instances de dialogue social (commissions administratives paritaires, comités techniques et comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) jusqu’au renouvellement prévu fin 2018 [32].

En second lieu, l’ordonnance n° 2016-1562 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse n’a pas tranché de manière uniforme la question de la réorganisation des services départementaux.

Les deux circonscriptions territoriales de l’Etat seront maintenues après le 1er janvier 2018. De même, la carte judiciaire ne changera pas avec le maintien des assises à Bastia et Ajaccio [33]. Au niveau des services des conseils départementaux, une période transitoire va s’organiser. Hormis la fusion prévue des services d’archives départementales au sein d’un service unique au niveau de la collectivité de Corse et financé par celle-ci [34], les autres services sont maintenus de manière à refléter les anciennes limites départementales.

Ainsi, c’est le cas des deux services d’incendie et de secours (SDIS) maintenus dans leur ressort géographique respectif correspondant aux circonscriptions administratives de Corse-du-Sud et de Haute-Corse [35].

Les organes en charge de l’habitat et de l’urbanisme ont également été préservés dans les limites des deux départements [36]. Un centre de gestion de la fonction publique territoriale est respectivement maintenu dans chacune des circonscriptions départementales de l’État de Corse-du-Sud et de Haute-Corse. Ceux-ci pourront toutefois, en application de l’article 14 de la loi du 26 janvier 1984, créer, par délibération concordante de leurs conseils d’administration, un centre unique [37].

Ladite ordonnance prévoit également une adaptation de la composition du conseil régional d’orientation (CRO) du Centre National de la Fonction Publique Territoriale de manière à prévoir la possibilité pour le président du conseil exécutif ou son représentant de siéger en son sein [38].

Une telle adaptation est également envisagée pour la composition du conseil de surveillance des établissements de santé et du Comité régional de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle [39].

L’absorption des conseillers départementaux par la collectivité de Corse ne s’accompagnera pas d’une brutale disparition de leurs réalités. Le maintien des services conformément aux circonscriptions administratives actuelles vise à faciliter l’exercice des nouvelles compétences départementales de la Collectivité de Corse.  Celle-ci devra également trouver de nouvelles collectivités partenaires dans l’île pour coordonner une nouvelle dynamique d’action territoriale.

B. Une nécessaire coordination de la collectivité unique avec les intercommunalités et les communes

A côté des 19 établissements publics d’intercommunalités de l’île et des 360 communes de l’île, la collectivité de Corse aura un rôle de coordinateur et devra trouver des nouveaux partenaires territoriaux pour déployer une cohérence territoriale après la disparition des deux départements.

D’une part, la suppression des deux départements pourrait laisser une place à l’intercommunalité. C’était du moins la volonté du député M. Laurent Marcangeli dans le rapport fait par le député M. François Pupponi déposé à l’Assemblée Nationale le 1er février 2017 pour le projet de loi portant ratification des trois ordonnances :

« La représentation des territoires est un débat très important en Corse, car il existe plusieurs espaces : le littoral et l’urbain, et le rural et la montagne. Si la disparition des départements va dans le sens de l’histoire, elle risque de fragiliser ces territoires. Nous avons donc proposé à Mme Lebranchu, puis à M. Baylet qui lui a succédé, de faire monter en puissance les intercommunalités de manière significative. Nous croyons que demain, la Corse, désormais privée de départements, devrait donner à ces intercommunalités un certain nombre de compétences dites de proximité et surtout une représentativité qui ne se retrouve pas – ou en tout cas très imparfaitement – dans cette chambre des territoires que je considère comme un gadget » [40].

Avec seulement 55,60 % de communes adhérentes à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre en 2010 [41], la Corse a longtemps été le mauvais élève de l’intercommunalité.

Toutes les communes de Corse sont désormais adhérentes à des EPCI. En dehors des deux communautés d’agglomération autour de Bastia et Ajaccio et de deux communautés de communes regroupant plus de 20000 habitants, qui pourraient être partenaires privilégiés de la Collectivité de Corse dans le développement économique de l’île, la plupart des quinze autres communautés de communes ont une population égale ou inférieure à 12000 habitants.

Dans une quête de légitimité, ces dernières pourraient par exemple, en accord avec la Collectivité de Corse, exercer directement certaines compétences d'action sociale qui relevaient normalement des départements. 

D’autre part, l’ordonnance n° 2016-1562 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse a créé une chambre des territoires qui succède à la conférence de coordination des collectivités de Corse.

En fonction depuis le 3 octobre 2003, cette dernière était alors présidée par le président du conseil exécutif de la CTC et composée du président de l’Assemblée de Corse et des présidents des conseils généraux de Haute-Corse et de Corse-du-Sud.

Selon les besoins, des maires et des présidents de groupements de collectivités territoriales pouvaient participer à ces conférences, ainsi que des personnes qualifiées. Sa mission était de se réunir au moins une fois par an, sur un ordre du jour déterminé par le président du conseil exécutif de Corse, pour échanger des informations, débattre de questions d’intérêt commun et coordonner l’exercice des compétences des collectivités territoriales, notamment en matière d’investissements [42].

Les élus de l’Assemblée de Corse ont souhaité revaloriser cette conférence coordonnée par la CTC afin d’améliorer la prise en compte de la diversité des territoires dans la définition et la mise en œuvre des politiques publiques.

C’est dans cette philosophie-là que la loi NOTRe et l’ordonnance précitée ont modifié sa composition avec la présence de tous les membres du conseil exécutif de Corse et du président de l'Assemblée de Corse ainsi que 8 membres de cette dernière.

Cette chambre sera également composée des présidents de communautés d'agglomération, des maires de communes de 10.000 habitants et plus, d'un représentant des collectivités territoriales et groupements de collectivités des territoires de montagne, de 8 représentants élus des présidents des communautés de communes et de 8 représentants élus des maires des communes de moins de 10.000 habitants [43].

Cette chambre des territoires conservera les compétences de la conférence existante et continuera de coordonner les politiques menées par les collectivités publiques en Corse, notamment en matière d'investissement et reprendra les missions de la conférence territoriale de l'action publique relevant de l'article L.1111-9-1 du CGCT pour favoriser dans chaque région un exercice concerté des compétences des collectivités territoriales et de leurs groupements [44].

Néanmoins, cette chambre aura seulement un rôle consultatif et pourrait dépendre uniquement du volontarisme des élus de la Collectivité de Corse.

L’enjeu des prochaines années sera alors de trouver des consensus politiques entre les différentes collectivités malgré l’absence de coïncidence des calendriers électoraux afin de donner un sens à cette disparition des départements pour redéfinir l’action territoriale dans l’île.

Quels que soient les résultats des prochaines élections en décembre prochain, la Collectivité de Corse entrera en vigueur au 1er janvier 2018. Les nouveaux élus devront lancer les bases de la réussite de cette nouvelle collectivité qui sera attentivement suivie sur le continent. Néanmoins, si le débat de la suppression des départements revient de manière récurrente dans un contexte de recherche de mutualisation et que les possibilités constitutionnelles et législatives de les supprimer effectivement n’ont jamais été aussi grande, il y a un paradoxe à constater que la Corse sera le seul territoire de la France métropolitaine à fusionner les échelons régionaux et départementaux.

Existerait-il un fort décalage entre la volonté politique de supprimer les départements et l’attachement indéfectible des élus à la figure départementale?

Dominique VOLUT.jpg

Dominique VOLUT

Docteur en droit public



[1] Le décret n° 60-516 du 2 juin 1960 avait regroupé le département de la Corse dans la circonscription d’action régionale de Provence Alpes Côte d’Azur.

[2] Loi n° 75-356 du 15 mai 1975 portant réorganisation de la Corse, J.O.R.F du 16 mai 1975, p. 4947.

[3]  Loi n° 82-214 du 2 mars 1982 portant statut particulier de la région de Corse, J.O.R.F du 3 mars 1982, p. 748.

[4] Loi n° 85-97 du 25 janvier 1985 modifiant et complétant la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 et portant dispositions diverses relatives aux rapports entre l’Etat et les collectivités territoriales, J.O.R.F du 26 janvier 1985, p. 1088.

[5] Loi n° 91-428 du 13 mai 1991 portant statut particulier de la collectivité de Corse, J.O.R.F du 14 mai 1991, p. 6318.

[6] Décision n° 91-290 DC, rec. p. 50, J.O.R.F p. 635.

[7] Loi n° 2002-92 du 22 janvier 2002 relative à la Corse, J.O.R.F du 22 janvier 2002, p 1503.

[8] Décision n° 2001-454 DC, rec. p. 70, J.O.R.F p. 1526.

[9] Loi n° 2003-486 du 10 juin 2003 organisant une consultation des électeurs de Corse sur la modification de l’organisation institutionnelle de la Corse, J.O.R.F du 11 juin 2003, p. 9815.

[10] Délibération n° 14/207 AC de l'Assemblée de Corse prise au titre de l'article L. 4422-16 du code général des collectivités territoriales et portant proposition de réforme de l'organisation territoriale de la Corse, J.O.RF du 6 février 2015 p.1819.

[11] Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, J.O.RF du 8 août 2015 p. 13705.

[12] Ordonnances du 21 novembre 2016 n° 2016-1561 complétant et précisant les règles budgétaires, financières, fiscales et comptables applicables à la collectivité de Corse, n° 2016-1562 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse et n° 2016-1563 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures électorales applicables en Corse, J.O.R.F. du 22 novembre 2016.

[13] Loi n° 2017-289 du 7 mars 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-1561 du 21 novembre 2016 complétant et précisant les règles budgétaires, financières, fiscales et comptables applicables à la collectivité de Corse, n° 2016-1562 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse et n° 2016-1563 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures électorales applicables en Corse, J.O.R.F. du 8 mars 2017.

[14] Art. 4124-1 du C.G.C.T.

[15] Art. 4422-16 III du C.G.C.T.

[16] Délibération n° 14/207 AC de l'Assemblée de Corse prise au titre de l'article L. 4422-16 du code général des collectivités territoriales et portant proposition de réforme de l'organisation territoriale de la Corse, J.O.RF du 6 février 2015 p.1819.

[17] Ibidem.

[18] Ibidem.

[19] Art. 73 alinéa 7 de la Constitution : « La création par la loi d'une collectivité se substituant à un département et une région d'outre-mer ou l'institution d'une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités ne peut intervenir sans qu'ait été recueilli, selon les formes prévues au second alinéa de l'article 72-4, le consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités. »

[20] Op.Cit Délibération n° 14/207 AC de l'Assemblée de Corse.

[21] Ibidem.

[22] L’organisation institutionnelle de la Martinique est composée d’une Assemblée délibérante de 51 membres et d’un conseil exécutif de 9 membres comme l’actuelle CTC.

[23] Op.Cit Art. 30 de la loi NOTRe.

[24] Art. 2 de l’ordonnance  n° 2016-1562 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse.

[25] Ibidem art. 4.

[26] Ibidem art. 3.

[27] Ibidem art. 3.

[28] Ibidem art. 33.

[29] https://www.insee.fr/fr/statistiques/1285720 (dernière consultation le 1er septembre 2017).

[30] Op.Cit. Art. 11 de l’ordonnance  n° 2016-1562 du 21 novembre 2016.

[31] Ibidem art. 12.

[32] Ibidem art. 13.

[33] Ibidem art. 25.

[34] Ibidem art. 32.

[35] Ibidem art. 14.

[36] Ibidem art. 15, 16, 17 et 18.

[37] Ibidem art. 20.

[38] Ibidem art. 21.

[39] Ibidem art. 19 et 24.

[40] http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r4430.asp#P93_11223 (dernière consultation le 1er septembre 2017).

[41] Ministère de l’intérieur et des collectivités locales, Bulletin statistique n° 71 du 12 mars 2010.

[42] Art. L. 4421-3 du C.G.C.T.

[43] Op.Cit Art. 34 de l’ordonnance  n° 2016-1562 du 21 novembre 2016.

[44] Ibidem.