Ludwig Prigent Avocat aux conseils, Associé du cabinet Melka-Prigent-Drusch

Extrait de la Gazette n°49- juin 2022 - Propos recueillis par Juliette Kuentz et Chloé Mifsud

Ludwig PRIGENT

Avocat aux conseils, Associé du cabinet Melka-Prigent-Drusch

« La pluridisciplinarité de notre profession, qui nous amène à traiter de questions transver- sales est particulièrement intéressante, car elle nous permet d’alimenter nos dossiers par la jurisprudence de l’une ou l’autre des hautes juridictions, enrichissant ainsi le débat devant les juges »

Maître Prigent, pourriez-vous exposer à nos lecteurs quel a été votre parcours ?

J’ai choisi d’intégrer un Institut d'Études Politiques (IEP) en raison de la formation pluridisciplinaire proposée, et suivi la filière de préparation aux con- cours administratifs. J’y ai découvert le droit admi- nistratif et le contentieux administratif. A l’issue de cette formation, après avoir abandonné l’idée d’intégrer la fonction publique, j’ai finalement décidé de suivre un Master 2 en droit public des affaires afin de me spécialiser, dans l’optique de devenir avocat.

J'ai par la suite réalisé plusieurs stages dans des cabinets d’avocats à la cour, de tailles différentes, afin de pouvoir déterminer ce qui me convenait le plus. J’ai notamment effectué un stage au sein du cabinet Norton Rose Fulbright LLP durant lequel je suis majoritairement intervenu en conseil en droit public des affaires, dans le cadre de divers partenariats public- privé.

Après l’obtention de l’examen du Centre Régional de Formation Professionnelle des Avocats (CRFPA), je suis entré à l’Ecole de Formation des Barreaux du ressort de la Cour d’appel de Paris (EFB). J’ai pu réaliser mon stage PPI auprès d’un avocat aux conseils, et cela a été pour moi une révélation : j'y ai découvert la technique de cassation et ai eu l’opportunité de travailler sur des questions de droit très intéressantes et variées. J’ai immédiatement compris que je voulais faire du contentieux, cela me plaisait beaucoup plus que le conseil, et de la cassation, afin de traiter des dossiers sous leur aspect juridique, expurgés des questions factuelles.

J’ai également réalisé mon stage final chez un avocat aux conseils, après avoir négocié cette possibilité avec l’EFB. Après ce stage, j'ai été recruté en tant que collaborateur au sein de ce cabinet et sept ans plus tard, je me suis installé et j’ai créé mon cabinet avec mon associée Marie-Paule Melka.

Quelles ont été vos motivations pour intégrer l’IDPA ?

Après avoir obtenu le CRFPA, j’ai voulu continuer à suivre une formation en droit administratif. Or à mon époque, il n’y avait que très peu de droit administra- tif à l’EFB, et pas de parcours spécialisé à l’inverse de ce qui est proposé aujourd’hui.

C’est la raison pour laquelle je me suis inscrit à l’IDPA, dont la formation venait en renfort de celle proposée à l’EFB et me permettait de conserver l’étude du droit public dans mon parcours.

Le fonctionnement de la profession d’avocat aux conseils est assez méconnu : pouvez-vous nous parler du processus d’installation et, plus particulièrement, nous raconter comment cela s’est passé pour vous ?

La formation s’effectue à l’Institut de Formation et de Recherche des Avocats aux Conseils (IFRAC), en complément d’une collaboration chez un avocat aux conseils. Les cours, axés sur la pratique, sont dispen- sés de manière hebdomadaire et se déclinent autour de la cassation civile, administrative et pénale, ce qui implique une pluridisciplinarité et rend la formation d’autant plus enrichissante. A l’issue de ces trois an- nées, il y a des examens écrits d’admissibilité, con- sistant en la rédaction de trois jeux d’écritures en matière civile, pénale et administrative. Il y a ensuite des épreuves orales d’admission portant notamment sur la pratique professionnelle et une épreuve de plaidoirie qui se justifie par le développement de l’oralité devant les juridictions suprêmes, notamment les procédures de référés au Conseil d’Etat.

Après l’obtention du Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat aux Conseils (CAPAC), il est possible de s’associer dans un cabinet existant, puis, qu’il y a un nombre limité d’offices ou de postuler sur un office créé, ce que l’on appelle les « charges nues ». Ce système récent a pour objectif de faciliter l’installation de nouveaux avocats aux conseils : tous les deux ans, l’Autorité de la concurrence propose de créer de nouveaux offices dont le nombre est déterminé en fonction, notamment, du nombre d’avocats aux conseils en attente de nomination. S'ensuit un appel à candidatures, auquel nous avions postulé en binôme avec mon associée Maître Marie-Paule Melka.

Je pense que si l’on choisit de postuler sur un office créé, il faut avoir un minimum le goût de l’entrepreneuriat. En effet, vous ne partez de rien et tout est à construire : trouver des locaux, recruter une équipe, trouver des clients... Certains confrères préfèrent s’intégrer dans un cabinet déjà existant mais à titre personnel j’ai privilégié le système des charges nues car il m’a apporté la satisfaction de créer ma propre structure.

Y-a-t-il un événement marquant de votre carrière que vous souhaiteriez partager avec nos lecteurs ?

Un événement marquant de ma carrière a été la créa- tion du cabinet avec mon associée Marie-Paule Mel- ka. L’arrivée d’une troisième associée, Julie Drusch, qui nous a témoigné sa confiance en nous rejoignant, a également été un moment important de la vie du cabinet, qui nous a permis de nous développer.

Du point de vue des dossiers qui m’ont marqué, j’ai eu l’opportunité de porter plusieurs référés devant le Conseil d’Etat sur la question de la fermeture des frontières durant la crise de la Covid-19. Les requérants étaient séparés de leur famille ou de leur futur conjoint depuis de nombreux mois, et ce type de dossiers vous fait sentir particulièrement utile lorsqu’ils conduisent à débloquer des situations difficiles grâce à la célérité de la procédure devant le juge des référés du Conseil d’Etat.

Y’a-t-il des domaines du droit public prépondérants dans votre activité ?

Le contentieux de l'urbanisme constitue une part significative de mon activité. J’instruis également des dossiers en droit social, tant devant le Conseil d’Etat (salariés protégés, contentieux des PSE) que devant la chambre sociale de la Cour de cassation.

La pluridisciplinarité de notre profession, qui nous amène à traiter de questions transversales est particulièrement intéressante, car elle nous permet d’alimenter nos dossiers par la jurisprudence de l’une ou l’autre des hautes juridictions, enrichissant ainsi le débat devant les juges.

Pouvez-vous nous parler de l'évolution du contentieux administratif dans le cadre de la jurisprudence Elena (Conseil d’Etat, Section, 19 novembre 2021, Association des avocats ELENA France et autres, n° 437141) ? D’après vous, cette jurisprudence vise-t-elle à revaloriser le recours pour excès de pouvoir en contrebalançant le développement exponentiel des référés ?

Je n’opposerai pas recours pour excès de pouvoir et référés : le référé-suspension est nécessairement adossé à un recours pour excès de pouvoir et l’objet des référés est de régler des situations urgentes.

D’après moi, la jurisprudence Elena est avant tout pragmatique car elle permet d’assurer l’effet utile du recours, en évitant aux requérants de devoir saisir l'administration d’une demande d’abrogation pour ensuite contester l’éventuel refus d'abrogation devant le juge administratif. L’idée est que lorsqu’une décision est devenue illégale, on devrait pouvoir demander son abrogation devant le juge.

Pouvez-vous nous parler de l'évolution des cas d'ouverture de cassation ? A titre d'illustration, il semblerait qu’un usage abusif par le juge administratif de la faculté de recourir, par exemple, à une ordonnance de tri, puisse être soulevé comme moyen de cassation.

Ce contrôle de cassation a été inauguré par l'arrêt de section Finamur en 2018 (Conseil d’Etat, Section, 5 octobre 2018, SA Finamur, n° 412560). Les juges du fond disposent de différents outils pour gérer le flux contentieux (par exemple les ordonnances dites de « tri » ou la possibilité de constater des désistements d'office) dont l’usage est désormais contrôlé en cassation.

Si ce contrôle a d’abord concerné le recours aux ordonnances de tri, il a depuis été étendu aux désistements d'office : si le juge exige un mémoire récapitulatif qui n'avait pas lieu d'être et qu’il sanctionne par un désistement d'office la non-production de ce mémoire récapitulatif, il peut effectivement y avoir une cassation pour usage abusif de la faculté de recourir à cet outil procédural. Un autre exemple de l'usage abusif d’un outil procédural existe en matière d’asile : celui du contrôle sur l'usage de la faculté de ne pas renvoyer en formation collégiale (Conseil d’Etat, 3 juin 2020, Mme. B... A..., n° 421888). C'est toujours un peu la même idée : ce sont des outils procéduraux pour lesquels les juges disposent d’une grande marge de manœuvre dans leur application, pour autant leur usage n’est pas discrétionnaire. En cas d’abus, il peut y avoir une cassation, notamment parce que cela porte atteinte au droit de recours.

A titre personnel, il me semble que c'est une bonne chose car cela permet de trouver un point d’équilibre entre deux impératifs : d’un côté, il faut pouvoir gérer le flux des contentieux et il faut que les juridictions du fond aient des instruments adaptés et qu'elles puissent effectivement les utiliser et, de l’autre, il faut également qu’en cas de dérive de l'usage de ces outils, une sanction soit prononcée par le juge régulateur.

Avez-vous des conseils à donner aux futurs avocats pour la rédaction de leur mémoire au stade de l'appel dans la perspective d'un pourvoi en cassation ?

Mes conseils sont assez généraux et ne s'inscrivent pas nécessairement dans la perspective d’un pourvoi en cassation.

Je trouve que les mémoires les plus efficaces ne sont pas nécessairement les plus longs mais au contraire les mémoires concis, méthodiques, organisés desquels il ressort une certaine logique. Je pense qu’il est inutile de soulever un nombre très important de moyens lorsque vous disposez par ailleurs de moyens sérieux.

Il faut avoir en tête que les magistrats ont une très importante charge de travail et qu’il n’est pas de l’intérêt de votre client de les noyer dans des développements inutiles.

Quels seraient finalement les conseils que vous donneriez aux jeunes avocats qui envisageraient de préparer le CAPAC, et plus généralement aux futurs élèves et avocats publicistes qui sortent de l'école ?

De manière générale, je pense que même si vous n’en faites pas votre métier, il peut être intéressant de réaliser un stage au sein d’un cabinet d’avocats aux conseils. C'est une expérience qui peut être enrichissante tout comme d'ailleurs la réalisation d’un stage en juridiction administrative. Cela peut permettre aux futurs avocats à la cour de voir la réflexion qu’implique un dossier de cassation. S’agissant des stages en cabinets d’avocats aux conseils, c'est encore assez méconnu et je pense que c'est aussi notre rôle de faire la publicité de notre profession pour essayer d'attirer les étudiants en droit.

Pour ceux qui veulent se lancer dans la préparation du CAPAC, il ne faut pas qu'ils hésitent à collaborer auprès d’un avocat aux conseils, dès leur sortie de l’EFB. Ils seront amenés à assister à des audiences au Conseil d’État, à la Cour de cassation, au Conseil constitutionnel, ils apprendront à rédiger des mémoires, auront l’occasion de traiter de différents contentieux.

Bien sûr, le quotidien d’un collaborateur d’avocat aux conseils diffère de celui d’un avocat à la cour : il y a moins de contact avec le client dans notre profession et cela peut être un peu monacal par rapport au rythme qu’il peut y avoir chez les avocats à la cour. Néanmoins, si vous aimez le contentieux et la réflexion juridique, il ne faut pas hésiter à se lancer.

Ne pensez-vous pas que certaines personnes appréhendent de se lancer du fait de la difficulté du CAPAC et, après son obtention potentielle, de la difficulté pour s’installer ?

Je suis un peu un contre-exemple et il y en a d'autres ! Quand j'ai décidé de devenir avocat aux conseils, j’ai suivi la formation, ensuite j’ai eu le diplôme et puis très rapidement j’ai monté mon cabinet. Je n’ai pas rencontré de difficulté particulière.

L’Ordre - des Avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation - vous accompagne lors de votre installation (pour l’intégralité des démarches administratives et juridiques) et est disponible, ainsi que les Confrères, pour toute question ou tout difficulté. Personne n’est livré à soi-même.

De ce point de vue-là, je ne suis pas certain qu’il soit plus difficile de s’installer en tant qu’avocat aux conseils qu’en tant qu’avocat à la cour (je suis plutôt persuadé du contraire).