Laure NGUYEN, Avocate, Counsel chez HOGAN LOVELLS

Extrait de la Gazette n°44- Mars 2021 - Propos recueillis par Sandrine Lebel et Laetitia Domenech

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Laure NGUYEN

Avocate, Counsel chez Hogan Lovells

« il est important que les étudiants repoussent les limites de leurs connaissances en s’attachant à comprendre et connaître – au moins dans leurs grandes lignes – les matières « satellites » de droit privé qui gravitent autour de celles (de droit public) dont ils ont une parfaite connaissance. » 

Maître Nguyen, pourriez-vous exposer à nos lecteurs quel a été votre parcours ?

Au début de ma vie d’étudiante, je ne pensais pas que je deviendrai un jour avocate. Mue par une passion pour les langues et civilisations étrangères, j’ai tout d’abord étudié l’anglais et le japonais à l’université, par pur plaisir, avant d’entamer un cursus de droit à l’université de Paris I.

J’ai été immédiatement attirée par la matière et, plus particulièrement, par les enseignements de droit public qui étaient prodigués par des professeurs passionnés qui nous ouvraient, jour après jour, les portes d’un monde inconnu peuplé de grands arrêts de la jurisprudence dont j’ignorais, jusque-là, tant l’existence que l’importance.

Dans le cadre de mon DEA de droit public interne (à l’Université de Paris I), j’ai beaucoup apprécié la matière du contentieux administratif grâce aux enseignements prodigués par Daniel Labetoulle (alors Vice-Président de la section du contentieux du Conseil d’Etat), sous la direction duquel j’ai d’ailleurs eu la chance de pouvoir effectuer mon mémoire de troisième cycle.

J’ai poursuivi par un DEA de contentieux public/privé (à l’Université de Paris XIII) avant d’intégrer l’Ecole de Formation du Barreau de Paris et l’IDPA puis le cabinet Boivin & Associés au sein duquel j’ai pris plaisir à travailler pendant dix ans avant de rejoindre le cabinet Hogan Lovells dans lequel j’exerce actuellement.

Pourriez-vous nous présenter votre cabinet et vos fonctions en son sein ?

Le cabinet Hogan Lovells est un cabinet international d’environ 2500 avocats répartis sur les cinq continents. A Paris, le cabinet est composé de plus de 150 avocats. 

Il s’agit d’un cabinet dit « full service » en ce sens qu’il couvre tous les domaines du droit : droit de l’environnement, plus largement droit public, droit immobilier, droit des affaires, droit bancaire, droit des procédures collectives, droit de la propriété intellectuelle ou bien encore arbitrage international. 

Il permet ainsi aux clients (fonds d’investissement, industriels, banques, promoteurs …) de bénéficier d’une palette d’expertises variées et d’une gestion transversale des dossiers – qui s’avère particulièrement utile lors de transactions immobilières, de cessions d’entreprises ou bien encore de financements de projets industriels pour lesquelles les clients ont besoin de disposer d’une vision globale des risques tous domaines du droit confondus.

En ma qualité d’avocate counsel, je développe et gère, au sein du département immobilier, les dossiers dans lesquels une expertise en matière environnementale est requise. J’interviens souvent (en conseil ou en contentieux) dans des dossiers transversaux où s’entremêlent le droit de l’environnement et le droit de l’immobilier ou bien encore le droit de l’environnement et le droit de l’énergie. 

En dehors de mes heures au cabinet, j’ai le plaisir d’enseigner le droit de l’environnement industriel aux étudiants de l’IDPA.

Pourquoi avez-vous choisi d’intégrer l’IDPA ? 

J’ai choisi d’intégrer l’IDPA sur les conseils d’un élève-avocat rencontré au sein du Tribunal administratif de Paris, à l’occasion d’un de mes stages de troisième cycle. Il m’avait parlé de l’IDPA comme d’une formation très enrichissante (ce qu’elle a été pour moi) permettant à un petit nombre d’étudiants sélectionnés sur dossier de continuer à affiner leurs connaissances dans diverses matières de droit public au travers d’enseignements pratiques dispensés par des magistrats et avocats. 

C’est cette dimension pratique qui m’a séduite et qui, plus tard, m’a également donné envie d’enseigner le droit de l’environnement industriel au sein de ce même Institut, ce que j’ai pu faire grâce à Jean-Pierre Boivin puis Jean-Marc Peyrical.

Le recours à l’arbitrage se développe en droit de l’environnement industriel. Pourriez-vous expliquer à nos lecteurs, les avantages de recourir à ce mode alternatif de règlement des litiges ? 

Je dois tout d’abord vous avouer que si je n’exerçais pas au sein d’un cabinet anglo-saxon, j’aurais certainement trouvé la question surprenante car nous avons quasi instinctivement l’habitude en France d’associer le traitement des litiges (qu’ils soient environnementaux ou pas) au juge, là où cette association ne s’opère pas de façon aussi automatique dans d’autres pays. 

Rappelons que l’arbitrage est une alternative aux procédures juridictionnelles classiques, en ce qu’elle consiste, pour les personnes en litige, à faire appel non pas à un juge mais à une (ou plusieurs) tierce(s) personne(s) pour résoudre leur différend.

Il s’agit d’un mode alternatif de règlement des conflits qui est de plus en plus souvent usité dans le domaine de l’environnement (à l’occasion de différends contractuels portant sur des responsabilités en matière de pollution ou bien encore à l’occasion de l’exécution de contrats de fortage conclus en matière de carrières).

Le recours à l’arbitrage peut s’avérer intéressant, pour de multiples raisons. 

Tout d’abord, lorsqu’il est fait appel à l’arbitrage, c’est bien souvent par souci de célérité, pour éviter les délais souvent longs inhérents à un procès devant les juridictions (qu’elles soient administratives ou judiciaires). L’arbitrage apparaît, ce faisant, comme une sorte de palliatif à l’encombrement des juridictions. Ce mode alternatif de règlement des conflits rassure bien souvent les parties qui, au travers de l’arbitrage, s’assurent du déroulement rapide de la procédure, selon les termes convenues entre elles.

Ensuite, l’arbitrage présente l’avantage d’être un mode discret de règlement des différends. La confidentialité des échanges est de mise en la matière et il s’agit là d’un point très attractif pour de nombreuses entreprises qui souhaitent éviter que leur différend soit connu de tous et commenté « sur la place publique », au sortir des prétoires.

Enfin, lorsqu’il est fait appel à l’arbitrage, c’est bien souvent également à raison de la grande technicité du litige. Dans le cadre de la procédure d’arbitrage, les entités concernées par le différend procèdent à la désignation de leur(s) arbitre(s) en considération de cette technicité. Elles s’attachent à vérifier, au travers de leur domaine d’expertise et parcours professionnel, leur capacité à appréhender de la façon la plus complète possible le dossier dans toute sa complexité. Le recours à l’arbitrage présente, donc, sous cet angle encore, un caractère rassurant pour les parties qui savent la compétence et le profil précis de ceux en charge de la résolution de leur différend.

Si les avantages du recours à l’arbitrage sont nombreux, il est un fait que l’arbitrage n’est pas adapté à tous les types de situations, notamment pas aux différends dont les enjeux financiers sont relativement faibles. 

Le recours à l’arbitrage s’avère en effet coûteux compte-tenu des frais divers y associés (rétribution des arbitres, honoraires des conseils …), de sorte que ce mode alternatif de règlement des litiges ne doit pas être considéré comme la solution idéale à adopter dans tous les cas de figure. 

Dans le secteur de l’énergie au sens large (pétrole, mines, énergies renouvelables …), où les enjeux financiers sont généralement colossaux, il est recouru à l’arbitrage de façon très habituelle sinon systématique. 

Il est très probable que ce mode alternatif de règlement des litiges gagne à l’avenir du terrain en droit de l’environnement compte-tenu du caractère de plus en plus « global » des problématiques environnementales actuelles, de leur caractère à la fois complexe et technique (réchauffement climatique, pollutions de l’air, etc.) et des enjeux très importants y associés, au plan notamment financier et sanitaire.

Par une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) du 5 février 2021, le Conseil Constitutionnel a considéré que les atteintes négligeables à l’environnement étaient exclues du champ d’application du préjudice écologique inscrit à l’article 1247 du code civil. Pensez-vous que cette décision aura un impact sur le contentieux en la matière ? 

Avant de répondre à votre question, rappelons très brièvement les termes du débat pour le lecteur. 

Dans le cadre du pourvoi en cassation formé par plusieurs associations opposées au nucléaire contre un arrêt de la Cour d’appel de Toulouse (du 10 février 2020) qui avait refusé de reconnaître le préjudice desdites associations et, partant, la responsabilité d’EDF lors du dépassement au cours de l’année 2016, du seuil d’émission de radioactivité d’une centrale nucléaire dont elle assurait l’exploitation, la Cour de cassation a, en novembre 2020, accepté de transmettre au Conseil Constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur le point  de savoir si l’article 1247 du Code civil qui limite la définition du préjudice écologique à une « atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement » est ou non contraire aux articles 3 et 4 de la Charte de l’environnement, qui concernent respectivement la prévention par toute personne des atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement et la contribution par toute personne à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement.

Par sa décision du 5 février 2021, le Conseil Constitutionnel a considéré que l’article 1247 du Code civil était conforme à la Constitution, et a entériné l’exclusion d’une réparation des atteintes considérées comme négligeables à l’environnement. 

Pour le Conseil Constitutionnel, le législateur « n’a pas méconnu le principe selon lequel toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement » et que les dispositions contestées « n’ont ni pour objet ni pour effet de limiter la réparation qui peut être accordée aux personnes qui subissent un préjudice du fait d’une atteinte à l’environnement ».

Cette décision – qui, dans le contexte de l’actualité sur la pandémie – est passée pour l’heure relativement inaperçue aura à notre sens, bien évidemment, un impact sur le contentieux. 

Elle obligera au premier chef les associations (et plus largement toutes les personnes ayant qualité à agir au titre de l’article 1248 du Code civil) qui souhaiteraient engager la responsabilité de sociétés qu’elles considéraient comme responsables d’atteintes à l’environnement, à opérer une analyse approfondie du niveau de gravité des dommages dont elles entendent se prévaloir, puisqu’en cas d’atteinte seulement négligeable à l’environnement, la reconnaissance du préjudice écologique sur le fondement de l’article 1247 du Code civil ne s’avèrerait pas possible. 

Cette décision ne va sans-doute non plus pas manquer de soulever des questions contentieuses autour des critères (non définis par la loi) à l’aune desquelles dont il convient d’appréhender en pratique ce qu’est une atteinte non négligeable par rapport à une atteinte négligeable « aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ». Affaire à suivre, donc.

Quel regard portez-vous sur la place des femmes en cabinets d’avocats ?

J’ai la chance de travailler au sein d’un cabinet d’avocat qui s’attache à préserver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée de ses membres. C’est certainement une des raisons qui explique le nombre important de femmes au sein du cabinet.

Il n’en demeure pas moins que le métier d’avocats n’est pas de tout repos pour une femme, surtout lorsqu’elle est mère de famille. 

Il me parait donc important à veiller à maintenir (ce que nous faisons au sein du cabinet Hogan Lovells) une réflexion continue sur la place des femmes qui ne soit pas que théorique, mais qui passe aussi par des actions concrètes visant, par exemple, à instaurer une souplesse dans les modes de travail. Cette souplesse existe, de fait, aujourd’hui dans nombre de cabinets d’avocats, dans le contexte de pandémie, mais qu’en sera-t-il après ? L’avenir nous le dira.

Quels conseils dispenseriez-vous aux nouveaux élèves de l’IDPA ?

Il est important, à mon sens, que les élèves de l’IDPA soient curieux de tout car la curiosité n’est pas un vilain défaut en droit.

Cette curiosité doit, bien évidemment, passer par l’analyse en continu des évolutions législatives, réglementaires ainsi que jurisprudentielles intervenues en droit public. 

Par ailleurs, dans la mesure où nombre de dossiers confiés par les clients font de plus en plus souvent appel à une compétence transversale en droit public et privé, il est important, à mon sens, que les étudiants repoussent les limites de leurs connaissances en s’attachant à comprendre et connaître – au moins dans leurs grandes lignes – les matières « satellites » de droit privé qui gravitent autour de celles (de droit public) dont ils ont une parfaite connaissance. 

Ainsi convient-il, par exemple pour un élève de l’IDPA qui entend se spécialiser en droit de l’environnement, de disposer d’un socle de compétences minimales en droit de l’immobilier mais également en droit des affaires (l’inverse étant tout aussi vrai).