Ségolène RIETSCH, responsable juridique, droit public, chez RES

Extrait de la Gazette n°43- Décembre 2020 - Propos recueillis par Sandrine Lebel et Haroon Malik

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Ségolène RIETSCH

Responsable juridique, droit public, chez RES

« Je conseille aux élèves-avocats de ne pas hésiter à se diversifier et d’aller tenter des expériences en entreprise, en cabinet, dans différents types de cabinet d’avocats »

Madame, pourriez-vous exposer votre parcours à nos lecteurs ?

Après un cursus général en droit, je me suis spécialisée en droit public à compter de la maitrise (équivalent du M1) à Toulouse. J’ai ensuite eu la chance d’entrer à Paris 1 la Sorbonne en DESS (équivalent du M2) droit public économique dirigé par Mme le Professeure Bréchon-Moulenes. Désirant approfondir certaines thématiques découvertes dans ce DESS, j’ai suivi les enseignements d’un second DESS en contentieux de droit public dirigé par M. le Professeur Laurent Richer. Lors de ce DESS, j’ai pu me confronter à des problématiques diverses en matière de contentieux et bénéficier d’enseignements de très grande qualité orientés vers une professionnalisation accélérée.

Les débouchés classiques de ce DESS étaient soit la magistrature soit l’avocature. J’ai choisi la seconde voie et ai passé l’examen d’entrée à l’école d’avocats.

Le fait d’avoir deux diplômes me permettait également de postuler à l’IDPA, une fois l’entrée à l’école validée. Je reviendrai plus tard sur le choix de l’IDPA.

J’ai effectué mon stage au sein du cabinet Huglo Lepage. Alors que je souhaitais m’orienter vers les contrats publics lors de ce stage, j’ai découvert au hasard des affectations de stagiaires, le droit de l’environnement industriel et plus particulièrement des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Lors de précédents stages, j’avais traité de nombreuses questions ayant trait au droit de l’urbanisme et il semblait logique de poursuivre ma formation dans le domaine plus large du droit de l’environnement.

Après une année studieuse mêlant cours matin et soir et stage en cabinet la journée, j’ai obtenu mon diplôme d’avocats fin 2005. Pourtant, je n’ai pas choisi d’exercer immédiatement la profession. En effet, j’ai eu l’opportunité d’être contactée pour un poste de juriste projets à la RATP. Cette offre pouvait difficilement être refusée au vu de la richesse du poste proposé tant dans la diversité des missions que des domaines juridiques traités. J’ai ainsi exercé pendant près de 5 ans en tant que juriste projets au sein du pôle « Projets et contrats / construction maintenance » du département juridique de la RATP. Mon expérience en ICPE et sites et sols pollués a pu ainsi être mise à profit dans le traitement des questions relatives aux terrains pollués sur lesquels la RATP implantait les nouveaux projets de métros, tramway ou bâtiments servant à la maintenance.

J’ai traité de problématiques diverses liées aux projets d’extension de lignes de métro et de tramway telles que l’application concrète de la loi sur l’eau, le traitement des terres excavées polluées, le déroulement des enquêtes publiques, l’audit des études d’impact, les autorisations d’urbanisme et les contrats liés à la conception et la construction de ces projets. A titre d’exemple, j’étais complètement intégrée à l’équipe projet du prolongement au nord de la ligne 12 et gérais les dossiers divers liés à ce projet (expulsion d’occupant sans titre du domaine public, référés «préventifs » avant travaux, aide à la demande d’autorisations, passation des marchés de travaux, suivi de l’exécution de ces marchés...).

Forte de cette expérience enrichissante, j’ai souhaité approfondir mes connaissances en montages contractuels complexes et j’ai alors intégré le cabinet Carlara, au sein duquel j’ai pu participer à l’élaboration de plusieurs contrats de partenariat notamment. J’ai participé au côté de Jérôme Grand d’Esnon à des projets de contrats de partenariat plus particulièrement dans le domaine de l’éclairage public ou des centres aquatiques. J’ai retrouvé le plaisir de travailler e équipe pluridisciplinaire lors de l’élaboration de ces contrats et pendant les phases de dialogue avec les candidats car le plus souvent notre cabinet répondait en groupement avec un cabinet compétent en matière de montage financier et un expert technique. La différence avec le travail en entreprise tient à la diversité des types de clients (entreprises privées, collectivités locales, ministères, bureau d’études…) et je suis passée du côté « obscur » des appels d’offres en apprenant à y répondre.

Après près de deux ans très enrichissants, j’ai décidé de quitter Paris. J’ai ainsi rejoint le cabinet Charrel et associés à Montpellier au sein duquel j’ai retrouvé des problématiques liées au développement de projets d’infrastructures tels que des lignes de tramway ou de BHNS. Dans le cadre de ces projets, j’ai été amenée à traiter les questions relatives aux réformes de l’étude d’impact et de l’enquête publique issues du Grenelle de l’environnement. Je traitais également des problématiques liées à la commande publique et j’ai dispensé des formations sur les nouvelles directives 2014 ainsi que sur la loi Alur.

Après 5 ans en cabinet d’avocats, j’ai désiré revenir en entreprise afin de pouvoir approfondir les relations avec les équipes et être au cœur des problématiques sans être saisie au « compte-gouttes ».et ai donc intégré RES pour participer au projet de St Brieuc.

Pourquoi avez-vous choisi d’intégrer l’IDPA ?

J’ai choisi d’intégrer l’IDPA principalement pour poursuivre ma formation en droit public au sein de l’école du barreau. Il faut se remémorer qu’en 2005, l’école du barreau était très orientée droit privé et que le droit public était vraiment minoritaire en son sein. L’IDPA permettait donc de poursuivre sa formation et professionnalisation en droit public des affaires en bénéficiant des enseignements de magistrats, avocats et juristes reconnus et très compétents. Même le contentieux fiscal est devenu « sexy » et très intéressant au cours de cette année.

Pourriez-vous nous présenter l’activité de la société RES et vos missions en tant que responsable juridique ?

Depuis janvier 2015, je suis de nouveau juriste d’entreprise au sein de la société RES qui développe des projets d’énergies renouvelables. Je traite des questions de droit public de manière générale pour le compte de RES.

RES (Renewable Energy Systems) est l'un des leaders mondiaux dans le domaine du développement de projets d’énergies renouvelables avec des opérations à travers l’Europe, l’Amérique et en Asie-Pacifique. Acteur majeur dans ce domaine depuis plus de trois décennies, RES est à l’origine de plus de 18 GW de capacité d’énergie renouvelable installée.

En France, RES est un acteur de premier plan dans le développement des énergies renouvelables depuis 1999. La société est née de l’association d’Eole Technologie, un bureau d’études français actif dans le secteur éolien depuis 1995, et de Renewable Energy Systems (RES), l’un des leaders mondiaux dans le domaine des énergies renouvelables depuis 1982. D'après l'Observatoire de l'éolien (édition 2019), RES est le 3ème acteur indépendant sur le marché français de l'éolien, en termes de puissance exploitée en direct et pour compte de tiers.

RES est spécialisée dans la conception, le développement, le financement, la construction et l’exploitation de centrales de production d’énergies solaire et éolienne. La société est aujourd’hui à l’origine de plus de 890 MW de parcs éoliens terrestres et de centrales solaires au sol installés ou en cours de construction. Ces parcs totalisent une production annuelle de plus de 2 térawattheures, capable d’alimenter en électricité près de 967 000 personnes et permettent d’économiser l’émission de plus de 979 000 tonnes de CO2 dans l’atmosphère chaque année.

Depuis 2011, RES a co-développé, au sein de la société Ailes Marines, le parc éolien en mer de Saint-Brieuc (Côtes d’Armor) de 496 MW. En avril 2017, Ailes Marines a obtenu les trois autorisations administratives nécessaires à la construction et à l’exploitation du parc éolien en mer.

Aujourd’hui, RES détient un portefeuille de plus de 2500 MW éoliens et solaires en développement sur le territoire français.

Au sein de RES, ma mission a consisté en majorité pendant 5 ans au support juridique au projet de parc éolien en mer de Saint-Brieuc que RES a développé en partenariat avec Iberdrola et la Caisse des dépôts et consignations (projet à 2,5 milliards d’euros). A cet effet, j’ai assisté les opérationnels tout au long de l’instruction des demandes d’autorisations et de leur contentieux ainsi que lors de la négociation des contrats de droit français, au sein d’une équipe pluridisciplinaire et de différentes cultures et langues, répartie dans différents pays.

J’ai ainsi pu assister aux discussions suite à la loi Essoc du 10 août 2018 sur le contexte éolien offshore en France.

Le reste de mon temps lors de ces 5 années était consacré à l’assistance juridique des équipes développement de RES tant en solaire qu’en éolien onshore/terrestre et à la mise en place de formations à destination des équipes techniques.

Depuis 2017, j’ai évolué vers des fonctions de management en devenant en parallèle responsable d’une petite équipe de 2 juristes de droit public.

Mon rôle en tant que responsable juridique est de poursuivre mon activité de soutien aux équipes de développement et à la direction, tout en aidant les juristes avec qui je collabore à prendre leurs marques dans le domaine des énergies renouvelables qu’elles ont découvert en intégrant RES et de les aider à progresser.

L’équipe droit public apporte ainsi soutien et assistance aux différentes directions de l’entreprise, dans divers domaines du droit public, comme les thématiques liées aux problématiques tarifaires (appel d’offres, contrat d’achat et contrat de complément de rémunération, aides d’état) ou de domanialité, ou encore de contrats publics et de relation avec les personnes publiques au-delà du simple « permitting » et gestion des contentieux.

RES développe des projets de construction éoliens ou photovoltaïques dans plusieurs pays, le cadre législatif et réglementaire français rend-t-il plus compliqué le développement de ces projets sur notre territoire ?

Il est vrai qu’en Australie, au UK ou aux USA, les projets sont développés plus rapidement. Ceci est aussi dus en grande partie au fait qu’il y a moins de contraintes environnementales du fait d’espaces plus grands. Mais il est vrai qu’on note moins de recours dans ces pays.

D’ailleurs, RES France est la seule filiale du groupe à avoir des juristes dédiées au « permitting » et à son contentieux. Le cadre réglementaire français est effectivement générateur de fortes contraintes notamment en termes de multiplicité des contraintes à surmonter (paysage, patrimoine, biodiversité, zone d’exclusion armée, aviation civile ou radar météo France…). Et une fois l’autorisation obtenue, il faut encore passer le filtre contentieux, les projets éoliens étant contestés à hauteur d’un taux de 90%.

En 2019, l’énergie solaire photovoltaïque a fourni 2,2 % de la production d'électricité en France. Le pays s’est engagé, via la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, à atteindre la part de 33% d’énergies renouvelables dans sa consommation brute en 2030. Le Gouvernement souhaite multiplier par 5 la puissance du parc français d’ici 2028. Pensez-vous que cet objectif soit atteignable ?

Cet objectif très ambitieux est atteignable si on arrive à sortir des projets. Selon nos experts internes, il n’y a pas de contraintes ni techniques ni financières mais il faut que la réglementation française et les juridictions permettent de réaliser les 1.5 GW/an. En effet, une des grandes difficultés des projets relatifs aux énergies renouvelables et plus particulièrement des projets éoliens, est leur taux de recours qui avoisine 90% malgré les démarches volontaires de concertation locale que les développeurs de projets mettent en œuvre.

Quels conseils donneriez-vous aux élève-avocats publicistes ?

N’hésitez pas à vous diversifier et aller tenter des expériences en entreprise, en cabinet, dans différents types de cabinet d’avocats. Et restez humbles. Les juristes d’entreprises ou dans collectivités regorgent de perles de finesse et de technicité. La plupart, dans certains domaines très techniques, maîtrisent mieux que vous les sujets. Faites-en une force pour continuer à apprendre. Je conseillerai aussi d’apprendre auprès des experts techniques, le droit se fonde sur des éléments techniques qu’il faut appréhender et essayer de comprendre.

Faire de la veille et réfléchir par soi-même. Allez lire les arrêts et les textes avant d’en lire les commentaires si le temps le permet. Tenter de remettre sans arrêt en cause ses acquis, quitte à douter.

Pour certains avocats, le doute est un aveu de faiblesse mais pour moi il reste essentiel dans un monde juridique en perpétuelle évolution et permet de garantir une certaine agilité.

Diversifiez-vous en créant des liens avec des avocats, des juristes ou des conseils d’autres domaines afin de pouvoir proposer des offres complètes de conseil et d’ouvrir vos perspectives et vos manières de réfléchir.