Maître Yvonnick LEFUSTEC, Seban & Associés

Extrait de la Gazette n°37 - Avril 2019 - Propos recueillis par Anaïs Gauthier, Julie Paladian et Mégane Rioux

YLF Itw 3.jpg

Yvonnick LE FUSTEC

Avocat à la cour, Seban & Associés

Maître LE FUSTEC, pourriez-vous exposer à nos lecteurs quel a été votre parcours ?

J’ai effectué un Master 1 en Droit public général puis le Master 2 Contrats publics et partenariats à l’Université de droit de Montpellier I. En complément de ma formation initiale, j’ai également intégré le Magistère de droit public des affaires dirigé notamment par le professeur Guylain CLAMOUR.

Ce magistère, dont la formation se déroule sur trois ans (L3, M1, M2), a un enseignement dont le format est comparable à celui de l’IDPA en ce qu’il permet l’intervention de nombreux professionnels du droit (avocats, magistrats, juristes, professeurs de droit) et la réalisation de travaux de groupe très formateurs.

Ensuite, à ma sortie de Master 2, j’ai obtenu le CRFPA mais je ne suis pas directement rentré à l’école d’avocats. J’ai effectivement préféré pratiquer le métier de juriste dans les appels d’offres au sein d’un établissement public du Ministère de la défense, l’Economat des armées, centrale d’achat qui gère essentiellement la logistique des camps militaires en France et à l’étranger.

Après un an et demi au sein de cet établissement, j’ai souhaité découvrir le métier d’avocats et notamment l’aspect contentieux. J’ai donc rejoint en 2015 l’école d’avocats et l’IDPA, dont j’avais eu de très bons échos.

J’ai particulièrement apprécié la formation de qualité de l’IDPA qui permet d’assimiler la vie d’un avocat et d’un juriste mais aussi d’intégrer un réseau fort de nombreux alumni.

A la suite du CAPA et d’une première expérience d’avocat au sein d’un cabinet de droit public, j’ai rejoint en  décembre 2017 le cabinet Seban & Associés et plus spécifiquement l’équipe de Maître Thomas ROUVEYRAN, associé du cabinet.

Pourriez-vous nous présenter le cabinet Seban & Associés et vos fonctions en son sein ?

Le cabinet Seban & Associés a la spécificité de s’adresser à l’ensemble des acteurs publics et de l’économie sociale et solidaire et, de par son approche pluridisciplinaire et ses soixante-quinze avocats répartis en plusieurs pôles, d’être en mesure de répondre à toutes les préoccupations des collectivités territoriales et autres nombreux acteurs publics, auxquels il est totalement dédié.

Ainsi, le pôle contrat public, dans lequel je travaille, est lui-même composé de quatre équipes dont chacune est dirigée par un associé. Il s’agit tout d’abord de l’équipe de Maître Marie-Hélène PACHEN-LEFÈVRE qui traite de problématiques relatives notamment à l’énergie et aux communications électroniques. Ensuite, de celle dirigée par Maître Thomas ROUVEYRAN qui est plus spécifique aux marchés publics, à la création de centrales d’achats et de groupements de commande ainsi qu’aux montages sociétaires (SPL, SEM, SEMOP…). Il y a également l’équipe de Maître Guillaume GAUCH dont l’activité porte sur les délégations de service public et aux contrats de concession. Enfin, l’équipe de Maître Alexandre VANDEPOORTER s’occupe des partenariats public/privé, des référés précontractuels et des questions de domanialité.

Les autres pôles du cabinet sont dédiées à tous les autres domaines du droit public (fonction publique, urbanisme, etc.) ainsi qu’au droit pénal et au droit privé (droit social et droit des affaires). Par ailleurs, le cabinet Seban & Associés – et plus spécifiquement Maître Corinne HERRMANN et Maître Didier SEBAN –, accompagne les familles de victimes (personnes assassinées ou disparues) pour faire entendre leur voix afin que les enquêtes soient reprises et les dossiers réexaminés.

Le cabinet Seban & Associés a une autre particularité qui tient à son implantation au-delà de Paris, notamment à Lyon, Toulouse et Nantes, ce qui permet d’être au plus proche des acteurs publics.

Enfin, en ce qui me concerne et, plus généralement, s’agissant de la place des collaborateurs, le cabinet Seban & Associés nous permet de nous investir dans toutes les étapes de la vie des dossiers que nous sommes amenés à traiter aux côtés de nos associés respectifs, ce qui va de la préparation du devis à la réalisation de l’étude ou des écritures contentieuses jusqu’à la préparation de la facturation. De plus, et c’est particulièrement valorisant, nous sommes encouragés à rédiger des articles qui sont publiés dans des revues juridiques ainsi qu’à intervenir dans des formations.

Quelles étaient vos motivations pour intégrer l’IDPA ?

J’ai souhaité intégrer l’IDPA pour deux raisons. La première réside dans le complément de formation qu’offre l’Institut et la deuxième dans son réseau.

S’agissant de la formation au sein de l’IDPA, celle-ci s’est révélée fidèle à l’idée que j’en avais. Les interventions des différents professionnels m’ont permis de compléter ma formation en droit public.

Quant au réseau de l’IDPA, celui-ci m’a permis de découvrir le milieu des avocats parisiens. En effet, venant de Montpellier, je ne connaissais pas vraiment les cabinets parisiens de telle sorte que les différentes formations ainsi que les soirées organisées par l’Institut ont été un réel atout pour découvrir de nombreux cabinets de droit public présents sur la place parisienne ainsi que plusieurs avocats y travaillant.

Vous avez écrit dernièrement un article relatif à la dématérialisation des marchés publics et êtes intervenus lors d’une formation relative aux conflits d’intérêts dans la commande publique, pourriez-vous nous en dire plus ?

La dématérialisation, envisagée au stade des procédures de passation des contrats publics, n’est pas nouvelle mais est devenue une obligation pour les pouvoirs adjudicateurs, et c’est une très bonne chose. D’abord, cette obligation est évidemment bénéfique d’un point de vue écologique. Ensuite, cela facilite le traçage et l’archivage des procédures. En revanche, certaines collectivités doivent adapter leurs pratiques et s’approprier les outils nécessaires à ces nouvelles modalités de dématérialisation.

S’agissant de la formation sur les conflits d’intérêt, celle-ci était dispensée au sein du cabinet auprès d’agents de collectivités territoriales et se voulait donc pratique via des exposés de cas issus de la jurisprudence et permettant de mieux appréhender les situations de conflits d’intérêts dans la commande publique. A ce titre, on remarque généralement que les situations qui sont sanctionnées par le juge trouvent leur origine non pas dans une volonté de ne pas respecter les règles de la commande publique mais plus souvent dans une méconnaissance de ces règles.

Ainsi, la lutte contre les conflits d’intérêts – non pas que dans la commande publique –, est un sujet qui intéresse évidemment nos concitoyens au vu des situations qui ont pu être révélées par les médias et qui méritent donc de développer la formation des agents publics et des élus. Ce dont on se rend compte, c’est que certains agents ne se posent pas toujours la question de savoir s’ils sont ou non en conflit d’intérêt. Je n’ai d’ailleurs pas le souvenir d’avoir eu une intervention, notamment à l’université, qui ait été spécifique au conflit d’intérêts et plus particulièrement aux manières de s’en prémunir. Et, si un grand nombre de collectivité s’est déjà engagé dans cette voie, avec par exemple des chartes éthiques, un travail de formation continue reste parfois nécessaire afin de permettre aux agents et aux élus de disposer d’outils leur permettant de prévenir ou de faire cesser une situation de conflit d’intérêts.

C’est un sujet d’avenir car la société va réclamer de plus en plus de transparence, et ce, tant auprès des personnes publiques, du gouvernement, que des personnes privées.

Pourriez-vous nous parler de l’apport de l’ouverture des données et du sourcing dans les contrats publics ?

Sur l’ouverture des données essentielles des contrats de la commande publique, son développement est positif en ce qu’il devrait permettre, d’une part, de diminuer le nombre de contentieux liés à l’accès aux contrats de la commande publique (saisine préalable de la CADA et recours devant le juge administratif) et, d’autre part, d’encourager les entreprises à développer leur activité en ayant une meilleure connaissance des besoins des acteurs publics et, partant, en répondant à des consultations pour leurs contrats publics.

Mais il est vrai que certaines collectivités vont devoir mettre en œuvre de nouveaux process. En effet, si de nombreuses collectivités ont depuis longtemps développé des sites internet sur lesquels elle publient des informations relatives à leurs contrats, il reste que, pour parvenir pleinement à la transparence voulue par cette réforme, certains acteurs publics devront faire évoluer leurs pratiques afin de donner un accès plus large à ces informations au profit des opérateurs économiques et de leurs administrés.  

Par contre, si la dématérialisation encourage à plus de transparence, la question reste entière de la sanction du non-respect de cette obligation que le juge administratif mettra en œuvre dès lors qu’aucune n’a été prévue par les textes. En outre, aura-t-on l’obligation – en cas d’absence de publication des données essentielles des contrats sur le profil d’acheteur –, d’engager un recours préalable devant la CADA au motif qu’il s’agit de solliciter des informations issues de documents administratifs ou pourra-t-on aller directement devant le juge pour les obtenir? C’est une question qui se pose.

Quant au « sourcing » ou « sourçage », c’est une pratique ancienne pour beaucoup de pouvoirs adjudicateurs, mais la nouveauté réside dans son encadrement par les textes. C’est très intéressant de voir que de plus en plus de collectivités s’y intéressent. Il s’agit d’un excellent moyen d’optimiser les dépenses publiques et de faire émerger des projets très intéressants, en faisant notamment appel à l’économie circulaire. Je pense par exemple au domaine de la restauration collective, pour lequel le sourcing a eu un impact conséquent et positif pour certaines collectivités. Attention cependant, cet outil est certes bénéfique mais son utilisation peut s’avérer périlleuse car en sollicitant un nombre réduit d’opérateurs économiques dans le cadre d’un sourcing, un pouvoir adjudicateur peut leur dévoiler des informations sensibles. Afin d’éviter une rupture de l’égalité de traitement, il convient donc de communiquer ensuite ces mêmes informations à la totalité des soumissionnaires dans le cadre d’une consultation qui ferait suite à ce sourcing. Cet outil va donc être à l’origine de nouvelles pratiques mais aussi d’un contentieux devant le juge, ce qui va nous donner du travail.

Avec la dématérialisation et l’open data se pose aussi la question de la protection des données personnelles. Il s’agit d’une préoccupation finalement assez récente chez les publicistes. Nous devons donc nous approprier ce pan du droit qui a récemment évolué. Le cabinet Seban & Associé a d’ailleurs développé une équipe dédiée à ces questions. Je pense que tout avocat, tout juriste, devrait un minimum se poser la question de ce qu’implique le RGPD, car tous les domaines juridiques sont impactés.

Comment envisagez-vous l’évolution de la profession d’avocat en droit public ?

Je suis optimiste sur l’évolution de la profession d’avocat en droit public. Certes, le marché des avocats en droit public des affaires a été ouvert à la concurrence et cela a pu avoir comme effet pervers de voir certains cabinets ne pas hésiter à pratiquer des prix prédateurs voire anormalement bas. Il y a même eu des recours juridictionnels sur ce point. Il est certain que les cabinets doivent s’adapter aux moyens de leur clientèle, mais il ne faut pas oublier que le fonctionnement d’un cabinet a un coût.

Cependant, une évolution récente a permis la passation de certains marchés publics d’avocat sans mise en concurrence, ceux portant sur l’accompagnement de pouvoirs adjudicateurs en matière de contentieux et de précontentieux. Certaines collectivités ont également changé leur manière de procéder en prévoyant des critères de jugement des offres plus réalistes et non plus axés essentiellement sur le prix.

Il y a également de quoi être optimiste au regard de l’évolution de notre droit public. Le droit des contrats publics est d’ailleurs un bon exemple, lequel a connu, en à peine dix ans, des évolutions très importantes en ce qui concerne tant les règles relatives à leur passation – avec entre autres, une ouverture à la négociation –, que celles attachées aux recours juridictionnels pouvant être intentés à l’encontre de la passation de ces contrats et surtout à l’encontre de leur validité avec les nouvelles conditions posées par la décision Tarn-et-Garonne. Il est même un pan des contrats publics qui a connu un réel bouleversement, celui des marchés publics de défense qui sont désormais soumis à de vraies obligations de mise en concurrence depuis une dizaine d’années. A ce titre, il est intéressant de voir que cette évolution ne provient pas d’une volonté européenne d’imposer à tout prix plus de concurrence mais, en réalité, de développer des conditions permettant de sauvegarder notre industrie européenne de défense à la suite de la fin de la guerre froide. Au-delà de cet exemple, notre droit public évolue en fonction, notamment, des attentes de notre société. Nos règles de mise en concurrence sont issues de ces attentes. Toutefois, des changements sont parfois forts surprenants et assez délicats. C’est le cas de la décision rendue par le Conseil d’Etat au sujet des conditions de création des sociétés publiques locales et des sociétés d’économie mixte qui a créé une vraie onde de choc et devrait, on l’espère, conduire le législateur à s’emparer de cette question afin d’apporter la sécurité juridique dont les collectivités territoriales ont aujourd’hui besoin en la matière.

En bref, notre droit public change et se transforme. Et, si on vit le droit comme un épanouissement personnel, intellectuel, c’est passionnant. On fait régulièrement face à de nouvelles questions. C’est aussi en cela qu’il faut être optimiste. Nous avons sans cesse du travail et devons, même sur des choses anodines, sans cesse nous réapproprier de nouvelles données, de nouvelles règles juridiques, de nouveaux termes. Les règles relatives aux modifications des contrats ont par exemple beaucoup évolué. Avant, pour modifier un marché public, on pouvait faire un avenant si cela ne bouleversait pas l’économie du marché et ne modifiait pas son objet. Une jurisprudence s’était développée pour préciser ces règles. Depuis la réforme des textes de la commande publique, nous faisons face à un régime différent et des notions qu’il conviendra de préciser, comme celle de la nature globale du contrat. Cela est très stimulant professionnellement.

Quels conseils dispenseriez-vous aux nouveaux élèves de l’IDPA ?

Le premier serait de profiter de ce qu’apporte l’IDPA en matière de travaux de groupe mais aussi de réseau grâce notamment aux divers évènements organisés dans le cadre de l’IDPA qui permettent de rencontrer des personnes susceptibles de vous donner des clés sur la profession d’avocat ou de juriste, sur votre avenir. C’est très enrichissant. Il est également utile de s’investir dans la vie de l’IDPA, d’abord au sein de sa promotion. Les promotions IDPA sont souvent bien construites, avec des personnalités différentes et intéressantes ce qui permet d’apprendre des autres, de leurs parcours et de leurs aspirations. C’est aussi profiter de l’expérience professionnelle des intervenants. Enfin, il peut être bénéfique de s’investir dans l’association car cela permet de participer au rayonnement de l’IDPA et de travailler avec d’autres personnes sur des projets autres qu’universitaires.

Le deuxième conseil que je peux donner c’est de rester ouvert d’esprit. Le droit public recouvre des domaines très vastes et divers. Il y a de plus en plus d’intérêt à être polyvalent, du moins à s’intéresser à d’autres domaines. Cela peut d’ailleurs vous amener à découvrir une nouvelle matière autre que celle sur laquelle vous avez pu vous spécialiser pendant le Master 2 et avoir envie de vous y former.

Le troisième conseil serait de bien choisir son cabinet. Beaucoup de jeunes avocats arrêtent la profession, notamment parce qu’ils ont eu une première expérience qui s’est mal passée.

A cet égard, il est essentiel de toujours se dire qu’il n’y a pas que la profession d’avocat à la sortie de l’EFB et de l’IDPA. Le métier de juriste peut être particulièrement épanouissant et il faut arrêter de penser cette profession comme inférieure à celle d’avocat. Il y a d’ailleurs des postes d’avocat collaborateur qui ne sont pas enviables. Il faut aussi être conscient que tout le monde n’est pas fait pour être avocat, tout le monde n’a pas forcément la fibre. C’est un métier à part entière, un métier où l’on est censé maîtriser au maximum la technique juridique, un avocat étant en quelque sorte un technicien. Un juriste aura également un bagage juridique conséquent mais son métier ne reposera pas sur la même manière de travailler, notamment avec les opérationnels.

A la différence d’un avocat, un juriste est au quotidien dans la vie de l’entreprise et, de ce fait, est amené à traiter de problématiques diverses et variées. Mais il reste que les questions juridiques très techniques sont régulièrement soumises à l’avocat, lequel devra chercher des solutions et, à cet effet, pourra être amené à développer et approfondir des théories pour trouver une issue favorable pour son client ou du moins sécurisante. Ainsi, à la différence d’un avocat qui est le plus souvent derrière son bureau, un juriste est à l’appui de nouveaux projets, plus ou moins complexes, aux côtés des opérationnels et se doit donc d’être un vrai pédagogue. En bref, il est impératif de se poser les bonnes questions sur ce que l’on souhaite faire en tant que professionnel du droit afin de pouvoir s’épanouir.

Il est donc primordial de bien choisir le métier qui nous correspond et, surtout, l’entreprise ou le cabinet qui est en phase avec nos attentes et de perdre le moins de temps possible. Cela nécessite de savoir où l’on va et où l’on veut aller, de définir ses priorités. La structure que vous choisirez doit être concordante avec vos priorités. Par ailleurs, il ne faudra pas non plus vous “brader” en sortant de l’école, vous avez la chance d’avoir fait l’IDPA, c’est un plus. Il faut, là aussi, savoir utiliser le réseau de l’IDPA, d’abord pour vous renseigner sur le marché, mais également pour avoir les retours sur les cabinets visés et savoir si le ou les cabinets qui vous attirent sont conformes à vos aspirations. Il importe également de faire attention lorsque l’on passe un entretien, en parvenant à interpréter le sens des questions qui vous seront posées mais aussi celui des réponses qui seront apportées à vos questions sur le fonctionnement du cabinet notamment et la place du collaborateur en son sein. Le mieux, finalement, c’est de passer le plus d’entretiens possibles que ce soit pour un stage comme pour une collaboration.

Enfin, mon dernier conseil : si la profession d’avocat requiert un fort investissement en temps et en énergie, il importe toutefois de se préserver, et il ne faut pas hésiter à tenter de nouvelles expériences pour trouver l’endroit où vous pourrez vous épanouir pleinement.