Maître Manuel PENNAFORTE, Avocat associé co-gérant au cabinet Boivin & Associés

Extrait de la Gazette n°41 - Juin 2020 - Propos recueillis par Julie PALADIAN

94259392_250740299400283_1639717693550493696_n.jpg

Manuel PENNAFORTE

Avocat associé co-gérant, cabinet Boivin & Associés

Maître PENNAFORTE, pourriez exposer à nos lecteurs quel a été votre parcours ?

J’ai entamé mes études à Reims et je les ai achevées à Paris. J’ai effectué une maîtrise en droit public à l’Université de Reims Champagne-Ardenne. C’est à cette occasion que je me suis découvert un véritable intérêt pour le droit public. Mes professeurs m’ont ensuite conseillé de choisir un 3ème cycle à Paris. J’ai alors postulé à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne où j’ai intégré le DEA de droit constitutionnel et de libertés publiques, dirigé par François LUCHAIRE, ancien membre du Conseil constitutionnel. J’y ai rencontré de grands professeurs qui ont contribué à renforcer mon goût pour le droit public.

A l’issue de mon DEA, l’un de mes professeurs m’a suggéré de m’inscrire en thèse. J’ai suivi sa recommandation et j’ai commencé une thèse intitulée « Vers un modèle européen de contrôle de constitutionnalité ? Analyse comparée des techniques de justice constitutionnelle ». Mon sujet était lié au projet de réforme de l’époque sur l’exception d’inconstitutionnalité, lequel deviendra vingt ans plus tard, après avoir été enterré par le Sénat en 1990, ce que nous appelons aujourd’hui la « question prioritaire de constitutionnalité ». Après quelque temps, je me suis aperçu je n’étais pas suffisamment motivé pour continuer ma thèse. Le manque total d’encadrement y était pour beaucoup. J’ai alors décidé de m’inscrire à l’IEJ de Paris I. Cela a été l’élément déclencheur : au contact des praticiens qui intervenaient dans le cadre de l’IEJ, je me suis aperçu que la vie d’étudiant thésard féru de théorie n’était pas faite pour moi et que j’avais, en réalité, un goût très prononcé pour la pratique concrète du droit. A partir de là, j’ai changé mon orientation.

A l’IEJ, j’avais eu vent d’un organisme réputé – l’IDPA – qui fonctionnait de pair avec le Barreau de Paris. Cela m’a motivé pour préparer l’examen d’entrée à l’EFB, lequel me permettrait, si j’étais reçu, d’intégrer le cursus de l’IDPA. Une fois l’examen obtenu et mon service militaire effectué, j’ai présenté ma candidature – laquelle a été retenue – et j’ai intégré l’IDPA.

L’Institut était, à ce moment-là, dirigé par son fondateur, Jean-Pierre BOIVIN. Au regard de mon profil, qui avait un petit côté théoricien à la base, Jean-Pierre BOIVIN a décidé de m’affecter, pour mon stage, à la Section du rapport et des études du Conseil d’État. A l’époque, le président de la Section était Jean-Michel GALABERT et son rapporteur général était Françoise CHANDERNAGOR, auteure – entre autres – du best-seller historique intitulé L’Allée du roi. Durant mon stage, j’ai effectué des recherches et rédigé des morceaux de texte pour Françoise CHANDERNAGOR, qui préparait un rapport sur l’état du droit européen.

En 1993, à l’issue de mon cursus au sein de l’IDPA, Jean-Pierre BOIVIN m’a proposé d’intégrer son cabinet à compter du 1er janvier 1994. J’ai signé mon contrat de collaboration et j’ai, dans la foulée, travaillé sur des dossiers de droit public, mais surtout sur des dossiers de droit de l’environnement industriel. A l’époque, le « monde » de l’environnement industriel était essentiellement constitué d’ingénieurs, de directeurs de site mais pas vraiment de juristes. Le droit de l’environnement industriel était encore embryonnaire. Ce n’est qu’avec le temps qu’il s’est développé progressivement, pour atteindre le niveau qu’on lui connaît à l’heure actuelle.

Depuis 1995, je ne fais plus que du droit de l’environnement industriel. J’ai d’ailleurs écrit, avec mon équipe, un livre sur le sujet (réédité en 2010), consacré à la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, en me calant sur le point de vue des industriels, puisque c’est l’orientation que j’ai prise dès le départ.

Pourriez-vous présenter votre cabinet et vos fonctions en son sein ?

Le cabinet a été créé en 1988 par Jean-Pierre BOIVIN. A l’époque, il s’agissait d’un cabinet « individuel », lequel regroupait – en tout et pour tout – quatre avocats et une assistante. A compter du 1er février  2000, date à laquelle je suis officiellement devenu associé, le cabinet a évolué pour devenir la SCP Boivin & Associés. J’ai été le premier associé de Jean-Pierre BOIVIN et j’occupe avec lui, depuis l’origine, la fonction de gérant. Aujourd’hui, le cabinet compte une vingtaine d’avocats (cinq associés dont deux gérants et une quinzaine de collaborateurs).

Quelles étaient vos motivations pour intégrer l’IDPA ?

L’IDPA constituait, pour moi, la filière-cible de l’excellence qui m’attirait depuis quelques années. Je savais que c’était le moyen pour un avocat publiciste de pratiquer, avec des professionnels de très haut niveau, des matières extrêmement concrètes comme le droit de l’environnement, de l’urbanisme ou encore des marchés publics. L’Institut m’offrait aussi la chance d’étudier, sous la houlette de hauts magistrats de la Cour administrative d’appel de Paris, des études de cas très pointues et organisées de manière interactive. Pour moi, il s’agissait de parachever une formation de publiciste en y ajoutant une dimension concrète. En effet, je ne concevais pas l’idée de devenir avocat sans avoir le complément indispensable de la théorie. Sous cet angle, le retour d’expérience des professionnels du droit public qui enseignaient à l’IDPA dans mes matières de prédilection constituait un atout majeur.

Que pensez-vous de la spécialisation des magistrats ainsi que la convention judiciaire environnementales prévues par projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée ?

Le projet de loi que vous mentionnez comporte un volet relatif à la spécialisation des magistrats pénalistes. Cela fait très longtemps que l’on évoque la nécessité de spécialiser les magistrats du siège ou du parquet. Pour ma part, je suis assez favorable à la spécialisation des magistrats en matière environnementale. Je souscris, en effet, à l’idée selon laquelle le fait d’être en présence de magistrats spécialisés permet à la défense de s’exprimer de façon plus efficace et, en conséquence, aux prévenus d’être mieux jugés. Le contre-exemple absolu est le procès d’AZF, dans lequel notre cabinet a été partie prenante dès la survenance de la catastrophe. Du fait de l’absence de spécialisation des magistrats, un dialogue de sourds s’est engagé ab initio sur bon nombre de sujets environnementaux, ce qui s’est traduit, au terme du « 3ème procès », par une décision désastreuse à tous points de vue. Je reste cependant prudent, car il pourrait aussi y avoir une absence de détachement de la part des magistrats, liée à la trop grande spécialisation qui pourrait être la leur sur certains sujets. Il s’agit donc d’un sujet complexe qui appelle nécessairement des réponses nuancées.

Cela dit, il est un fait que la spécialisation est une dimension qui innerve l’ensemble des professions juridiques depuis longtemps. Dès lors, dans des matières aussi techniques que l’environnement, j’aurais tendance à considérer, avec prudence, que les magistrats jugeront mieux les affaires qui leur sont soumises s’ils ont reçu, au préalable, une formation qui leur permet de comprendre ce que recouvrent des sujets scientifiques tels que la composition des hydrocarbures ou les mouvements des nappes phréatiques.

En revanche, la dimension plus répressive sous-tendue par le projet de loi que vous évoquez suscite, de ma part, de sérieuses réserves. Elle soulève, en effet, un problème éthique reposant sur le postulat – que je trouve déconnecté de la réalité – selon lequel l’environnement serait mieux protégé si l’on punissait davantage les personnes qui y portent atteinte. A titre personnel, dans le sillage des réflexions de Robert BADINTER, je ne crois pas à la vertu dissuasive – voire éducative – des sanctions pénales trop lourdes, lesquelles peuvent créer une sorte de psychose négative au sein des entreprises et ne sont pas, à mon sens, de nature à prévenir ou à réduire le risque de commission des infractions environnementales. En l’occurrence, je tire de mon propre retour d’expérience en droit pénal de l’environnement que les infractions en cause sont fréquemment liées à des concours de circonstances explicables – ou, parfois, inexpliqués (cf. l’affaire d’AZF) – qui ne sont pas nécessairement induits par la prétendue négligence des entreprises poursuivies.

Certes, la création d’un crime d’écocide aurait certainement un effet d’affichage sur le plan médiatique et réjouirait, à n’en point douter, certaines associations de défense de l’environnement qui n’hésiteraient pas à susciter des poursuites pénales sur ce fondement.

Pour autant, l’ajout d’une telle infraction dans notre ordre juridique ne constituerait pas, me semble-t-il, un outil qui permettrait de régler les problèmes. Au demeurant, cela les réglerait d’autant moins qu’il existe d’ores et déjà, en droit positif, un crime de terrorisme écologique (art. 421-2 du code pénal), dont les éléments constitutifs s’apparentent, à quelques variantes près, à ceux que pourrait requérir le crime d’écocide. Sauf erreur de ma part, l’article 421-2 du code pénal n’a donné lieu à aucune décision de condamnation depuis le 1er mars 1994, date de son entrée en vigueur.

S’agissant de la convention judiciaire envisagée par le projet de loi, il me semble que l’une des questions majeures, du point de vue des industriels, portera sur le point de savoir si sa conclusion obligera les intéressés à reconnaître leur culpabilité. En effet, il ne m’apparaît pas souhaitable que la signature d’un tel contrat entraîne systématiquement une reconnaissance de culpabilité, notamment dans des cas – fréquents, dans la pratique – où l’on ne sera pas certain que l’entreprise remplit les conditions pour être pénalement condamnée. Le sujet relance l’éternel débat concernant « l’aveu de culpabilité », lequel suscitera une difficulté de principe à l’égard personnes concernées, pour autant que la signature de la convention judiciaire se traduise in fine par un gonflement inapproprié de leurs casiers judiciaires.

Par ailleurs, en réponse à votre question, il me semble que les modes alternatifs aux poursuites pénales constituent une solution adaptée dans les cas où la culpabilité de l’auteur de l’infraction et le lien de causalité sont difficilement contestables. Dire cela revient, d’ailleurs, à enfoncer une porte ouverte car les modes alternatifs aux poursuites pénales ont, précisément, été conçus pour cela. Mais dans la pratique, la réalité est souvent beaucoup plus nuancée. En particulier, lorsqu’un lien de causalité « certain » (l’adjectif a son importance en droit pénal de l’environnement industriel) n’est pas établi, je trouve que le recours aux modes alternatifs aux poursuites aboutit à faire endosser à l’intéressé (personne morale ou personne physique) une responsabilité qui n’est nécessairement pas la sienne.

Pouvez-vous nous présenter l’association Environnement France Chine dont vous êtes le président en France ?

Environnement France Chine (EFC), que je préside depuis l’origine, est une association « loi de 1901 » qui a été créée en 2009 et qui est entrée en activité en 2010. Nous célébrons donc ses dix ans cette année.

EFC propose une coopération franco-chinoise en matière environnementale sur des aspects juridiques, mais pas seulement. L’environnement est, avant tout, une matière technique dans laquelle les outils juridiques ne constituent que des vecteurs visant à régler des difficultés de toutes sortes, dans le respect mais bien au-delà du contenu des textes.

EFC a été créée par des praticiens mais elle compte également, au sein de son conseil d’administration, des représentants de l’Université Paris Sud et de l’Université de Wuhan. L’Université de Wuhan constitue l’un des fers de lance de la réflexion sur l’amélioration de la protection de l’environnement en Chine, avec – notamment – le Research Institute of Environnemental Law (RIEL). Le RIEL fédère de grands professeurs réfléchissant à des projets de texte qui sont ensuite soumis à l’Assemblée nationale populaire de Chine ou au Conseil des affaires de l’État.

Sur cette base, EFC a créé un creuset de réflexion qui vise à permettre la réalisation d’actions très concrètes en matière environnementale. Notre ambition consiste à mettre en présence, selon une approche comparée, les acteurs de l’environnement français et chinois de tous bords (techniciens, économistes, juristes, etc.) sur des sujets pratiques tels que, par exemple, la gestion d’une crise technologique et environnementale, la création d’une usine ou la protection de la biodiversité dans le cadre de la réalisation de grands projets d’infrastructure linéaire. A cet effet, nous avons réalisé, en traduction simultanée (français/chinois) plusieurs ateliers interactifs de droit de l’environnement associant des représentants français et chinois d’entreprises, d’administrations décisionnaires et d’universités.

EFC a également créé un programme de bourses qui a permis à plusieurs étudiantes chinoises, grâce au soutien de généreux partenaires, de suivre les enseignements dispensés au sein du Master Environnement de l’Université Paris-Saclay (au sein duquel j’anime un séminaire de droit de l’environnement industriel depuis plus de dix ans), puis d’effectuer un stage au sein d’une grande entreprise, à l’issue duquel leurs travaux ont été publiés en anglais.

EFC organise aussi des conférences. La dernière en date a porté sur l’auto-partage électrique en France et en Chine. EFC est également partenaire des « Rencontres Franco-chinoises du Droit et de la Justice » organisées chaque année à Pékin et dans d’autres grandes villes chinoises par l’Ambassade de France en Chine. L’association y est intervenue sur des sujets aussi variés que les mutations urbaines et l’environnement, la santé et l’environnement et l’économie et l’environnement.

Très récemment, j’ai reçu, au nom d’EFC, une délégation du Ministère chinois de l’environnement à qui j’ai présenté, en l’espace de deux heures, l’ensemble des instruments juridiques mis en place par le droit de l’environnement français afin de protéger l’environnement, les outils pénaux ayant – en particulier – suscité de nombreuses questions de la part de l’auditoire.

Quels conseils dispenseriez-vous aux nouveaux élèves de l’IDPA ?

C’est toujours délicat de dispenser des conseils. J’ai 25 ans de barreau mais je continue, chaque jour, de découvrir le métier et la profession. Je vais donc plutôt proposer des réflexions sur mon propre parcours et des recommandations sur les réflexes qu’il peut s’avérer utile d’acquérir lorsque l’on débute.

J’ai découvert, en arrivant dans la profession, qu’il ne fallait pas hésiter à se « donner » à son métier et à y consacrer beaucoup de temps, au-delà des heures dites ouvrables. En ce qui me concerne, le véritable travail de recherche sur soi s’est fait de façon constante et progressive, en dehors des horaires classiques. Je crois, par ailleurs, au dicton selon lequel « faire et défaire c’est travailler ». Il ne faut pas hésiter à remettre en cause ce que l’on fait.

Je consacre une part importante de mon activité à la transmission du savoir aux plus jeunes. La transmission s’effectue tant en la forme que sur le fond et donne notamment lieu à des séances de méthodologie rédactionnelle.

Autre sujet qui me paraît important : il faut se méfier des « ouï-dire » ou des « on dit ». Je pense, en particulier, à toutes les sollicitations dont nous faisons l’objet, en tant que jeune (ou moins jeune) avocat, selon lesquelles « ailleurs l’herbe est plus verte ». Il faut savoir être patient, ne pas céder à la tentation de la rémunération hyper-attractive et accepter de consacrer un temps suffisant au cabinet dans lequel on se trouve afin d’en faire le tour et de savoir si, au bout du compte, il est préférable d’y rester ou d’en sortir. Cela implique de ne pas vouloir aller trop vite et, dans cette optique, de se donner à son travail avant de céder, le cas échéant, au chant des sirènes.

Sur le fond, je recommande de s’ouvrir au maximum à toutes les matières. A cet égard, j’ai souvent entendu dire que le droit de l’environnement constituait une discipline qui confinait à l’enfermement. C’est exactement le contraire, en réalité. Il s’agit d’une discipline tellement vaste que l’on a l’opportunité d’y aborder de multiples domaines, d’échanger avec des représentants de professions très diverses et d’intervenir au quotidien sur des sujets qui présentent une dimension planétaire.

A cela s’ajoute que le droit de l’environnement se situe au confluent des trois principales matières enseignées à l’université : droit public, droit privé et le droit pénal. Il permet ainsi à tout jeune avocat qui décide de s’y intéresser, de comprendre enfin l’utilité de ces trois matières. En outre, il n’y a pas un seul droit de l’environnement, mais bien une multitude de thématiques telles que le droit des déchets, le droit de l’énergie, le droit de l’eau, etc. Pour ma part, après avoir consacré vingt-cinq années de ma vie professionnelle au droit pratique de l’environnement, je n’éprouve aucun regret et mon enthousiasme est aussi prononcé qu’au premier jour !