Extrait de la Gazette n°39 - Septembre 2019 - Propos recueillis par Julie Paladian
Pouvez-vous exposer à nos lecteurs quel a été votre parcours ?
À la suite d’un bac général, économique et social, je suis entré à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne afin d’y suivre un double cursus (à l’époque, bi-deug) en histoire et sciences politiques. Après seulement deux semaines de cours, j’ai décidé de me réorienter vers un autre double cursus, en droit et économie cette fois-ci. Les mathématiques et la microéconomie ayant eu raison de moi, j’ai finalement quitté ce second bi-beug pour poursuivre uniquement la filière juridique.
À partir de ce moment-là, j’ai suivi un parcours de droit classique à l’université Paris I jusqu’à mon master 2 Contentieux public qui m’a convaincu de passer l’examen du barreau. Lorsque je suis entré à l’EFB, j’ai postulé à l’IDPA.
Dans le cadre de mon PPI, j’ai réalisé un second master 2, Droit public approfondi, à l’université Paris II. C’est à cette occasion que j’ai véritablement découvert la recherche et pris goût à celle-ci. À la fin de ce second master 2, j’ai été attributaire d’un contrat doctoral, ce qui m’a permis de préparer une thèse pendant quatre ans au sein de l’université Panthéon-Assas.
Pouvez-vous nous présenter vos activités ?
Je suis enseignant-chercheur à la faculté de droit de l’université Paris-Saclay (site d’Évry-Val-d’Essonne) que j’ai rejointe à la sortie du concours d’agrégation, en 2016. Si l’activité d’enseignant est généralement bien connue, celle de recherche l’est moins. Pour autant, elle est essentielle puisqu’un universitaire consacre de nombreuses heures de son travail à lire, réfléchir, analyser, critiquer et proposer. Les fruits de cette recherche sont rendus publics à la faveur d’ouvrages, d’articles ou de communications orales. Si de tels travaux n’ont pas tous vocation à être directement utiles aux praticiens, la recherche juridique – auxquels ces derniers sont d’ailleurs nombreux à contribuer – permet régulièrement de résoudre certains problèmes concrets que pose la pratique du droit.
Quelles étaient vos motivations pour intégrer l’IDPA ?
Pour l’anecdote, au moment de préparer ma rentrée à l’EFB, si je connaissais l’existence de l’IDPA, je m’y suis peu intéressé au départ. C’est qu’à ce moment-là, j’étais en train de poursuivre mon second master 2. Aussi, j’ai déposé un dossier de candidature le dernier jour. En sorte que j’ai finalement attendu très peu de temps avant le coup de téléphone de Me Jean-Marc Peyrical qui m’a annoncé, un 24 décembre, que mon dossier avait été retenu.
Par définition, à l’EFB, les publicistes occupent une place relativement étroite. Or, l’l’IDPA leur permet d’avoir une visibilité supplémentaire et d’approfondir à la fois leurs connaissances et leurs compétences en droit public. C’est sans doute ce dernier aspect qui est décisif : l’avantage principal de l’IDPA réside dans le fait que des praticiens viennent apporter leur savoir-faire et leurs compétences pratiques aux élèves-avocats. Par les séminaires et les exercices proposés, on perfectionne, plus vite et plus efficacement, sa formation au métier d’avocat publiciste.
Selon-vous, la médiation a-t-elle vocation à s’imposer dans toutes les matières du contentieux administratif ?
D’abord, est-ce que la médiation a vocation à s’imposer et donc à être obligatoire ? J’aurais tendance à dire que la rendre obligatoire est plutôt, a priori, un signe de faiblesse. Le développement des modes alternatifs de règlement des différends, notamment en droit public, est un vieux serpent de mer. Mais les pouvoirs publics français n’y sont pas, pour l’heure, parvenus. Le meilleur moyen d’y parvenir est, sans doute, de rendre le recours à la médiation obligatoire, à l’instar de ce qu’a fait, en tout cas à titre expérimental, la loi J21 du 18 novembre 2016, à propos d’un certain nombre de litiges (contentieux sociaux et litiges dans la fonction publique). On a eu tellement peur que le nouveau dispositif de médiation en matière administrative ne soit pas utilisé que l’on a obligé les administrés, dans certaines affaire, à l’utiliser préalablement à la saisine du juge... Mais une telle façon de procéder traduit un réel manque de confiance des pouvoirs publics et apparaît peu conforme à l’idée selon laquelle une médiation ne peut aboutir que si toutes les parties y adhèrent librement.
Quant au fait de l’imposer dans tous les litiges administratifs, là je crois que la réponse est dans la question. Je ne pense pas que la médiation ait vocation à s’imposer dans l’ensemble des matières composant le contentieux administratif, tant bon nombre de litiges relevant de la compétence du juge administratif impliquent par essence des considérations d’intérêt général et des éléments d’utilité publique qui ne sont pas à la disposition des parties : la légalité objective ou l’interdiction des libéralités faite aux personnes publiques, par exemple, constituent autant de freins légitimes au développement de la médiation. Cette dernière ne devrait pas pouvoir être étendue à tous les contentieux administratifs.
Pouvez-vous nous préciser quels sont, selon vous, les différents enjeux entourant le développement de la justice prédictive ?
Pour faire simple, et sans grande originalité, le développement de la justice administrative pose des enjeux à la fois positifs et négatifs. S’agissant des premiers, la prévisibilité des décisions de justice est avancée. Prévoir quelle pourrait être la solution d’un litige donné, en rassemblant toutes les décisions de justice rendues sur le sujet et en faisant traiter ces données par un algorithme savamment élaboré, permettrait de mieux anticiper les conséquences d’un différend et donc de gagner en sécurité juridique.
S’agissant des enjeux négatifs, la justice prédictive, dès lors qu’elle repose sur l’exploitation des décisions de justice rendues – le big data juridictionnel – pose de sérieux problèmes du point de vue, notamment, du droit au respect à la vie privée et de l’utilisation des données à caractère personnel. Du reste, si l’édiction des normes doit être, eu égard à la portée générale et impersonnelle de ces dernières, animée par l’objectif de sécurité juridique, l’énoncé des décisions de justice ne s’insère pas exactement dans le même cadre : une grande partie de ces décisions ont une portée individuelle et il est en tout état de cause normal que la façon de régler le litige dépende des circonstances propres à chaque espèce. La prévisibilité des décisions de justice a pour limite naturelle le caractère particulier de chaque litige. Enfin, ne perdons pas de vue non plus un inconvénient supplémentaire de la justice prédictive, à savoir le risque qu’elle conduise à une certaine cristallisation de l’état du droit ou des pratiques juridictionnelles. Les évolutions de la jurisprudence, qui témoignent du caractère vivant et contingent de notre droit, ne doivent pas être artificiellement freinées par l’exigence de prévisibilité et de sécurité qui anime l’idée de justice prédictive. Non sans paradoxe peut-être, mais dès l’instant où il traduit la prise en compte des circonstances propres à chaque espèce et l’exercice de l’indépendance du juge, l’aléa apparaît finalement constituer une garantie de bonne justice.
Partagez-vous les critiques faîtes à l’encontre des partenariats public-privé (PPP) dont l’avenir semble incertain actuellement ?
Je ne suis pas spécialiste de la question des partenariats public-privé (PPP). J’ai seulement un avis en tant que citoyen et contribuable.
Et en ces qualités, si l’on parle des marchés de partenariat, je partage les critiques formulées à l’encontre de ce dispositif. Certes, l’idée qui a justifié sa création n’est pas illégitime, mais la pratique que l’on en a faite n’est certainement pas la bonne. Les critiques que l’on connaît, formulées par la Cour des comptes (y compris celle de l’Union Européenne), devraient être entendues.
Le principal point à corriger réside sans doute dans la formation des élus et d’un certain nombre d’agents qui ont parfois utilisé des PPP dans des cas inadaptés. Ce défaut de formation met d’ailleurs en lumière une faiblesse du personnel des collectivités publiques : le manque de maîtrise des techniques de négociation. Face aux investisseurs privés, les collectivités publiques ne font pas le poids durant les négociations, en sorte que les contrats finalement signés ne sont pas suffisamment équilibrés. La négociation, voilà donc un élément de formation qui devrait être renforcé chez les élus et les agents. Les avocats publicistes ont ici une carte importante à faire valoir.
Récemment, en avril 2019, vous avez publié un article dans l’AJDA sur la voie de l’appel dans le contentieux administratif. Pensez-vous qu’à l’heure actuelle une loi est envisageable pour consacrer cette voie de recours ?
C’est peut-être naïf, mais je crois que proposer des choses fait partie des missions de la doctrine universitaire. Ce rôle de force de proposition doit être joué et défendu.
Pour autant, et pour rester concret, faire de l’appel une voie de recours consacrée en tant que principe par la loi, je ne pense pas que cela se fera raisonnablement dans les années qui viennent… Cette piste ne correspond pas à la tendance prise actuellement qui est plutôt une tendance à la crispation, à la restriction de l’accès au juge, en raison de l’afflux de contentieux. Les requêtes augmentent régulièrement devant le juge et au vu des choix qui sont faits, il ne faut pas s’attendre à ce que l’appel soit plus ouvert ou plus protégé qu’il ne l’est aujourd’hui. C’est à mon sens regrettable car l’appel constitue, je crois, une garantie importante de l’État de droit. La suppression de l’appel dans certains litiges ou les velléités pour restreindre sa portée (je pense, notamment, à la cristallisation des moyens en droit de l’urbanisme) devraient tous nous interpeller.
Quels conseils dispenseriez-vous aux nouveaux élèves de l’IDPA ?
C’est toujours délicat de se permettre de donner des conseils… Je mentionnerai seulement un retour d’expérience et un vœu.
Lorsqu’on entre à l’IDPA, on peut être tenté de penser que l’on a fait l’essentiel de sa formation, qu’on a déjà appris beaucoup de choses et que l’Institut est davantage là pour délivrer un label plutôt que de nouveaux acquis théoriques et pratiques. C’est ce que j’ai pensé à mon époque. Pour autant, au-delà du label, l’IDPA offre l’occasion de nouvelles connaissances et de nouvelles perspectives professionnelles, très précieuses. On a la chance d’y rencontrer des intervenants de grande qualité, venant d’horizons divers, attachés à la transmission de leur savoir-faire pratique. Lorsqu’on y est, l’on devrait donc profiter à plein de l’IDPA.
Pour ce qui concerne le vœu, celui-ci intéresse les relations qu’entretiennent les avocats avec les universitaires qui ne le sont pas. Parfois tendues, en raison d’incompréhensions, de rivalités, de jalousies parfois, elles mériteraient d’être généralement apaisées et toujours plus approfondies. Avocats et universitaires ont, en principe, suivi le même cursus et partagent, en principe également, la même passion pour le droit : cet ADN commun devrait nous pousser à échanger davantage et à nous enrichir mutuellement.