Maître Véronique MIROUSE - Avocat à la Cour

Extrait de la Gazette n°34 - Novembre 2018 - Propos recueillis par Léna Tchakérian et Gaspard Terray

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Véronique MIROUSE

Avocat à la Cour

Maître Mirouse, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs, leur exposer votre cursus ?

Je n’ai pas envisagé d’être avocate lorsque je suis entrée en Faculté de droit à PARIS I, mais plutôt une carrière dans l’administration française ou européenne ou de journaliste. Par suite, après un double cursus en maitrise (droit public et droit européen), j’ai enchainé avec un DEA de droit public comparé des états européens qui m’a permis de passer plusieurs mois entre l’Université à Madrid et un stage à Barcelone au sein de l’Institut des études sur les autonomies espagnoles. J’ai ensuite intégré la préparation à l’ENA de PARIS I où j’ai alors rencontré le professeur Xavier Delcros. Ce-dernier m’avait proposé de faire un stage dans son cabinet d’avocats durant lequel j’ai su que c’était finalement cette profession vers laquelle je souhaitais m’orienter constatant alors que le droit public était certes encore confidentiel en 1994/1995 mais en plein essor. J’ai entre temps intégré le DESS de contentieux de droit public de PARIS au cours duquel j’ai réalisé un stage au Conseil de l’Europe à Strasbourg.

Pourquoi avez-vous choisi de suivre la formation de l’IDPA ?

L’IDPA était déjà en 1994 une formation connue et reconnue dans le prolongement classique du DESS de contentieux de droit public pour celles et ceux qui souhaitaient rejoindre la profession d’avocats spécialisés en droit public. J’en ai donc connu l’existence durant mon DESS. Mais c’est une suggestion du professeur et avocat Xavier Delcros qui pouvait déboucher sur un stage durant cette formation, qui m’a décidée à suivre ce cursus. J’appréciais son niveau d’exigence et sa qualité.

Cette formation permets de tisser des liens importants pour la suite de l’exercice professionnel et dans cette logique, j’ai eu le plaisir d’être pendant quelques temps la présidente de l’association des jeunes avocats en droit public (AJADP), association créée par des anciens de l‘IDPA. Néanmoins il était difficile de concilier les impératifs professionnels avec un engagement associatif à ce moment là pour les membres du bureau (tous issus de l’IDPA) et malheureusement cette association n’est plus en d’exercice …

Pouvez-vous nous présenter votre cabinet ?

C’est un parcours classique, ayant commencé à exercer fin 1996 comme collaboratrice dans le département de droit public du Cabinet alors Salès, Vincent & Associés, qui avait été créé  par mon confrère François Sureau. Je me suis aperçue que je souhaitais assez rapidement être autonome sur mes dossiers et pouvoir développer ma clientèle ; ce qui était difficilement conciliable avec ce type de structure. Aussi, j’ai quitté le cabinet et ai alors réintégré celui de Xavier Delcros qui travaillait avec Jean-Marc Peyrical. Du statut de collaboratrice de 1998 à 2002, nous avons ensuite constitué tous les trois un Cabinet où j’ai été associée.

Par suite, mon choix de création de ma propre structure se fonde sur des motivations à la fois professionnelle et personnelle, un choix de vie en définitive. Les circonstances s’y prêtaient aussi, j’avais réussi à constituer une clientèle personnelle. Surtout de nombreux clients avaient suffisamment confiance en moi pour me suivre dans ce projet et peu leur importait que je sois associée ou indépendante. J’exerce aujourd’hui dans le cadre d’une structure dans laquelle je partage les moyens au sein du Cabinet Horus Avocats, un cabinet spécialisé en droit public. Cela permet de créer une émulation de publicistes ; certains collaborateurs et associés étant eux-mêmes issus de l’IDPA. Ce mode d’exercice impose un rythme soutenu, une manière de travailler différemment avec une grande disponibilité.

Vous poursuivez actuellement une formation DU Médiateur à l’IFOMENE, en quoi-consiste-t-elle ?

Au préalable, je souhaiterais vous exposer les raisons pour lesquelles je me suis orientée vers la médiation car j’ai durant les presque 20 premières années d’exercice professionnel, un profil contentieux d’avocat surtout plaidant. J’avoue que je ne portais initialement aucun intérêt particulier à ce type de processus étant dans une logique de pure publiciste formée au « Chapus » et à tous les principes de légalité. En réalité, la médiation est une réflexion sur les conséquences de nombreux contentieux, sur leur effectivité et il s’est avéré que ce mode de traitement des litiges est un cheminement non seulement professionnel mais aussi  personnel.

J’ai ainsi vécu un réel changement de la perception de certaines personnes publiques de plus en plus réticentes au contentieux. Et dans ce contexte, j’ai participé en juin 2016 aux états généraux du droit administratif (EGDA) organisés par le CNB sur le thème des modes alternatifs de résolution des différends (MARD) et plus spécifiquement la médiation. On m’a alors proposé d’intervenir en atelier sur la médiation et les contentieux de masse. J’ai alors préparé mon intervention avec un ouvrage relatant les actes d’un colloque au Conseil d’Etat de 2015 sur ce thème. Durant cet évènement, j’ai rencontré de nombreux magistrats administratifs déjà très sensibilisés à la médiation.

La rentrée du barreau de Paris à l'automne 2016 a également pour sujet la médiation avec une intervention de Jean-Marc Sauvé, en sa qualité de Vice-Président du Conseil d’Etat. En parallèle, est intervenue la loi de modernisation de la Justice du XXIème siècle du 18 novembre 2016 qui a notamment modifié le code de justice administrative. Par suite, j’ai rencontré un avocat publiciste médiateur et formateur à l’IFOMENE, Hirbod Dehghani-Azar (ce-dernier ayant alors participé directement au comité JAM (justice administrative et médiation) mis en place par Jean-Marc Sauvé), qui m’a invité à suivre la formation à l’IFOMENE ne serait-ce alors, sans envisager de devenir médiateur, pour comprendre l’intérêt de la médiation en tant qu’avocat publiciste.

La formation à l’IFOMENE est en deux temps (DU1 et DU2). Contrairement à l’EIMA, adossé à l’EFB, elle n’est pas exclusivement ouverte aux avocats mais à d’autres professions et profils divers et variés (juristes, magistrats, DRH, bailleurs sociaux, militaires, …). Tous ces horizons apportent une réelle richesse à cette formation. Le DU1 est composé de 4 modules de 10h00 de découverte de la médiation sans octroyer le diplôme de médiateur. Le DU2 est une formation beaucoup plus intense (de 160h00 de formation), notamment avec un examen écrit de connaissance, la rédaction d’un mémoire de fin d’études. Il sanctionne les étudiants d’un diplôme de médiateur. A côté de modules juridiques, sont proposés des modules dans lesquels est enseignée la médiation sous ces aspects historiques, philosophiques, sociétaux ou encore psychologiques.

Quelle est la place et le rôle de l’avocat publiciste dans l’essor de la médiation, et plus largement des MARL dans les contentieux impliquant les personnes publiques ?

Il s’avère que j’ai pu en quelque sorte anticiper votre question dans un article rédigé par mes soins paru au mois de juillet [1] sur notamment l’intérêt pour un avocat en droit public et donc ses clients de recourir à la médiation dite administrative, avec ses spécificités. Il est certain que le rôle de l’avocat est surtout de maintenir le lien de confiance et d’indiquer que le processus de médiation devient incontournable.

Et la médiation n’est et ne doit pas être une substitution éventuellement dilatoire au contentieux mais un moyen d’imaginer une solution alternative servant l’intérêt du client. Si la médiation n’aboutit pas, il est toujours possible de revenir au contentieux. Elle n’est pas une dépossession du dossier pour l’avocat publiciste mais aussi pour le magistrat ; le contentieux coexiste avec cette nouvelle voie de résolution des conflits. Cela permet de replacer le conflit différemment sans oublier l’importance du droit et, notamment les règles d’ordre public.

Toutes les matières peuvent se prêter à la médiation, ce sont plutôt les contextes (factuels ou juridiques) ou les clients qui peuvent freiner ce recours. D’où le rôle de l’avocat qui est d’expliquer l’intérêt de ce processus après avoir intégré lui-même l’intérêt qu’il pourra y trouver, au titre de sa mission de conseil, dans le traitement du dossier qui est lui confié.

Il faut garder à l’esprit aussi que la médiation s’impose désormais dans certaines matières, comme la fonction publique ou les contentieux sociaux. Cette logique de médiation préalable obligatoire doit être intégrée. Il serait dommage que les avocats se braquent sur cette nouvelle obligation. La nouvelle génération doit au contraire réfléchir sur son réel intérêt et dans la façon dont les dossiers seront ainsi appréhendés.

Pourriez-vous nous expliquer la différence entre le métier du médiateur et celui de l’avocat accompagnant une partie lors d’une médiation ?

L’avocat médiateur aura la double posture : il pourra conserver son statut d’avocat pour ses propres clients et alternativement être désigné comme médiateur soient par des parties dont il est totalement indépendant, soit par un juge administratif en cours d’instancei. Il convient de noter que le statut de médiateur indépendant est à ce jour plus une posture qu’un métier encadré par des règles communes et cela est sans doute susceptible d’évolutions. L’avocat médiateur est répertorié par le CNB sur la plateforme CNMA, « Centre national de médiation des avocats ». Les juridictions et les parties peuvent ainsi désigner des avocats-médiateurs parmi les avocats inscrits sur cette liste.

A noter que les juridictions administratives n’ont pas établi – car elles n’en ont pas l’obligation - de listes officielles, contrairement aux juridictions judiciaires qui depuis février 2018, ont mis en place une procédure permettant d’établir des liste de médiateurs auprès de chaque Cour d’appel. Les juridictions administratives ne sont pour le moment pas disposées à établir de telles listes « officielles », même s’il existe de réelles spécificités dans la médiation administrative qui le justifieraient.

Quant à l’avocat accompagnateur à la médiation, il accompagne un client au cours du processus de médiation. Il peut le suggérer à son client, il doit aussi savoir lui expliquer son origine, le rôle de chacun, son déroulement, ses objectifs lorsque, notamment, c’est le juge administratif qui le suggère. Il doit aussi être capable de voir si son client y trouvera un intérêt ; et en cela, chaque avocat devrait à mon avis, suivre une formation à la médiation dans le cadre de nos obligations au titre de la formation continue.

Existe-t-il un corpus de règles déontologiques propres aux avocats médiateurs ?

Il s’avère que je travaille justement sur ce sujet en ce moment dans le cadre de la rédaction de mon mémoire de fin d’étude pour l’obtention du DU2 de médiateur. La question de l’introduction de règles complémentaires à la déontologie des avocats s’est d’ailleurs posée. Le CNB s’est opposé à cette approche en estimant que la déontologie et la prestation de serment des avocats sont suffisantes pour l’exercice de la médiation par les avocats.

Certaines questions de déontologie propres aux médiateurs font débat à l’aune des différents statuts de médiateurs. Les juridictions administratives ont quant à elles établi une charte des médiateurs fixant un cadre applicable aux médiateurs devant les juridictions administratives. En contentieux administratif, le statut de l’expert médiateur, introduit dans le Code de justice administrative, pose des questions sur l’impartialité et la neutralité du médiateur-expert. De même, les conflits d’intérêts sont également prégnants. Il est bien évidemment impossible pour un avocat-médiateur, d’intervenir en qualité de médiateur dans une affaire où l’une des parties a été auparavant ou serait un client.

Ces questions de déontologie sont au cœur de la mise en place du statut de médiateur et, en particulier le statut de médiateur institutionnel à l’instar du médiateur de l’énergie ou de celui des entreprises. A ce sujet, un débat est intervenu sur les médiations organisées par les centres de gestion.. En effet, rémunérés par les collectivités territoriales, cela pose la question de leur impartialité lorsqu’ils interviennent en qualité de médiateur.

Pourriez-vous nous expliquer en quelques mots comment se déroule une médiation administrative ?

Outre la tentative de médiation préalable obligatoire à la saisine du juge administratif, l’avocat peut être à l’origine d’une proposition de médiation conventionnelle préalable à tout contentieux ou à l’occasion d’un contentieux, prescripteur de la médiation en la demandant au juge administratif. Le juge administratif peut également proposer d’office d’entrer en médiation et plusieurs tribunaux administratifs sont pionniers en la matière (Grenoble, Poitiers, Strasbourg). Certains magistrats proposent même, de manière plus exceptionnelle, la tenue d’une médiation postérieurement au jugement. Par exemple, récemment, un juge administratif a invité les parties à mettre en place une médiation afin d’organiser les conséquences de l’annulation d’un contrat de DSP prononcé par le jugement. L’office du juge se renouvelle donc à travers la médiation, ainsi un juge administratif statuant en référé-suspension, a estimé qu’il n’y avait plus lieu à examiner l’urgence en cas d’entrer en processus de médiation qui suspend la procédure pour la durée de celle-ci.

En ce qui concerne le déroulement de la médiation, aucun délai n’est prévu par le CJA. Mais en pratique le juge s’inspire du délai de 3 mois posé par le Code de procédure civile. L’organisation du processus de médiation est libre. Les parties peuvent, par exemple, être reçues alternativement, en plénière ou en aparté. Le médiateur va poser le problème sur la table et adopter une posture qui permet aux parties d’appréhender le conflit différemment que devant un juge ; l’approche n’étant juridique qu’à titre accessoire (mais cet aspect relevant alors de avocats présents et non du rôle du médiateur).

Le médiateur ne donne pas son avis sur le litige. Par notamment les reformulations, l’écoute active des parties, une autre perception du litige neutre et impartiale, le médiateur amènera les parties à une réflexion, juridique ou non, sur le conflit et ses éventuelles solutions certainement plus pérennes. Quoi qu’il en soit, la solution n’émanera pas du médiateur. Ce sont les parties et leurs avocats qui en seront les artisans.

Quels sont les domaines privilégiés de la médiation en droit public ?

Un bilan statistique a été tiré par le comité JAM au printemps 2018. Il y avait eu alors 494 médiations diligentées sur l’ensemble des juridictions administratives. 245 ont abouti à un accord, d’autres sont encore en cours. 60 à 70 % des médiations ont été considérées comme « réussies » ; même si on ne peut pas parler  « d’échecs » en médiation car même si la médiation n’aboutit pas, elle ne sera pas un échec dès lors que la réflexion des parties sur leur litige est déjà positive.

En ce qui concerne la  médiation sur initiative des parties, le découpage se fait ainsi : 40% en matière de marché public, 20% en matière de fonction publique (avant l’entrée en vigueur de l’obligation), 11% en matière de domaine public et 7% en urbanisme. En ce qui concerne la  médiation sur initiative du juge, 36% en matière de fonction publique, 25 % en matière d’urbanisme, 9% en matière de police administrative et 7% en matière de travaux publics.

Son développement s'accélère et depuis la rentrée de septembre, de nombreuses médiations ont été mises en œuvre par les juridictions administratives de premières instances essentiellement.

Quelles sont les qualités attendues de l’avocat accompagnant une personne dans le cadre d’une médiation administrative ?

Il y a plusieurs qualités comme la persuasion, l’écoute, savoir faire comprendre au client que le processus de médiation n’est pas totalement exclu du monde du droit et que l’avocat conserve une maîtrise juridique du sujet.

La médiation est un véritable bouleversement culturel et nécessite un changement dans le temps à plus long terme. Il faudra démontrer l’intérêt de la médiation dans les solutions qu’elle apporte. En particulier, pour les personnes publiques, la médiation esquisse les limites du privilège du préalable ou des prérogatives de puissance publique. Elle sera nécessairement reconnue si elle fonctionne. D’où l’importance d’une formation de qualité et continue des médiateurs en matière administrative comme elle peut l’être des avocats publicistes.

Pour finir, quel conseil donneriez-vous à l’actuelle promotion de l’IDPA ?

Dans le prolongement de ce que je viens d’indiquer, se former continuellement est essentiel. L’intégration et les évolutions en matière de médiation et de MARD montrent l’intérêt de se former tout le long de sa carrière.

Par ailleurs, dans un tout autre registre, il ne faut pas hésiter à changer de mode d’exercice de la profession si celui-ci ne convient pas. Apprendre à bien gérer financièrement et administrativement un cabinet est crucial.

Plus largement, il faut savoir s’adapter aux profonds changements qui s’opèrent sur notre profession. Il y a quelques années, c’était la mise en concurrence des avocats par les personnes publiques, aujourd’hui c’est à la fois les MARD mais aussi la numérisation (justice prédictive, open data).

La solidarité entre les avocats être une des clés pour surmonter, anticiper et ne pas subir les évolutions. En somme, il faut se préparer collectivement à l’évolution de notre profession.

Enfin merci donc à vous, élèves-avocats de l’IDPA qui consacrez d’ores et déjà du temps au maintien de ce lien entre « anciens » et bonne chance pour la suite.

[1] Véronique Mirouse, « La médiation administrative : vers une nouvelle façon de percevoir le règlement des litiges pour les personnes publiques (spécificités, intérêt et actualité) », Journal spécial des sociétés, 18 juillet 2018, n°52.