Maître Régis FROGER, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation - SCP Foussard-Froger

Extrait de la Gazette n°25 - Mars 2017 - Propos recueillis par Mélanie Dinane et Christophe Farineau

Me Régis FROGER

Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation - SCP Foussard-Froger

Maître Régis FROGER, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs, nous exposer votre cursus ?

J’ai effectué un parcours assez classique, avec un DEA en droit public interne à l’Université Paris II Panthéon-Assas puis, dès ma sortie de ce DEA, j’ai intégré l’EFB et l’IDPA.

Mon mémoire de DEA a été dirigé par le Monsieur Daniel LABETOULLE, Président de la section du contentieux du Conseil d’État, à qui j’avais fait part de mon souhait d’alors : tenter d’intégrer le corps des conseillers des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.

Il y avait âge minimum pour présenter ce concours que je n’avais pas encore atteint. Le Président LABETOULLE m’a conseillé de me former au contentieux en travaillant dans un cabinet d’avocats aux Conseils. J’ai intégré le cabinet de Dominique FOUSSARD et je n’en suis jamais parti !

J’ai suivi une formation spécialisée à l’Institut de formation et de recherche des avocats aux Conseils (IFRAC) de 2007 à 2009, puis j’ai obtenu le certificat d'aptitude à la profession d'avocat aux Conseils (CAPAC) en 2010.

Je n’ai jamais regretté mon choix. Hormis l’appétence particulière que j’ai toujours éprouvée pour le contentieux, être avocat aux Conseils permet une certaine polyvalence dans les sujets abordés. Nombre de questions sociales, économiques ou éthiques importantes finissent par se retrouver devant le Conseil d’État et la Cour de cassation. Il est très intéressant de les traiter sous un angle juridique.

Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs la profession d’avocat aux Conseils ? Nous décrire ses spécificités ?

Notre fonction première, qui est notre spécificité, est la cassation. Nous conseillons les justiciables sur l’introduction des pourvois et les représentons devant le Conseil d’État et la Cour de cassation. Il s’agit de notre cœur de métier. Ce qui exige que nous soyons qualifiés tant en droit public qu’en droit privé. Notre formation est axée sur la technique de cassation. L’IFRAC délivre une formation professionnelle post-CAPA sur trois ans, à l’issue de laquelle doit être obtenu le certificat d’aptitude à la profession d’avocat aux Conseils.

Nous assurons des permanences de consultations gratuites au Conseil d’État et des permanences pour représenter les parties aux audiences de référé du Conseil d'État. Nous siégeons également dans les bureaux d'aide juridictionnelle et, bien sûr, représentons devant le Conseil d’État et la Cour de cassation les parties qui bénéficient de cette aide.

Nous pouvons également assurer des fonctions de représentation devant une juridiction administrative, intervenir devant le Conseil constitutionnel à travers les questions prioritaires de constitutionnalité, le Tribunal des conflits, la Cour de Justice de l'Union européenne et la Cour européenne des Droits de l'Homme.

Quelles sont vos motivations au quotidien ?

La variété des sujets qui nous sont soumis, aborder une question qui impose de confronter des logiques de pur droit avec des impératifs opérationnels et des enjeux concrets immédiats. L’approche transversale droit public et droit privé est toujours intéressante. Dans notre pratique, la procédure de référé est particulièrement intense avec un espace-temps restreint, une tension. C’est aussi un métier qui conduit à rencontrer beaucoup de personnes, diverses, de tous horizons et professions. C’est également ce qui rend la profession passionnante et vivante.

Vous avez été secrétaire de la conférence du stage des avocats aux Conseils. Pouvez-vous nous parler de cette expérience ? Quels souvenirs en gardez-vous ?

Il s’agit d’un concours d’éloquence où les candidats doivent traiter des questions de droit qui se sont récemment posées devant une juridiction suprême. Classiquement, un des candidats doit traiter ce sujet en adoptant la position du demandeur, un autre en position de défendeur et un troisième occupe le rôle de rapporteur public ou de ministère public.

Il s’agit donc d’un exercice d’éloquence – comme celui qui existe pour les avocats à la Cour –, mais aussi d’un exercice de conviction et de raisonnement juridique. Il s’agit de plaider la question posée et de convaincre l’auditoire.

Au cours de l’année de leur élection, les secrétaires, qui jouent le rôle de jury, doivent choisir des sujets qui se prêtent à la plaidoirie pour leur actualité et leur intérêt juridique. Le premier secrétaire prononce un discours lors de la rentrée solennelle, au Conseil d’État ou à la Cour de cassation. Il s’agit d’un sujet d’intérêt général ou d’un éloge.

Cet exercice constitue un excellent entraînement à la plaidoirie, en parallèle de la formation à l’IFRAC ou indépendamment. On se prend au jeu assez vite et j’en garde un excellent souvenir !

Quelles sont les dossiers qui vous ont le plus marqué ?

Je n’ai pas vocation à parler ici précisément d’un dossier. Mais les dossiers peuvent être marquant pour diverses raisons. Pour ce qui est du droit public, qui intéresse plus particulièrement l’IDPA, nous pouvons être conduits à connaître d’affaires qui soulèvent des questions de société ou éthiques absolument passionnantes, dont l’aspect juridique et contentieux est une partie, et qui peuvent supposer de mobiliser, à côté du droit, d’autres ressources, pour des approches croisées avec d’autres matières, comme des aspects économiques par exemple.

D’autres dossiers sont marquant parce qu’ils sont l’occasion de susciter un revirement de jurisprudence. Il faut toujours être attentif au sens de la jurisprudence, percevoir ses évolutions, et lorsqu’un cas s’y prête, dégager à partir d’un dossier une problématique nouvelle ou générale qui intéressera, et pourra être l’occasion de faire trancher des questions importantes, de fond ou de procédure.

Dans tous les cas, nous restons des avocats et chaque dossier commande la mise en place d’une stratégie contentieuse en fonction des instruments procéduraux existants et, avant tout, des objectifs du client. Faut-il engager un référé, et si oui lequel ? Cette question peut être vitale dans certains contentieux d’urbanisme par exemple, où peuvent se succéder et se croiser les procédures de fond et de référé, de la première instance jusqu’en cassation. Quel moyen soulever, selon les conséquences recherchées et attendues de la décision du juge ? Un moyen de forme est utile s’il s’agit avant tout d’avoir une annulation, un moyen de fond sera préféré s’il s’agit de demander au juge de prendre parti sur un point de droit et ne plus y revenir.

Pouvez-vous nous livrer votre point de vue sur le décret dit « JADE » (pour « justice administrative de demain ») paru le 4 novembre 2016 ?

Le décret pose de nouvelles règles de procédures. Il s’agit d’abord d’éviter la saisine du juge lorsqu’elle peut l’être, en offrant plus de place aux modes alternatifs de règlement des litiges, en renforçant l’obligation de provoquer une décision préalable, en instituant des délais en matière de travaux publics ou de décision implicite. Il s’agit ensuite d’offrir au juge plus d’instruments pour rejeter les recours, avec le champ des ordonnances de tri élargi, notamment pour les requêtes d'appel. Dans le même sens, les parties sont sou-mises à plus de contraintes, de nature à assurer un traitement accéléré des procédures, comme le principe de cristallisation des moyens.

On comprend bien la logique de bonne administration de la justice qui inspire le texte : le désengorgement et l’efficacité de la juridiction garantissent l’effectivité des recours dans des délais raisonnables. Reste que certaines innovations supposent de la part de l’avocat une attention toute particulière. La possibilité de rejeter une requête comme « manifestement » infondée, sans contradictoire préalable, sans possibilité d’être entendu, interpelle et il faut que la pratique à venir trouve un juste équilibre.

De même, la cristallisation des moyens obéit à une logique assez claire. L’idée est que, lorsqu’on fait un recours, on sait pourquoi on le fait. Cette idée est à la base même de la jurisprudence « Intercopie » (ndlr : Conseil d’État, Section, 20 février 1953, Société Intercopie, rec. p. 88). Mais outre le fait que cette jurisprudence n’est pas sans un effet paradoxal – elle peut conduire à soulever des moyens infondés par précaution, pour justement ne pas cristalliser le contentieux – du point de vue du praticien, force est de constater qu’un contentieux devant les juges du fond peut évoluer en cours d’instance, parce qu’il se nourrit notamment des échanges entre les parties. L’avocat devra donc là aussi être particulièrement vigilant.

Un conseil pour les jeunes avocats qui hésitent à s’orienter vers la profession d’avocat aux Conseils ? Pour la promotion actuelle ?

Si vous avez un goût particulier pour le contentieux et la polyvalence dans les matières juridiques, c’est une profession passionnante et dynamique, dans laquelle on découvre sans cesse de nouveaux domaines et de nouvelles questions.

En tout cas, soyez curieux dans votre exercice professionnel !