Extrait de la Gazette n°26 - Juin 2017 - Propos recueillis par Félix Giboire et Andréa Marti
Me Thomas ROUVEYRAN
Avocat associé, cabinet Seban & Associés
Maître Thomas Rouveyran, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs, leur exposer votre cursus ?
J’ai suivi une formation en droit privé (DEA Droits des Affaires) à Montpellier, le centre de droit de l’entreprise étant réputé. C’est en réalisant un stage au sein du cabinet Berlioz (cabinet UGGC aujourd’hui) que j’ai décidé de devenir avocat. Après avoir passé mon examen d’entrée au CRFPA, j’ai intégré l’IDPA. Je suis sans doute l’un des derniers privatistes à avoir été accepté au sein de l’IDPA et j’en remercie Jean-Pierre Boivin. C’est une chance d’avoir pu rejoindre les enseignements de cet Institut. J’ai ensuite intégré le cabinet Castelnau pour une durée de trois ans où j’ai collaboré notamment avec François-Charles Bernard (désormais associé au sein du cabinet Frêche). Puis, j’ai travaillé au sein du cabinet d’Alain Levy auprès de qui je traitais essentiellement mais pas exclusivement de dossiers en droit public et qui m’a énormément appris. Enfin, j’ai rejoint le cabinet Seban, voilà maintenant dix-sept ans pour intégrer son équipe de droit public.
Pourquoi avez-vous choisi de suivre la formation de l’IDPA, ayant eu un parcours essentiellement privatiste ? Quel est votre point de vue sur le lien entre ces deux matières et l’importance du droit privé dans le métier d’avocat, à l’heure où même des cabinets purement publicistes tentent de créer un pôle droit privé ?
J’ai eu spontanément une attirance pour le droit public dès la seconde année de licence de droit. Cela m’avait intellectuellement plu. Je suivais également à cette époque les cours d’un DU de sciences politiques et j’avais toujours en tête d’avoir une pratique pouvant intégrer le droit public. L’IDPA a comblé cette envie. Ce fut une année intense mais extrêmement riche, avec un stage de six mois au ministère de l’équipement sous la direction de Patrick Hocreitère, alors responsable du bureau de la réglementation - et depuis avocat - et le suivi en parallèle de tous les enseignements dispensés au sein de l’Institut. J’en retiens une formation d’une grande qualité. En revanche, je n’ai pas eu tellement d’échanges avec mes collègues de promotion ; il était difficile de créer du « lien » en commençant par des stages chacun de notre côté. Il n’y avait pas non plus d’association des élèves de l’Institut et il est très important qu’il y en ait une désormais.
Aujourd’hui, le lien entre droit public et droit privé se retrouve au sein du cabinet Seban & Associés, dont une partie de l’activité est dédiée au droit privé et droit pénal. Mais également dans ma propre activité. Ce lien me semble beaucoup plus fort aujourd’hui ; les avocats publicistes il y a 20 ans étaient souvent issus de cabinets d’avocats au conseil et pratiquaient du droit de l’urbanisme, du droit de l’environnement, … et bien sûr du contentieux administratif. Il y a aujourd’hui une vraie perméabilité et j’y vois notamment la nécessité d’intégrer des problématiques de droit des affaires. Le droit européen a également fortement atténué cette frontière et il est utile aujourd’hui pour un cabinet d’exercer dans le secteur public tout en maîtrisant le droit des sociétés, le droit bancaire, ou encore le droit immobilier. Sans être un expert, chaque avocat publiciste doit donc, à mon sens, avoir une certaine appétence pour le droit des affaires au vu des nombreuses interférences rencontrées dans les dossiers. Cela ne signifie pas être polyvalent car il est important de conserver son expertise spécifique. D’ailleurs, l’inverse n’est pas vérifié car les avocats privatistes font très souvent appel aux avocats publicistes lorsqu’ils sont confrontés à des problématiques de droit public.
Pouvez-vous nous présenter la structure dans laquelle vous êtes associé, ses particularités ?
Lorsque j’ai rejoint le cabinet Seban & Associés fin 2000, il n’y avait que dix avocats. Aujourd’hui nous sommes soixante-dix avocats, et le cabinet dispose de la plus importante équipe en droit public. Le Cabinet a vocation à agir auprès des acteurs publics pour répondre à l’ensemble de leurs besoins, en toute indépendance vis-à-vis des opérateurs privés. Il est donc composé d’une équipe d’environ 50 avocats amenés à intervenir dans tous les domaines du droit public. Les autres avocats du cabinet exercent en droit privé et pénal auprès de ces mêmes acteurs publics sur toutes les autres problématiques. L’importance de notre équipe nous a par ailleurs conduits à développer des expertises spécifiques. C’est ainsi que, pour ce qui me concerne, je développe essentiellement une activité orientée vers les contrats publics, les montages contractuels et structurels mais aussi auprès des acteurs de l’économie mixte et du logement social. D’ailleurs, ma formation en droit privé m’aide beaucoup dans ces derniers domaines.
C’est, enfin, passionnant de suivre l’évolution d’un cabinet de manière aussi rapide. Il constitue désormais une entreprise de 85 personnes dont les associés gèrent les problématiques financières, comptables ou de ressources humaines, au-delà des questions de communication ou encore de positionnement sur le marché. Comme beaucoup, je n’avais pas en tête en démarrant mon activité professionnelle comme avocat que celle-ci m’amènerait à gérer une structure de cette taille et cela a été une heureuse surprise.
Hormis votre activité d’avocat, avez-vous d’autres activités professionnelles ?
J’ai régulièrement publié des articles dans la presse juridique et par ailleurs tenu avec d’autres confrères une chronique pendant deux années dans les pages Administration & Entreprises des Echos. C’était particulièrement intéressant d’écrire dans la presse quotidienne « générale » sur des sujets juridiques en lien avec l’actualité du secteur public ; il s’agissait de rendre facilement accessible des thématiques sur les sociétés d’économie mixte à opération unique (SEMOP), l’innovation dans la commande publique, la prévention des conflits d’intérêts, la loi transition énergétique, etc.
J’ai sinon été chargé d’enseignement en droit administratif des biens à la Faculté Jean Monnet auprès de Jean-Pierre Boivin au début de ma carrière. Et j’ai récemment enseigné les contrats publics et la commande publique à l’Ecole du droit de Sciences Po.
J’interviens enfin régulièrement dans des colloques et pour des organismes de formation. Le Cabinet a par ailleurs fortement développé son offre de conférences ou de formations auprès de nos clients, et celles-ci ont beaucoup de succès.
Quel est votre point de vue sur la pratique actuelle en termes d’honoraires des avocats dans le contexte de la mise en concurrence par les collectivités publiques ? Notamment la baisse de ceux-ci ?
A l’initiative du bâtonnier Christiane Féral-Schul et de son vice-bâtonnier Yvon Martinet, et sous la responsabilité de Françoise Sartorio, un Observatoire des marchés publics avait été mis en place par l’Ordre des avocats en 2011 au sein de la Commission de droit public afin de mettre en lumière les difficultés que rencontrent les avocats publicistes sur le positionnement des prix auprès des acheteurs publics et de la contrainte de l’appel d’offres pour les prestations juridiques. Au sein de cet Observatoire, auquel j’ai participé, nous avions tenté d’identifier et de faire sanctionner par voie judiciaire les cas inacceptables d’appels d’offres ne permettant pas à nos cabinets de répondre dans des conditions correctes, sauf comportement prédateur de la part de certains de nos confrères. Et d’établir un modèle de cahier des charges de marché de prestations juridiques respectueux de nos règles déontologiques au travers d’une mise en concurrence engagée dans des conditions transparentes. Ce fut un travail important, mené de front par plusieurs cabinets d’avocats. Mais insuffisant pour améliorer de manière tangible la situation.
Aujourd’hui, ce travail est prolongé par la Commission de droit public de l’Ordre, laquelle travaille sur les conditions dans lesquelles seront appréciées la valeur et la qualité des candidats à un marché de prestations juridiques. Frédéric Sicard, bâtonnier de Paris, en a d’ailleurs fait tout récemment état dans la Gazette de l’IDPA (voir n°24 – Janvier 2017). Le Cabinet Seban & Associés participe activement à ce travail, qui s’oriente vers une labellisation, au profit de cabinets volontaires, en considération de certains critères (absence de sous-traitance, nombre de collaborateurs et avocats associés intégrés à la structure, compétences internes). Nos cabinets doivent pouvoir déposer des offres permettant aux acheteurs publics de faire un choix éclairé, et pas uniquement sur le prix.
Il est en effet indispensable de ne pas dégrader la qualité du travail des avocats publicistes. En comparaison, les cabinets d’affaires pratiquent des taux de facturation bien supérieurs aux nôtres.
Notre cabinet a quant à lui décidé de maintenir un taux d’honoraires minimum en deçà duquel il ne nous semble pas possible d’intervenir dans des conditions satisfaisantes. Or, nous nous retrouvons régulièrement concurrencés par des impétrants sur le marché qui perturbent fortement le message auprès des acheteurs publics.
Des cabinets pratiquant des prix prédateurs peuvent-ils ensuite surfacturer ?
Oui, cela peut être une dérive de la part de certains confrères, notamment lorsque les marchés prévoient une facturation au temps passé. A défaut, des conditions financières très limitées ne permettent pas d’investir suffisamment sur un dossier et cela n’est bénéfique ni pour les clients qui sont déçus de la prestation, ni pour les avocats, la valeur de notre travail n’étant alors nullement reconnue, au contraire.
Est-ce que les formations proposées par les cabinets d’avocats ne se sont pas développées en réaction à cette baisse des honoraires ?
Non, je pense plutôt que cette activité est complémentaire à une activité de conseil ou d’assistance contentieuse ; particulièrement en droit public, face à une réglementation importante et en constante évolution. Nous en avons d’ailleurs de parfaits témoignages avec la réforme territoriale ou celle des marchés publics, où il a fallu s’adapter dans des délais très courts. Le besoin d’information est fort et nos clients sont dans ce cas, en recherche d’une compréhension globale et d’une visibilité sur une réforme ou une évolution du droit avant un conseil spécifique. C’est sans doute un développement de l’activité d’un cabinet et c’est également positif pour celui-ci, qui renforce sa veille sur l’actualité et son expertise.
Plus d’un an s’est écoulé depuis la publication du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics. Quel bilan en tirez-vous ? La réforme a-t-elle tenu ses promesses de simplification ou bien faut-il encore laisser aux acheteurs publics le temps de s’approprier les textes ?
Les acheteurs publics ont rencontré une difficulté d’application immédiate du décret, avec une entrée en vigueur au 1er avril 2016 pour une publication du décret au JO du 27 mars 2016. Au-delà, un effort de simplification a été produit dans le sens des directives de l’Union européenne mais on réalise au quotidien les modifications de fond qui apparaissent au fur et à mesure (choix des critères de sélection des offres, procédure de concours, procédure concurrentielle avec négociation, open-data, …). Les textes actuels offrent en parallèle une gamme d’outils plus importante permettant de mieux personnaliser des modes d’achat adaptés en considération d’objectifs propres, mais ces outils demeurent complexes d’application.
Le nouveau décret du 10 avril 2017 perturbe encore le paysage, notamment sur les questions de concours, de commission d’appels d’offres. Il reste encore des étapes pour une simplification optimisée. La dématérialisation totale à terme sera compliquée.
En pleine campagne électorale où les questions sociales et environnementales sont primordiales, dans quelle mesure les marchés publics peuvent contribuer plus efficacement à la prise en compte de ces facteurs depuis la réforme de la commande publique ?
Je le disais, les nouveaux textes en matière de marchés publics permettent aux acheteurs qui le souhaitent de personnaliser leurs procédures d’achat, tout particulièrement au travers de critères liés à l’insertion sociale ou à l’environnement. L’achat peut revêtir dans ce cas un objectif plus politique et pas seulement économique.
L’Ordre des avocats au barreau de Paris a engagé une campagne publicitaire pour alerter les candidats à l’élection présidentielle sur le devenir de notre justice et ont établi le Pacte justice 2017. Qu’en pensez-vous ?
Concernant la justice administrative, des améliorations doivent encore être apportées, même si les délais de traitements contentieux ont été réduits.
De manière plus globale, il est certain que la justice est très largement oubliée par les pouvoirs publics alors qu’elle constitue un enjeu social très fort.
Un conseil pour la promotion actuelle de l’IDPA ?
J’ai appris que vous étiez cette année une trentaine d’élèves Idpéistes et je m’en félicite. Il y avait apparemment de très bonnes candidatures justifiant ce nombre important. C’est le signe que l’IDPA non seulement perdure mais se développe. Après une période de creux, il est très positif de maintenir sa visibilité et au-delà, celle de toute l’activité des publicistes. De nombreux cabinets, dont le nôtre, soutiennent l’IDPA et son association à travers notamment des contributions et nous recrutons chaque année au moins un élève-avocat issu de l’Institut pour son stage final.
Le conseil que je pourrais donner : être avocat publiciste et l’affirmer, tout en étant ouvert à d’autres domaines du droit mais, aussi, à l’actualité, les finances ou l’économie. La curiosité est essentielle dans notre métier et celle-ci doit se manifester dès le premier stage effectué. Se plonger pour un dossier dans un secteur d’activité dont on ne connait rien au départ mais que l’on va découvrir très vite pour les besoins du dossier est quelque chose de très riche et c’est en cela que notre activité devient passionnante.