Extrait de la Gazette n°29 - Octobre/Novembre 2017 - Propos recueillis par Olivier Bégué et Félix Giboire
Me Karelle DIOT
Avocat à la Cour
Maître Karelle Diot, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs, leur exposer votre cursus ?
J’ai commencé mon cursus universitaire à Reims. Dès la deuxième année, je me suis orientée vers le droit public, puis en licence j’ai privilégié le droit administratif et le droit de l’urbanisme. Après trois années passées à Reims, je me suis inscrite à la faculté de Sceaux, où j’ai passé une maîtrise en droit du contentieux administratif.
J’ai ensuite poursuivi mon cursus universitaire avec un DESS en droit immobilier et de la construction à Assas et un DEA en droit de l’environnement à la Sorbonne.
À la fin de mon DEA, j’ai passé l’examen d’entrée à l’école d’avocat à la fac de Sceaux, laquelle dépend de l’HEDAC (école d’avocat de Versailles). J’avais déjà connaissance de l’IDPA puisque la formation au sein de l’IDPA s’effectuait en partenariat avec la faculté de Sceaux. Je me suis donc inscrite à l’HEDAC dès que j’ai eu l’examen d’entrée au CRFPA de Versailles puis j’ai demandé mon transfert à l’école de Paris.
Diplômée de l’Ecole de formation du barreau de Paris et de l‘IDPA, j’ai recherché une collaboration en droit public avec une préférence pour l’urbanisme. Finalement après avoir passé quelques entretiens, je n’ai pas eu beaucoup de choix. Lorsque le stage n’aboutissait pas sur une collaboration il était difficile de trouver une collaboration en droit public. Les places étaient rares surtout si on ne faisait pas du droit des contrats (marchés publics et délégations de service public).
D’ailleurs, cette année-là, deux jeunes avocats de la promotion IDPA n’ont pas trouvé de collaboration à la sortie de l’école.
J’ai donc commencé à exercer au sein du Cabinet De Castelnau. J’y suis restée deux ans et demi et n’y faisais que du droit de l’urbanisme, essentiellement pour le compte de collectivités locales.
Puis, j’ai poursuivi mon activité au sein du Cabinet Lefèvre Pelletier (devenu LPA-CGR). Cette fois la clientèle était composée de personnes privées, principalement des promoteurs et des sociétés cotées. Il s’agissait davantage d’un travail de conseil que de contentieux. J’ai pu travailler sur de gros projets immobiliers à Paris et sur le quartier de la Défense. Même si je ne suis restée que deux années au sein du département droit public de ce cabinet, aujourd’hui la plupart de ces projets ont vu le jour. Alors qu’au cours de cette expérience j’étais du côté des pétitionnaires, ma connaissance des collectivités locales m’a été très utile notamment pour appréhender l’aspect politique des projets lors des discussions avec les élus et les services instructeurs.
Si au sein du Cabinet de Castelnau j’ai été amenée à travailler sur quelques dossiers d’aménagement commercial, notamment à la Réunion (surface de vente et cinéma), ce type de dossier a par la suite représenté plus de 80 % de mon activité contentieuse au sein du cabinet Lefèvre Pelletier.
Ce manque de diversité en contentieux administratif m’a finalement incitée à changer de Cabinet. J’ai donc rejoint le Cabinet Claude & Associés (devenu Claude & Sarkozy) au sein duquel mes expériences précédentes se sont révélées bénéfiques puisqu’elles m’ont permis d’avoir dans les dossiers d’urbanisme la vision de l’administré et celle de la collectivité locale.
Je suis restée 6 années au sein de cette structure, au cours desquelles j’ai fait du droit de l’urbanisme, mais également de l’aménagement et du droit de l’expropriation.
J’ai ensuite exercé mon activité à titre individuel. En réalité j’ai toujours eu une clientèle personnelle au cours de mes différentes collaborations. Il me restait à sauter le pas, et à développer ma clientèle pour atteindre un chiffre d’affaires suffisant me permettant de continuer dans la profession.
J’ai d’abord commencé prudemment en étant sous-locataire au sein du cabinet FTPA. Cette situation m’a permis pendant trois années de disposer des avantages d’une grosse structure (adresse prestigieuse, magnifiques salles de réunion, et surtout de ne pas être seule).
Par ailleurs, le cabinet me sous-traitait des dossiers. Je répondais aux besoins du Cabinet et donc de sa clientèle en matière d’urbanisme et d’expropriation dans la mesure où j’étais la seule à disposer de compétences dans ces matières.
Depuis cet été, j’exerce « sans filet ». Je loue un bureau dans le cabinet d’une consœur qui fait du droit immobilier privé. Petit à petit nous nous sommes rendues compte qu’il existait une complémentarité certaine entre nos différents domaines de compétence.
Si bien que lorsque je suis saisie un dossier qui relève davantage du droit privé que du droit public (exemple : procédure pour recours abusif ou pour trouble anormal de voisinage qui se déroulent devant le Tribunal de grande instance), je rédige les conclusions, alors que ma consœur se charge de la procédure civile.
Pourquoi avez-vous choisi de suivre la formation de l’IDPA ? Avez-vous gardé des liens avec votre promotion ?
Comme je l’ai expliqué, j’ai entendu parler de l’IDPA en maîtrise lorsque j’étais à la faculté de Sceaux.
L’IDPA était pour moi une façon de poursuivre la spécialisation en droit public que j’avais entamée dès le début de mes études universitaires.
J’ai gardé des liens avec de nombreuses personnes de ma promotion. Marie-Céline Pelé, qui vient de s’installer à son compte (voir son entretien à la Gazette n°28 – Septembre 2017). Mais aussi beaucoup d’autres, Régis Froger, qui est un incontournable, et qui enseigne d’ailleurs aujourd’hui le contentieux administratif à l’IDPA ; Donatien de Bailliencourt ; Clémence Cordier, etc.
A travers mon parcours j’ai pu constater que faire l’IDPA présente deux avantages.
D’une part, dans un premier temps, il permet d’être identifié plus facilement par les recruteurs et les Cabinets. C’est un gage de qualité et de spécialisation en droit public.
D’autre part, au fil des années et des dossiers, le réseau de l’IDPA permet également d’appartenir à « une communauté », celle des « Idpéistes », et ce quelle que soit la promotion à laquelle nous appartenons.
Hormis votre activité d’avocat, avez-vous d’autres activités professionnelles ? Publications, enseignements, formations ?
J’essaie de publier deux ou trois articles par an dans des revues spécialisées. Dans le Moniteur des travaux publics par exemple, ou la Gazette des Communes. Je publie aussi des fiches pratiques dans Lexis 360, telles que « comment contester une ordonnance d’expropriation ? » ou encore « comment contester un permis de construire ? ».
Depuis la réforme des autorisations d’urbanisme en 2005-2007, je dispense régulièrement des formations dans cette matière. Cela fait donc plus de dix ans que je forme pour le compte d’organismes de formation, des collectivités locales, des juristes ou encore des avocats, en droit de l’urbanisme, de l’aménagement commercial ou du droit de l’expropriation. Par moments cela représente une part importante de mon activité. Tel est le cas notamment en fin d’année dans la mesure où certaines entreprises sont tenues d’écouler leur budget formation avant la fin de l’année civile.
Certaines formations sont très spécifiques et correspondent à des demandes sur mesure formulées par des entreprises. J’essaie d’y répondre au mieux. En tant que formatrice, je dois comprendre quelles sont les problématiques de l’entreprise qui sollicite la formation en fonction de son activité. Je dois être le plus proche possible de ses attentes ce qui n’est pas toujours chose aisée.
Quel regard portez-vous sur les évolutions du droit de l’urbanisme, et ce notamment depuis la loi « ALUR » ?
Je considère que la loi ALUR n’a pas été la réforme la plus importante. J’ai commencé à exercer alors que la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain (loi SRU) venait d’entrer en vigueur. Puis s’en sont suivis l’ordonnance du 8 décembre 2005 et le décret du 5 janvier 2007 relatifs au permis de construire et aux autorisations d’urbanisme. Ces réformes ont profondément modifié le droit de l’urbanisme dans un sens de clarification et de transparence. Cependant il y avait un délai suffisant entre chaque réforme pour les assimiler.
Or, depuis la loi ALUR, les textes se multiplient. L’urbanisme est en perpétuel mouvement : on a à peine le temps de prendre connaissance des nouveaux textes, que d’autres leur succèdent, ce qui nécessite un suivi quotidien de l’actualité juridique et des remises en question permanentes.
Un des principaux enjeux de l’urbanisme aujourd’hui est de favoriser la construction, notamment de logements. Les règles restrictives propres à l’urbanisme disparaissent. En effet, alors qu’il y a encore une dizaine d’années les règlements des PLU faisaient plusieurs dizaines de pages, aujourd’hui ils sont beaucoup plus succincts. Ainsi, en dehors des espaces protégés, les règles d’urbanismes sont moins strictes. Certaines communes sont mêmes volontairement revenues ces derniers mois au règlement national d’urbanisme (RNU).
Le droit de l’urbanisme ne peut plus être appréhendé comme une matière isolée. Elle est liée à d’autres thématiques : l’environnement, la biodiversité, la performance énergétique, etc…
Dès lors, la matière est devenue très technique. Si au début de mon activité j’intervenais aussi bien en droit de l’urbanisme règlementaire (PLU, SCOT, etc.), qu’en droit de l’urbanisme opérationnel (autorisations d’urbanisme), aujourd’hui mon expérience porte davantage sur les autorisations d’occuper le sol.
La technicité et la complexité de la matière m’ont amenée à me spécialiser au sein même du droit de l’urbanisme. Je suis partie du principe qu’il était préférable que je me spécialise sur un pan du droit de l’urbanisme, à savoir les autorisations de construire, plutôt que de traiter de sujets que je maitrise mal et pour lesquels la clientèle est plus difficile à capter (à savoir les collectivités locales).
Le Président de la République envisageait dans son programme de transférer la compétence de délivrance du permis de construire, dans les zones tendues, à la métropole ou à l’intercommunalité, voire à l’Etat. Quel est votre avis sur ce projet ?
Aujourd’hui, la police de l’urbanisme est très encadrée. Les délais d’instruction sont connus dès le dépôt du permis et les demandes de pièces complémentaires sont limitées.
Il n’y a plus de mauvaises surprises ni d’abus.
A mon sens, le maire est certainement le plus apte à délivrer les permis. Il connait sa ville, les besoins de ses habitants et les particularités locales du territoire communal. C’est également à travers sa politique en matière d’urbanisme qu’il construit la ville de demain et qu’il lui donne son identité. Dès lors, il serait dommage de retirer ce pouvoir au maire alors qu’il reste l’autorité administrative la plus proche des citoyens
L’autorisation environnementale unique est entrée en vigueur le 1er mars dernier. Quel regard portez-vous sur le fait que le permis de construire n’y ait pas plus été intégré ?
Je suis plutôt favorable à cette situation. Alors que nous connaissons tous le principe d’indépendance des législations cher au droit administratif, la tendance actuelle est de procéder à des regroupements (ex : l’aménagement commercial qui est intégré dans l’urbanisme). Or, le droit de l’urbanisme est un droit d’exception. Il est donc difficile de l’intégrer à d’autres procédures et d’autres autorisations.
Peut-être que le principe du guichet unique est intéressant, mais je trouve que le droit de l’urbanisme se prête mal à l’autorisation unique, déjà de par l’autorité qui délivre les autorisations d’urbanisme qui est soit le maire soit le président de l’Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) qui a la compétence en droit de l’urbanisme, alors que pour une autorisation au titre de la loi sur l’eau par exemple, l’autorité compétente est le préfet.
Vous intervenez en matière d’aménagement cinématographique, pouvez-vous nous présenter ses spécificités, notamment par rapport à l’aménagement commercial ?
C’est en faisant de l’aménagement commercial portant sur la création de surface de vente que j’ai été amenée petit à petit à faire de l’aménagement commercial cinématographique.
Il y a encore quelques années, les règles étaient similaires.
Cependant, la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, dont l’objectif était d’intégrer l’aménagement commercial dans l’urbanisme ne concerne que les surfaces de vente. Les projets cinématographiques ont été exclus de ce mouvement qui a pour origine le droit européen.
Aujourd’hui, le principe de l’autorisation préalable pour exploiter un cinéma subsiste dès lors qu’il compte au moins 300 fauteuils. Il est donc nécessaire d’obtenir une autorisation d’aménagement commercial cinématographique pour pouvoir déposer ultérieurement un permis de construire. L’indépendance des législations reste entière.
La décision d’exploiter un cinéma est délivrée par la Commission départementale d’aménagement commercial statuant en matière cinématographique (CDACi). Elle peut faire l’objet d’un recours devant la Commission nationale du même nom (CNACi). Il s’agit d’un recours administratif obligatoire (RAPO). La décision de la CNACi se substitue à celle de la CDACi. Cette décision peut ensuite être contestée en premier et dernier ressort devant la Cour administrative d’appel du lieu d’implantation du projet.
Tout comme en matière de surface de vente, les critères sur la base desquels les commissions départementales et nationales délivrent leurs autorisations ont été modifiés sous l’influence du droit communautaire.
La densité commerciale dans la zone d’influence commerciale n’est plus « officiellement » prise en compte.
Les commissions se rapportent à différents critères définis à l’article L. 212-9 du Code du cinéma et de l’image animée, tels que la diversité de l’offre cinématographique laquelle s’apprécie notamment à travers la programmation cinématographique du projet, l’accès des œuvres cinématographiques du projet aux salles existantes, ou l’insertion du projet dans son environnement, etc.
Pensez-vous que les conclusions reconventionnelles aux fins de condamnation pour recours abusif contre un permis de construire, en application de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme, vont se développer ?
Les personnes qui ne pratiquent pas régulièrement l’urbanisme craignent les procédures pour recours abusif en cas de contestation d’une autorisation d’urbanisme.
Il existe certes au sein du Code de l’urbanisme un dispositif visant à condamner les recours qualifiés d’abusif par la juridiction administrative (art. L. 600-7 du Code de l’urbanisme).
Si à ce jour je n’ai pas eu l’occasion de voir ce type de procédure, je rencontre régulièrement des procédures pour recours abusif devant le juge judiciaire à l’initiative de promoteurs.
En effet, certains promoteurs n’hésitent pas à réclamer plusieurs millions d’euros de dommages et intérêts à des particuliers en les assignant au judiciaire. Or, peu intimidés par ces assignations, ils poursuivent généralement leur action devant le juge administratif en contestation de l’autorisation d’urbanisme litigieuse dans la mesure où le juge civil ne condamne qu’exceptionnellement les requérants sur le fondement du recours abusif.
Je trouve dommage d’en arriver à ce type de rapport de force qui finalement provoque une multiplication des procédures et encombre les tribunaux judiciaires et administratifs.
À mon sens, c’est là que l’avocat peut avoir un vrai rôle à jouer. Celui de favoriser la discussion entre les parties en privilégiant les règlements alternatifs des conflits.
Lorsqu’un client m’indique vouloir attaquer un projet de construction, je l’informe rapidement de ses chances de succès selon mon analyse du dossier.
Si elles sont minces, j’attire son attention sur la politique actuelle en matière de construction et la tendance au sein des juridictions de limiter les annulations de permis de construire. L’avocat doit être honnête avec son client, en lui précisant que si ce n’est pas ce projet-là qui sera réalisé, un autre le sera certainement ultérieurement.
Dès lors, une discussion avec le promoteur peut être constructive. Elle peut permettre de savoir rapidement si une modification du projet peut être envisagée pour que le voisin requérant puisse l’accepter.
Bien souvent, il y a un manque de communication en amont des projets, les riverains découvrent le projet lors de l’affichage du permis de construire, alors que s’ils avaient été consultés, ou à tout le moins informés, peut-être qu’ils auraient eu moins peur. C’est surtout la crainte de perdre leur qualité de vie qui incite les riverains à introduire un recours. Dès lors, en désamorçant cette crainte, et en organisant un rendez-vous, on arrive à avoir des explications. Ainsi, il suffit parfois que le pétitionnaire produise des plans ou une simulation sur ordinateur de l’évolution des ombres du projet sur l’appartement du requérant pour que ce dernier soit rassuré.
On peut ainsi aboutir à une modification à la marge du projet juste en permettant aux parties de se parler. J’ai eu récemment un client qui n’était pas opposé au projet voisin mais qui ne voulait aucun vis-à-vis avec sa maison. Il a suffi que le promoteur s’engage contractuellement à planter des arbres sur son terrain pour que mon client se désiste de son recours (aucune transaction financière n’a eu lieu).
Que pensez-vous de la politique en matière de logement ?
La volonté du gouvernement de relancer la politique de logement, sans distinction des particularités locales ou géographiques est à mon sens critiquable.
On retrouve la politique du logement à travers l’urbanisme. Les PLU sont beaucoup plus laxistes, il y a une volonté d’autoriser des projets de logement collectifs dans des zones principalement pavillonnaires ce qui provoque, notamment dans certaines villes de banlieue, des recours systématiques. Si en région parisienne le besoin de logement est certain, tel n’est pas le cas partout sur le territoire national alors que la politique est la même.
Ainsi, lors d’une formation que j’ai dispensée pour un office public de l’habitat en province, il m’a été expliqué que ledit office avait trop de logements sociaux et que par ailleurs plus d’un tiers était vacant.
Il s’avère que le respect du pourcentage de logements sociaux prescrit par la loi SRU n’était pas nécessaire sur ce territoire compte tenu de la faible demande de logements sociaux.
Si bien qu’aujourd’hui cet office public de l’habitat dispose d’un portefeuille immobilier inoccupé qui se détériore et qu’il est difficile d’entretenir. À cela s’ajoute le fait que l’OPH est redevable de la redevance pour logements vacants !
Finalement, d’un territoire à un autre il y a des disparités. Toutes les villes n’ont pas besoin de 25% de logements sociaux. Peut-être qu’en région parisienne et dans les grandes métropoles ce besoin est réel, mais on peut douter qu’il en soit ainsi partout. Il faudrait l’adapter aux spécificités locales, aux bassins d’emplois : les gens ne vont pas là où il n’y a pas d’emploi. Si on ne met pas en harmonie l’emploi et le logement, notamment à travers l’urbanisme, il risque d’y avoir des incohérences.
Un conseil pour la promotion actuelle de l’IDPA ?
En premier lieu, je pense que le contentieux va prendre une place moins importante dans l’activité des avocats, que l’on s’oriente vers les règlements alternatifs des conflits, et ce même en droit public.
Le rôle de l’avocat devrait donc évoluer en jouant davantage un rôle de conseil auprès de son client. Il faut évoluer, s’orienter vers ce type de logiques et accompagner son client dans cette voie à chaque fois que cela est possible.
En deuxième lieu, je m’interroge quant à l’avenir de notre profession par rapport à la justice prédictive. Avec internet, un certain nombre de clients nous indique déjà ce qu’il faut écrire ou non dans nos écritures – ce qu’ils auraient eux-mêmes voulu écrire - alors que ce n’est pas leur métier, et que les moyens qu’ils veulent voir invoquer sont souvent inopérants ou mal-fondés.
Je crains, si l’on n’est pas attentif, que la justice prédictive soit une évolution qui nous fasse perdre une part de notre indépendance, notamment sur la stratégie à adopter dans nos dossiers. Lorsque je prends un dossier je construis une stratégie en fonction du but recherché par mon client. Si l’on nous dit dès le départ grâce à un algorithme que l’on n’a que 20% de chances de succès, cette information statistique ne va-t-elle pas inciter à un renoncement, même inconscient, de défendre le dossier jusqu’au bout pour tenter de le gagner ?
Par ailleurs, il ne faudrait pas que l’accès des avocats à ce type de justice soit pour les clients une façon de sélectionner leur avocat.
En troisième lieu, ne sous-estimez pas les aspects psychologiques du métier d’avocat. L’avocat accompagne aussi le client sur le plan psychologique, certes cela apparait évident en droit pénal ou en droit de la famille. Mais il en va de même en droit de l’urbanisme.
Ainsi, par exemple en cas de recours contre un projet voisin, parallèlement à la procédure en annulation que je mène pour mon client, je l’accompagne également vers une éventuelle acceptation dudit projet en cas de rejet du recours. Finalement le temps du contentieux lui permet de relativiser les impacts du projet sur son cadre de vie pour finalement être en mesure de l’accepter plus sereinement dans l’hypothèse où la procédure en annulation n’aboutirait pas. Il arrive même qu’il se désiste sans transiger avant l’audience…