Maître Nil SYMCHOWICZ, Avocat associé - Cabinet Symchowicz, Weissberg & Associés

Extrait de la Gazette n°30 - Janvier 2018 - Propos recueillis par Juliette Dreyfus et Félix Giboire

Capture d’écran 2018-02-06 à 20.53.04.png

Me Nil SYMCHOWICZ

Avocat associé, cabinet Symchowicz, Weissberg & Associés

Maître Nil Symchowicz, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs, leur exposer votre cursus ?

Je suis devenu avocat un peu par hasard. Lors de mes études de droit, à Paris II, entamées au milieu des années 80, je me suis tourné vers le droit public, assez tôt, par pur intérêt académique, et non dans l’idée de devenir avocat. Il est vrai qu’à l’époque l’enseignement du droit public dans les universités était très largement déconnecté de la vie des affaires, et donc de la pratique professionnelle. Les enseignements étaient partagés entre le droit constitutionnel externe et comparé, le droit des finances publiques et le droit administratif. A l’époque, le droit administratif des contrats ou celui des biens ne formaient que des chapitres courts des enseignements généraux de droit administratif. Il existait certes en maîtrise des cours de droit des services publics ou de droit public économique, mais l’orientation de ces enseignements, à l’époque, était très peu tournée vers la vie des affaires. Les publicistes n’étaient donc pas formés pour devenir avocats.

Une rencontre d’un ami dans un couloir du Panthéon m’a toutefois conduit à m’inscrire à l’IEJ et à passer l’examen d’entrée au barreau, que j’ai réussi. Je crois bien avoir été un des rares publicistes en 1990 à suivre ce chemin et à ne pas opter pour les concours administratifs ou la carrière universitaire, pour lesquels nous étions destinés.

A la fin de mes études, j’ai fait deux rencontres déterminantes. D’abord, celle de René Chapus en DEA (Master 2), dont la bienveillance m’a permis d’intégrer en qualité de stagiaire puis de collaborateur externe le cabinet d’avocats aux conseils de Bruno Odent. Et c’est également le Professeur Chapus qui a attesté de ma moralité pour mon inscription au Barreau. Ensuite, celle de Laurent Richer, auprès duquel j’ai effectué mon pré-stage lorsque j’étais élève-avocat, également sur recommandation du Pr. Chapus. Je me suis depuis lié d’amitié avec lui et je lui dois beaucoup, non seulement pour le soutien qu’il m’a apporté à l’occasion de mes premières publications, mais également pour avoir dirigé, plus tard, ma thèse de doctorat, consacrée à la mutation des procédés contractuels des personnes publiques.

Puis assez rapidement, j’ai intégré un cabinet d’avocats à la cour, celui de Marie-Thérèse Sur-Le-Liboux. Auprès d’elle, je me suis initié à la technique contractuelle et plus globalement au droit public des affaires. Je lui dois également beaucoup, non seulement parce qu’elle m’a enseigné qu’à un « d’une part » devait succéder un « d’autre part », mais également parce qu’elle m’a inculqué le sens de la distance qu’un avocat devait avoir par rapport à ses dossiers ou ses clients. Au bout de quatre années, en dépit de relations excellentes avec les associés composant ce cabinet, j’ai décidé de m’installer tout seul.

Le développement de mon cabinet s’est opéré ensuite sans trop de difficultés. J’ai bénéficié d’une triple aubaine qui, hélas, fait partie d’un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître. D’abord, les cabinets publicistes étaient encore assez peu nombreux. Il était donc assez facile de trouver sa place dans un environnement relativement dégagé. Ensuite, c’était le temps béni où l’assistance juridique aux collectivités publiques pouvait s’opérer sans mise en concurrence. Pour choisir son avocat, la confiance suffisait et il est clair que j’aurais eu plus de difficultés à émerger si des mises en concurrence avaient été nécessaires pour conseiller les collectivités publiques. Enfin, il était assez facile, en définitive, de se faire connaître. A cette époque, la publication d’un article ou d’une note de jurisprudence à l’AJDA, qui avait le quasi-monopole de l’information juridique en droit administratif et qui était en plus un mensuel, procurait presque immédiatement, si ce n’est une certaine notoriété, au moins une relative visibilité. J’avais à cette époque deux trois choses à dire sur les contrats en général et les délégations de service public en particulier et j’ai eu la chance, grâce à Laurent Richer, d’avoir été publié à l’AJDA à plusieurs reprises peu de temps après mon installation. Ces circonstances ont permis à mon cabinet de se lancer.

Puis, David Weissberg, privatiste de formation, m’a rejoint et le cabinet a connu une croissance lente mais naturelle jusqu’à l’association d’Hervé Letellier et de Pierre Le Bouëdec qui ont connu le cabinet dès 1998, en qualité de stagiaires. Nous sommes désormais une vingtaine et j’ai le plaisir d’avoir encore à mes côtés mes anciens associés, mais également des associés plus récents, Romain Laurent, Emeric Morice et Marion Saint-Supery qui, eux aussi, ont fait leurs premières armes au sein de notre structure.

A côté de ma carrière d’avocat, je n’ai par ailleurs jamais abandonné l’université. Je crois bien avoir dispensé des enseignements de manière constante depuis 1990 et j’ai occupé pendant une dizaine d’années des fonctions de maître de conférences associé, puis de Professeur associé de droit public grâce au Professeur Stéphane Braconnier qui m’a fait confiance et à qui je suis reconnaissant de m’avoir proposé il y a 17 ans de rédiger un ouvrage consacré aux montages contractuels complexes, dont vient de sortir la 4ème édition.

Pourquoi avez-vous choisi de suivre la formation de l’IDPA ?

Pour un publiciste, à l’époque, ce n’était donc pas tout à fait naturel de se diriger vers la carrière d’avocat. Cela va peut-être vous étonner, mais en intégrant l’EFB, je pensais réellement que j’allais exercer en droit privé, tant il me paraissait évident que la formation d’avocat, mais aussi son exercice, n’avaient que peu de choses à voir avec le droit public.

Admis à l’EFB en 1990, ma formation m’a conduit sans difficulté à intégrer l’IDPA, que j’ai découvert avec une vraie surprise, en même temps que je prenais alors conscience des opportunités offertes aux publicistes au sein du Barreau. Je crois bien qu’à l’époque la seule sélection à l’IDPA consistait à retenir des candidats qui, plus ou moins, avaient côtoyé d’un peu plus près le droit administratif. D’ailleurs, faute d’effectif publiciste suffisant, ma promotion comportait pas mal de privatistes.

Je retiens de cette scolarité à l’IDPA assez peu de choses d’un point de vue académique. Les enseignements étaient assez légers, le mérite de cette formation était avant tout de créer un canal professionnel pour les publicistes et de nous dispenser, avec joie, des enseignements généraux de l’EFB.

Pouvez-vous nous présenter la structure dans laquelle vous êtes associé, ses particularités ?

Le cabinet a été fondé en 1996. Il s’agit d’un cabinet d’avocats assez traditionnel, de taille moyenne. Nous conseillons et représentons nos clients publics et privés, dans des affaires aux enjeux modestes, comme dans des affaires plus conséquentes. Notre clientèle est composée de petites structures publiques, mais aussi d’entités bien plus importantes. Il en va de même de notre clientèle privée. Nous sommes un cabinet spécialisé en droit public des affaires comme il en existe désormais de nombreux comparables.

Je ne suis pas certain que notre cabinet connaisse des particularités remarquables. Je peux à la rigueur évoquer ce qui fait un peu notre réputation, mais qui est largement partagé par bon nombre de confrères, à savoir que nous sommes, je crois, reconnus pour être assez exigeants et rigoureux.

Et s’il faut évoquer encore une caractéristique du cabinet, c’est le lien fort qui existe entre les associés. Il s’agit pour nous, certes de partager un temps professionnel, mais avant tout de vivre une aventure humaine.

Quel est votre quotidien, en tant qu’associé fondateur d’une structure à taille humaine ? Quel(s) rôle(s) endossez-vous ?

Le rôle d’associé fondateur procure de fait une certaine forme de « leadership ».  Mais notre structure est en réalité très égalitariste, et ce peu important le niveau de détention de parts sociales. Les décisions sont quasiment toutes prises à l’unanimité. Toutefois, il n’est pas totalement impossible que les orientations que je suis conduit de temps à autres à préconiser puissent connaître une écoute attentive, mais loin de moi l’idée de me considérer comme un chef d’entreprise.

Un cabinet d’avocat n’est d’ailleurs pas une entreprise comme une autre, c’est plutôt une entreprise artisanale. Quels que soient mon ancienneté, mon âge ou le nombre de parts sociales que je détiens au sein du cabinet, je reste un artisan, qui, comme les autres avocats, traite des dossiers, rédige des consultations ou des mémoires.

Il est vrai que par l’effet du temps et d’une équipe qui se développe, mon rôle de superviseur est bien plus important qu’il ne l’était il y a quelques années. Mais je continue à suivre tous les dossiers sur lesquels je travaille.

J’ai également un rôle de formateur, puisque je passe beaucoup de temps à essayer de former les jeunes collaborateurs de façon à ce qu’ils deviennent de bons professionnels.

Dans le cadre de votre activité d’enseignement, vous êtes intervenu à la fois auprès de Sciences-Po Paris et de prestigieuses universités. Constatez-vous une différence d’approche du droit selon le cursus ?

Mes premiers étudiants ont aujourd’hui la quarantaine bien dépassée, ce qui ne me rajeunit pas, même si l’activité d’enseignant procure un délicieux sentiment du temps qui se fige puisque les étudiants ont par définition toujours le même âge.  Un instant de déraison peut vous conduire à penser que tel est aussi votre cas.

J’ai pu constater durant toutes ces années un double phénomène. D’une part, un niveau général à l’université qui a tendance à baisser. La « masse », si vous me permettez ce mot, étant de moins bon niveau que naguère. Mais, d’autre part, dans le même temps, je constate un niveau des étudiants intégrés (et donc sélectionnés) dans les meilleurs troisièmes cycles, bien meilleur que celui que j’avais à leur âge. Il ne cesse à mes yeux de s’améliorer. Et c’est une très bonne nouvelle.

Je suis aujourd’hui chargé de cours aux universités Paris I et Paris II, mais sans y être titulaire comme je l’étais auparavant en tant que professeur associé. Je donne un cours de contentieux des contrats au sein du Master 2 de contentieux public dirigé par le Professeur Catherine Teitgen-Colly à Paris I, et un cours de droit public de la construction dans le Master 2 de droit immobilier et de la construction du Professeur Hugues Périnet-Marquet à Paris II.

Après quatre ans, j’ai arrêté cette année d’enseigner dans le cadre des cours électifs de Science Po Paris. J’y donnais un cours de droit des services publics, aujourd’hui abandonné par l’établissement.

Sciences-po est un environnement très confortable pour les étudiants et les enseignants qui y sont bichonnés. Les conditions matérielles y sont excellentes. Mais surtout, le niveau des étudiants est remarquable. Mes étudiants n’étaient pas juristes et j’ai été frappé par leurs capacités d’analyse et de réflexion.

Le jour où les facultés de droit procéderont, comme Sciences-po, à une sélection importante et sérieuse de leurs étudiants, le niveau augmentera immédiatement. On le constate déjà dans les M2 dans lesquels j’enseigne. Pourquoi Paris I et Paris II sont-elles considérées comme les meilleures facultés ? Ce n’est pas à cause des enseignants, ni à cause des conditions matérielles que l’on y trouve, c’est uniquement parce que les étudiants y sont meilleurs. Vous leur donnez n’importe quel professeur et ils sont bons. Et comme le prestige de ces universités est grand, les bons professeurs souhaitent y être titulaires. Et comme ces universités accueillent les grands professeurs, les étudiants souhaitent en être diplômés. C’est le cercle vertueux. Ceci à mes yeux confirme la nécessité d’une sélection à l’université. C’est la sélection qui fait le bon niveau.

Puisque vous me demandez une appréciation comparée des étudiants de Sciences-po et des facultés de droit, je dirais que, pour les premiers, ils sont formés pour appréhender rapidement des notions qui leur sont étrangères avec un sens certain de la synthèse et, pour les seconds, que leur culture est trop exclusivement juridique alors que le monde des affaires implique une appréciation de l’environnement économique. Mais, à mes yeux, pour former des bons juristes, l’université reste la meilleure école, car la qualité première des étudiants de Sciences-po est de pouvoir parler d’à peu près tout de manière synthétique et leurs cours sont d’ailleurs formatés pour cela, Mais, à mes yeux, la qualité d’un juriste opérationnel, est d’aller au fond des choses avec un souci aigu de la complétude d’analyse. Les vraies études de droit me semblent mieux adaptées pour cela, pour autant qu’elles soient suivies par de bons étudiants.

Que pensez-vous de l’évolution du marché du droit public pour les avocats ?

Ce que j’en pense n’est pas très original. Des circonstances mystérieuses conduisent ce marché à s’extraire des « lois du marché », non pas pour le meilleur, mais pour le pire. En principe, le faible nombre de spécialistes, même s’il est en augmentation, et le nombre très important de clients publics et privés potentiels auraient dû conduire, par le jeu de l’offre et de la demande, à ce que les avocats publicistes soient les plus chers de France. Chacun sait ce qu’il en est. Des stratégies périlleuses engagées par ceux-là même qui, parfois, les combattent avec force aujourd’hui, ont conduit à des tarifications défiant toute logique économique, qui font de nous les avocats les moins chers de France. Elles conduisent ou finiront par conduire à la paupérisation de nos structures, à la déconsidération de notre profession, et à la baisse de qualité de notre offre de services. Les meilleurs étudiants finiront par se détourner du conseil aux personnes publiques, puis ça sera le cas des meilleurs cabinets, tandis que perdurera le combat de titans entre les autres cabinets pour tenter d’emporter des marchés et il est aujourd’hui impossible de dire quel niveau abyssal les prix finiront par atteindre.

Résultat : les cabinets publicistes sont désormais perçus pour ce qu’ils sont : de banals prestataires de services prêts à tout en termes de promesses illusoires, en termes de prix, pour obtenir des marchés, pour certains amnésiques des règles élémentaires de la confraternité. Les référés précontractuels, ou de manière générale les contestations qui peuvent naître des mises en concurrence des marchés d’assistance juridique me stupéfient : ils offrent une image pitoyable de notre métier et de l’état de nos relations confraternelles. On est très loin du métier d’avocat, tel qu’on a pu me l’enseigner et tel que je le conçois.

Certains cabinets objecteront qu’une facturation des collectivités publiques à des prix représentant souvent 50% de ceux pratiqués par des généralistes pour un divorce ou un contentieux locatif, serait compensé par le nombre de dossiers que procure la détention d’un marché d’assistance juridique d’une personne publique. Mais cette objection ne me paraît pas sérieuse. D’abord, nombreux sont les marchés fantômes qui ne procurent pas ou peu de dossiers. Ensuite, cela ne change rien au fait que ce dumping, ajouté souvent aux promesses factices formulées par les cabinets lors des mises en concurrence, déconsidèrent notre profession, puisqu’ils donnent le sentiment aux collectivités publiques, et donc aux nombreuses personnes physiques qui y travaillent, que les avocats sont des commerciaux comme les autres, prêts à tout pour emporter un dossier.

Hélas, ce mouvement me paraît irréversible. Pour qu’il soit inversé, il faudrait, d’une part, que les collectivités publiques prennent la décision de choisir leurs avocats comme leurs représentants le feraient dans leur vie personnelle. On peut sans trop se tromper affirmer ici qu’un directeur des services juridiques, un Maire ou un directeur général des services d’une personne publique, dans sa vie personnelle, ne songerait pas une seconde à choisir son avocat, selon les méthodes qu’il applique à sa collectivité. D’autre part, la folie collective qui s’est emparée de notre profession me paraît ressembler à un rouleau compresseur que rien n’arrêtera. Plus cette mécanique est décriée, plus elle s’observe.

Je suis donc très pessimiste sur cette évolution du « marché du droit public ». Mais, je vous l’ai dit, ces réflexions ne sont pas très originales. J’ai au moins le sentiment, en ce qui me concerne, de ne pas trop contribuer à ce désastre.

Conseilleriez-vous aujourd’hui à de jeunes avocats de se spécialiser en droit public des affaires ?

Autant, il y a quinze ans on pouvait conseiller à de jeunes avocats de s’orienter vers le droit public, autant aujourd’hui un tel conseil doit être prudent, pour les raisons que je vous ai exposées.

Pour ceux qui arrivent aujourd’hui sur le marché du droit public des affaires, il y a toutefois encore beaucoup de travail pour tout le monde. C’est un fait et c’est déjà une chance de savoir que l’on est dans un secteur économique où il y a du travail et de l’activité. Nous avons en plus de la chance d’avoir des problématiques qui sont souvent intéressantes. On travaille rarement sur des sujets qui n’ont aucun intérêt.

Mais on doit aussi un discours de vérité. Les bonnes années sont depuis longtemps derrière nous et les jeunes confrères ou les étudiants doivent avoir conscience de cet état du marché du droit public. Ils doivent se préparer à la braderie généralisée auprès d’une clientèle désabusée qui attendra d’eux l’engagement, sur papier glacé, de rédiger des consultations à un prix forfaitaire comparable à celui d’un artisan du bâtiment dans un délai de 24 heures, tout en s’exposant au risque que des « concurrents » proposent eux de réaliser ces notes dans un délai de 8 heures, si c’est n’est immédiatement, pour un prix encore inférieur. Vous en conviendrez, cela ne fait pas rêver.

Avez-vous remarqué une évolution du recours aux partenariats public-privé ? Et notamment depuis la création de nouveaux contrats globaux par l’ordonnance du 23 juillet 2015 ?

Le partenariat public-privé (PPP) était assez peu fréquent avant la réforme des marchés publics, si ce n’est sous les formes désormais proscrites du bail emphytéotique administratif (BEA) et de l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public (AOT). Le contrat de partenariat lui-même, fort décrié, était assez peu utilisé, et en tous cas assez inaccessible pour des cabinets de taille moyenne comme le nôtre. La structure du marché faisait que ces contrats de partenariat étaient happés par les gros cabinets, sans doute pour des questions relatives aux financeurs qui avaient besoin de signatures plus internationales et reconnues. Ce qui ne nous empêchait toutefois pas d’intervenir par la petite porte dans le cadre des consultations pour tel ou tel acteur qui nous demandait notre avis.

Depuis la réforme, nous avons récemment eu quelques dossiers de contrats globaux, mais surtout des projets qui sont actuellement lancés. Il faudrait donc à mon avis avoir quelques longs mois, voire quelques années de recul pour savoir s’il y a vraiment un renouveau qui va naître de cela. Le dernier rapport de la Cour des comptes, concernant les contrats de partenariat conclus par le Ministère de la Justice, ne devrait pas contribuer à assurer une grande promotion des PPP.

Quel est votre point de vue sur la possibilité d’insérer des clauses de « préférence locale » dans des contrats de la commande publique, et ce notamment au regard de l’article 73 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle Outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, lequel a introduit la possibilité pour les pour les collectivités territoriales d’Outre-Mer de réserver un tiers de leurs marchés à des TPE et PME locales pour un montant n’excédant pas 15 % du montant annuel moyen des marchés du secteur économique concerné ?

Le droit de la commande publique a dans son ADN la libre concurrence. Pendant un temps prolongé, on l’a uniquement conçu comme cela. Ni destiné à assurer la protection des deniers publics, ni destiné à permettre la mise en œuvre de politiques publiques, il était construit uniquement autour des idées de libre accès à la commande publique et d’égale concurrence. Il est assez remarquable que les concepts de bonne gestion des deniers publics et d’ordre public économique aient peiné à intégrer le droit positif. Mais c’est un fait aujourd’hui, le droit de la commande publique n’est plus seulement un droit spécial de la concurrence. Il est aussi désormais conçu comme un levier de l’action économique publique.

Personnellement, je ne vois que du bien dans cette évolution, même si elle est timide, et il me semble que des pas encore plus importants devraient être accomplis pour adapter les normes à des considérations extra-concurrentielles.

La liberté d’accès aux contrats des personnes publiques ne doit plus être un dogme car il est au moins aussi important de profiter de la commande publique pour organiser l’achat local, conduire une politique des territoires ou protéger l’emploi. Ce qui est assez remarquable, au demeurant, c’est que depuis des années on se bat pour déroger sans cesse au principe de libre accès, notamment par la mise en œuvre de réservations de commande publique. Il faudrait s’interroger sur ce mouvement. Le nombre croissant de dérogations ne témoigne-t-il pas d’une inadaptation plus fondamentale du droit de la commande publique ?

L’exemple de l’approvisionnement local des cantines scolaires est sur ce point évocateur. Tout le monde s’accorde à considérer que l’intérêt des acteurs économiques locaux, l’intérêt des usagers, l’intérêt de la santé publique militent dans le sens d’un achat local, auprès des commerçants et agriculteurs locaux de produits frais. Pourtant, le droit de la commande publique est conçu, libre concurrence oblige, pour aboutir à un fonctionnement de ce service public radicalement opposé à cet intérêt public bien compris. La libre concurrence certes, au prix d’une désertification économique locale avec la malbouffe en prime. Beau résultat.

De même, on peut encore revenir sur les marchés d’assistance juridique. Même allégé, le droit applicable aux marchés d’assistance juridique oblige à une mise en concurrence, laquelle, en tout état de cause, conduit au choix des avocats sur des bases surréalistes : sans même parler des prix, peut-on sérieusement concevoir qu’un avocat se choisit une fois analysés  - par on ne sait qui d’ailleurs – des extraits de consultation, de notes méthodologiques expliquant que la bibliothèque du cabinet est bien achalandée, et que les consultations sont établies après des recherches de jurisprudence et qu’elles sont relues par des associés, le tout enrobé de papier glacé et d’artifices marketing ? Il faut être sérieux. Pas une personne, dans sa vie privée, quelle que soit l’assistance qu’il sollicite, ne choisirait un avocat comme cela. Ni un membre de la Commission européenne, ni le directeur des affaires juridiques de Bercy, ni un élu ou un fonctionnaire local, ni même un magistrat administratif. Le choix d’un avocat est comme celui d’un médecin. Il s’opère sur la réputation, l’expérience et la confiance. Les autres considérations ne sont qu’artifice et, pourtant, ce sont elles qui président au choix des avocats des personnes publiques. Là encore, on ne peut que constater l’inefficience du droit de la commande publique, car la situation est regrettable aussi bien pour les avocats que pour les collectivités publiques, toutes deux victimes de ce droit positif, alors que, précisément, il est présumé conçu dans leur intérêt.

Si le « sourcing » a été consacré par la réforme des marchés publics, sa pratique reste toutefois difficile à maîtriser pour les acheteurs publics. Quelles recommandations pouvez-vous formuler à cet égard ?

Je n’ai jamais été personnellement contacté à ce sujet. En revanche les entreprises sont de longue date des sources pour les collectivités via leurs services commerciaux qui les rencontrent et qui les inspirent dans la rédaction de certains documents.

Le sourcing existe de longue date, et il peut arriver que les entreprises consultent les avocats sur des projets qui ensuite seront mis en œuvre par les collectivités publiques et feront l’objet d’une mise en concurrence.

Que pensez-vous de l’installation de vélos en libre-service sur la voie publique -  service s’étant largement développé ces derniers temps à Paris - au regard du droit de la domanialité publique ?

C’est sans doute une déformation des juristes de tout regarder sous l’angle juridique et cette affaire des vélos en libre-service constitue une nouvelle illustration de cette déformation. Certes, je n’ignore pas les questions que soulève cette nouvelle activité économique. Ne nécessite-t-elle pas une autorisation d‘occupation du domaine public ? Selon quelles modalités ? La bonne gestion de la voirie, ou des motifs de police n’impliqueraient-ils pas une réglementation, voire une interdiction de cette activité, en raison des stationnements sauvages qu’elle engendre ? Une redevance doit-elle être versée par les sociétés exploitantes ?

Il y a sans doute là de nombreuses questions sur lesquelles je n’ai pas été consulté et je me contenterais donc, pour l’heure, d’apprécier en tant que parisien, cette nouvelle activité, en espérant que les réponses juridiques à ces questions ne viendront pas contrarier ce qui me paraît constituer une excellente initiative. 

A ce titre, l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques a opéré une révolution en cette matière. Plus de six mois après l’entrée en vigueur de cette ordonnance, plusieurs zones d’ombres subsistent notamment s’agissant du champ d’application de la procédure de publicité et de mise en concurrence ou la cession de biens publics. Quelles réflexions suscite de votre part cette évolution du droit ?

On est là encore dans le dogme de la mise en concurrence.

Un point d’équilibre à mes yeux satisfaisant avait été trouvé entre ce qui relève de la commande publique et ce qui relève de la gestion domaniale : la réglementation pour la première, la liberté pour la seconde Cette affaire de la dévolution des autorisations d‘occupation du domaine public me paraît elle aussi révélatrice d’un mal de notre temps. Personne en France ne trouvait à redire à notre système. Il permettait à des petits commerçants, des petits forains, de ne pas être trop aux prises avec la mécanique administrative. Le business fonctionnait, certes au prix d’une difficulté d’accès des « nouveaux » opérateurs à ces activités économiques, mais cela fonctionnait et aucun système n’est parfait.

Survient une jurisprudence communautaire, dont l’objet, je le rappelle, est de permettre une libre circulation des entreprises à l’échelle européenne, et c’est un système séculaire qui s’effondre dont sans doute, pourtant, moins de 1% n’a pourtant de rapport avec la libre circulation au niveau européen. Tout cela accouche une réglementation complexe, applicable arbitrairement au seul domaine public, truffée de dérogations révélant en réalité le malaise engendré par le principe même de la mise en concurrence. Désormais, les collectivités publiques sont enjointes de dépenser leur énergie et leur argent à déterminer si elles doivent organiser des mises en concurrence, puis à les organiser, comme si elles n’avaient pas d’autres choses à faire. Là encore, le dogme de la concurrence me paraît ravageur. Tout ceci est chronophage, source de dépenses et de contentieux et même si le système antérieur ne garantissait pas un libre accès, il avait le mérite rare de nos jours de la simplicité, au bénéfice des collectivités et des acteurs privés, lesquels n’avaient jamais manifesté le moindre souhait d’une évolution du droit. Libre concurrence oblige, des chaines d’exploitants de balançoire, de kiosques à journaux et de buvettes verront ainsi le jour grâce à ce nouveau système.

Un conseil pour la promotion actuelle de l’IDPA ?

Les premières promotions ont permis aux avocats de faire du droit public, la deuxième génération c’est celle du droit public des affaires et, en réalité, celle du droit public des contrats. La troisième génération c’est la vôtre. Et à mes yeux, elle doit s’ouvrir davantage aux autres domaines du droit public dans lesquels il n’y a pas encore assez de spécialistes. Je pense par exemple au droit des finances publiques, et principalement au droit fiscal des collectivités publiques. Je pense également au droit public de la construction, au droit de l’urbanisme et de l’environnement.

Mon conseil serait ainsi d’explorer ces voies.

Toutefois, il me semble qu’un jeune avocat, ne doit pas se spécialiser trop tôt. Il doit faire ses classes, toucher un peu à tout et avant tout apprendre à faire des recherches approfondies, à rédiger correctement. L’idéal serait d’entamer sa vie professionnelle dans une structure publiciste généraliste et de ne pas s’enfermer dans une matière donnée avec comme ligne d’horizon, celle d’une spécialisation accrue. D’ailleurs, il n’est pas impossible que la spécialisation souhaitée surgisse, non de l’intitulé de son diplôme de troisième cycle, mais de sa pratique professionnelle. A mes yeux, ce sont avant tout les dossiers et les clients qui font la spécialisation de l’avocat.

D’un point de vue plus humain, et même si ces futurs confrères vont côtoyer le difficile marché du droit public, je les incite à ne jamais oublier que nous exerçons une profession particulière où doit toujours régner une confraternité exemplaire.