Maître Emmanuelle ROLL, Avocat à la Cour - Collaboratrice externe – SCP Lyon-Caen & Thiriez

Extrait de la Gazette n°27 - Juillet 2017 - Propos recueillis par Félix Giboire et Andréa Marti

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Me Emmanuelle ROLL

Avocat à la Cour, Collaboratrice externe - SCP Lyon-Caen & Thiriez

Maître Emmanuelle Roll, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs, leur exposer votre cursus ?

Initialement, je n’avais pas la vocation de devenir juriste ou avocat, j’étais plutôt attirée par le journalisme. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai passé le concours d’entrée à Sciences Po après le baccalauréat. Mais la deuxième année en Section Service Public m’a donné le goût du droit administratif. Tout naturellement, j’ai donc été conduite à passer des concours administratifs, et j’ai échoué au concours d’entrée à l’ENA dans la pire situation qui puisse arriver à un candidat : première sur la liste d’attente après les oraux (autant vous dire qu’aucun candidat reçu ne s’est désisté !).

Parallèlement, j’avais commencé à préparer l’examen d’entrée à l’EFB, auquel j’ai été admise. Finalement, je n’ai pas de regret puisque dans la profession d’avocat, on a, je pense, une liberté que l’on n’aura jamais dans l’administration. Il n’y a pas de poids hiérarchique, ou peu, ce qui est un des grands avantages de la profession d’avocat, qui reste par ailleurs une profession assez stressante et compliquée à exercer au quotidien.

Après cette phase de formation, j’ai démarré ma première collaboration chez Me Françoise Sartorio, qui avait monté à l’époque un petit cabinet de niche en train de s’étoffer, exclusivement dédié aux collectivités publiques. J’y ai fait mes armes pendant quatre ans. Ma pratique professionnelle a tout de suite été très axée sur les contrats publics, puisque c’était la grande spécialité du Cabinet Sartorio : délégations de service public, marchés publics, beaucoup de passation, mais aussi de l’exécution, beaucoup de conseil, notamment du conseil opérationnel, moins de contentieux. J’y ai noué de solides amitiés dans la profession et commencé à travailler en équipes pluridisciplinaires avec des cabinets de conseil financier ou technique aux collectivités publiques, aspect passionnant du travail de l’avocat publiciste.

Me Frédéric Thiriez, associé de la SCP Lyon-Caen & Thiriez, m’a ensuite proposé de rejoindre son équipe et je suis devenue collaboratrice de la SCP en février 2000. J’avais un peu d’appréhension à l’idée d’arriver chez un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, et chez l’un des plus réputés, d’autant que je n’avais encore jamais fait de technique de cassation, ce qui ne s’apprend pas en quelques heures. Les années passées à la SCP Lyon-Caen & Thiriez, au sein d’une grande équipe d’avocats exerçant dans tous les domaines du droit public, m’ont permis de compléter solidement mon expérience du conseil et du contentieux, à la fois en cassation devant le Conseil d’Etat mais aussi devant les juridictions de première instance et d’appel : du fond, du référé, de la passation de contrats, de l’exécution… un panel très large.

Ma pratique professionnelle est restée très ciblée sur les contrats publics et ne s’en éloigne qu’épisodiquement, par exemple pour des dossiers d’intercommunalité. La matière contractuelle constitue un domaine très spécialisé mais suffit amplement à occuper, notamment en raison des réformes incessantes. J’en suis à ma cinquième réforme de la commande publique depuis que j’ai commencé à exercer cette profession. Lorsque j’ai prêté serment, en 1996, le référé précontractuel ne se rencontrait encore quasiment pas.

Vous avez exercé depuis 2000 au Cabinet Lyon-Caen & Thiriez en tant que collaboratrice, et êtes depuis peu devenue collaboratrice externe. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs les conditions et enjeux pratiques de ce mode de collaboration ?

Récemment, en février 2017, je suis passée du statut de collaboratrice interne à celui de collaboratrice externe. Je continue à instruire des dossiers pour la SCP Lyon-Caen & Thiriez, et parallèlement j’exerce ma profession d’avocat à la Cour en cabinet groupé avec Me Georges Salon et Me Stéphanie Juffroy, dans nos propres locaux. Le cabinet groupé n’est pas une structure d’exercice ou de moyens dotée de la personnalité juridique : nous partageons, dans le cadre d’une convention, les moyens matériels (locaux, téléphonie, internet, documentation…) et nous n’avons, pour l’instant, pas de salariés.

Une collaboration externe peut résulter de plusieurs paramètres. Tout d’abord, il y a des avocats aux Conseils qui ne recrutent leurs collaborateurs que sous cette forme, et qui d’ailleurs ne les rémunèrent qu’au dossier. De mon point de vue, c’est un mode de collaboration qui est mal adapté au droit public, puisque, contrairement à la matière civile ou pénale, on ne pratique pas que de la cassation, les avocats aux Conseils ayant la faculté de représenter leurs clients devant toutes les juridictions administratives. En droit public, la vie professionnelle d’un collaborateur d’avocat aux Conseils ressemble assez à celle d’un collaborateur d’avocat à la Cour : certes, on pratique la cassation en matière administrative, devant le Conseil d’Etat, mais on communique quotidiennement avec les clients, on instruit très souvent des procédures d’urgence (référés), on effectue de l’assistance juridique opérationnelle, on suit des expertises... C’est assez différent en matière civile : peu d’évènements interviennent entre le moment où le collaborateur se voit confier un dossier et le rend avec un projet de consultation sur les chances de succès d’un pourvoi ou un projet de mémoire. On peut donc plus aisément travailler de l’extérieur. Ensuite, la collaboration externe peut permettre de travailler pour plusieurs cabinets d’avocats aux Conseils, ou de suivre plus facilement les cours de l’IFRAC. Cela peut aussi constituer une phase de transition, soit avant de devenir collaborateur interne, soit après, lorsque l’on souhaite voler un peu plus de ses propres ailes.

Pourquoi avez-vous choisi de suivre la formation de l’IDPA ?

L’IDPA m’est apparu absolument naturel par rapport à mon cursus. Le cursus EFB classique me paraissait assez éloigné de ce que j’avais fait jusque-là : sans aller jusqu’à dire que je n’avais alors jamais ouvert un code civil, je n’en étais pas familière puisque n’ayant fréquenté la faculté de droit qu’au stade du troisième cycle.

Le programme de l’IDPA était très attrayant, les intervenants passionnants, des praticiens qui nous faisaient entrer de plain-pied dans la vie professionnelle. En outre, le régime du stage IDPA était beaucoup plus adapté : les stages de l’EFB étaient alors fractionnés en de courtes durées, contre six mois à mi-temps à l’IDPA, une durée qui permet de devenir opérationnel. J’ai ainsi rejoint la section du rapport et des études du Conseil d’Etat auprès de Richard Descoings, un maître de stage formidable. Cela a été pour moi un apport professionnel décisif.

Est-ce que vous avez été tentée de passer le CAPAC et ainsi devenir avocat aux Conseils ?

Malgré dix-sept années en collaboration interne au sein de la SCP Lyon-Caen & Thiriez, cela ne m’a jamais tentée. C’est un gros investissement en temps pour suivre l’IFRAC et passer le CAPAC, surtout pour un publiciste qui a besoin de se former au droit civil et au droit pénal, ainsi qu’à la technique de cassation dans ces domaines. Et une fois l’examen obtenu, les perspectives de nomination dans une charge sont, disons-le, extrêmement réduites, même si quatre nouveaux offices viennent juste d’être créés en application de la loi Macron.

La technique de cassation reste pour moi une expérience très enrichissante : intellectuellement, c’est très formateur, et c’est parfois l’occasion de faire avancer la jurisprudence, comme avec l’affaire SMIRGEOMES jugée en 2008 par le Conseil d’Etat.

Hormis votre activité d’avocat, avez-vous d’autres activités professionnelles ? Publications, enseignements, formations ?

Depuis quatre ans, j’anime un atelier sur la pratique du référé précontractuel à Sciences Po, en Master 2 de l’Ecole de droit. C’est une petite bulle d’oxygène. Je ne remercierai jamais assez la direction de l’Ecole de droit qui m’a permis de créer cet atelier en fonction de ma pratique professionnelle et avec un volume d’heures compatible avec mes contraintes. J’enseigne huit heures par semestre à une quinzaine d’étudiants, qui sont au terme de leur cursus universitaire, donc très désireux de rentrer dans la vie professionnelle, avec des parcours très différents. Certains ont déjà travaillé dans des cabinets d’avocats, d’autres jamais.

Je leur prépare des cas pratiques, ils se répartissent en un groupe de demandeurs, un groupe de défendeurs et un groupe de juges. Chacun rédige sa partie avant la séance (requête, mémoires en défense, etc.). On simule ensuite une audience de référé, les étudiants plaident ou dirigent les débats, moi je joue le rôle du greffier ; en fin de séance, j’aide le groupe des juges à délibérer pour prendre sa décision, et ensuite on débriefe tous ensemble. C’est assez ludique, même si cela demande un travail certain de la part des étudiants.

Comme une bonne partie des collaborateurs de l’équipe de Me Thiriez, j’écris également des articles dans des revues spécialisées en droit de la commande publique. Cela change du rédactionnel habituel des consultations juridiques et mémoires. C’est un exercice plaisant et pédagogique. J’anime également de temps en temps des formations, plutôt en intra chez des clients.

Quel est votre avis sur les actuelles réformes de la profession d’avocat : la création d’une collaboration qualifiante remplaçant le stage final ? La récente société pluri-professionnelle d’exercice dont les décrets ont été publiés le 5 mai 2017 ?

J’ai entendu parler de la collaboration qualifiante, ce qui m’effraie un peu pour les jeunes générations : vont-elles trouver une collaboration qualifiante, comment va-t-elle se dérouler, que se passera-t-il en cas d’interruption ? A l’époque où j’ai commencé à exercer, je n’ai eu aucun problème pour trouver ma première collaboration. Il y avait peu de publicistes et on n’avait donc aucune difficulté à trouver du travail. Je me rends compte que ce n’est plus le cas aujourd’hui, pour avoir parfois aidé de plus jeunes à trouver leur première collaboration, ou leur avoir remonté le moral à la suite d’une première collaboration qui s’était mal terminée…

Pour ce qui est de la société pluri-professionnelle d’exercice, c’est une perspective assez intéressante, et pour les publicistes elle me semble adaptée, pour les raisons que j’exposais tout à l’heure liées à la continuité de l’activité avocat à la Cour / avocat aux Conseils, du point de vue du client. Deux questions émergent : d’une part, est-ce que certaines professions vont avoir peur de se faire phagocyter par d’autres, et d’autre part, est-ce que cela ne va pas créer trop d’obstacles en termes de gestion des potentiels conflits d’intérêts liés au regroupement ?

Vous parliez de l’avantage à être avocat, notamment en termes de liberté. Ne pensez-vous pas qu’aujourd’hui les jeunes collaborateurs peuvent se retrouver face à la difficulté de ne plus avoir cette liberté, parfois à la limite du statut de salarié sans en avoir les avantages ?

Du point de vue du publiciste, je pense que c’est un problème qui a toujours existé, même lorsqu’on collabore à temps partiel, car on doit en pratique rester disponible et mobilisable tout le temps. Il est donc complexe de développer une clientèle personnelle et cela rapproche de la situation du salarié (et non de son statut). Pour autant, j’avoue ne pas très bien comprendre le statut d’avocat salarié en entreprise. Je trouve que ce sont deux termes assez antinomiques. Même si l’on travaille à 99% ou 100% pour un cabinet et que l’on a du mal à développer une clientèle personnelle, souvent au prix de ses week-ends, il est important de pouvoir garder sa liberté et dire parfois « non, je ne peux pas prendre tel dossier pour telle raison » ou « mardi prochain, je ne suis pas là, j’ai un dossier personnel à plaider ». On assume beaucoup de responsabilités et de charges dans cette profession, y compris lorsque l’on est collaborateur, donc si l’on n’a pas en contrepartie un minimum de liberté, je n’en vois pas l’intérêt. Et je ne retrouve pas cette liberté dans le statut d’avocat salarié en entreprise. Si l’on cherche la sécurité, il existe la possibilité d’être juriste salarié. Pour ma part, je m’imagine assez mal aujourd’hui, après vingt ans de barreau, dans une organisation hiérarchique pyramidale.

Les référés sont des procédures qui ont pris une place essentielle dans le travail de l’avocat publiciste ces dernières années. Pouvez-vous nous parler de votre expérience en la matière, notamment quant au référé précontractuel ?

Mon expérience en la matière a évolué en quatre temps.

D’abord, la montée en puissance du référé précontractuel, où l’on a « défriché le terrain », procéduralement et sur le fond. C’était passionnant mais il n’y avait aucune sécurité juridique, notamment du fait que le référé était une création européenne, ex nihilo en France, et que la signature du contrat en cours d’instance était tolérée.

Ensuite, ce que je qualifierais de l’âge d’or, avant la jurisprudence SMIRGEOMES, c’est-à-dire l’époque où toute procédure ou presque était contestée en référé, et où tout manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence pouvait entraîner une annulation. Si l’on compare les référés « Velib’ 2 » (2017) et « Velib’ 1 » (2007), on constate qu’il y a dix ans, le juge des référés avait retenu, parmi les moyens soulevés, de fond comme de forme, un défaut de mention de l’Accord sur les Marchés Publics dans l’avis d’appel public à la concurrence… conformément à la jurisprudence d’alors du Conseil d’Etat. A cette époque, il nous arrivait parfois, au sein de l’équipe de droit public de Me Thiriez, d’instruire une demi-douzaine de référés simultanément.

Puis est intervenue en 2008 la jurisprudence SMIRGEOMES, sur un pourvoi instruit par le cabinet Lyon-Caen & Thiriez. C’est le Conseil d’Etat qui a repris un des moyens soulevés dans le pourvoi, pour le tourner dans le sens qui l’intéressait et rendre la décision qu’il souhaitait rendre… pour porter un coup d’arrêt à la pratique précitée. Les années suivantes ont effectivement connu une diminution sensible des procédures de référé précontractuel.

Comme l’histoire est un éternel recommencement, on sent depuis deux ou trois ans une nouvelle densité dans l’utilisation du référé précontractuel. On débat sur de nouveaux raffinements juridiques : notamment l’opérance des moyens et la lésion au sens de la jurisprudence SMIRGEOMES. Les moyens soulevés sont le plus souvent des moyens que je qualifierais de « légitimes » sur le fond, par rapport à la perception qu’a le requérant des causes exactes de son éviction. On ne rencontre finalement que très peu de requêtes farfelues ou purement dilatoires.

Est-ce qu’il y a eu, selon vous, une évolution dans le taux de « réussite » des référés précontractuels ?

Je ne connais pas les statistiques mais je serais curieuse de les avoir. Aujourd’hui, on a l’impression qu’il est de plus en plus difficile de porter un recours en demande avec succès, alors même que l’on dispose de moyens sérieux. Si je prends l’exemple du contrôle de l’offre anormalement basse, je constate qu’il est rare de pouvoir l’emporter sur ce terrain. Pour autant, on est souvent confronté à des situations où, raisonnablement, on imagine bien que l’offre qui a été retenue est irréaliste, au moins sur certains pans du chiffrage : par exemple un nombre de jours-homme sous-estimé, ou des coûts de sous-traitance artificiellement minorés. Idem pour le contrôle de la dénaturation de l’offre. Le juge des référés effectue un contrôle restreint, distancié, le Conseil d’Etat ne l’invite pas à aller au-delà. C’est à mon sens dommage car le juge des référés peut tout-à-fait entrer dans le détail technique et financier des offres pour peu qu’on lui expose clairement. Je me souviens d’un référé précontractuel pour la restauration d’un monument, où l’on débattait de la conformité, au cahier des charges, de l’offre du candidat évincé, en présence de l’architecte en chef des monuments historiques, tous autour d’un plan, à détailler la spécificité du système d’accroche de l’échafaudage… En pratique, le niveau de précision dans l’argumentation en référé est élevé ; il faut instruire et juger en une vingtaine de jours ce que le juge du fond traiterait en plus d’un an et demi… Mais certains juges des référés restent prudemment à distance des aspects techniques ou économiques des offres : pas de questions à l’audience, pas de mesures d’instruction… C’est d’autant plus dommage que sous le régime du recours Tarn-et-Garonne, il est le plus souvent trop tard pour faire obstacle à l’exécution du contrat signé.

Par une ordonnance du 4 mai 2017, le juge des référés du Tribunal administratif de Paris a rejeté la requête de la société JCDecaux demandant l’annulation de la procédure de passation du marché de « Vélib’ ». Quel est votre point de vue à ce sujet ?

Au plan procédural d’abord, c’est une décision qui a été prise en formation collégiale, de trois juges des référés, sur le fondement de l’article L.511-2 du code de justice administrative. C’est assez rare pour être noté. On peut se demander si c’était parce que les questions posées étaient délicates, parce que l’affaire était médiatique ou pour partager entre trois juges le poids de la décision à intervenir, même si, bien sûr, seul l’un d’entre eux était rapporteur.

Au plan procédural encore, c’est à ma connaissance l’une des rares ordonnances de référé précontractuel à connaître d’une intervention en demande, en l’espèce l’intervention d’un comité d’entreprise et de deux syndicats de salariés, intervention d’ailleurs rejetée.

Sur le fond, je suis évidemment assez déçue, puisque la requête développait deux moyens centraux intéressants : la question de la régularité de l’offre retenue au regard de l’article L.1224-1 du code du travail et celle du respect du principe d’impartialité en présence d’un conflit d’intérêts.

Sur le premier moyen tenant à la reprise du personnel, la décision est en quelque sorte originale, puisqu’il y a peu de jurisprudence sur la problématique du respect de la législation sociale par les offres. Ce qui est décevant, c’est qu’elle refuse, comme le pouvoir adjudicateur, de prendre position sur l’applicabilité de l’article L.1224-1 du code du travail. De ce fait, le juge ne tire pas les conséquences, en termes de comparaison des offres, de l’information donnée aux candidats sur les conditions de reprise du personnel. On dit seulement aux candidats, en substance : « cette disposition est susceptible (peut-être) de s’appliquer, de ce fait on vous donne des éléments sur la masse salariale du personnel à reprendre, mais que vous en teniez compte ou non dans votre offre, cela n’a aucune importance ». Or, la reprise ou non du personnel est un élément essentiel de l’offre, comme le dit d’ailleurs la jurisprudence du Conseil d’Etat. Cela renvoie le problème en aval aux juridictions civiles, ce qui est assez dur pour les plus de 300 salariés qui ne savent pas s’ils vont être repris ou non, avec leur ancienneté, leur rémunération, à quelle date, ou si l’on va leur proposer de les muter… D’autres juges administratifs, notamment dans l’affaire Citelum, ont pu se prononcer sur la question. Dans cette espèce, le Tribunal administratif de Paris avait examiné les critères d’application de ce même article L.1224-1 du code du travail et conclu que celui-ci ne s’appliquait pas - même si le conseil des prud’hommes a ensuite dit le contraire.

Sur le deuxième moyen tenant au respect du principe d’impartialité, l’ordonnance est également décevante. Elle acte le fait que parmi l’équipe d’assistance à maîtrise d’ouvrage, il y avait le frère du président de la société attributaire. Elle estime toutefois qu’il n’a travaillé qu’en amont sur le dossier et qu’il n’a, ainsi, pas pu influencer l’issue de la procédure. Ce faisant, l’ordonnance ignore les éléments concrets avancés dans la requête, à savoir les prescriptions techniques discriminatoires relevées dans le programme fonctionnel, notamment quant aux caractéristiques du vélo et à son poids, dont il était soutenu qu’elles résultaient des études menées en amont par l’assistant à maîtrise d’ouvrage. L’ordonnance semble se suffire du fait que le pouvoir adjudicateur ait exclu, en aval, l’assistant à maîtrise d’ouvrage de l’analyse des offres : de mon point de vue, c’est assez artificiel, et peu conforme à la jurisprudence de la CJUE. L’ordonnance comporte par ailleurs une erreur factuelle regrettable : lorsque l’assistant à maîtrise d’ouvrage a été retenu par le pouvoir adjudicateur, qui ne s’était pas préoccupé de contrôler son indépendance en amont, l’attributaire avait déjà déclaré publiquement qu’il serait candidat.

Au final, la décision repose sur une motivation très formelle, qui évite les questions de fond et reste en retrait des aspects sociaux, économiques et techniques, ce qui est assez frustrant pour le praticien.

Un conseil pour la promotion actuelle de l’IDPA ?

Sans aller jusqu’à recommander un double cursus, il me paraît indispensable de disposer d’une formation en matière de comptabilité et finance d’entreprise. En d’autres termes, pour pratiquer le droit public des affaires, notamment en matière de commande publique, il faut savoir lire un compte de résultat et un bilan, connaître les ratios les plus pertinents : c’est très utile lorsqu’on doit instruire un contentieux indemnitaire pour perte de chance d’emporter un contrat, négocier les conséquences financières d’une résiliation ou s’interroger sur les modalités d’un financement de projet.