Monsieur Guillaume DELALOY - Chef du bureau de la réglementation générale de la commande publique de la DAJ du Ministère de l’Economie

Extrait de la Gazette n°43 - Décembre 2020 - Propos recueillis par Laetitia Domenech et Rémi Jabakhanji

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Guillaume Delaloy

Chef du bureau de la réglementation générale de la commande publique de la DAJ du Ministère de l’Économie

Pourriez-vous vous présenter et évoquer votre parcours ?

Mon parcours universitaire est des plus classiques en droit, j’ai étudié au sein des universités parisiennes Paris I, Paris II et Paris V puis effectué un doctorat en droit public, car je me destinais initialement à l’enseignement. Finalement, après ma thèse et un passage au Conseil d’État, j’ai choisi de préparer les concours administratifs, et notamment le concours des Instituts régionaux d’administration (IRA). Après ma scolarité au sein de l’IRA de Lyon, j’ai intégré la Direction des affaires juridiques de Bercy (DAJ). J’ai occupé différents postes au sein de la Sous-Direction du droit de la commande publique, dans laquelle je suis resté près de 10 ans.

J’ai ensuite été nommé en tant que conseiller au tribunal administratif d’Orléans, dans une chambre chargée des contrats de la commande publique, mais où j’ai également pu pratiquer d’autres matières tels que les dommages de travaux publics et la responsabilité hospitalière. On m’a proposé de revenir à la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’Économie pour ma mobilité, sur le poste de chef de bureau de la réglementation de la commande publique que j’occupe depuis maintenant 2 ans.

Pouvez-vous présenter le bureau de la règlementation générale du droit de la commande publique de la DAJ du ministère de l’Économie ?

Le bureau de la réglementation générale de la commande publique est un des trois bureaux de  la sous-direction du droit de la commande publique au sein de la DAJ du ministère de l’Économie. La sous-direction du droit de la commande publique est en réalité l’héritière du secrétariat de la Commission centrale des marchés (CCM), qui était une structure en charge de la rédaction du code des marchés publics, ainsi que du conseil et du contrôle préalable pour certains marchés de l’État. En 1998, la commission centrale des marchés publics ainsi que d’autres structures juridiques du ministère de l’Economie ont été intégrées à la DAJ. La sous‑direction du droit de la commande publique continue d’assurer la mission interministérielle qui fût confiée à la CCM en matière de conseil et de rédaction du droit de la commande publique.

Au sein de cette sous-direction, le bureau de la réglementation générale est composé de 9 agents. Le bureau est chargé de l’élaboration, de la rédaction, du suivi et de la diffusion de la réglementation de l’ensemble des contrats de la commande publique, que ce soit des marchés publics ou concessions. C’est également ce bureau qui propose au ministre toutes les réformes qui lui semblent pertinentes, pour répondre au mieux aux préoccupations des acteurs, mais surtout de veiller à la régularité juridique des différents textes qui ont des impacts sur la commande publique, qu’ils soient à notre initiative ou d’autres ministères. Il nous appartient, en effet, de veiller non seulement à la cohérence, mais également la conformité des projets de textes avec les normes supérieures.

Le bureau participe également à la négociation des directives européennes : il contribue à la représentation de la France auprès des différents conseils et groupes d’expert en matière de marché public et concession au niveau européen, mais aussi international. Nous participons notamment aux travaux de l’OCDE à propos de la gouvernance en matière de marché public, ainsi qu’à des études quant à leur fonction de vecteur de l’économie.

Votre direction a entamé un chantier de révision des CCAG, pourriez-vous évoquer son calendrier et nous indiquer quelles sont vos ambitions pour cette réforme ?

La Directrice des affaires juridiques, Madame Laure Bédier, a annoncé l’entrée en vigueur des CCAG pour le mois d’avril 2021. Ce chantier a pris du retard, puisque lorsque l’on a entamé ces travaux au printemps 2019, ils étaient censés entrer en vigueur au printemps 2020. Toutefois, avec l’émergence du covid-19, beaucoup de membres du groupe de travail nous ont fait part de leurs difficultés à poursuivre les travaux puisqu’ils avaient d’autres préoccupations plus urgentes. C’est notamment le cas des fédérations professionnelles qui étaient très mobilisées sur les solutions à trouver pour faire face aux difficultés d’exécution des contrats en cours d’exécution. Malgré le deuxième confinement, notre objectif reste de tenir ce calendrier au maximum, ce qui ne peut toutefois être garanti pour le moment.

Notre ambition principale est de faire des CCAG des documents les plus pertinents et efficaces possibles pour la bonne exécution des contrats. Lorsque l’on a souhaité réformer les CCAG, l’un des premiers objectifs était de prendre en compte l’intervention du code de la commande publique. En plus des fondements textuels, il fallait également actualiser le vocabulaire du texte, puisqu’avec la transposition des directives, certaines notions de droit interne ont évolué. Je pense à la notion même de marché de travaux, à la notion de marché à bon de commande, qui a laissé place aux accords-cadres à bons de commande, ou encore à la notion d’entrepreneur pour la notion d’acteur économique, etc. Il y a donc une nécessité de mise en cohérence et d’actualisation des CCAG.

Au-delà de cette seule actualisation, nous avons voulu saisir l’occasion pour les réformer. Nous souhaitions faire un état des lieux de l’utilisation des CCAG et de leur efficacité. Nous avons donc envoyé des questionnaires aux acteurs qui sont censés utiliser ces CCAG afin d’avoir leur sentiment sur leur efficacité, mais aussi afin de savoir s’ils y dérogent et s’ils considèrent que d’autres stipulations sont plus efficaces. La démarche était vraiment d’enrichir cette réflexion auprès de toutes les parties prenantes, acheteurs et entreprises, afin de tenir compte de leurs préoccupations. Quatre grandes idées sont ressorties de cette consultation :

-   La volonté de sécuriser les opérations contractuelles, en clarifiant certaines stipulations ambiguës donnant lieu à contentieux. ;

-     Améliorer les relations contractuelles : si les contrats administratifs induisent un déséquilibre entre le cocontractant au profit de la personne publique, du fait de ses pouvoirs de direction, sanction et résiliation, il faut tout de même veiller à ce que ce déséquilibre ne soit pas trop important et donne matière à des contentieux. Il convient donc de rechercher un équilibre pour apaiser les relations contractuelles ;

-    La prise en compte de l’aspect numérique : l’adoption du RGPD notamment doit être prise en compte dans les CCAG ;

-     L’utilisation des marchés publics au service des politiques sociales et environnementales : c’est un sujet pour lequel nos ministres ont une forte volonté d’avancer. Les CCAG n’échappent pas à cet objectif. Nous cherchons donc à rédiger au mieux les stipulations contractuelles, qu’elles soient à la fois générales afin de trouver à s’appliquer à un grand nombre de marchés qui s’y réfèrent, mais aussi qu’elles soient précises pour être suffisamment efficaces. Il faut s’efforcer à trouver un juste milieu entre la déclaration d’intention et le lien avec l’objet du marché, ce qui peut s’avérer d’une grande difficulté.

Le 17 octobre 2020, le décret n°2020-1261 a pérennisé le dispositif des avances dans les marchés publics mis en place pendant le confinement, pensez-vous que d’autres mesures introduites par les ordonnances « covid » pourraient être généralisées de la sorte ?

Dès le premier confinement au mois de mars, il y a eu une forte demande en matière d’achat dans certains secteurs, notamment le domaine de la santé, où des besoins immédiats et urgents se sont manifestés pour faire face à l’épidémie. Nous avons également constaté que dans certains secteurs tendus, les entreprises demandaient des avances très importantes pour pouvoir honorer les commandes, étant elles-mêmes en danger. Certaines entreprises demandaient même à être payées intégralement avant la livraison. Ce fut le cas notamment pour les masques, avec des entreprises chinoises.

Or le code de la commande publique plafonne quant à lui à 60 % le montant des avances. C’est pourquoi dans l’ordonnance n° 2020-319du 25 mars 2020, nous avons dû déplafonner en urgence le montant des avances, pour permettre que celles-ci soient supérieures à ce taux fixé par le code. Pour faciliter également le versement des avances et éviter que les entreprises soient contraintes d’y renoncer, nous avons supprimé l’obligation d’exiger une garantie financière en contrepartie du versement de l’avance.

En outre nous avons constaté, lors de ce deuxième confinement, la persistance des tensions sur certains marchés. Compte tenu de cette situation, et dans le souci de privilégier la liberté contractuelle et la responsabilisation des acheteurs, le Gouvernement a décidé de pérenniser cette mesure de déplafonnement en la codifiant dans le code de la commande publique.

Concernant les autres mesures susceptibles d’être pérennisées, la loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire du 14 novembre n° 2020-1379 a autorisé le gouvernement à proroger, rétablir et modifier le cas échéant les mesures de l’ordonnance du 25 mars 2020 n° 2020-319 pendant 3 mois. Cela alors même que ces dispositions de l’ordonnance de mars peuvent toujours trouver à s’appliquer aux contrats conclus avant le 23 juillet 2020.

Nous avons également introduit certaines mesures dans la loi portant Accélération et simplification de l’action publique (ASAP), qui contient plusieurs dispositions en matière de commande publique, qui s’inspirent ou viennent pérenniser certaines mesures de l’ordonnance. Nous verrons si le Conseil constitutionnel les valide. Les auteurs de la saisine argumentent que ces dispositions sont contraires aux principes constitutionnels de la commande publique et qu’il s’agirait de cavaliers législatifs n’ayant pas de liens avec le texte initialement déposé par le gouvernement.

Par quels moyens la commande publique peut constituer un levier pour la relance économique à l’issue de la crise de la COVID 19 ?

Il est vrai que compte tenu de son poids dans l’économie française et européenne, la commande publique constitue un instrument majeur de la relance. Les mesures d’urgence adoptées pendant la crise sanitaire ont démontré que le droit de la commande publique pouvait être un instrument efficace pour soutenir nos entreprises, et démontrer la résilience de notre économie. Nous avons parlé de la loi ASAP et du décret sur les avances, mais nous pourrions également citer le décret n° 2020-893 du 22 juillet 2020 sur le relèvement temporaire du seuil en matière de travaux à 70 000 euros, ainsi que le relèvement du seuil à 100 000 euros pour les denrées alimentaires stockées pendant le confinement et qui n’avaient pas trouvé de débouché. Le but étant de faciliter l’achat de ces denrées et d’éviter le gaspillage en facilitant l’écoulement des stocks, tout en aidant les producteurs locaux.

En prenant ce type de mesures, nous n’avions pas tant à l’esprit l’efficacité de l’achat public, que la volonté d’agir sur l’économie par le biais des marchés publics. Il s’agit de soutenir les PME, en injectant de l’argent dans la trésorerie des entreprises et en poursuivant des objectifs plus transversaux. Dans ce dernier cas de figure, cela faisait écho à un objectif économique, mais nous poursuivons également des objectifs sociaux et environnementaux.

Le plan de relance annoncé par le gouvernement début septembre utilise les marchés publics pour redynamiser l’économie. Par exemple, il y a une volonté de relancer les chantiers par le biais des marchés publics, avec un programme de 4 milliards d’euros pour la rénovation énergétique dans les bâtiments publics auxquels s’ajoutent les investissements décidés dans le Ségur de la Santé pour les hôpitaux et les EPHAD. Ces investissements permettront de soutenir le secteur de la construction, en générant au niveau local des multiples chantiers, bénéficiant à l’ensemble des entreprises du BTP.

Au-delà de ces réformes législatives et réglementaires, il faut bien comprendre que les acheteurs eux-mêmes vont avoir un rôle important dans la relance de l’économie. Dans le cadre de leur politique d’achat, ils se doivent d’utiliser tous les leviers proposés par le code de la commande publique pour soutenir l’activité des entreprises locales confrontées à une forte concurrence étrangère déloyale fondée sur une logique du prix le plus bas. Les acheteurs ont la possibilité de favoriser l’achat de proximité, notamment par une définition claire de leurs besoins, la pratique du sourçage, un allotissement pertinent, ou l’utilisation de critères environnementaux et sociaux dès lorsqu’ils sont liés à l’objet du marché. En favorisant l’utilisation de considérations qualitatives dans les marchés publics, au détriment du critère unique du prix, l’ensemble de ces mesures a vocation à permettre aux acheteurs d’acquérir des produits et services plus durables et plus innovants et d’établir des conditions de concurrence équitables.

La DAJ du Ministère de l’Économie vient de mettre en place un portail pour favoriser les achats responsables, pourriez-vous expliquer ce concept à nos lecteurs ?

Comme j’ai pu l’évoquer, la commande publique est un levier important en matière de développement durable. Cette préoccupation n’est pas nouvelle. Dès les années 1990, la doctrine et les praticiens s’interrogeaient sur la possibilité d’utiliser les marchés publics pour favoriser l’emploi local. Cela avait donné lieu à la jurisprudence commune de Gravelines dans laquelle le Conseil d’État avait consacré le principe de neutralité de la commande publique, impliquant que l’on ne pouvait assigner à l’achat public d’autres objectifs que celui de garantir de son efficacité. On voit aujourd’hui que ce n’est plus le cas. Nous faisons face à un contexte économique tendu et à une concurrence internationale. Il y a aussi une prise de conscience aiguë de la nécessité de protéger l’environnement. Tous ces facteurs font que les marchés publics sont de plus en plus perçus aujourd’hui comme un levier d’action privilégié pour favoriser des pratiques plus vertueuses et faire une utilisation responsable des deniers publics, comme cela ressort d’ailleurs des propositions de la Convention citoyenne pour le climat.

Un nombre de plus en plus important de textes imposent des obligations supplémentaires aux acheteurs publics. Il n’est plus question ici de proposer des outils en termes de méthode d’achat, mais d’imposer obligations en matière d’achats « verts ». Ces textes imposent aux acheteurs de faire acquisition de produits durables ou issus du recyclage et du réemploi, de véhicules propres, de produits bio, etc. À cet égard on peut citer la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire ou encore la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018, dite EGALIM. Il y a de plus en plus d’obligations qui pèsent sur la définition même du besoin. La loi oriente les choix en termes d’acquisition des acheteurs. En réalité, on remarque une évolution législative passant d’une logique de « comment acheter », avec une procédure favorisant la mise en concurrence avec des critères plutôt économiques, à une logique de « quoi acheter », en fixant des objectifs directs en termes d’acquisition.

Mais au-delà de ces obligations croissantes, une diversité d’outils relatifs aux aspects économiques, sociaux et environnementaux sont à la disposition des acheteurs pour favoriser les achats durables. Encore faut-il que ces outils soient bien utilisés. En effet, si la jurisprudence s’est assouplie ces dernières années, le juge reste néanmoins attentif à ce que les préoccupations sociales et environnementales n’aient pas un effet discriminatoire entre entreprises. Les arrêts du CE sur la « clause Molière » ou la politique RSE des entreprises rappellent que les conditions d’exécution et les critères de choix doivent, en tout état de cause, présenter un lien avec l’objet du marché. Compte tenu du risque juridique, beaucoup d’acheteurs sont réticents à s’inscrire dans cette démarche.

Le portail sur les achats publics responsables sur le site de la DAJ a vocation à les rassurer en leur présentant les outils et leviers disponibles sans compromettre la sécurité juridique des contrats. 

Réf : CE 25 juillet 2001, commune de Gravelines, req. n° 229666, A, publié au Recueil

Par un décret n°2020-848 du 2 juillet 2020, le Gouvernement a prolongé le dispositif des commissions consultatives de règlement amiable des différends relatifs aux marchés publics (CCRA). Que diriez-vous de la place du règlement amiable dans le contentieux des marchés publics ?

Il est vrai que dans le cadre des marchés publics, comme dans toutes les branches du droit, les règlements alternatifs des litiges se sont développés. Les marchés publics ne pouvaient ignorer cette évolution.

Il est possible d’identifier deux modes de règlements alternatifs, les modes alternatifs contraignants tels que l’arbitrage où l’arbitre rend une sentence similaire au jugement qui lie les parties et, à côté, les modes de règlements amiables des litiges qui permettent de faire intervenir un tiers dont l’avis n’est pas contraignant pour les parties.

Le code de la commande publique définit deux grands modes de règlements amiables des différends, à savoir, les recours aux Comités Consultatifs de Règlement Amiable des différends, dits CCRA, qui comme vous l’avez précisé, viennent d’être reconduits au 2 juillet 2020 et le médiateur des entreprises. Deux possibilités qui sont différentes par nature, mais qui permettent aux parties de disposer d’une alternative face aux difficultés d’exécution plutôt que de présenter directement leur litige à une juridiction.

Pour vous présenter ces deux modes, les CCRA, qui sont des organismes consultatifs, peuvent être saisis de tout litiges nés au cours de l’exécution d’un marché public et ont pour mission de rechercher tous les éléments de droit ou de fait afin de proposer une solution amiable et équitable. En France, les CCRA sont au nombres de huit, il y a sept comités locaux et un comité national. Le comité national est principalement saisi des questions qui mettent en cause les services centraux de l’Etat alors que les comités locaux sont chargés des différends des autorités locales ou des services déconcentrés de l’Etat. Ils sont présidés par un membre des juridictions administratives ou financières et composé à parité de membres de l’administration et des organisations professionnelles. Ce ne sont ni des juridictions ni des instances d’arbitrages, ils ne font qu’émettre des avis que les parties sont libres de suivre ou non.

Malgré leur caractère facultatif, le recours au CCRA a un double intérêt, la célérité, les parties évitent la procédure juridictionnelle, ce qui représente un bénéfice tant pour le titulaire que l’acheteur, et la lutte contre l’encombrement des juridictions, dès lors que les avis sont généralement suivis et suffisent à éteindre le contentieux.

Le médiateur des entreprises, placé auprès du ministre de l’économie, quant à lui, vient en aide à toutes les entreprises publiques ou privées, qui rencontrent des difficultés dans leurs relations commerciales avec leurs partenaires, clients ou fournisseurs. Le médiateur a donc un champ d’action plus large, il intervient aussi pour les différends dans les relations inter-entreprises de pur droit privé. Sa particularité réside dans son objectif de faciliter les échanges entre les parties, pour que ces dernières trouvent elles-même une solution. Il ne propose pas lui-même une solution en tant que médiateur. En d’autres termes, sa mission est de permettre aux parties, sous son égide, de renouer le dialogue dans l’optique de poursuivre leur relation commerciale et permettre leur développement économique.

A mon sens, les règlements amiables ont une place fondamentale dans le contentieux des contrats publics d’affaire au sens large parce qu’on ne peut pas tout attendre du juge. Déjà les délais juridictionnels sont très longs et, bien souvent, le jugement est mal accepté par l’une des deux parties. Alors autant permettre aux parties d’échanger, d’être associées à la solution du litige afin que la solution soit prise dans leur intérêt et plus facilement acceptée. Vous connaissez l’adage « il vaut mieux un bon arrangement qu’un mauvais procès ». J’invite donc fortement les parties à recourir aux CCRA ou au médiateur des entreprises.

Le Parlement a adopté les dispositions du projet de loi ASAP relatives à la commande publique, quel est votre avis sur les dispositions relatives aux dispenses de formalités de publicité et mise en concurrence pour motif d’intérêt général ?

La disposition a suscité nombre de questionnements.

De manière générale, l’intérêt général permet aux pouvoirs publics de concilier ou d’aménager des principes législatifs, constitutionnels ou des principes généraux du droit dès lors que ces aménagements sont nécessaires et proportionnés à l’objectif poursuivi. Généralement c’est le législateur qui doit concilier les principes constitutionnels en vue de poursuivre des objectifs d’intérêt général, mais le pouvoir règlementaire peut aussi le faire avec les règlementations qui aménagement le principe d’égalité par exemple.

Or, la rédaction actuelle des dispositions du code de la commande publique qui autorise le pouvoir réglementaire à prévoir des cas de dispense de procédure n’évoque que les hypothèses dans lesquelles une mise en concurrence serait inutile, impossible ou manifestement contraire à l’intérêt de l’acheteur, ce qui limite considérablement ses marges de manœuvre et l’empêche d’alléger les contraintes procédurales dans un but d’intérêt général.

La loi ASAP vise à pallier cette difficulté afin de sécuriser juridiquement les éventuelles évolutions règlementaires qui pourraient intervenir en vue de simplifier ou d’accélérer les procédures notamment dans les secteurs confrontés à des difficultés particulières ou qui constituent des vecteurs essentiels de relance économique.

Bien évidemment, il ne faut pas surinterpréter la mesure, il ne s’agit pas, comme ça a été écrit ici ou là, d’autoriser les acheteurs à décider eux-mêmes de déroger aux procédures en fonction de leur propre appréciation de l’intérêt général à un moment donné. L’article ouvre seulement la possibilité au pouvoir règlementaire de prévoir, par décret en Conseil d’Etat, des hypothèses de dispense de procédure pour un motif d’intérêt général. Ici le pouvoir règlementaire est encadré, tant par la loi que par le Conseil d’Etat qui va, tout d’abord, vérifier que l’intérêt général existe, puis, que l’atteinte portée aux principes fondamentaux de la commande publique est nécessaire et proportionnée à l’objectif poursuivi.

Quels conseils donneriez-vous aux avocats publicistes ?

Le droit public est un droit vivant qui évolue rapidement car il est un outil au service des politiques publiques. Pas seulement la commande publique, mais le droit public des affaires en général. La législation et la règlementation du droit public des affaires doivent répondre aux attentes des acheteurs.

Le premier conseil que je devrais donner aux avocats publicistes c’est de s’impliquer dans une veille permanente, une actualisation constante de ses connaissances juridiques en suivant les évolutions législatives et règlementaires bien sûr, mais aussi la jurisprudence qui constitue une source importante du droit public. Cette veille permanente va garantir l’efficacité et la qualité de vos productions, que ce soient des consultations juridiques ou des écritures contentieuses. Il faut toujours vérifier la source du droit que l’on va appliquer, son opérance et sa pertinence. Cette veille permanente, ce souci de l’actualité juridique, c’est un élément constitutif de votre propre raisonnement juridique car c’est la source de votre syllogisme.

Le deuxième conseil, c’est de construire votre raisonnement juridique le plus rigoureusement possible. C’est-à-dire essayer d’exposer de telle façon qu’il soit convainquant et irréfutable. La rigueur de l’analyse et la rigueur du raisonnement assure la qualité de vos travaux.

Le dernier conseil que je donnerais c’est celui d’apprendre à dire non. Bien souvent, les jeunes avocats ont toujours tendance à vouloir faire plaisir à leur client. Or, il faut savoir leur dire non. Il faut savoir résister à la pression du client puisque vouloir faire plaisir à son client à tout prix, c’est le meilleur moyen de le mettre en risque. Il ne s’agit pas de dire non et de perdre son client, mais il s’agit de pouvoir exposer le plus clairement et le plus solidement, les arguments qui montrent que ça démarche est vaine, en tout cas risquée et de lui proposer des solutions alternatives. Il faut avoir une logique juridique mais également opérationnelle, il faut pouvoir proposer à son client des solutions qui sont moins risquées juridiquement mais qui lui permettrait néanmoins d’atteindre ses objectifs.

Publications de la DAJ de Bercy :

·         Guide Pratique pour faciliter l’accès des TPE/PME à la commande publique :

https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/guide_de_bonnes_pratiques.pdf

·         Guide sur les aspects sociaux de la commande publique

https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/conseil_acheteurs/guides/Guide-sur-les-aspects-sociaux-de-la-commande-publique2018.pdf

·         Portail de la DAJ dédié aux achats responsables :

https://www.economie.gouv.fr/daj/achats-publics-responsables

Publications du Conseil Constitutionnel relatives à la loi d'accélération et de simplification de l'action publique :

·         Décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020

https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2020/2020807DC.htm

·         Communiqué de presse :

https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2020-807-dc-du-3-decembre-2020-communique-de-presse