M. Salim BENSMAIL, Directeur de la Mission d'appui au financement des infrastructures (FIN INFRA)

Extrait de la Gazette n°22 - Octobre 2016 - Propos recueillis par Alexandre Bennesson et Christophe Farineau

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M. Salim BENSMAIL

Directeur de FIN INFRA

Pouvez-vous vous présenter brièvement à nos lecteurs, nous exposer votre parcours ?

Je suis économiste de formation. Après mon diplôme de Sciences Po et un master d’économie en Angleterre, j’ai ensuite intégré l’École nationale d’administration (ÉNA). À la sortie de cette école, j’ai rejoint, durant quatre ans, la direction de la prévision du ministère de l’économie et des finances (NDLR : une des trois entités dont la fusion, en 2004, a abouti à la création de la direction générale du trésor et de la politique économique ).

J’ai connu ma première expérience dans l’univers des projets d’infrastructures en rejoignant la Ville de Paris pour diriger le bureau des sociétés d’économie mixte (SEM) dans le cadre de la création de la sous ‑ direction des partenariats publics ‑ privés (NDLR : désormais service des concessions de la direction des finances et des achats). Cette création partait du constat qu’il y avait un déficit de culture économique et financière dans la conception des projets d’infrastructures ou la réflexion sur les modes de gestion des services publics. Cette difficulté n’était pas propre à la Ville de Paris : d’une manière générale, le secteur public peine à faire vivre en son sein des compétences pointues en matière économique et financière. Pour ma part, j’ai beaucoup appris dans ces fonctions. Il me semblait primordial d’acquérir une culture de la gestion d’entreprise (comptabilité, contrôle de gestion etc.). À cet égard, mon expérience au bureau des SEM a été précieuse en ce qu’elle m’a permis d’aborder une grande diversité de modèles d’entreprises : sociétés de services, gestionnaire d’infrastructures très capitalistiques ...

Après deux ans au bureau des SEM, j’ai travaillé durant quatre ans au sein d’une grande banque française, d’abord au département de la stratégie, avec une forte composante dimension croissance externe / fusions-acquisitions, puis dans les activités de marché.

Je suis ensuite retourné à la Ville de Paris en tant que directeur adjoint des finances, en charge des partenariats publics ‑ privés (PPP), puis en tant que directeur du développement économique.

C’est après cette seconde expérience à la Ville de Paris que j’ai rejoint, en 2014, la mission d’appui aux partenariats public-privé (MAPPP), devenue récemment FIN INFRA.

La mission d’appui aux partenariats public-privé (MAPPP) a récemment été remplacée par la mission d’appui au financement des infrastructures (FIN INFRA). Pouvez-vous nous présenter l’organisation de cette nouvelle structure ?

FIN INFRA est un service « expert » et a vocation à demeurer une structure de taille réduite d’une dizaine de personnes. Elle s’organise en trois pôles : un pôle juridique, un pôle financier et un pôle maîtrise d’ouvrage et économie des projets. Les choses pourront évoluer en fonction des besoins et des opportunités de recrutement mais fondamentalement il s’agit d’allier des profils différents : juristes / avocats spécialistes du droit public économique, du droit des financements structurés et du droit de la concurrence, des financiers avec une compréhension fine de la modélisation et de la structuration financière des projets, des ingénieurs et des économistes capables de poser les enjeux opérationnels liés à l’organisation de la maîtrise d’ouvrage des opérations et l’optimisation de la valeur des projets pour les personnes publiques.

Il s’agit d’ailleurs d’un enjeu essentiel afin d’atteindre nos objectifs : réussir à allier les compétences, que ce soit au sein d’une même personne ou d’une même équipe.

Quelles sont les principales missions de FIN INFRA ? Comment ces dernières ont-elles évolué par rapport à celles qu’avaient la MAPPP ?

FIN INFRA est plus explicitement déspécialisé que ne l’était la MAPPP. La nouvelle mission se définit comme un organisme expert non pas d’un outil de la commande publique, mais de la structuration juridique et financière de projets d’infrastructures.

Nous reprenons la mission historique de contrôle ex ante du recours au PPP à travers les avis que nous devons rendre sur l’évaluation préalable du mode de réalisation des projets de marchés de partenariat des personnes publiques. Mais plus fondamentalement, FIN INFRA a vocation à se positionner comme une structure de conseil sur la structuration des projets, sur le choix d’un mode de réalisation et le financement des opérations. Nous pourrons intervenir sur tout type de projets : les marchés de partenariat, les concessions mais d’une manière plus générale, ainsi que les projets initiés par les acteurs publics et pour lesquels une compréhension fine des modalités de financement offertes par le marché est essentielle … Aussi, des projets menés sous maîtrise d’ouvrage public sans financement dédié pourront également être étudiés.

Un axe important de notre travail consistera à convaincre les porteurs de projet de commencer à réfléchir à ces problématiques très en amont de la préparation des projets – force est de constater que ces questions de structuration, de financement, de bancabilité, tendent à être étudiées trop peu et/ou trop tard dans la vie des projets.

Certains émettaient des critiques sur le rôle effectif de la MAPPP (intervention trop tardive et absence d’évaluation de l’utilité sociale des projets notamment). Qu’en pensez-vous ?

Il y a eu beaucoup de choses injustes dites ou écrites sur la MAPPP. Ainsi on a souvent fait mine de s’étonner que la MAPPP ne rende qu’exceptionnellement des avis négatifs, en ignorant que les projets pour lesquels il était jugé que le PPP n’était pas la solution la plus pertinente n’allait généralement pas au bout du processus d’évaluation préalable.

À cet égard, je souhaite que désormais ce travail réalisé en amont soit plus formalisé, pour laisser une trace de nos échanges. Nous allons systématiser la tenue d’une étape de cadrage entre FIN INFRA et les porteurs projet, permettant de documenter l’échange méthodologique et les recommandations exprimées par FIN INFRA à ce titre.

Il me semble aussi nécessaire de reconnaître la nature de l’interaction entre la Mission et le porteur de projet et où réside la véritable valeur ajoutée de ce processus. Croit-on vraiment que FIN INFRA va substituer son propre jugement à celui de la collectivité qui prépare son projet depuis des mois, alors même qu’un avis favorable de FIN INFRA ne donne aucune garantie sur la validité juridique du recours au PPP ? Nous pouvons certes aider à identifier les « erreurs manifestes d’appréciation », mais surtout nous avons la conviction que la vraie valeur ajoutée de notre avis peut être d’accompagner le choix de la collectivité en l’alertant sur les points de vigilance et les bonnes pratiques contractuelles qui feront de leur contrat de PPP un succès. La combinaison de l’évaluation préalable, l’échange avec FIN INFRA et l’avis rendu doit constituer un travail constructif de préfiguration du futur PPP.

Concernant les collectivités, l’obligation de mener une étude de soutenabilité budgétaire leur a été étendue. FIN INFRA a-t-elle un rôle dans la réalisation de cette étude ?

C’est la direction générale des finances publiques qui détient la responsabilité de rendre un avis sur cette étude. Pour FIN INFRA, il est naturellement important d’avoir de la visibilité sur le contexte financier et budgétaire dans lequel s’intègre le projet de la collectivité mais nous n’avons pas vocation à intervenir là-dessus. Quant à l’articulation des différentes études et évaluations, nous cherchons actuellement à mettre en place le dispositif le plus fluide possible pour les collectivités.

Nous allons maintenant aborder des questions plus générales sur l’investissement public en France. Selon vous, comment se porte-t-il ?

La crise économique et financière a eu des conséquences incontestables sur l’investissement public. Mais ce volume reste à des niveaux relativement élevés par rapport à d’autres pays européens.

Pour le reste, nous ne faisons pas l’analyse que la France aurait aujourd’hui besoin d’une relance générale de l’investissement public. Il n’est d’ailleurs pas certain que cela aurait des effets macro-économiques globalement bénéfiques. En revanche, il existe de nombreux projets d’investissement qui présentent un intérêt socio-économique certain. Le véritable enjeu est de nous donner les capacités de choisir, de sélectionner les projets qui auront le plus grand impact économique et social.

Quelle est l’influence de la contrainte budgétaire ?

Manifestement cette contrainte commence à « mordre » depuis quelques années. Il va falloir apprendre à vivre dans un monde où il n’est plus possible de se désintéresser de ces questions, de tout financer. Il va falloir faire des choix. Ceci renforce d’autant plus la nécessité d’avoir un processus performant de sélection des projets. Avant, même si un projet n’était pas optimal, on avait le sentiment qu’on pouvait le réaliser. Désormais, et à l’inverse, même de bons projets peuvent peiner à se concrétiser.

Et qu’en est-il des collectivités territoriales ?

Ces dernières années, l’investissement des collectivités territoriales a été confronté à plusieurs difficultés : un contexte budgétaire contraint, le processus de réforme de la commande publique et la réforme territoriale. Le cumul de ces circonstances et les effets du cycle électoral ont pesé sur l’investissement. On peut donc raisonnablement s’attendre, dans les années à venir, à une reprise de l’investissement des collectivités. Nous commençons en à avoir quelques indices avec les signaux donnés par les projets de PPP sur lesquels nous sommes saisis.

Vous avez évoqué la réforme de la commande publique. Celle-ci est-elle favorable à une relance de l’investissement public ?

Oui, nous en sommes convaincus. Cette réforme offre un cadre plus rationnel et plus souple et plus sécurisé. En outre, les conditions de recours aux marchés globaux de performance sont élargies.

Pouvez-vous nous exposer les évolutions les plus marquantes pour les partenariats public-privé ? Reste-t-il un contrat dérogatoire ?

Cette réforme doit permettre de créer un cadre plus sécurisé pour conduire des projets d’investissement et recentrer le PPP sur les projets pour lesquels il a la plus grande valeur ajoutée. Surtout, le marché de partenariat doit désormais constituer le seul véhicule juridique des partenariats public-privé.

Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’il ne constitue plus, à proprement parler, un objet juridique non identifié puisqu’il est intégré par l’ordonnance dans la famille des marchés publics. Toutefois, il est vrai que le recours au marché de partenariat passe encore par la satisfaction de conditions spécifiques. Mais au fond est ce que cela en fait un objet si différent des autres outils de la commande publique. Le marché global de performance est lui aussi soumis à des conditions de recours. À cet égard, on peut noter que même pour les marchés publics en MOP allotis, l’acheteur doit aussi pouvoir justifier le périmètre d’allotissement qu’il a retenu. Le contrôle ne se fait, certes, pas a priori comme pour les marchés de partenariat mais le juge peut remettre en cause ces marchés a posteriori. En fait les acheteurs ne sont presque jamais libres de déterminer le périmètre des missions confiées au titulaire du marché ; le marché de partenariat n’est peut-être pas aussi exceptionnel de ce point de vue.

La seule catégorie de contrat échappant à toute condition de recours aujourd’hui, c’est la concession, alors même que sa structure est la même que celle d’un PPP : c’est un contrat global avec financement, réunissant construction, conception, entretien et gestion d’un service qui peut être public …

Que penser du nouveau critère unique de recours aux marchés de partenariat (le bilan) ?

Il est important de souligner que ce critère du bilan n’est pas le même que celui qui existait pour les contrats de partenariat. Avant, le bilan était le 3 eme critère ; parce que la complexité et l’urgence renvoyaient à des considérations « qualitatives », le bilan pouvait être traité essentiellement sous l’angle de l’efficience économique. Concrètement, cela se jouait sur des tableurs Excel. Désormais, le bilan favorable est la condition unique de recours au PPP. Il doit donc faire la place à des considérations qualitatives.

Ce caractère protéiforme du bilan apparaît dans le décret qui le détaille de manière aussi précise que possible (NDLR : voir article 152 du décret n° 2016-360).

Une autre problématique importante concernant les marchés de partenariat est celle de la place des petites et moyennes entreprises (PME). N’aurait-on pas pu aller plus loin sur cette question, par exemple en imposant des seuils ?

C’est un sujet sur lequel il faut avoir un discours objectif et lucide. Clairement, les contrats globaux ne sont pas le terrain de jeu naturel des PME. La caractéristique du PPP est d’être un contrat pensé pour permettre des transferts de risque importants et rigoureux en particulier le transfert au privé du risque de construction.

Est-il raisonnable pour une PME de s’exposer à un tel risque ? On peut penser que non. Mais est-ce une raison suffisante pour enjoindre aux personnes publiques de dégrader la qualité de la commande publique en renonçant à ces transferts de risque s’ils sont pertinents ?

Notre conviction est qu’il est possible de sortir par le haut de cette contradiction. D’abord en veillant à ce que les PPP soient réellement efficients : c’est-à-dire qu’ils ne soient pas juste un outil pour « massifier » la commande publique au détriment des PME, mais qu’ils soient fondés sur une réflexion approfondie sur l’allocation des risques. C’est tout le rôle de l’évaluation préalable et du contrôle par FIN INFRA !

Par ailleurs, n’oublions pas que les marchés globaux sont significativement sous traités aux PME. Les entreprises qui ont la charge de ces contrats peuvent s’engager à travers des chartes de bonnes pratiques etc. vis-à-vis des élus locaux notamment. Enfin, rappelons que le législateur a, dès le départ des PPP, reconnu l’enjeu des PME. Le contrat de partenariat était dès sa création le seul pour lequel la loi imposait que la part des prestations réservées aux PME soit un critère obligatoire d’évaluation des offres. L’ordonnance de juillet 2015 est allée plus loin en prévoyant qu’un seuil minimum soit en outre imposé par voie réglementaire pour le marché de partenariat.

Vous avez évoqué la proximité entre les marchés de partenariat et certaines concessions. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Effectivement, la concession et le PPP ont en commun d’être des contrats globaux par lesquels la personne publique confie au titulaire une mission couvrant la conception, la réalisation, le financement, l’entretien et la maintenance d’un ouvrage. Ils diffèrent fondamentalement par le type de risque auquel est exposée la rémunération du partenaire privé : risque de construction et de disponibilité pour le PPP, auxquels s’ajoutent, pour la concession le risque de demande (risque trafic).

Mais on observe aussi aujourd’hui un début de convergence des modèles économique et des profils de risque. Dans les concessions, des mécanismes de revenu minimal ou de subventions fixes de fonctionnement sont mis en place pour atténuer le risque d’exploitation du concessionnaire. Avec les garanties de recettes et les pénalités mises en place en concession, on retrouve des schémas de loyer du PPP. Du côté des PPP, on sait qu’il est possible de prévoir en plus du loyer versé par la personne publique, une prise de risque significative du titulaire sur des objectifs de recettes annexes … Les deux objets pourtant bien segmentés sur le plan juridique, finissent alors par être très similaires sur le plan économique et financier.

La question que le financier peut poser au juriste est de savoir quelle est la justification de faire coexister des catégories juridiques distinctes pour des objets de plus en plus similaires – et ce d’autant plus que les procédures de passation applicables sont désormais très similaires - recours au dialogue compétitif et procédure négociée par exemple.

Quelles conséquences cette convergence peut-elle avoir ?

Elles ne sont pas négligeables. Juridiquement d’abord, dès lors que le marché de partenariat est soumis à des conditions de recours et que les concessions ne le sont pas, le juge ne sera-t-il pas tenté de déterminer si certaines concessions ne sont pas des marchés de partenariat déguisés ?