M. Damien BOTTEGHI, Directeur de la direction des affaires juridiques de la Mairie de Paris

Extrait de la Gazette n°19 - Mai 2016 - Propos recueillis par Christophe Farineau et Nicolas Quenard

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M. Damien BOTTEGHI

Directeur de la direction des affaires juridiques de la Mairie de Paris

La poignée de main franche, le sourire accueillant, Damien BOTTEGHI nous a reçu pendant plus d'une heure mardi 12 avril. En acceptant cet entretien, le directeur de la Direction des affaires juridiques (DAJ) de la ville de Paris a découvert l'IDPA, ses spécificités, son réseau d'anciens. Ravi d'être le premier à être interviewé dans cette nouvelle rubrique de la Gazette, il en a profité pour nous présenter la DAJ parisienne et faire passer certains messages qui lui tenaient à cœur.

Au cours d'un riche entretien uniquement entrecoupé par un appel de Maître Régis FROGER, par ailleurs enseignant à l'IDPA, Damien BOTTEGHI nous a également livré sa vision de certaines évolutions juridiques actuelles.

Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs, nous décrire brièvement votre parcours ?

Après mes études à Sciences Po, j'ai rejoint la faculté de droit de l’université Paris II Panthéon-Assas pour une licence de droit public. Après avoir hésité avec la poursuite d’un doctorat et la carrière de Professeur des Universités, j’ai préparé les concours administratifs et ai réussi l'ENA. J'en suis sorti au Conseil d'État.

Mes huit années passées au Conseil d'État m'ont donné l'occasion d'exercer différentes fonctions. Dans un premier temps, j'ai été auditeur - c'est-à-dire rapporteur - pendant un peu moins de 3 ans, avant, dans un second temps, de devenir l’un des responsables du centre de recherche et documentation juridique. J'ai enfin exercé la fonction de rapporteur public à la deuxième sous-section du contentieux pendant 3 ans. Parallèlement à cette dernière charge, il m'a été donné l'occasion de défendre la loi pour le compte du gouvernement devant le Conseil constitutionnel. Depuis octobre 2013, j’occupe le poste de directeur à la direction des affaires juridiques de la Mairie de Paris, mon premier en tant qu'opérationnel.

Quelles sont les principales missions de la DAJ ?

Les missions de la DAJ sont de défendre les intérêts de la ville de Paris et de l'accompagner dans ses projets.

De défendre la ville de Paris de manière générale, sauf en matière de fonction publique, ce contentieux ressortant de la direction des ressources humaines. À moins que l'on soit en présence d'un dossier conséquent, médiatique ou décisif, en première instance la ville n'a pas recours au ministère d’avocat (90 % des cas environ). Ainsi, les agents, adjoints et chefs de bureau vont plaider, notamment au Tribunal administratif. Pour ce qui est de l'appel et de la cassation, conformément aux obligations légales, nous faisons appel à des cabinets avec lesquels nous travaillons de concert.

Si cette mission de défense est la plus visible, la DAJ est avant tout une instance d’accompagnement des projets. La mission première de la DAJ est de trouver des solutions, des voies et moyens opérationnels afin de faire aboutir les projets promus par la Mairie de Paris.

Comment est organisée la DAJ ? Qui la compose ?

La direction des affaires juridiques de la Mairie de Paris est conséquente par sa taille car composée de 75 personnes (majoritairement des catégories A) mais aussi par la diversité des sujets couverts. En ce qui concerne le droit public, il s'agit principalement de fonctionnaires. De nombreux contractuels composent néanmoins la sous-direction dédiée au droit privé, certains agents étant d'anciens avocats, tels que Stéphane BURGE ou Marie COSSE-MANIÈRE.

Il n'existe pas de statistiques exactes sur le recrutement des agents au sein de la DAJ, mais il existe assurément une diversité de parcours. Cette diversité est nécessaire en ce qu'elle enrichit la DAJ et lui apporte des compétences diverses, une certaine variété dans les profils. Ce besoin de compétences plurielles, d’un regard extérieur est aussi assuré par les liens qui existent entre la DAJ et les autres directions, notamment la DFA (Direction des finances et des achats).

Si la transversalité dans l’approche des dossiers est importante au sein de la DAJ, elle reste tout de même structurée par unité de domaine. Ainsi, la DAJ est divisée en deux sous-directions : l’une du droit public dirigée par Amadis FRIBOULET et l’autre du droit privé et des affaires générales dirigée par Bruno CARLES. Ces deux sous-directions se décomposent elles-mêmes en bureaux spécialisés.

La sous-direction du droit public est composée d'un bureau du droit public général dirigé par Abdelrahime BENDAIRA, d'un bureau dédié à l'urbanisme piloté par Stéphane NOURISSON et d'un bureau du droit des marchés publics avec à sa tête Cyrille SOUMY. Celui-ci, pour des raisons historiques notamment, s'occupe des marchés publics au sens strict du terme, le reste de la commande publique - et notamment les concessions - relevant du bureau du droit public général. Ce dernier gère également les questions relatives au fonctionnement des institutions politiques parisiennes, à la propriété publique, aux contrats et à la responsabilité administrative - entre autres.

Au sein de la sous-direction dédiée au droit privé et aux affaires générales, la politique liée aux marques de la ville est gérée par le bureau du patrimoine immatériel. Un bureau petit par sa taille mais essentiel à la DAJ. La ville de Paris est en effet proactive dans la défense de ses marques telles que Vélib' et Autolib’, notamment en les protégeant par des dépôts à l'INPI. Actuellement, plus de 1000 noms de domaine sont gérés et près de 300 marques déposées et valorisées.

Aux côtés du bureau du patrimoine immatériel se trouve le bureau du droit privé, dirigé par Stéphane BURGE. C’est ce bureau qui gère le plus de contentieux, notamment parce qu'il concentre celui des aides sociales telles que le RMI et le RSA qui représentent des contentieux de masse. La protection fonctionnelle des agents relève également de ce bureau. Chaque année, elle est octroyée à plus de 130 d’entre eux.

Par ailleurs, la mission de l'accès au droit constitue également une branche très importante de la direction du droit privé et des affaires générales. En effet, de nombreux dispositifs d'accès au droit sont financés par la Mairie de Paris qui a mis en place 5 points d'accès au droit répartis dans différents arrondissements de la capitale (13ème, 15ème, 18ème, 19ème et 20ème). Ces cinq centres ont accueilli plus de 58 000 usagers en 2014, permettant ainsi à toute personne de pouvoir connaître ses droits et devoirs ainsi que les moyens de les exercer.

Ces 5 points d'accès au droit sont complétés par des relais d'accès au droit qui correspondent à des centres de proximité. Une équipe de 26 juristes a accueilli près de 29 000 personnes en 2014. Cela représente environ la moitié du budget de la DAJ.

Depuis 1977, la Mairie de Paris subventionne ainsi des permanences juridiques en partenariat avec le Barreau de Paris afin que chacun puisse bénéficier de consultations juridiques gratuites assurées par des professionnels ainsi qu’un accompagnement dans certaines démarches juridiques.

De surcroît, toujours dans le cadre de cet objectif d’une plus grande accessibilité au droit, la Mairie de Paris entend développer des partenariats avec les cliniques du droit. Ces cliniques sont créées sur le modèle américain que j'ai moi-même connu, il y a près de vingt ans maintenant, lorsque j'étais étudiant aux États-Unis à l'Université de Cornell. Pour les élèves, c'est une opportunité enrichissante qui permet d’intégrer une partie pratique dans leur formation, tout en étant supervisés par des avocats. Aux États-Unis, il est nécessaire de pratiquer au sein d'une clinique juridique afin d'être diplômé. Je pense que c'est un procédé qui pourrait utilement se déployer en France.

À ma connaissance, il existe actuellement 7 cliniques juridiques en Île-de-France, permettant aux étudiants qui en font partie de réaliser des consultations juridiques de terrain.

Au-delà des deux sous-directions de la DAJ, il existe également deux bureaux très importants, rattachés directement à mon office de directeur : la mission CADA, CNIL et déontologie, dirigée par François ROGGHE et le secrétariat général de la Commission des appels d'offres piloté par Lupicino RODRIGUEZ. Ce dernier service permet de sécuriser tous les marchés publics qui passent ainsi nécessairement par la DAJ.

Quels sont les rapports entre la DAJ et les autres directions de la Mairie de Paris, et notamment avec la Direction des finances et des achats ?

La DAJ est une direction experte, ayant vocation à aborder et traiter des questions complexes qui n'ont pas pu être au préalable résolues avec les ressources juridiques internes des autres directions.

La direction des finances et des achats (DFA) est légèrement à part en ce qu'elle est une direction très équipée, dotée de moyens importants. Elle dispose à ce titre d'une excellente expertise juridique.

Il existe un réseau de correspondants juridiques dans toutes les directions de la ville de Paris constitué par une quarantaine de juristes. Ces derniers permettent un dialogue facilité entre la DAJ et les autres directions.

Ainsi, des spécialités juridiques très fortes existent au sein des différentes directions et c'est notamment pour cette raison que ces juristes sont indispensables. Concrètement, nous ne sommes pas nécessairement les mieux placés pour gérer les problèmes, pour apporter les réponses du quotidien. Partant, je suis opposé à toute centralisation des juristes au sein de la DAJ. Notre distanciation nous permet d'intervenir en deuxième rideau.

En tant que gardien du temple en quelque sorte ?

Je préfère l’expression de direction accompagnatrice. Les juristes dans les directions opérationnelles permettent notamment de rappeler l’existence et le contenu des règles juridiques à respecter lors de la poursuite d’un projet. Ce travail est essentiel car il permet de cadrer juridiquement les projets dès leur origine.

La DAJ intervient ensuite sur des questions ponctuelles afin de valider, de sécuriser tel ou tel point d’un projet, tel ou tel montage contractuel. Il en existe énormément, la sécurisation et l'accompagnement des projets constituent l'essentiel de l'activité de la DAJ.

Concernant les projets d'envergure, les dossiers sensibles et complexes, quel est le positionnement de la DAJ ?

DB : Pour les projets structurants, la DAJ est associée aux équipes projets à chaque fois. Des contrats d’assistance à maîtrise d'ouvrage juridique sont également lancés pour les contrats conséquents. La DAJ valide à chaque fois ces procédures et, par la suite, fait toujours partie de l’équipe projet qui rassemble avocats, juristes, financiers, ingénieurs, architectes, etc.

Ces équipes projets se sont retrouvées parties prenantes dans toutes les grandes réalisations emblématiques des dernières années tels que les kiosques parisiens, Vélib', mais également les grands projets urbanistiques tels que Roland Garros, la Samaritaine ou les Tours Duo situées dans le 13ème arrondissement de la capitale. Sur tous ces sujets, l’association entre les différents acteurs se fait naturellement.

Pour la seconde partie de cet entretien, nous allons aborder certains grands dossiers ainsi que des problématiques juridiques d'actualité en commençant par les nouvelles directives et leur transposition.

Quel est pour vous l’impact des nouvelles directives sur la ville de Paris et ses projets ?

Concernant les pratiques d'achat public, je ne suis pas sûr que les nouvelles règles issues des directives changent fondamentalement la donne même si un gros travail d’actualisation sera nécessaire comprenant notamment la mise à jour de notre numérotation et de tous nos clausiers... Pour autant, cette transposition n’ouvre pas un champ des possibles nouveau. Il ne s'agit pas du grand soir de la commande publique.

Globalement, les procédures restent les mêmes. Toutefois, l'ajout de la nouvelle procédure concurrentielle avec négociation est à saluer. La négociation est facilitée et, à titre personnel, j'y suis très favorable.

Si l'on fait un tour des principales avancées, concernant les modifications contractuelles en cours de contrat par voie d'avenant, les exigences ont été précisées. De son côté, l'open data, qui consiste en la mise à disposition des données essentielles du marché, est généralisée. À la Mairie de Paris, cette exigence était appliquée depuis un an et demi dans un nombre croissant de marchés. Il est donc prévu que ce mouvement soit amplifié, approfondi.

Et concernant la directive concession? 

Elle a avant tout été prévue pour les pays en retard sur ces questions de passation et de procédure. En France, du fait de la loi Sapin de 1993, nous connaissons déjà une procédure complète visant à garantir un choix transparent et éclairé du délégataire. Avec la nouvelle directive, la délégation de service public classique existera toujours. La transposition des directives aurait pu être l'occasion d'alléger la procédure actuelle qui est longue et complexe. Cela n'a malheureusement pas été le cas. Ainsi, sur ce point, la transposition des directives n'apportera pas de grands changements pour la ville de Paris.

Que pensez-vous de la ligne de partage entre les contrats publics, et notamment celle qui sépare les concessions de service des conventions d'occupation du domaine public ou des DSP - qui sont d’ailleurs maintenues dans le CGCT ?

Les concessions de service sont un nouvel outil contractuel intéressant. Cependant, les frontières entre les délégations de service public, les conventions d'occupation du domaine public, les concessions de service, les marchés publics à abandon de recettes sont poreuses.

Les critères de distinction ont toujours été assez théoriques. On le voit sur certains contrats de mobilier urbain. Ces derniers ont été qualifiés de conventions d'occupation du domaine public par une décision du Conseil d'État relative aux Colonnes Morris. Si cette décision n'était pas la plus évidente, elle s’explique notamment car, à l'époque, la concession de service n'existait pas et le contrat de mobilier urbain ne répondait pas, dans cette espèce, aux critères de qualification du marché public. Quant à lui, le projet Vélib' aurait pu être une DSP ou une concession de service alors que la procédure actuellement en cours est un marché public.

Ces incertitudes sont aussi dues au fait que le risque, critère essentiel afin de qualifier une concession, est une notion floue, à géométrie variable.

Quel regard portez-vous sur le projet de loi Sapin 2 ? Plus particulièrement sur son article 15 qui habilite le Gouvernement à réformer le droit domanial par voie d'ordonnance afin notamment de prévoir des obligations de publicité et de mise en concurrence pour, d'une part, les autorisations d'occupation du domaine public et, d'autre part, les opérations de cessions immobilières.

Concernant la mise en concurrence générale des conventions d'occupation du domaine public, j'y suis opposé. Il est irréaliste et contre-productif de poser une obligation de mise en concurrence de toutes les conventions d'occupation du domaine public. D'une part, car le domaine public est un outil de valorisation, de favorisation de certains projets. Il permet de réaliser plus facilement certaines politiques, de soutenir des changements urbains. D'autre part, car la notion d’autorisation d’occupation du domaine public englobe un périmètre énorme : de grands projets comme des petits tels que des food trucks ou des terrasses de cafés.

Ainsi, pour ces derniers cela serait beaucoup trop lourd et donc irréaliste. Cependant, je comprends qu’il puisse y avoir une envie d'imposer une mise en concurrence lorsque l’activité sur le domaine occupé présente un avantage concurrentiel net. D'ailleurs, dans ce cas, la mise en concurrence est déjà pratiquée à la ville conformément à un vœu formulé par le Conseil de Paris en 2004.

Concernant le transfert de propriété, il s'agit là d'un vrai sujet. Cela sera un des gros points d’attention de la DAJ dans les mois à venir.

La réforme du statut de Paris est actuellement engagée et, à ma connaissance, c'est un sujet que la DAJ suit particulièrement. Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?

Effectivement c'est un sujet que nous suivons particulièrement, notamment parce que la DAJ a fortement contribué à la rédaction du projet. Celui-ci, voulu par la Maire de Paris, Anne Hidalgo, a été annoncé l'été dernier avec la volonté de faire de Paris une collectivité de droit commun.

La nouvelle répartition des compétences de police administrative entre le Maire de Paris et le Préfet de police constitue ainsi une partie de cette réforme annoncée. De nombreux pouvoirs de police administrative spéciale vont être rapatriés dans l'escarcelle de compétence du Maire de Paris, telles que ceux relatifs à la lutte contre les nuisances olfactives et au stationnement.

Un des autres objectifs majeurs concerne la fusion de la ville de Paris et du département de Paris. C'est actuellement presque un état de fait, la réforme en permettrait la concrétisation.

Enfin, la fusion des premier, deuxième, troisième et quatrième arrondissements est également un des axes saillants de la réforme, permettant un nécessaire rééquilibrage démographique entre les arrondissements de la capitale. Ces arrondissements possèderont un seul maire avec une seule mairie à l'horizon 2020 ; cependant des antennes administratives locales demeureront dans chacun des quatre arrondissements concernés.

Quels sont les grands sujets du moment pour la ville de Paris ?

En matière d'urbanisme, jusqu'à peu, il s'agissait de la Samaritaine. Actuellement, il s'agit davantage de Roland Garros. L'installation d’un centre d’hébergement d'urgence dans le 16ème, qui résulte d'un travail conjoint avec la préfecture, est aussi un des gros dossiers du début de l'année 2016.

En matière contractuelle, le contrat portant sur les Vélib' fait l'objet d'un renouvellement, mené en lien avec le service des concessions de la DFA et la direction de la voirie. Les abris voyageurs, les kiosques à journaux et le renouvellement de la DSP du jardin d’acclimatation sont également des dossiers cruciaux pour cette année.

Pour finir, une question très actuelle sur un des grands projets structurants que la ville de Paris mène actuellement : quel regard portez-vous sur l'évolution du projet de Roland Garros ?

Roland Garros, c'est six années de contentieux divers et variés, tant devant le juge judiciaire que devant le juge administratif, sur des questions d'urbanisme, de convention d'occupation du domaine, etc.

Récemment le Tribunal administratif de Paris a suspendu en référé l'exécution du permis de construire délivré à la Fédération française de tennis malgré les nombreux avis positifs des diverses autorités administratives qui sont intervenues. Cela démontre bien qu'en droit de l’urbanisme, il est difficile de faire sortir des projets. C'est un droit plein de chausses trappes, un droit d’une complexité effrayante, terre de batailles très compliquées... Que la Mairie finit souvent par gagner.

Pour donner un exemple comparable, le projet de la Samaritaine dans le quartier Rivoli a connu le même genre de schéma contentieux. Ainsi que vous le savez, nous sommes allés jusqu'au Conseil d'État afin que le projet puisse être réalisé.

Par ailleurs, il est intéressant de noter qu'au-delà des similitudes contentieuses, les projets sont globalement freinés par les mêmes requérants. Cette identité des acteurs contentieux se retrouve notamment pour les projets de Roland Garros, de la Samaritaine et de l'allée des fortifications au sein du bois de Boulogne où un centre d'hébergement d'urgence va être édifié.