Alors que commence à se détacher du ciel du 15e arrondissement de Paris la Tour Triangle qui accueillera dans quelques mois de nombreux bureaux et logements, la loi n° 2025-541 du 16 juin 2025 vise quant à elle à offrir une seconde vie au bâti existant en simplifiant le changement de destination de bâtiments existants en logements.
La lutte contre la crise du logement
En 2024, 350 000 personnes en France étaient sans domicile, c’est plus de deux fois plus qu’en 2012 ; 30 % des ménages ont eu froid dans leur logement contre 14 % en 2020 ; les demandeurs de logement social représentaient 2,7 millions contre 2,1 millions en 2017 (Rapport n° 30 – Fondation Abbé Pierre – L’état du mal-logement en France.). Il est ainsi palpable que le mal-logement en France prospère.
Face à ce constat, doit également être relevé celui des nombreux immeubles inutilisés, vides, dans les zones urbaines et rurales qui n’attendent qu’à être occupés. A titre d’exemple, on estime aujourd’hui à environ 4,5 millions le nombre de mètres carrés de bureaux vides en Ile-de-France dont 1,5 million sont en vacance structurelle (M. Daubié, Rapport n° 2111 devant l’Assemblée nationale).
La loi du 16 juin 2025 permet de faire un lien entre ces espaces vides et le besoin de logements en facilitant leur reconversion contribuant ainsi à l’objectif « ZAN » (zéro artificialisation nette). Cette reconversion qui nécessite un changement de destination était possible au regard de l’ancien droit mais est aujourd’hui facilitée par cette loi.
La simplification du changement de destination
La loi offre la possibilité à l’autorité administrative compétente de déroger au zonage du PLU afin d’autoriser la transformation d’un bâti existant en logement alors même qu’il se trouverait dans une zone où les immeubles destinés à l’habitation sont interdits. Cette dérogation applicable en zone urbaine mais également dans les zones agricoles et forestières se veut être également un instrument de redynamisation des campagnes lorsqu’il apparaît qu’aucune de ces deux activités n’est pratiquée depuis 20 ans sur le site en question. Elle permet ainsi d’éviter une révision lourde et complexe du PLU mais suppose un travail d’analyse précis et détaillé par l’autorité compétente de la nature et la zone d’implantation du projet. A cet égard, la dérogation au PLU peut être refusée en raison du manque d’accessibilité du bâtiment par les transports ou d’écoles à proximité, de nuisances pour les futurs occupants et d’atteinte à la mixité sociale et fonctionnelle dans le secteur.
Le PLU pourra également délimiter des secteurs où peut être délivré un permis de construire à destinations multiples dit permis réversible. Cette innovation déjà utilisée pour la construction du village olympique pourra être invoquée dans deux cas de figure (M. Daubié, Rapport fait au nom de la CMP le 20 mai 2025) : D’une part, il peut se contenter d’autoriser plusieurs destinations pour une construction. Dans ce cas, le pétitionnaire - qui devra effectuer une autre demande de permis pour changer effectivement la destination de celle-ci - ne pourra pas voir sa demande être refusée en raison du changement de destination qui a déjà été autorisé par le premier permis. Cette première utilisation permettra alors de prévoir en avance un changement de destination au bout d’un certain temps sans le soumettre à un aléa juridique. D’autre part, le permis peut prévoir plus précisément que la première utilisation du permis réversible les différents états de la construction selon les destinations postérieures prévues. Puisque ce permis est le seul à être délivré, il appartiendra à l’autorité administrative de contrôler la conformité des états futurs de la construction aux règles d’urbanisme applicables à la date à laquelle le permis réversible a été délivré. Ce permis cristallise donc les règles de droit applicables pendant la durée du permis, c’est-à-dire 20 ans. Les modifications ultérieures des règles du PLU relatives aux constructions, objets du permis réversible, sont ainsi sans incidence sur toute cette durée.
Enfin, la loi facilite la transformation d’immeubles en logements en imposant une approbation de l’assemblée générale des copropriétaires à une majorité simple. Concrètement, cette loi permet qu’un lot soit affecté à un usage d’habitation ce qui peut s’avérer contraire à la destination de l’immeuble pouvant être limitée aux commerces ou bureaux. Avant cette loi, il était exigé que tous les copropriétaires autorisent le projet, ce qui permettait ainsi à un seul d’entre eux d’empêcher la transformation de destination. Toutefois, pour Agnès Lebatteux, cette loi permettant le changement d’usage du lot sans le consentement de tous les propriétaires pose question au regard de la liberté contractuelle protégée constitutionnellement (Cons. const., 19 décembre 2000, n° 2000-437, DC).
Une bombe à retardement
Si l’objet de cette loi paraît tout à fait louable – surtout qu’elle impose que les logements soient utilisés comme résidence principale empêchant ainsi d’en faire des lieux pour touristes - elle porte pourtant en elle ce qui pourrait favoriser le mal-logement.
La loi permet en effet de déroger à l’article L. 151-14 du code de l’urbanisme qui permet au règlement du PLU des communes de délimiter des secteurs dans lesquels les programmes de logements comportent une proportion de logements d’une taille minimale fixé. Autrement dit, « il s’agit de pouvoir déroger à certaines normes qui stipulent, par exemple, qu’un immeuble doit comprendre un tiers d’appartements d’une ou deux pièces, un tiers de quatre pièces et un tiers de cinq pièces » (M. Daubié, Rapport fait au nom de la CMP le 20 mai 2025). Le contournement de ces règles risque ainsi de conduire à une concentration excessive de petits logements pouvant être loués à un bon prix qui ne sont alors ni adaptés aux familles nécessitant un logement grand, ni aux publics précaires qui ont souvent besoin d’un logement adapté à leur situation. Il est alors possible d’imaginer que cette loi favorisera la promiscuité, des conditions de vie difficiles et contribuera ainsi au mal-logement.
Ainsi, si cette loi semble répondre à un problème actuel sans pour autant envisager les conséquences probables de son application, cela semble s’expliquer par l’absence d’une vision stratégique et globale sur la question du logement en France.
Le manque d’un cadre clair
Les travaux préparatoires de cette loi font état du problème conséquent : l’absence d’une loi de programmation pour le logement qui déclinerait une vision sur le long terme d’une vraie politique publique. Il semble que ce manque de vue d’ensemble sur la question du logement en France rend par exemple difficile l’application de cette loi. Si en effet, le permis réversible semble être une bonne idée, qui pourrait aujourd’hui dire quelles seront les destinations d’immeubles dont nous aurons besoin dans 5, 10, 20 ans et dans quels lieux ? Ce n’est pourtant pas l’envie de légiférer dans ce domaine qui manque. Depuis le début d’année 2025, on ne compte pas moins de 25 propositions de loi concernant le logement.
Ainsi, la loi n° 2025-541 du 16 juin 2025, bien que souhaitable ne constitue malheureusement qu’une petite partie de la solution face à une situation alarmante et à l’inadéquation entre l’offre et la demande en logements (Mme Estrosi Sassone, Rapport fait au nom de la CMP le 20 mai 2025).
Clémence LACOUR Membre de la gazette de l’IDPA
