Installations classées : quelles sont les conséquences du prononcé d’un non-lieu à statuer en cas de mise en demeure entièrement exécutée ?

Extrait de la Gazette n°41 - Juin 2020

Le 19 décembre dernier, le Conseil d’État a jugé que, lorsqu’un arrêté de mise en demeure pris sur le fondement de l’article L. 171-7 du code de l’environnement avait entièrement été exécuté à la date à laquelle le juge statue, il n’y avait dès lors plus lieu de statuer sur la légalité de cet arrêté [1].

Cette décision intervient dans le contexte d’une forte augmentation des sanctions administratives prises à l’encontre des exploitants : de 345 en 2017 à 433 en 2018. Cette augmentation peut s’expliquer soit par une plus grande intransigeance de la part des autorités administratives, soit par l’augmentation du nombre de mises en demeure auxquelles il n’a pas été déféré. Cette tendance au durcissement, après de nombreux accidents industriels, comme par exemple celui de l’usine Lubrizol en septembre dernier, entraîne nécessairement une augmentation du nombre de mises en demeure adressées aux exploitants, et autant de contestations contentieuses possibles.

Le Conseil d’État, qui s’est prononcé sur une mise en demeure prise en application de l’article L. 171-7 du code de l’environnement, applicable aux installations exploitées sans l’autorisation requise, ouvre le champ des questionnements sur la transposition de cette solution aux mises en demeure prises en application de l’article L. 171-8 du même code qui, elles, sanctionnent l’inobservation de prescriptions applicables à une installation autorisée déjà en fonctionnement.

Dans cet article, il sera également question des interrogations soulevées à l’occasion d’une mise en demeure prise sur le fondement de ce dernier article.

Par ailleurs, bien que la décision du 19 décembre 2019 ait été rendue dans le cadre d’un litige concernant les IOTA (Installations, ouvrages, travaux, activités), le principe dégagé trouve à s’appliquer pleinement en droit des installations classées. La décision a été rendue au visa de l’article L. 171-7 du code de l’environnement, qui, depuis la réforme de l’autorisation environnementale, s’applique tant dans le domaine des IOTA que des ICPE (Installations classées pour la protection de l’environnement).

Si la décision du Conseil d’État apparaît cohérente sur le plan pratique (I.), elle entraîne néanmoins de nombreuses interrogations tant sur les conséquences de l’impossibilité de contester la légalité d’un arrêté de mise en demeure entièrement exécuté (II.), que sur les autres voies contentieuses qui sont ouvertes à l’exploitant (III.).

I. Une décision cohérente dans la pratique

La mise en demeure, dans le cadre d’une installation qui n’a pas été autorisée, vise à ce que la situation administrative de l’exploitant soit régularisée dans un certain délai, en vue de mettre fin à l’exploitation illégale de cette installation. La suspension de l’installation ou des mesures conservatoires peuvent être prononcées dans le même arrêté.

Lorsque l’installation est en fonctionnement, la mise en demeure constitue uniquement un rappel d’obligations préexistantes que l’exploitant ne satisfait plus, et une injonction à les respecter dans un délai déterminé. Dans le cadre d’une mise en demeure édictée sur le fondement de l’article L. 171-8 du code de l’environnement, elle ne doit comporter aucune prescription nouvelle [2]. Il s’agit du préalable obligatoire à l’édiction de mesures coercitives et de sanctions.

Dans les deux cas, cette mise en demeure fait grief et peut être déférée devant le juge administratif, indépendamment des décisions ultérieures prises par l’autorité administrative.

Le délai imparti à l’exploitant pour s’exécuter doit être en rapport avec les mesures à prendre. Ce délai sera contrôlé par le juge, en particulier dans le cadre d’une installation déjà en fonctionnement, puisque le but est de permettre à l’exploitant de se conformer à ses prescriptions initiales ou de faire des propositions de nature à éviter le prononcé d’une sanction [3].

Dans ce cadre, la problématique qui se posait dans l’affaire soumise au Conseil d’État était de déterminer quelles étaient les conséquences à tirer de l’exécution totale d’une mise en demeure. En effet, une fois que les mesures prescrites ont été réalisées, notamment lorsqu’il s’agit de travaux importants, il paraît difficilement concevable de revenir au statu quo ante.

Le Conseil d’État a bien rappelé que le contentieux des installations classées était un contentieux de pleine juridiction, dans lequel le juge se place à la date à laquelle il statue, et prend donc en considération tous les faits et actes qui ont été pris à la suite de la décision litigieuse.

Si, au début des années 2000, la Haute juridiction avait considéré que le juge pouvait être amené à constater que des mesures prescrites avaient légalement été justifiées lorsqu’elles avaient été prises, mais n’étaient plus nécessaires à la date à laquelle il statuait, ce dernier pouvait alors prononcer l’abrogation de l’arrêté, abrogation qui n’aurait des effets que pour l’avenir [4].

Dans ses conclusions sur le présent arrêt, le rapporteur public Stéphane Hoynck exclut la transposition de cette solution pour trois raisons : l’évolution postérieure de la jurisprudence du Conseil d’État qui tend désormais davantage au prononcé d’un non-lieu ; la solution était une solution d’espèce peu transposable à d’autres cas ; et enfin, le fait que Conseil d’État statuait en tant que juge d’appel et non en tant que juge de cassation.

Le rapporteur public a ainsi fondé son raisonnement sur des décisions rendues postérieurement. Le non-lieu est, par exemple, prononcé dans le cas du retrait en cours d’instance de l’arrêté litigieux, puisque l’effet utile du recours a disparu [5]. Le non-lieu doit être prononcé par le juge en cas de retrait de l’acte, que ce dernier ait acquis un caractère définitif ou non [6].

En effet, si l’intervention du juge se révèle sans aucune portée, il n’y a pas lieu qu’il se prononce sur le litige. La circonstance de droit nouvelle privant donc le litige de son objet, restait en suspens la question des conséquences à tirer d’une circonstance de fait nouvelle.

Il faut souligner que certains juges du fond, antérieurement, avaient pu considérer que l’abrogation d’un arrêté n’avait pas eu pour effet de rendre sans objet les conclusions présentées à fin d’annulation, en raison des effets que cet arrêté avait produits [7].

Dans les faits soumis au Conseil d’État, l’administration a constaté que les remblais litigieux, qui étaient à l’origine de la mise en demeure, avaient été entièrement enlevés. Ces prescriptions ayant été exécutées, le pourvoi de la société était devenu sans objet.

En effet, au premier abord, on ne voit pas ce qu’apporterait l’annulation de la mise en demeure exécutée, toutefois cette position peut avoir des conséquences d’autres ordres.

II. Des conséquences difficilement évaluables

Le recours formé devant le juge administratif à l’encontre d’un arrêté de mise en demeure n’est pas suspensif. L’exploitant est alors tenu d’exécuter les mesures prescrites tant que son recours est pendant.

Dans les faits, et en application de la règle dégagée dans la décision du 19 décembre 2019, il a donc le choix entre exécuter les mesures prescrites et voir son recours privé d’objet au moment où le juge statuera, ou ne pas les exécuter et s’exposer à des sanctions administratives lourdes.

L’article L. 171-7 du code de l’environnement prévoit les sanctions que le préfet peut prononcer, à savoir : ordonner le paiement d’une astreinte journalière maximale de 1 500 euros ou faire procéder d’office à l’exécution des mesures aux risques et frais de l’exploitant. Dans le cadre de l’article L. 171-8 du même code, lorsque l’exploitant ne se conforme plus à ses prescriptions, les sanctions sont plus importantes : consignation de la somme correspondant au montant des travaux à réaliser, exécution d’office des mesures prescrites aux risques et frais de l’exploitant, suspension du fonctionnement des installations ou enfin paiement d’une amende administrative maximale de 15 000 euros ou d’une astreinte journalière maximale de 1 500 euros.

Au vu des sanctions encourues, dans les faits, la pratique était donc, pour les exploitants, de contester la légalité d’une mise en demeure tout en procédant à son exécution, sauf pour les mesures manifestement illégales ou économiquement impossibles à réaliser.

De plus, il se révèle nécessaire, à titre conservatoire, de contester l’arrêté de mise en demeure puisque, faute d’avoir été contesté, ce dernier devient définitif et il n’est alors pas possible d’exciper de son illégalité à l’occasion de la contestation d’un arrêté de sanction pris à la suite [8].

L’illégalité d’un arrêté de mise en demeure a pu être reconnue à de nombreuses reprises.

Par exemple, lorsque les prescriptions entraînaient des modifications importantes du gros œuvre ainsi qu’une interruption temporaire partielle de l’exploitation, en raison notamment des conséquences financières que cela impliquait pour l’exploitant [9]. De même, un arrêté de mise en demeure doit être annulé lorsqu’il n’a pas été adressé à la personne débitrice d’une obligation de remise en état [10]. Ou encore, une mise en demeure est jugée illégale en raison des prescriptions excessives au regard de l’importance réelle des nuisances causées et en raison des conséquences graves sur la situation financière de l’exploitant [11].

Le prononcé du non-lieu en cas d’exécution d’une mise en demeure a pour conséquence de faire perdurer dans l’ordonnancement juridique cet acte, qui peut ainsi produire des effets, alors que ce dernier est illégal.

En effet, tant qu’une mise en demeure n’a pas été abrogée, le préfet peut se fonder sur cette dernière pour édicter des sanctions. Il faut alors, pour l’exploitant, demander au préfet l’abrogation de l’arrêté qui a été exécuté. Cependant, dans le cas d’un acte qui était illégal, il serait plus opportun d’en demander le retrait, avec toutes les conséquences pratiques que cela entraînerait.

Même des années après, le préfet peut se fonder sur cette mise en demeure pour édicter des sanctions, sans passer par une nouvelle mise en demeure si le respect des mêmes obligations est en jeu [12].

Ce non-lieu à statuer vient alors restreindre un peu plus les possibilités de contestation d’un arrêté de mise en demeure, alors que ces dernières étaient déjà limitées. En effet, tous les moyens soulevés ne sont pas opérants en raison de la compétence liée du préfet dans le cadre de l’édiction d’une mise en demeure à la suite de la constatation de non-conformités par l’inspection des ICPE ou d’une exploitation sans titre. Ont ainsi été jugés inopérants les moyens tirés de l’incompétence de l’auteur de l’acte, l’insuffisance de motivation ou encore la violation de la procédure contradictoire [13].

La contestation d’une mise en demeure exécutée désormais impossible, il faut alors explorer quels outils sont mobilisables par l’exploitant.

III. Les autres voies contentieuses ouvertes à l’exploitant

D’autres voies sont néanmoins ouvertes à l’exploitant pour obtenir soit la suspension de l’arrêté de mise en demeure (1.), soit l’indemnisation de l’exécution des mesures illégalement prescrites (2.).

1.     Le référé-suspension

Le référé-suspension, prévu à l’article L. 521-1 du code de justice administrative, doit remplir deux conditions : l’urgence et le doute sérieux sur la légalité de la décision contestée.

En matière d’ICPE, le préjudice grave faisant naître une urgence sera caractérisé tant eu égard aux conséquences financières qu’à la situation économique globale de l’exploitant [14]. L’urgence a été reconnue par exemple dans le cas d’un arrêté qui imposait des travaux d’un montant de 400 000 euros dans un délai particulièrement bref [15].

L’exploitant doit alors, d’une part, démontrer l’atteinte portée à sa situation au moyen de justifications précises et concrètes [16], et d’autre part, l’impossibilité de mettre en œuvre les prescriptions dans le délai fixé par l’autorité préfectorale [17].  

Le juge mettra en balance l’ensemble des intérêts en présence, par exemple l’importance des travaux demandés face au risque d’accident existant au sein de l’installation [18].

La seconde condition tient au doute sérieux quant à la légalité de la décision. Cette condition est plus difficile à évaluer puisque certains moyens ne sont pas opérants pour contester un arrêté de mise en demeure, tel qu’évoqué précédemment [19].

L’insuffisance de motivation pourra être soulevée ; a par exemple été censuré l’arrêté qui ne comportait pas l’énoncé des considérations de fait qui en constituait le fondement [20].

Cependant, si la contestation a trait au bien-fondé des mesures prescrites, la démonstration du doute sérieux pourra s’avérer plus périlleuse.

Pour qu’une requête en référé-suspension soit admise, il faudra alors que l’exploitant étaye fortement ses arguments avec des éléments précis afin de mettre le juge à même d’en apprécier la réalité. Cette voie semble tout de même peu favorable, excepté en cas d’illégalité manifeste de l’arrêté.

Il convient de rappeler que tout référé-suspension doit être précédé du dépôt d’une requête au fond contestant la légalité de l’acte.

2.     Le recours indemnitaire

Le recours indemnitaire est la voie envisagée par le rapporteur public Stéphane Hoynck dans ses conclusions. Il indiquait à ce sujet que « la circonstance que la décision a pu produire des effets est sans incidence sur le contentieux objectif en cause ici, il peut seulement connaître un développement indemnitaire » [21].

Pour s’engager dans cette voie, il faudra alors doubler les conclusions à fin d’annulation de l’arrêté avec des conclusions à fin d’indemnisation. Pour cela, il faut qu’une demande préalable indemnitaire soit adressée à l’administration. Cette décision doit intervenir avant que le juge ne statue [22].

L’indemnisation en cas de mise en demeure irrégulière est admise depuis longtemps [23]. Le Conseil d’État a précisé que tous les frais exposés par l’exploitant pour l’exécution d’une mise en demeure illégale devaient être indemnisés, mais uniquement lorsqu’ils étaient la conséquence directe de la faute commise par l’État [24].

Cette indemnisation est cependant très longue, par exemple, dans le cas de l’affaire Société de transports et entrepôts frigorifiques, le Conseil d’État avait annulé l’arrêté enjoignant à l’exploitant d’importants travaux en janvier 2004. Le tribunal administratif de Lyon a, par la suite, reconnu le principe de la responsabilité pour faute de l’État en décembre 2006. Dans le dispositif, ce dernier avait prévu qu’une expertise devait être menée pour évaluer le montant du préjudice allégué. Le tribunal ne s’est prononcé, à nouveau, qu’en juillet 2009. Tous les travaux qui avaient été entrepris n’ont pas été indemnisés : certains n’ont pas été considérés comme résultant directement de l’illégalité commise, et d’autres avaient pour but de mettre l’exploitation en conformité avec un arrêté ministériel, et auraient donc été effectués par l’exploitant en tout état de cause [25].

En moyenne, une procédure d’expertise dure trois ans. Cette procédure longue permettra certes à l’exploitant d’être indemnisé pour les travaux effectués en application d’une mise en demeure illégale, mais, comme développé précédemment, cet acte illégal perdurera dans l’ordonnancement juridique, et le préfet pourra toujours le mobiliser a posteriori.

Les décisions d’indemnisation en la matière ont été rendues à la suite d’annulations juridictionnelles des arrêtés, il faudra donc voir comment le juge articule ce non-lieu à statuer avec l’indemnisation d’un arrêté illégal.

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Manon BOENEC

[1] CE 19 décembre 2019, GGL Aménagement, req. n° 418921.

[2] CE 15 janvier 1986, Ministre de Environnement c/ Sté DSB, req. n° 45118 ; CAA Paris, 5 avril 2007, Société Total France, req. n° 05PA01955.

[3] CE 14 novembre 2008, Société Soferti, req. n° 297275 ; CE, 4 mars 2011, M. Bruno A., req. n° 322608.

[4] CE 21 janvier 2002, Société Schweppes, req. n° 234227.

[5] CE 7 juillet 2006, Société Olivo, req. n° 259061.

[6] CE 17 décembre 2014, Société Maroni Transport International, req. n° 364779.

[7] CAA Douai 25 mars 2010, SARL VITSE et SARL Devarem Développement, req. n° 08DA01871.

[8] CE 16 novembre 1998, Société anonyme Compagnie des bases lubrifiantes, req. n° 182816.

[9] CE 12 janvier 2004, Société des transports et entrepôts frigorifiques, req. n° 212067.

[10] CE 22 février 2008, Société générale d’archives, req. n° 252514.

[11] CAA Douai 25 mars 2010, SARL VITSE et SARL Devarem Développement, précité.

[12] CAA Nantes 10 octobre 1990, Me Goupil et Me Brunet-Beaumel c/ Ministre en charge de l’environnement, req. n° 89NT00984, 89NT00985, 89NT00986.

[13] CE 9 juillet 2007, Société Terrena-Poitou, req. n° 288367.

[14] CE 13 juillet 2016, SCEA Côte de la Justice, req. n° 396670.

[15] CE 12 octobre 2005, Société Placoplatre, req. n° 277300.

[16] CE 2 octobre 2017, Ferme éolienne de Seigny, req. n° 407121.

[17] CE 14 janvier 2004, Gaz de France, req. n° 254489.

[18] CE 22 février 2002, Société des Pétroles Shell, req. n° 235345.

[19] CE 9 juillet 2007, Société Terrena-Poitou, précité.

[20] CAA Marseille 29 janvier 2004, Ministre de l’aménagement, du territoire et de l’environnement, req. n° 99MA02356.

[21] S. HOYNCK, « Plein contentieux des installations classées : l’exécution des mesures prescrites par une mise en demeure prive d’objet le recours tendant à son annulation », Bulletin du Droit de l’Environnement Industriel, nº 85, 1er janvier 2020.

[22] CE 27 mars 2019, Consorts Rollet, req. n° 426472.

[23] CE 4 décembre 1981, Mme Barthélémy, req. n° 27650.

[24] CE 22 février 2008, Société générale d’archives, précité.

[25] CE 12 janvier 2004, Société des transports et entrepôts frigorifiques, précité ; TA Lyon 14 décembre 2006, Société STEF-TFE, req. nº 0405579 ; TA Lyon 9 juillet 2009, Société STEF-TFE, req. nº 0405579.