Marché « in house » et critère de « l’essentiel de l’activité » exercée pour le compte du pouvoir adjudicateur

Observations sous l’arrêt CJUE, 8 décembre 2016, Undis Servizi c/ Commune di Sulmona, aff. C-553/15.

Extrait de la Gazette n°25 - Mars 2017

Depuis le début des années 1990, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) façonne le droit de la commande publique tantôt en précisant les critères définis par les directives tantôt en introduisant, sous couvert de l’interprétation des textes, de nouveaux mécanismes, à l’instar des relations contractuelles « in house ».

Si la coopération verticale existe depuis toujours, la possibilité pour les pouvoirs adjudicateurs de se départir des procédures de publicité et de mise en concurrence lorsqu’ils décident d’attribuer un contrat répondant à leur besoin à un opérateur économique qui ne se distingue pas d’eux sur le plan formel ou décisionnel trouve son origine dans un arrêt de la CJCE de 1999, Teckal [1].

À cette occasion, la Cour définissant la notion de relation « in house » aussi appelée « quasi régie », a dégagé deux critères permettant d’établir l’existence d’un lien de dépendance de l’opérateur économique à l’égard de la collectivité. D’une part, le pouvoir adjudicateur doit exercer sur cette entité « un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services » et, d’autre part, l’entité contrôlée doit exercer « l’essentiel de son activité pour le compte des collectivités qui la détiennent ». Une troisième condition fera son apparition dans l'arrêt Stadt Halle [2] : le capital de l'organisme contrôlé ne doit pas être détenu, même minoritairement, par une personne privée.

La CJCE a ensuite étendue la notion de relation « in house » à des hypothèses plus larges. Elle a dans un premier temps consacré le « in house conjoint » [3] qui permet à un pouvoir adjudicateur d'attribuer un contrat à un organisme qu'il contrôle avec plusieurs autres personnes à la condition que ce contrôle soit réel tant au niveau de la possession du capital que du pouvoir décisionnel au sein des organes de direction. Elle a dans un second temps reconnu la relation de « in house horizontale » [4] pour les contrats passés entre deux entités qui destinent l’essentiel de leur activité pour un même pouvoir adjudicateur qui exerce sur elles un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services. Dans un registre un peu différent, la Cour a également admis la possibilité de passer outre les règles de publicité et de mise en concurrence dans le cadre d'une coopération public-public [5] c'est-à-dire dans le cadre de la conclusion d'un contrat entre deux personnes publiques en vue de gérer de manière commune un service économique relevant de leurs missions d'intérêt général.

Ces différents mécanismes dégagés par la Cour ont été consacrés par le législateur européen dans les directives 2014/23/UE [6] à l’article 17, 2014/24/UE [7] à l’article 12 et 2014/25/UE [8] à l’article 28, puis ont été repris par le législateur national à l’article 17 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics. Les critères originellement posés restent inchangés mais la troisième condition est assouplie : le capital de l’entité adjudicataire ne doit pas être détenu par une personne privée ou, à défaut, celle-ci ne doit pas avoir d’influence décisive.

Fort d’une définition sans équivoque et s’appuyant tant sur une jurisprudence abondante que sur sa reprise dans les directives, le régime des relations « in house » semblait pouvoir s’appliquer sans difficulté. C’était sans compter sur les collectivités italiennes toujours plus imaginatives lorsqu’il s’agit de faire usage des règles européennes de la commande publique.

Dans l’arrêt qui nous intéresse aujourd’hui, la Cour était saisie par le Consiglio di Stato (Conseil d’État italien) d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation du critère « de l’essentiel de l’activité » exercée pour le compte de la personne qui la contrôle dans le cadre de l’attribution d’un marché in house. Plus précisément, la juridiction italienne l’interrogeait sur deux points.

D’une part, il lui était demandé de déterminer si les activités imposées par une personne publique non actionnaire de l'entité détentrice du contrat pour le compte de collectivités qui n'étaient pas non plus actionnaires de cette entité devaient être prises en compte afin de déterminer si l’entité adjudicataire exerce l’essentiel de son activité pour le pouvoir adjudicateur actionnaire. Autrement dit, le caractère public de la personne qui assigne des missions au pouvoir adjudicataire pour le compte de personnes elles aussi publiques permet-il de comptabiliser cette activité au nombre des activités exercées pour le compte des actionnaires de cette entité. D’autre part, elle était invitée à se prononcer sur la possibilité de prendre en compte, pour caractériser l’existence de l’exercice essentiel de l’activité pour le pouvoir adjudicateur, les activités exercées pour le compte d’une collectivité actionnaire avant que le con-trôle analogue de celle-ci ne soit effectif.

Afin de mesurer toute la portée de cet arrêt, il est nécessaire d’en préciser le contexte. Par une décision du 30 septembre 2014 la commune de Sulmona a attribué à la société Cogesa, qu’elle détenait à hauteur de 16,6 % du capital avec plu-sieurs autres communes, le service de gestion du cycle intégré des déchets urbains. Ce n’est qu’un mois plus tard que les actionnaires de la société Cogesa conclurent une convention en vue d’exercer conjointement sur cette entité un contrôle analogue à celui qu’elles exercent sur leurs propres services.
Parallèlement à cette procédure, la Région des Abruzzes a imposé à la société Cogesa, dont elle n’était pas actionnaire, de traiter et de valori-ser les déchets de certaines communes de la Région qui n’étaient pas non plus actionnaires de ladite société.

Une société concurrente, la société Undis, intéressée par le marché, décida alors d’attaquer la décision d’attribution du marché ainsi que la décision d’approbation de la convention inter-communale relative au contrôle de la société Cogesa. Elle fit valoir qu’aucune des deux conditions nécessaires à l’attribution d’un marché « in house » n’était remplie puisque le contrôle ana-logue fut officiellement instauré par les collectivités actionnaires de l'entité détentrice du contrat après l’attribution de celui-ci et que seul 50 % de l’activité de la société Cogesa était destinée à ses actionnaires.

Le tribunal administratif régional rejeta le recours considérant que la société Cogesa fournissait 90 % de son activité à ses actionnaires et que la convention justifiait l’existence d’un contrôle analogue. Le tribunal fit donc fi de la date de conclusion de la convention. Le Consiglio di Stato saisi en appel décida, dans le silence des textes et de la jurisprudence de la Cour, de surseoir à statuer afin de poser la double question préjudicielle sus-décrite.

Concernant la première question, la Cour prend d’une part le soin de rappeler ce qui avait motivé la reconnaissance de l’exception « in house ». Elle souligne en effet que dans la mesure où une personne publique peut accomplir par ses propres moyens des tâches d’intérêt public sans avoir à recourir à des entités externes, il apparaît qu’octroyer un marché à une entité avec laquelle elle entretient un lien interne ne nuit pas au mar-ché. Partant de cette condition sine qua non de lien interne, la Cour réaffirme les deux conditions posées dans l’arrêt Teckal et notamment que l’activité exercée par l’entité adjudicataire doit l’être essentiellement pour le pouvoir adjudicateur.

D’autre part, la Cour faisant référence à son arrêt de 2011 [9], rappelle que cette exception doit rester limitée à l’hypothèse où l’entité n’est pas active sur le marché, ce qui n’est pas le cas lorsque, bien que contrôlée par une ou plusieurs collectivités, elle peut exercer une grande partie de son activité pour d’autres opérateurs. La Cour en conclut que dès lors que l’activité est consacrée à une personne qui n’est pas son actionnaire, quand bien même celle-ci serait une personne publique, elle doit être considérée comme exercée au profit d’un tiers. Par conséquent, elle ne peut pas être prise en compte pour caractériser le critère de « l’essentiel de l’activité ».

En l’espèce, l’activité fournie par la Cogesa à plusieurs collectivités territoriales non actionnaires et imposée par la Région qui ne dispose d’aucun contrôle sur ladite société doit être con-sidérée comme une activité à destination de tiers et ne peut être comptabilisée dans les activités exercées pour le compte du pouvoir adjudicateur qui la détient.

Concernant la seconde question, la Cour juge que la date à laquelle le contrôle analogue du pouvoir adjudicateur sur l’entité adjudicataire est devenu effectif est indifférente pour l’application du mécanisme in house. Cela se justifie à double titre. D’une part, si les activités perdurent au moment où le contrôle analogue devient concret, celles-ci doivent « assurément être prises en compte » puisque l’activité est par définition exercée pour son actionnaire. D’autre part, même si les activités sont achevées à cette date, elles constituent des indices sur l’importance de l’activité qui sera exercée par l’entité adjudicataire pour les autres actionnaires [10].

En l’espèce, le fait que la convention décidant de la mise en place d’un contrôle analogue ait été conclue plus d’un mois après l’attribution du marché ne fait pas obstacle à ce que cette activité soit prise en compte pour caractériser le critère de la réalisation de « l’essentiel de l’activité ».

En définitive, deux mouvements semblent aujourd'hui se répondre et s'équilibrer. D'une part, une extension des hypothèses de relations contractuelles « in house » introduite par le législateur [11] qui a notamment consacré le « in house vertical indirect » [12] et le « in house ascendant » [13]. Il s'agit de faire échapper aux règles de publicité et de mise en concurrence les contrats, dans le premier cas, conclus par un pouvoir adjudicateur avec une société contrôlée par une société qu'il détient et, dans le second cas, conclus par la société contrôlée avec les personnes qui la contrôlent. D'autre part, un encadrement rigoureux du recours aux relations contractuelles « in house » par la Cour qui s'efforce, par une interprétation stricte des conditions qu'elle a posées, de préserver l'esprit de cet outil. Comme le commande son rôle de gardienne de la législation européenne, la Cour s’évertue dans cette décision à cantonner les relations contractuelles « in house » au rang des exceptions.

Victoria GOACHET

 

[1] CJCE, 18 novembre 1999, Teckal Srl c/ Commune di Viano et AGAC, aff. C-107/98.
[2] CJCE, 11 janvier 2005, Stadt Halle, aff. C-26/03.
[3] CJCE, 13 novembre 2008, Coditel Brabant, aff. C-324/07.
[4] CJUE, 8 mai 2014, Technische Universität hamburg-Hamburg et Hochschul-Informations-System GmbH, aff. C-15/13.
[5] CJCE, 9 juin 2009, Commission République Fédérale d'Allemagne « dit Commune de Hambourg », aff. C-480/06.
[6] Directive 2014/23/UE du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession.
[7] Directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE.
[8] Directive 2014/25/UE du 26 février 2014 relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE.
[9] CJCE, 11 mai 2006, Carbotermo et Consorzio Alisei, aff. C-340/04 points 60 à 62.
[10] Point 41 de la décision commentée.
[11] Pour une étude détaillée voir L. LEVAIN, M. PRATS-DENOIX « Les relations in house à l'aune des nouvelles directive européennes », Contrats-Marchés publ., Hors-série, novembre 2015.
[12] Article 12 § 1 de la Directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE.
[13] Article 12 § 2 de la Directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés