À propos de l’inventaire des possibilités offertes aux opérateurs pour la satisfaction des besoins de certains pouvoirs adjudicateurs à l’aune de la réforme du droit de la commande publique.
Extrait de la Gazette n°25 - Mars 2017
L’Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, récemment ratifiée [1], et le Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016, qui ont eu pour objet de trans-poser les dispositions de la Directive 2014/24, ont porté un coup d’arrêt manifeste au recours aux contrats domaniaux comme support d’opérations immobilières.
Désormais, les autorisation d’occupation tempo-raire (ci-après « AOT ») et les baux emphytéotiques administratifs (ci-après « BEA ») de l’État et des collectivités territoriales, ne pourront « avoir pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures, la prestation de services ou la gestion d’une mission de service public, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, pour le compte ou pour les besoins d’un acheteur soumis à l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ou d’une autorité concédante » [2][3].
En théorie, la rationalisation de cette nébuleuse contractuelle découle de deux principaux axes de réflexion, qui tendent, tous deux, à assurer la sécurisation juridique des contrats conclus. Cette circonstance se traduit : du point de vue du droit interne, par la sécurisation juridique des contrats, en évitant le risque de requalification et donc d’il-légalité future de ces derniers ; du point de vue du droit européen, par la mise en cohérence de la multiplicité des catégories de contrats existantes en droit interne, vis-à-vis directives européennes, qui ne consacrent que les notions de « marché » [4] et de « concession » [5].
Cependant, l’étroitesse des conditions découlant de l’application de l’ordonnance « marché », particulièrement l’absence de paiement différé, couplée aux restrictions de recours aux contrats domaniaux, conduisent à une raréfaction des
moyens à disposition des pouvoirs adjudicateurs pour la satisfaction de leurs besoins en matière de travaux. Ainsi, et même si l’ordonnance « marché » a introduit le nouveau marché de partenariat, il ne paraît pas inintéressant de dresser un panorama des solutions contractuelles encore envisageables en dehors de ce cadre.
En conséquence, au regard de la pratique des opérateurs en la matière, le propos développé visera principalement, à évaluer l’effectivité des facultés - résiduelles - de montages contractuels immobiliers (I) mais également à considérer si, en l’état du droit applicable, le recours au nouveau contrat de concession serait envisageable et permettrait la satisfaction de besoins équivalents (II).
I. L’effectivité des facultés résiduelles de montages contractuels immobiliers
Dans ce cadre renouvelé, plusieurs hypothèses sont avancées en doctrine et présentées comme permettant d’échapper à la réglementation ainsi établie. Aussi, pour éviter de pérenniser des chimères, il semble bon de s’arrêter à apprécier l’effectivité potentielle de ces montages immobiliers ayant pour assise le domaine privé (A.), ou le domaine public (B.).
A. Le recours incertain aux opérations immobilières envisagées sur le domaine privé
Les dispositions prévoyant la suppression du recours au BEA et à l’AOT concernant unique-ment le domaine public, c’est, désormais, le domaine privé des personnes publiques qui est porteur de toutes les promesses de réalisation d’opérations immobilières, particulièrement parce que ce dernier permet le recours à d’autres types de contrats - de droit privé - conférant également des droits réels aux occupants.
En pratique, ce type d’opérations immobilières pourrait donc se réaliser, notamment, au travers de montages impliquant un bail à construction ou un bail emphytéotique mettant à la charge du cocontractant l’obligation de réaliser des travaux [6]. Toutefois, cette éventualité ne doit pas occulter l’obligation pesant sur la collectivité à cet égard. En effet, dès lors que certaines obligations, mises à la charge de l’occupant du domaine par la convention d’occupation, pourront révéler l’existence d’un marché public ou d’une délégation de service public, il appartiendra à la collectivité d’appliquer la procédure de passation « la plus rigoureuse » [7][8].
En outre, deux réserves notables à l’exécution de ces deux contrats pourraient rendre le montage de telles opérations beaucoup moins intéressant qu’il n’y parait de prime abord.
En premier lieu, il s’agit d’une réserve générale qui résulte de l’application du principe d’interdiction de l’insertion de toute clause de paiement différé, découlant des dispositions de l’ordonnance « marchés » [9].
En effet, un contrat qui aurait pour objet de réaliser des travaux selon des spécifications précises [10], émises par une personne morale soumise aux ordonnances « marché » et « concession », peu important que ce besoin se réalise sur le domaine privé, serait assimilable à un contrat ayant pour but de répondre à un besoin de commande publique et se verrait, en cas de contentieux, requalifié en marché public.
Or, cette circonstance découle directement de l’élargissement du champ d’application de la nouvelle ordonnance. Si auparavant, seul le champ d’application de l’ancienne Directive 2004/18 relative aux marchés exerçait un effet d’attraction sur ce type de contrat du fait de l’absence d’exigence d’une maîtrise d’ouvrage publique, ce n’est désormais plus uniquement le cas.
En effet, l’ordonnance « marchés » n’ayant pas réitéré la condition de maîtrise d’ouvrage publique préexistante - en droit interne - pour la qualification de marché public, les dispositions de l’ordonnance ont pleinement vocation s’appliquer à la passation de ces contrats.
Par conséquent, ces contrats, lorsqu’ils seront assimilés à des marchés publics au sens du droit interne ne pourront donc pas déroger à l’interdiction du paiement différé. Cette circonstance hypothèque donc sérieusement l’attractivité alléguée du domaine privé pour ces montages.
Outre cette première observation, une seconde réserve peut sans doute être émise eu égard à la possibilité de conclure de tels contrats sur le domaine privé, pour ce type d’opération.
De prime abord, rien ne semble faire obstacle à ce qu’une personne publique conclue des contrats de droit privé, portant sur l’occupation de son domaine privé.
Néanmoins, il faut rappeler que le Conseil d’État avait consacré, en 1985, le principe de la domanialité publique virtuelle, qui implique l’application d’une forme de régime de domanialité publique par anticipation à un bien appartenant initialement au domaine privé d’une personne publique [11].
Si cette théorie a fait l’objet de nombreuses cri-tiques, et que même le législateur a implicitement cherché à la faire tomber en désuétude [12], force est de constater que le Conseil d’État a su lui redonner un peu de sa superbe, au fil de sa jurisprudence [13].
Très récemment réaffirmée par le Conseil d’État [14], cette théorie implique donc que : (i) dès lors que l’affectation d’un bien à un service public est envisagée, et que (ii) l’aménagement indispensable à l’exécution de ce dernier peut être regardé comme entrepris de façon certaine, cette circonstance est de nature à imprimer un caractère domanial public à la dépendance du domaine, initialement privé, concernée par l’opération.
D’ailleurs, l’appréciation du caractère certain de l’entreprise doit s’apprécier à l’égard de l’en-semble des considérations de droit et de fait, et notamment, les actes administratifs intervenus ou encore, les contrats conclus [15].
Or, en pratique, il fait peu de doute que la plupart des ouvrages érigés à l’aide de ce type de montage seront destinés à être affecté à un service public.
Par conséquent, et dès lors que le terrain d’assiette aura fait l’objet d’une incorporation au domaine public, le recours à un véhicule contractuel de droit privé, qu’il s’agisse du bail à construction ou du bail emphytéotique, sera, de facto, rendu illégal. Cette hypothèse constitue donc un obstacle quasi-insurmontable à l’égard des projets d’immobilier public, prenant le domaine privé comme terrain d’assise.
B. Le recours incertain aux opérations immobilières envisagées sur le domaine public
En théorie, une hypothèse permettrait encore le recours au contrat domanial sur le domaine public. Cette possibilité, qu’il faudra sans doute envisager comme plus marginale, correspond à la conclusion d’un contrat domanial habituellement qualifié de « sec ».
Concrètement, ce contrat aurait pour objet unique d’autoriser un opérateur à occuper le domaine public, sans impliquer la satisfaction d’un besoin de commande publique. Cette circonstance correspond à la distinction qu’opère François BRENET, entre le contrat à « objet domanial », dont l’objet principal est l’occupation, et le contrat à « effet domanial », pour lequel l’occupation est secondaire [16]. Dans ce cas, si travaux il y avait, l’objet principal du contrat étant de permettre l’occupation, la réalisation de ces travaux par le titulaire du titre d’occupation, s’exécuterait en dehors de la satisfaction de tout besoin ou de toute commande indirecte du maître du domaine.
Dans cette hypothèse, tout l’intérêt réside dans le fait que le pouvoir adjudicateur n’en est plus un, celui-ci n’exerçant pas d’influence déterminante sur la conception de l’ouvrage [17] dont, par hypothèse, il n’est pas à l’initiative.
Dans ce cadre, il faut supposer que la réalisation de travaux n’ayant pas vocation à satisfaire le be-soin d’un acheteur, elle serait toujours susceptible d’être effectuée au moyen de contrats domaniaux. Néanmoins, il faut relever à cet égard que la passation du contrat d’occupation initial sera probablement soumis à une obligation de publicité préalable sur le fondement de la directive « services » de 2006 [18] ; c’est, en tout cas, en ce sens qu’a très récemment statué la Cour de justice, mettant ainsi un « terme à l’incertitude qui présidait, jusqu’alors, quant à l’exigence d’une procédure de publicité préalable à la délivrance des concessions domaniales « pures » en lui offrant un fondement juridique nouveau. » [19].
En outre, l’absence d’influence déterminante de la personne publique sur l’ouvrage construit par l’occupant devrait également avoir pour conséquence de permettre de soustraire la passation du contrat, visant l’acquisition ou la location de l’ouvrage réalisé, aux règles de publicité et de mise en concurrence préalables. En effet, cet élément permettrait un basculement de l’objet principal du contrat passant ainsi d’un objet de réalisation des travaux, à un objet d’acquisition ou de location d’un bâtiment existant - faisant ainsi l’objet d’une soustraction aux règles de la directive 2014/24 au titre du a) de l’article 10, de ladite directive [20].
Néanmoins et pour bénéficier de cette exclusion favorable, il sera nécessaire de démontrer que l’ouvrage, dont l’acquisition ou la location est envisagée, est : soit achevé, soit entamé et dans ce dernier cas, a minima, que le projet ait déjà été défini et arrêté, afin qu’aucune modification du projet ne puisse être apportée par l’acheteur [21]. C’est d’ailleurs une situation analogue à celle qui vaut en matière d’acquisition ou de location d’immeuble dans le cadre d’un contrat de VEFA ou de BEFA [22], qui sont soustraits à ces règles, « dès lors que la VEFA ou la location en l'état futur d'achèvement ne résulte pas d'une initiative du pouvoir adjudicateur mais que la personne publique a profité d'une opportunité du marché » [23].
Par ailleurs, les autorités publiques gestionnaires du domaine public devront rester vigilantes afin que l’occupation par l’opérateur autorisé, qui constitue une valorisation en soit, ne puisse être regardée comme visant la satisfaction d’un be-soin. À cet égard, ce type de situation « nécessitera de déterminer à quel moment la personne publique excède son « pouvoir de bonne gestion du domaine public » » [24]. D’ailleurs, l’attention du gestionnaire devra également être portée sur les nouvelles obligations de mise en concurrence qui lui incomberont, en application des dispositions de l’article 34 de la loi « SAPIN II » [25].
Toutefois, deux limites, susceptibles de se présenter, limiteraient le recours à cette hypothèse. Effectivement, même si la jurisprudence n’a pas encore pris position sur ce type de solution, il se pourrait que, à l’instar de ce qu’affirmaient les Professeurs RICHER et FÂTOME à propos de l’arrêt Impresa Pizzarotti [26], la localisation de l’ouvrage entre en ligne de compte dans la qualification de la satisfaction d’un besoin de l’acheteur, ce qui aurait, en ce cas, pour conséquence de préjudicier la validité de l’opération.
Enfin et pour conclure, un nouvel élément doit être pris en considération : en pratique, la mise en œuvre de ce type de montage impliquerait que les opérateurs, modifient leur modèle économique en se positionnant en amont de la demande de l’acheteur et en anticipant les besoins de ce der-nier. Ce qui les amènerait à supporter, à l’image de l’activité de promotion immobilière, le risque économique induit par l’absence éventuelle de demande finale.
Dans un second temps, il parait opportun, au regard des restrictions désormais établies vis-à-vis des contrats domaniaux et des similitudes existantes entre ces contrats et le modèle concessif, de s’interroger sur la possibilité de satisfaction de besoins équivalents par le recours à la concession.
II. L’hypothèse du recours au contrat de concession
L’éventualité du recours au modèle concessif est particulièrement intéressante pour pallier la résorption de véhicules contractuels, découlant du nouveau droit des marchés publics (A.). Néanmoins, il n’est pas acquis que les conditions de recours à ce type de contrats soient systématique-ment satisfaites (B.).
A. Une solution envisageable et envisagée
L’hypothèse du recours au modèle concessif ne semble pas plus nouvelle qu’incongrue ; pour preuve la doctrine, comme le juge, s’en étaient déjà emparés à quelques rares occasions.
Au titre de la doctrine, il faut surtout souligner les questions et les propositions avancées par MM. LLORENS et SOLER-COUTEAUX qui mettaient en exergue que la phase « aller » du montage pourrait être caractérisée par la conclusion d’un contrat, par lequel le pouvoir adjudicateur confierait la réalisation de travaux à un opérateur et que le loyer versé par le pouvoir adjudicateur, en contrepartie, dans la phase « retour » du montage, correspondrait à un droit d’exploitation [27]. Mais, à défaut de confirmation d’un tel point de vue, à ce jour, la réserve persiste.
Pourtant, le Conseil d’État réuni en assemblée, dans l’arrêt Commune de Cabourg [28], avait jugé, sous l’angle du respect des règles de passation, qu’un BEA, ayant eu pour objet la réalisation d’un casino destiné à devenir la propriété de la commune et dont le titulaire bénéficiait du droit d’exploiter l’ouvrage, devait être soumis aux dis-positions de la loi « SAPIN » [29]. En conséquence, le Conseil d’État assimilait ce contrat à une concession de travaux.
Ce raisonnement a d’ailleurs eu l’occasion d’être confirmé, plus récemment, par le Tribunal administratif de Paris, à propos du projet de BEA portant sur la réhabilitation de la piscine Molitor [30].
Ainsi, si le recours au modèle concessif semble envisageable, il conviendrait encore de satisfaire à certaines exigences.
B. La satisfaction des conditions de qualification d’une concession
Afin d’emporter la qualification de concession, il est nécessaire de relever un droit d’exploitation de l’ouvrage réalisé au profit du concessionnaire (1.) ainsi qu’un transfert du risque économique du concédant à celui-ci (2.).
1. Le droit d’exploitation de l’ouvrage accordé à l’occupant
Ce droit d’exploitation peut être entendu de deux façons, la première stricte et la seconde plus souple.
Au titre d’une conception stricte, le droit d’exploitation impliquerait [31] que : le concessionnaire conserve la gestion de l’ouvrage réalisé ; dans le cadre de cette gestion, il mette l’ouvrage à disposition du public et perçoive le prix de l’utilisation par le public ; ledit prix constitue tout ou partie de sa rémunération.
Or, une telle appréciation ne permet pas d’appréhender la construction et l’exploitation de certains équipements publics (comme l’éclairage public ou les feux de signalisation par exemple) selon un modèle concessif, car il n’est pas possible pour l’exploitant de recouvrer sa rémunération auprès des usagers. Ce qui n’est pas le cas dans le cadre des BEA, conclus par des opérateurs qui se trouvent être directement rémunérés par leurs usagers, à travers le versement d’un loyer.
Mais, comme l’oppose le Professeur FÂTOME, une conception plus souple existe également et considère que le droit d’exploitation de l’ouvrage pourrait être réalisé dès lors que le cocontractant aurait le droit de tirer profit d’une manière ou d’une autre de ce dernier [32].
Cette théorie conduit à assimiler certains contrats à des contrats de concessions, à l’image de certaines concessions d’aménagement, indépendamment de la perception de recettes prélevées sur d’éventuels usagers [33].
Dès lors, l’existence d’un droit d’exploitation accordé à l’occupant n’est pas uniquement déterminée par le critère de la rémunération de l’opération, et celui-ci ne constitue qu’un indice - parmi d’autres - de son existence.
Cette hypothèse est d’ailleurs confirmée par l’avènement des nouvelles dispositions européennes relatives au contrat de concession [34] et des textes nationaux [35] les transposant. C’est le risque qui « est désormais le critère législatif ultime d'identification des contrats de gestion déléguée » [36].
Par conséquent, il faudrait en tirer les conclusions suivantes.
En premier lieu, dans l’hypothèse des montages « aller-retour » qualifiés de « parfaits », où le loyer versé par le preneur (la collectivité) au bailleur (titulaire du titre) ne pourrait pas être assimilé à une redevance au sens concessif, ce fait n’emporterait pas, de facto, l’exclusion de ces contrats de la qualification de concession.
En second lieu, les montages « aller-retour », qualifiés d’« imparfaits », au sens où le bien, objet du BEA, n’est pas mis à disposition de la collectivité bailleresse, mais est directement loué à un tiers locataire, pourraient être reconnus plus facile-ment par le juge comme des montages accordant un droit d’exploitation. Le loyer, versé par le tiers, s’assimilant de façon plus aisée à une recette tirée de l’exploitation par le preneur au BEA.
2. Le risque transféré à l’occupant
Dans le cadre juridique renouvelé des concessions, le risque transféré au titulaire prend une place primordiale. Concrètement, selon la nouvelle Directive, le concessionnaire « est celui qui est réputé assumer le risque d’exploitation » [37].
Pour autant, la Directive n’éclipse pas totalement le critère de la rémunération de la qualification d’un contrat de concession, qui demeure sous-jacent. En effet, c’est la notion même de rémunération qui sera déterminante du risque encouru par le concessionnaire. Il est donc essentiel d’évaluer si la rémunération emporte un risque d’exploitation pour l’occupant.
À ce titre, le texte de la Directive semblerait assez favorable à la reconnaissance d’un modèle concessif dans les montages « aller-retour » car les dispositions accordent la primauté « du mode de rémunération sur l’origine de la rémunération » [38].
De cette manière, une rémunération ayant une origine essentiellement publique ne constituerait pas un obstacle à la qualification de concession. En outre, il faut également considérer que, comme le souligne le Professeur PEZ, « le risque n'est pas exclu des rémunérations publiques » [39].
Ainsi, le fait que dans un montage « aller-retour » la rémunération du cocontractant soit assurée par la collectivité bailleresse ou le tiers locataire public, n’est pas un frein à l’existence d’un risque d’exploitation pour l’opérateur.
D’ailleurs, et la précision est importante eu égard à la pratique de certains opérateurs en matière de négociation contractuelle, le Parlement et le Conseil européens précisent opportunément que « Le fait que le risque soit limité dès l’origine ne devrait pas exclure l’attribution du statut de concession. Tel peut être le cas, par exemple, dans les secteurs disposant de tarifs réglementés ou lorsque le risque d’exploitation est limité par des arrangements contractuels prévoyant une compensation partielle, y compris une compensation en cas de résiliation d’une concession pour des raisons imputables au pouvoir adjudicateur ou à l’entité adjudicatrice, ou pour des raisons de force majeure » [40].
En outre, le considérant 18 évoque également l’éventualité d’un partage du risque entre le concessionnaire et le pouvoir adjudicateur. Ce risque n’a donc pas vocation à être entièrement supporté par le titulaire, mais devra supposer en tout état de cause à « une réelle exposition aux aléas du marché, telle que toute perte potentielle estimée qui serait supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement nominale ou négligeable » [41].
En conclusion, afin de justifier du recours au modèle concessif au sens des nouveaux textes, il est nécessaire que les contrats d’immobiliers publics conclus par les opérateurs du secteur :
• Démontrent un réel droit d’exploitation : qui peut être réalisé au moyen des loyers perçus au titre de l’occupation du bien mis à disposition ;
• Démontrent un risque économique d’exploitation, même minime : qui peut se réaliser dans le risque locatif, par l’établisse-ment de baux d’une durée correspondant au droit commun.
Ce dernier élément aurait, toutefois, tendance à exclure les montages « aller-retour » qualifiés de « parfaits », qui prévoient généralement une mise à disposition de même durée que le BEA conclu.
Ces circonstances devraient conduire les opérateurs intéressés à revoir à la marge leur modèle économique en privilégiant la passation :
• Sous la forme de concession, de montages immobiliers « aller-retour » qualifiés d’« imparfaits » correspondant à une prise à bail directement par le tiers locataire ;
• De contrats d’une durée équivalente à la durée à l’issue de laquelle il est possible d’escompter - sans certitude - que les investissements réalisés seraient amortis [42].
• De contrats exempts de mécanisme d’indemnisation intégrale du titulaire, qui aurait pour effet d’exclure l’aléa économique, en dehors des cas envisagés en jurisprudence [43].
Guillaume POTIN
[1] Loi du 8 novembre 2016, Article 39, I.
[2] Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, Article 101, I, 1° et 2° ; II, 1° et 2° ; V.
[3] Pour un inventaire complet des suppressions et des restrictions opérées par l’ordonnance « marché » à propos des BEA et des AOT, il est plus pertinent de renvoyer à la lecture de l’article du Professeur Guylain CLAMOUR, publié à la RFDA 2016, page 270 et intitulé « Le sort des contrats domaniaux ».
[4] Directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics.
[5] Directive 2014/23/UE du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession.
[6] Pour un exemple, V. G. CLAMOUR, « Le sort des contrats domaniaux », op. cit.
[7] W. ZIMMER, « Choix de la procédure de passation et procédure de passation des conventions d'occupation du domaine public », Contrats Marchés publ, 2009, n° 8-9, comm. 286.
[8] CE, 10 juin 2009, n° 317671, Port autonome de Marseille, aux Tables.
[9] Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, Article 60.
[10] Au sens qu’a pu en donner la Cour administrative d’appel de Marseille : CAA, Marseille, 25 février 2010, n° 07MA03620, Commune de Rognes : à propos de « contrats emportant cession d’un immeuble de leur domaine privé dont l’objet principal est de confier à un opérateur économique la réalisation de travaux en vue de la construction, selon des spécifications précises imposées par lesdites personnes publiques, d’ouvrages qui, même destinés à des tiers, répondent à un besoin d’intérêt général défini par lesdites collectivités, est soumise aux obligations de publicité et de mise en concurrence résultant des principes généraux du droit de la commande publique ».
[11] CE, 6 mai 1985, n° 41589 41699, Association Eurolat, au Recueil.
[12] Ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques.
[13] CE, 8 avril 2013, n° 363738, Association ATLAR, au Recueil.
[14] CE, 13 avril 2016, n° 391431, Commune de Baillargues, au Recueil..
[15] Ibid.
[16] F. BRENET, « Le contrat domanial », AJDA, 2016, p. 1803.
[17] CJCE, 25 mars 2010, aff. C-451/08, Helmut Müller, Rec. I-02673.
[18] Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.
[19] L. AYACHE ; C. MICHELET, « Publicité préalable et conventions d’occupation du domaine public : la fin de la controverse ? » CP-ACCP, décembre 2016, pp. 31 - 36.
[20] E. FÂTOME, L. RICHER, « Contrats à objet immobilier et de travaux : le critère de l'objet principal, critère second », AJDA, 2015, p. 1577.
[21] En ce sens E. FÂTOME et L. RICHER affirment que : « la construction peut être considérée comme « entamée » avant qu'ait commencé la réalisation matérielle de l'ouvrage. », ibid.
[22] Bail en l’état futur d’achèvement.
[23] W. ZIMMER, Notion de marché public de travaux, Contrats Marchés publ. n° 10, Octobre 2014, comm. 255.
[24] B. GRANGE, « La tentative de rationalisation de la commande publique par l'ordonnance et le décret sur les marchés publics », AJCA, 2016, p. 238.
[25] Par laquelle le législateur autorise le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance sur la mise en place d’un cadre de transparence autour de l’attribution des autorisations d’occupation.
[26] E. FÂTOME, L. RICHER, « Contrats à objet immobilier et de travaux : le critère de l'objet principal, critère second », op. cit.
[27] En ce sens, F. LLORENS, P. SOLER-COUTEAUX, « Quel avenir pour les AOT et les BEA après l’ordonnance du 23 juillet 2015 ? », Contrats Marchés publ., n° 1, janvier 2016, p. 2 s.
[28] CE, Ass., 10 juin 1994, n° 141633, Commune de Ca-bourg, au Recueil.
[29] Loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.
[30] TA, Paris, ord., 3 févr. 2009, n° 0900393, Sté Ken Club.
[31] V. en ce sens, Conclusions de l'avocat général NIILO JÄÄSKINEN sur CJUE 16 sept. 2010, aff. C-306/08.
[32] E. FÂTOME, L. RICHER, « La procédure de passation des concessions d'aménagement », AJDA, 2007, p. 409.
[33] Dès lors que celles-ci sont conclues au risque économique du titulaire.
[34] Directive 2014/23/UE du parlement européen et du conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession.
[35] Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession ; Décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession.
[36] T. PEZ, « Le risque, les concessions et les marchés », RFDA, 2016, p. 237.
[37] Directive 2014/23/UE, Article 5 ; Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016, Article 5.
[38] T. PEZ, « Le risque, les concessions et les marchés », op. cit. point 24.
[39] T. PEZ, « Le risque dans les contrats administra-tifs », Bibliothèque de droit public, t. 274, LGDJ, 2013.
[40] Directive 2014/23/UE, Considérant 19.
[41] Directive 2014/23/UE, Article 5.
[42] « Les investissements pris en considération aux fins du calcul comprennent tant les investissements initiaux que ceux réalisés pendant la durée de la concession. », Directive 2014/23/UE, Article 18.
[43] Ainsi en est-il du mécanisme existant de plein droit en application des principes de la théorie générale des contrats administratifs dans le cas d’une résiliation pour motif d’intérêt général (V. CE, 31 juillet 1996, n° 126594, Société des téléphériques du massif du Mont-Blanc, au Recueil).