Observations sous l’ordonnance CJUE, 15 mars 2017, Enedis c/ Axa Corporate Solutions SA et Ombrière Le Bosc SAS, aff. C-515/16.
Extrait de la Gazette n°26 - Juin 2017
Depuis les années 1990, le secteur de l’énergie, tout comme de nombreux secteurs régulés, est entré dans une phase d’ouverture au marché. L’européanisation du droit a accéléré ce mouvement notamment par le biais du contrôle des aides d’Etat. Les articles 107 à 109 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) encadrent l’octroi des aides aux entreprises par les Etats. En outre, cette logique de libéralisation du secteur de l’énergie entre ponctuellement en opposition avec l’objectif de développement des énergies renouvelables. En effet, des mécanismes d’aides, introduits afin de favoriser le développement des énergies renouvelables dans le mix énergétique, sont soupçonnés de constituer des aides d’Etat contraires aux articles 107 et 108 du TFUE. Par exemple, à la suite d’un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 19 décembre 2013, Association Vent de Colère ![1], le Conseil d’Etat a considéré, dans un arrêt du 28 mai 2014, Association Vent de Colère ![2], que le mécanisme instaurant une obligation d’achat de l’électricité éolienne à un prix supérieur au prix de marché était constitutif d’une aide d’Etat, de surcroit illégale car elle n’avait pas été notifiée à la Commission européenne, tel que l’impose l’article 108 § 3 du TFUE.
Le 15 mars 2017, la CJUE a rendu une ordonnance, prise dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, dans laquelle elle devait se prononcer sur le caractère d’aide d’Etat du mécanisme d’obligation d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie radiative solaire, ou installations photovoltaïques. En effet, la loi du 10 février 2000[3] prévoit l’obligation pour Electricité de France (EDF) d’acheter l’électricité produite par les producteurs d’électricité d’origine photovoltaïque, entre autres, à un prix supérieur à celui du marché. En l’espèce, la société Ombrière Le Bosc a adressé au gestionnaire du réseau de distribution d’électricité ERDF, filiale d’EDF, une demande en vue du raccordement d’une centrale de production d’électricité d’origine photovoltaïque au réseau de distribution le 1er avril 2009. La société ERDF devait lui adresser au plus tard le 1er juillet 2009 une proposition technique et financière, de sorte que la société Ombrière Le Bosc aurait dû être soumise à l’arrêté du 10 juillet 2006 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000. Néanmoins, la proposition technique et financière d’ERDF a été communiquée le 22 janvier 2010, soit 10 jours après l’abrogation de cet arrêté par l’arrêté du 12 janvier 2010 qui fixe de nouveaux tarifs inférieurs à ceux prévus par l’arrêté du 10 juillet 2006. La société Ombrière Le Bosc a alors assigné ERDF devant le tribunal de commerce de Nanterre qui a rendu un jugement le 27 mars 2014 en sa faveur. ERDF et son assureur, Axa Corporate Solutions, ont interjeté appel devant la Cour d’appel de Versailles en soutenant que l’arrêté ministériel du 10 juillet 2006 est illégal en ce qu’il constitue une aide d’Etat au sens de l’article 107 du TFUE et aurait dû faire l’objet d’une notification préalable à la Commission européenne. Cette situation a amené la Cour d’appel de Versailles à surseoir à statuer et à poser à la CJUE deux questions préjudicielles :
Premièrement, le mécanisme d’obligation d‘achat de l’électricité produite par les installations photovoltaïques tel qu’il résulte des arrêtés ministériels des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010, constitue-t-il une aide d’Etat ?
Deuxièmement, si oui, le défaut de notification préalable à la Commission européenne d’une telle aide d’Etat, tel que l’impose l’article 108 § 3 du TFUE, affecte-t-il la validité des arrêtés des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010 mettant en œuvre la mesure d’aide litigieuse ?
À ces deux questions, la CJUE répond, dans un premier temps, que le mécanisme d’obligation d’achat de l’électricité produite à partir d’installations photovoltaïques constitue une intervention de l’Etat ou au moyen de ressources d’Etat, soit un des quatre critères de l’aide d’Etat (I). Dans un deuxième temps, elle précise qu’il revient à la juridiction nationale de déterminer si la mesure en cause constitue une aide d’Etat et d’en tirer toutes les conséquences au regard de la violation de l’article 108 § 3 du TFUE (II). Cette solution rappelle celle choisie par la CJUE dans l’examen du mécanisme d’obligation d’achat de l’électricité d’origine éolienne. Au regard de ce précédent, il conviendra donc d’envisager les conséquences financières qui pourront peser sur l’industrie photovoltaïque (III).
I. La transposition de la solution Association Vent de Colère ! pour reconnaître au mécanisme d’obligation d’achat le premier critère de l’aide d’Etat.
La première question portant sur la qualification du mécanisme comme aide d’Etat, la Cour rappelle les critères posés par l’article 107 § 1 du TFUE pour identifier une aide d’Etat. Selon cet article, sont incompatibles avec le marché intérieur, sauf dérogations prévues par les traités, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d’Etat sous quelque forme que ce soit, dans la mesure où elles affectent les échanges, où elles faussent ou menacent de fausser la concurrence et où elles favorisent certaines entreprises ou certaines productions.
Cependant, elle précise que les débats avaient porté sur l’application au cas d’espèce de la jurisprudence du 19 décembre 2013, Association Vent de Colère ![4]. Or, dans cet arrêt la Cour ne s’était prononcée que sur le premier critère de l’aide d’Etat, à savoir la notion d’intervention de l’Etat ou au moyen de ressources d’Etat. Elle avait alors considéré que le dispositif d’obligation d’achat d’électricité d’origine éolienne à un prix supérieur au marché constituait une intervention au moyen de ressources d’Etat.
Procédant par analogie, la Cour s’inspire de sa décision du 19 décembre 2013, pour répondre aux questions posées. Dès lors, elle considère que le mécanisme d’obligation d’achat d’électricité produite à partir d’installations photovoltaïques à un prix supérieur au marché, et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d’électricité, doit être considéré comme une intervention de l’Etat ou au moyen de ressources d’Etat.
Puisque la Cour choisit de se prononcer uniquement sur l’existence du premier critère constitutif de l’aide d’Etat, il est logique de se demander à qui revient la charge de vérifier que le mécanisme d’obligation d’achat de l’électricité d’origine photovoltaïque remplit les autres critères de l’aide d’Etat.
II. La confirmation du rôle prépondérant de la juridiction nationale dans la qualification du mécanisme d’aide d’Etat.
La Cour précise qu’il appartient à la juridiction nationale de renvoi de déterminer si la mesure en cause remplit les trois autres critères constitutifs d’une aide d’Etat. En effet, la Cour rappelle qu’il existe une distinction ainsi qu’une complémentarité entre le rôle de la juridiction nationale et de la Commission européenne dans le contrôle des aides d’Etat. L’article 108 § 3 du TFUE [5] dispose que la Commission européenne a compétence exclusive pour apprécier la compatibilité des mesures d’aides avec le marché intérieur. Elle effectue un contrôle avant la mise à exécution de l’aide.
Néanmoins, dans le cas où les Etats ne notifient pas préalablement les aides d’Etat à la Commission européenne, comme les y oblige l’article 108 § 3 du TFUE, les juridictions nationales doivent veiller à sauvegarder les droits des justiciables[6], en vérifiant si la mesure en cause remplit les critères de l’aide d’Etat définis à l’article 107 § 1 du TFUE. En l’espèce, la juridiction nationale de renvoi, la Cour d’appel de Versailles devra déterminer si le mécanisme d’obligation d’achat de l’électricité produite à partir d’installations photovoltaïques présente les critères d’une aide d’Etat. Dans l’affirmative, elle pourra alors considérer que l’aide d’Etat est illégale puisqu’elle n’a pas été notifiée à la Commission européenne comme l’impose l’article 108 § 3 du TFUE.
Ainsi, la CJUE répond à la deuxième question posée que lorsqu’une mesure nationale constituant une aide d’Etat n’a pas été notifiée à la Commission européenne, la juridiction nationale de renvoi doit la qualifier d’illégale et en tirer toutes les conséquences au regard de la validité des actes d’exécution de cette mesure. En conséquence, si la Cour d’appel de Versailles qualifie la mesure d’aide d’Etat illégale, les arrêtés du 10 juillet 2006 et du 12 janvier 2010 seront annulés[7]. Ils subiront un sort similaire aux arrêtés du 17 novembre et du 23 décembre 2008 fixant les modalités de l’obligation d’achat de l’électricité d’origine éolienne, annulés par le Conseil d’Etat [8]. Les répercutions juridiques devraient toutefois demeurer limitées, puisque, à titre d’illustration, dans l’affaire Association Vent de Colère ! un nouvel arrêté offrant le même tarif d’achat a été adopté le 17 juin 2014. Mais si ce scénario se confirme, la juridiction nationale devra également ordonner la restitution des montants d’aide versés[9].
III. Une annulation probable aux conséquences financières non négligeables pour la filière photovoltaïque.
Si l’annulation des arrêtés de 2006 et 2010 relève encore de la fiction juridique, ses conséquences financières hypothétiques se fondent sur un précédent récent. Dans l’affaire Association Vent de Colère !, la Commission européenne a déclaré le dispositif d’obligation d’achat de l’électricité d’origine éolienne compatible avec le marché commun dans une décision du 27 mars 2014[10]. Le Conseil d’Etat a alors estimé dans un arrêt du 15 avril 2016[11] qu’en présence d’une aide d’Etat qui n’a pas été notifiée préalablement à la Commission européenne, mais qui a par la suite été déclarée compatible avec les traités par celle-ci, l’Etat devait récupérer auprès des bénéficiaires de l’aide les intérêts de l’aide perçue pendant la période d’illégalité, soit 47 millions d’euros dans cette affaire. Au contraire, si la Commission européenne avait déclaré l’aide incompatible avec le marché unique, l’Etat aurait dû récupérer le montant nominal de l’aide en plus des intérêts au titre de la période d’illégalité.
En l’espèce, la CJUE considère que « le mécanisme en cause au principal, instauré par la loi 2000-108, est identique à celui en cause dans l’affaire » Association Vent de Colère ![12]. Par conséquent, il est probable que la Commission européenne se prononce en faveur de la compatibilité au marché commun du mécanisme d’obligation d’achat de l’électricité produite à partir d’installations photovoltaïques. Les acteurs de la filière photovoltaïque devraient alors rembourser uniquement le montant des intérêts de l’aide d’Etat pendant la période d’illégalité.
Toujours est-il que les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables ont évolué avec les lignes directrices concernant les aides d’Etat dans le secteur de l’énergie pour la période 2014-2020[13]. La Commission européenne a prôné la substitution du tarif d’achat par un mécanisme de complément de rémunération. Désormais, selon l’article L. 314-18 du Code de l’énergie, les producteurs d’électricité d’origine photovoltaïque devront vendre leur électricité directement sur le marché de gros, puis ils recevront une prime ex post correspondant à l’écart entre le prix de marché et un tarif de référence afin d’assurer un niveau de rentabilité normal aux exploitants de la filière[14].
Ce mécanisme devrait rapprocher les exigences de libéralisation du secteur de l’énergie avec l’objectif de développement des installations d’énergies renouvelables, sans pour autant diminuer l’intensité de la bataille juridique autour des dispositifs de soutien aux énergies renouvelables.
[1] CJUE, 19 décembre 2013, Association Vent de Colère !, aff. C-262/12.
[2] CE, 9/10e, 28 mai 2014, Association Vent de Colère !, n° 324852, publié au recueil Lebon.
[3] Loi n°2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité.
[4] CJUE, 19 décembre 2013, Association Vent de Colère !, aff. C-263/12.
[5] Article 108 § 3 du TFUE : « La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale ».
[6] CJCE, 5 octobre 2006, Transalpine Ölleitung in Österreich GmbH, aff. C-368/04, § 38-39.
[7] La Cour d’appel de Versailles en a la compétence en vertu de la décision du Tribunal des conflits du 17 octobre 2011, SCEA du Chéneau c/ INAPORC, n° 3828.
[8] CE, 9/10e, 28 mai 2014, Association Vent de Colère !, n°324852, publié au recueil Lebon.
[9] CJCE, 22 mars 1977, Steinike et Weinlig, 78/76, § 14.
[10] Commission Européenne, Aide d’Etat SA.36511 (2014/C) (ex 2013/NN) – Mécanisme de soutien aux énergies renouvelables et plafonnement de la CSPE, JOUE 2014/C 348/05 du 3 octobre 2014.
[11] CE, 9/10e, 15 avril 2016, Association Vent de Colère !, n° 393721, publié au recueil Lebon. Cet arrêt reprend notamment la solution mise en exergue par la Cour dans son important arrêt CJCE, 12 février 2008, CELF c/ SIDE, C-199/06, § 51-52.
[12] CJUE, Ord., 15 mars 2017, Enedis c/ Axa Corporate Solutions SA et Ombrière Le Bosc SAS, aff. C-515/16, § 21.
[13] Commission européenne, Lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020, (2014/C 200/01) du 28 juin 2014.
[14] L’article D-314-15 du Code de l’énergie, introduit par le décret n°2016-691 du 28 mai 2016, prévoit toutefois que les « installations utilisant l'énergie solaire photovoltaïque implantées sur bâtiment d'une puissance crête installée inférieure ou égale à 100 kilowatts » pourront continuer à bénéficier du tarif d’achat. Cette aide d’Etat d’un montant de 4 518 millions d’euros a été déclarée compatible avec le marché intérieur par la Commission européenne dans une décision Aide d’Etat SA.40349 (2015/NN) – Aide sous la forme de tarifs d’achat pour le développement d’installations photovoltaïques, JOUE C/83/2017 du 17 mars 2017.