Maître Marie-Hélène PACHEN-LEFÈVRE, Avocate associée au cabinet Seban & Associés

Extrait de la Gazette n°32 - Juin 2018 - Propos recueillis par Félix Giboire et Léna Tchakerian

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Marie-Hélène PACHEN-LEFÈVRE

Avocate associée au cabinet Seban & Associés

Maître Pachen-Lefèvre, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs, leur exposer votre cursus ?

Ancienne de l’IDPA, je suis avocate depuis 1995.

Je ne suis pas parvenue à cette profession de façon spontanée et évidente puisque je suis d’abord venue à Paris pour y effectuer une école de commerce, que j’ai finie et à l’issue de laquelle je suis sortie convaincue de ne pas vouloir exercer les métiers financiers auxquels je me destinais.

Impressionnée en dernière année de cette école par un cours de droit pénal des affaires dirigé par une avocate, j’ai fait le choix de poursuivre mes études en faculté de droit. Le hasard a alors voulu qu’au moment où j’entrais en maîtrise, l’un de mes chargés de travaux dirigés travaillait au cabinet de Françoise Sartorio et cherchait un futur avocat pour le former et l’intégrer dans ses équipes. Alors que je ne m’étais encore jamais interrogée sur la possibilité de devenir avocate, je me suis alors dit « pourquoi pas ! ». J’ai ainsi démarré dans ce cabinet comme stagiaire en parallèle de mes études en 1992.

J’ai ensuite intégré l’IDPA et effectué mon stage chez Françoise Sartorio, chez qui je suis restée, stagiaire puis collaboratrice, pendant près de huit ans.

J’ai ensuite rejoint pendant deux ans Jean-Pierre Boivin qui cherchait un avocat en droit des contrats publics.

Après avoir conseillé des collectivités puis des entreprises dans ces deux cabinets successifs, j’ai intégré en 2002 le cabinet Seban & Associés pour travailler en contrats pour des acteurs publics dans le secteur spécifique des communications électroniques. J’y suis associée depuis 2008.

 

Pourquoi avez-vous choisi de suivre la formation de l’IDPA ?

J’ai appris l’existence de l’IDPA par un de ses anciens étudiants. Cela me paraissait adapté pour moi de par mon parcours de publiciste.

J’ai trouvé que l’IDPA était d’une grande intelligence, en permettant d’être formé comme avocat tout en gardant notre spécificité de publiciste. C’est un atout pour rentrer dans la profession d’avocat.

J’y ai par ailleurs rencontré des étudiants qui, comme moi, avaient des parcours singuliers, avec des profils de double cursus.

 

Pouvez-vous nous présenter la structure dans laquelle vous êtes associée, et votre rôle en cette qualité ?

Le cabinet Seban & Associés a été créé par Didier Seban en 1984. Il a pour belle particularité de pouvoir répondre à tous les besoins de droit des acteurs publics, en toute indépendance vis- à-vis des opérateurs privés. Nous travaillons également pour certaines entités de droit privé satellites des acteurs publics (SEML, SPL, etc.) ou investies dans le secteur de l’économie sociale et solidaire et qui contribuent à porter les politiques publiques (associations, fondations,…).

Le cabinet s’est constitué pour répondre à tous les questionnements juridiques de ces personnes : que ce soit en droit public des affaires, intercommunalité, finances publiques, urbanisme et aménagement, construction, etc. ; mais aussi en droit des sociétés, droit du travail, droit pénal...

Nous sommes aujourd’hui quatorze associés dont je suis la troisième la plus ancienne. Le cabinet s’est beaucoup développé : à mon arrivée en 2002, nous étions une quinzaine d’avocats, nous sommes aujourd’hui plus de 70, auxquels s’ajoute une vingtaine de salariés qui nous aident au quotidien, avec notamment un service appel d’offres très étoffé. Malgré cette expansion, nous avons le souhait de rester un cabinet très humain.

Je gère plusieurs tâches au sein du cabinet.

En termes de dossiers ou d’activité, je travaille sur le secteur de l’énergie depuis maintenant quelques années, secteur dans lequel je me suis beaucoup investie, notamment l’électricité mais également toutes les questions énergétiques, en contrats comme en droit de la régulation. Je travaille également sur les communications électroniques, matière très technique.

J’encadre huit collaborateurs qui travaillent avec moi sur ces activités, avec des anciennetés très différentes. J’ai donc un rôle de manager, devant encadrer et faire progresser. Etre associé dans un cabinet, c’est aussi participer à sa direction. À cet effet, nous avons institué un comité directeur auquel je participe actuellement. En effet, lorsque le nombre d’associés devient important, il est compliqué de décider de tout en commun. Nous avons donc réfléchi à la gouvernance du cabinet par rapport au nombre d’associés. Ce comité directeur composé de quatre personnes permet de partager les décisions du quotidien sur la direction de la structure.

La direction d’une entreprise est quelque chose de peu spontané pour les avocats puisque leur formation n’apprend pas à diriger une entreprise – mon cursus en école de commerce m’aide certainement à ce niveau. Je partage enfin avec une autre de mes associées la responsabilité de diriger le service des appels d’offres du cabinet.

 

Quel regard portez-vous sur la situation des femmes en cabinets d’avocats ?

Nous sommes beaucoup de femmes avocates, c’est même la majorité des promotions. En revanche, le ratio hommes / femmes chez les associés est inversé. J’ai beaucoup d’amies qui ont quitté la profession et sont devenues juristes ou magistrates par lassitude.

J’ai trois enfants. J’ai vécu mes congés maternité en tant que collaboratrice. Et je suis devenue associée en 2008, alors que je venais d’avoir ma dernière fille en octobre 2007. Seban & Associés est à parité hommes / femmes au sein des collaborateurs comme des associés. C’est donc possible !

La carrière d’avocat est un beau et passionnant métier dans lequel les femmes ont toute leur place. J’ai sans doute beaucoup de chance d’être dans une structure qui a effectivement une grande humanité, mais c’est aussi à nous les femmes en tant qu’avocates de frayer notre chemin. Nous avons le talent de l’efficacité et de l’organisation.

Pour ce qui est des élèves-avocates et jeunes avocates, il faut sans doute qu’elles choisissent bien leur cabinet. Tout se sait dans la profession, et il y a des structures où cela peut être un sujet. C’est donc important d’y réfléchir.

 

Hormis votre activité d’avocat, avez-vous d’autres activités professionnelles ?

J’écris beaucoup d’articles, que je co-rédige également avec des collaborateurs. Je réalise aussi un certain nombre d’interventions que j’essaye de cibler sur mes secteurs de prédilection.

Je suis par ailleurs administratrice d’AMORCE et participe à ce titre à certains de ses travaux.

 

Vous êtes membre du Conseil d’administration de l’association nationale des collectivités, des associations et des entreprises pour la gestion des déchets, de l’énergie et des réseaux de chaleur (AMORCE). Pouvez-vous nous en parler ?

AMORCE est une très ancienne association qui regroupe un nombre important de collectivités publiques et entreprises dans le domaine de l’environnement. Historiquement, elle travaillait surtout sur le secteur des déchets et des réseaux de chaleur puis elle a acquis une compétence en matière d’énergie plus largement et de transition énergétique, et plus récemment dans le secteur de l’eau.

J’ai été élue administratrice il y a trois ans et suis depuis membre du conseil d’administration. Cela m’ouvre à des activités différentes du métier d’avocat. C’est une association très performante qui informe ses adhérents, organise des conférences et colloques, et a un rôle de lobbying reconnu. L’association suit les évolutions réglementaires, réalise des communiqués de presse et s’exprime beaucoup dans l’intérêt des collectivités, dans l’intérêt général, tout en ayant une présence minoritaire laissée aux entreprises, ce qui fait son originalité par rapport aux associations d’élus.

 

Quel est votre point de vue sur les évolutions du droit des montages domaniaux et des contrats publics ?

La mise en concurrence de l’occupation du domaine public était inéluctable et cela donne une sécurité juridique à certains montages.

Pour ce qui est des contrats publics, la réforme ayant conduit à l’affirmation de deux régimes distincts - marchés publics et concessions - permet enfin de pouvoir se concentrer sur l’objet même de notre travail d’avocat : déterminer le contrat le plus pertinent pour répondre à un besoin et réaliser un projet. Ce n’est donc pas seulement une simplification du droit des contrats puisque cela permet de se concentrer, au-delà du support contractuel, sur le projet lui- même. Et c’est ce que je préfère : être dans l’opérationnel et le concret, pour laisser plus de place à l’expertise. La performance juridique, ce n’est pas de faire un catalogue des procédures et contrats existants, mais de savoir manipuler ces outils, les avoir utilisés et connaître ce qu’il peut réellement ressortir de chaque type de contrat. Le droit doit rester au service d’un projet.

L’Association Nationale des Opérateurs Détaillants en Energie (ci-après l’« ANODE ») a récemment mis en ligne un livre blanc portant sur la suppression des tarifs réglementés de vente d’électricité. Quel est votre point de vue sur la régulation du secteur de l’énergie ? Les tarifs réglementés sont-ils selon vous compatibles avec le droit de l’Union européenne ? Allons-nous vers une suppression de ceux-ci ?

Le livre blanc de l’ANODE relatif aux tarifs réglementés de vente (TRV) d’électricité fait suite à l’annulation par le Conseil d’Etat des TRV de gaz, intervenue dans la continuité de la question préjudicielle qui avait été posée à la Cour de justice de l’Union européenne. Fut un temps où les marchés de l’électricité et du gaz étaient des services publics sous forme de monopoles, avec une tarification réglementée pour protéger le consommateur. Les TRV relèvent d’un fonctionnement d’autant plus particulier qu’il s’agit d’une tarification nationale qui s’applique sur des concessions de service public local. Progressivement, il a été estimé que les tarifs réglementés n’étaient pas pertinents pour tous les consommateurs, et il a été choisi de ne protéger que les petits consommateurs – qui représentent toutefois un très grand nombre de personnes. En outre, et malgré l’ouverture à la concurrence, l’image des anciens monopoles reste très prégnante chez les consommateurs. L’ANODE, au nom des opérateurs alternatifs du gaz et de l’électricité, avait donc formé un recours contre les TRV de gaz, qu’elle a gagné. Le gouvernement doit donc aujourd’hui se prononcer sur le sujet et définir, sur une période transitoire, les conditions de la fin de ces TRV gaz. La même question se pose, bien que de manière moins radicale, pour les TRV d’électricité à la suite du dernier arrêt du Conseil d’Etat rendu sur ces tarifs, à la demande également de l’ANODE.

Une nouvelle législation s’impose pour encadrer autrement ces TRV d’électricité, qui seront destinés à moins de consommateurs. Un nouveau service public de la fourniture d’électricité est sans doute à réinventer. Les TRV ne concernent toutefois que la fourniture d’énergie. Le champ d’activité qui m’occupe aussi est la distribution qui est un peu moins connue. Cette activité a aussi vocation à évoluer, au-delà de l’attachement fort de la France à un monopole légal. Est-ce compatible avec le droit de l’Union européenne ? Je pense que la question est ouverte. J’avais d’ailleurs rédigé une contribution sur ce sujet en 2012 dans le Recueil de Mélanges en l’honneur de Jean-Pierre Boivin.

Au-delà de la question du monopole légal, le besoin de régulation demeure essentiel, tout comme dans le secteur des communications électroniques. Mais alors, comment réguler ? Quel est le bon niveau de régulation ? Il y a de multiples façons de réguler une activité
d’intérêt général, il n’y a pas que le monopole. Il y a ensuite, dans ces secteurs très sensibles, le sujet de la tarification. Une régulation de la tarification peut être compatible avec une pluralité d’opérateurs, à l’instar de l’actuel dispositif du « fonds de péréquation de l’énergie », qui est abondé par les entreprises excédentaires et bénéficie aux entreprises déficitaires.

 

Quel regard portez-vous sur la répartition actuelle des compétences entre les acteurs publics dans le domaine de l’énergie ?

La loi sur la transition énergétique (TECV) de 2015 a poursuivi un objectif volontariste de donner des compétences à tous pour que le plus grand nombre agisse. Sauf que lorsqu’on est beaucoup à faire les mêmes choses, on peut se marcher sur les pieds. Et cela peut recréer des inégalités en fonction des budgets locaux, voire des dépenses inutiles.

Le point positif de cette loi est de permettre à une variété d’acteurs publics de porter des projets de production d’électricité divers, puisque l’énergie peut provenir de procédés variés : l’électricité, le gaz, la méthanisation, la valorisation énergétique des déchets, la géothermie, etc. Beaucoup de collectivités publiques ont d’ailleurs créé des outils comme des sociétés d’économie mixte (SEM) ou des sociétés anonymes par actions simplifiées (SAS) pour la production d’énergies renouvelables, SAS dans lesquelles les collectivités peuvent - nouveauté de la loi TECV - être actionnaires minoritaires. La loi TECV a ainsi essaimé des compétences un peu partout et, au fond, c’est sans doute vertueux.

 

Quelles sont les particularités des concessions dans le secteur de l’énergie ? 

Concernant les concessions hydrauliques, c’est un sujet qui concerne plutôt l’Etat puisque ces concessions sont conclues par lui. Les concessionnaires sont aujourd’hui pour la plus grande partie EDF, mais aussi d’autres opérateurs comme la Compagnie Nationale du Rhône (CNR). L’Etat est censé mettre en concurrence ces concessions depuis des années. Il y a là une attente forte.

Concernant les concessions de distribution d’électricité, elles ont un objet double : d’une part, la distribution publique d’électricité, et d’autre part, la fourniture d’électricité au tarif réglementé. Ces concessions sont donc cosignées à la fois avec le fournisseur et le distributeur. Il ne peut toutefois pas s’agir de la même entité concessionnaire puisque les activités de production et de fourniture ont été séparées et qu’elles doivent être portées par deux entités juridiques différentes lorsqu’elles desservent plus de 100 000 clients (hors le cas particulier des zones non interconnectées).

Une autre spécificité de ces concessions de distribution et de fourniture aux TRV d’électricité est d’être de très longue durée, ce qui peut poser question au vu de leur objet et du risque économique laissé au concessionnaire, en cette période particulière de renouvellement massif de ces contrats de concession.

Enfin, ces concessions de distribution et de fourniture aux TRV d’électricité sont complexes à négocier alors même que leur caractère de concession locale devrait impliquer une négociation individuelle par chaque concédant. Or, un nouveau « modèle » national vient d’être arrêté, naturellement non impératif, mais que les concessionnaires vont vouloir imposer à l’exception de quelques points de discussion locale.

Enfin, on peut évoquer les concessions de gaz, qui relèvent à peu près du même régime que l’électricité sur la partie distribution. Toutefois, hors zone de desserte historique, la mise en concurrence est effective.

 

Selon vous, quel(s) rôle(s) les avocats pourraient-ils avoir dans le cadre de la transition énergétique ?

Les avocats peuvent évidemment avoir un rôle sur les montages contractuels : quel type de contrat pour toute cette filière énergétique ? Mais aussi pour les montages de structures, puisque les collectivités recourent beaucoup à la création d’entités juridiques publiques ou privées. Et on peut enfin au sein des montages mixer l’institutionnel et le contractuel.

L’avocat assiste également les collectivités dans la rédaction, la négociation et la sécurisation des contrats, bien qu’ils soient souvent pré-rédigés comme je viens de le rappeler. L’astuce est alors de trouver les marges de manœuvre de discussion.

L’avocat joue également un rôle dans la préparation aux évolutions juridiques et peut aider les acteurs présents à avoir une réflexion sur l’avenir de ces secteurs d’activité, les prospectives et la stratégie à adopter.

L’avocat intervient par ailleurs par le contentieux. Le secteur de l’énergie évolue aussi parce qu’il y a des recours - nous évoquions précédemment l’ANODE. C’est un peu dommage, mais c’est un secteur qui a une telle ancienneté, de telles habitudes, qu’il faut un peu bousculer les lignes. Le contentieux joue un rôle d’aiguillon.

 

Quel est votre point de vue sur la mise en concurrence des avocats ?

Il peut ressortir des choses positives de la concurrence : ce sont aussi des opportunités pour les cabinets. Cela permet de rencontrer de nouveaux clients, puis de démontrer que l’on est pertinent, présent et expert. Ensuite, on peut conserver ce client, après mise en concurrence certes, mais fort d’avoir pu démontrer que l’on était un bon professionnel.

Par ailleurs, il y aura toujours des avocats qui capteront des marchés par une politique de prestations à bas prix. Il est d’ailleurs facile de sortir une consultation bon marché : vous concluez que rien n’est possible, vous ne prenez pas de risque. Cela ne m’intéresse pas de faire du droit comme cela et je trouve qu’il faut continuer à valoriser - et je crois que les acteurs publics continuent à avoir besoin de cela - la créativité, l’expertise. Cela, les clients, même publics, seront toujours prêts à le payer. Nous voyons revenir des clients ayant testé la solution du « non ce n’est pas possible », et ils n’en sont pas satisfaits.

Les clients publics peuvent être très bons et savent tester et juger. D’autant plus dans les secteurs très spécifiques, où j’ai des interlocuteurs d’excellent niveau. Il ne faut pas oublier que l’on retrouve d’anciens avocats dans les services juridiques des collectivités. Ce sont des anciens confrères, ils savent très bien le travail que nous faisons. Il n’y a pas lieu de se dévaloriser.

 

Un conseil pour la promotion actuelle de l’IDPA ?

Je suis marraine de jeunes de l’IDPA. Je trouve que cette proposition de parrainage est une bonne formule. J’encourage les jeunes IDPéistes à s’investir dans leurs stages. Ils sont plus nombreux à sortir de l’IDPA que nous l’étions précédemment. Personnellement, lorsque je recrute quelqu’un, je suis très attentive aux stages qui ont été faits, aux parcours. Je recommande donc aux jeunes de l’IDPA de rendre leurs stages attractifs.

Soyez acteurs de la qualité de vos stages ! N’hésitez pas à demander à préparer un projet d’écritures, de consultation. N’attendez pas qu’on vous donne du travail, venez voir vos maîtres de stage, proposez votre aide ! La qualité de vos stages et votre recrutement futur dépendront beaucoup de cela.